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Origine : http://infokiosques.net/imprimersans2.php3?id_article=26
http://infokiosques.net/spip.php?article=26
Le mouvement autonome espagnol
Le processus de refondation des collectifs de Lucha Autonoma
de Madrid (extraits)
Agustin Moràn, du CAES (centro de asesoriamento
y de estudios sindicales)
(...) Les points de base qui nous unissent sont l’auto-organisation,
l’assemblée comme organe décisionnel, l’anti-autoritarisme,
le rejet de toute hiérarchie ou avant-garde, et la question
des alternatives de lutte et d’organisation qui nous unissent
dans une ligne anti-capitaliste et anti-patriarcale. (...) Document
1 des Journées de Refondation de Lucha Autonoma, 1999
"Ce qui est fondamental dans le mouvement autonome, et ce
qui rompt avec la tradition de la gauche, c’est qu’il
ne prétend posséder aucune vérité, et
que non seulement il tolère, mais il favorise la divergence.
Ainsi, nous n’avons aucune hésitation à signer
nos affiches avec le A cerclé, la faucille et le marteau,
et l’étoile. (...) Nous n’aspirons pas à
une organisation où tout le monde pense pareil, mais à
l’extension de l’auto-organisation et de l’autogestion.
Nous pensons que les problèmes quotidiens des gens sont le
fruit de rapports sociaux que nous impose le système. Nous
voulons développer une critique du système à
partir de nos batailles quotidiennes. La révolution commence
par soi-même. Nous devons commencer par transformer nos rapports
personnels et notre environnement le plus proche. La révolution
se fait jour après jour." Una vision de la Coordinadora
de Colectivos de Lucha Autonoma, 1990-1997, Gonzalo Wilhelmi, ed.
Traficantes de Suenos, p.121
C’est dans le contexte du déclin de la résistance
sociale de masse et de la gauche extra-parlementaire, à la
fin des années 80, que naissent les nouveaux collectifs qui
se réclament de l’autonomie. Ses jeunes membres proviennent
principalement du militantisme de quartier, étudiant, anti-militariste,
anti-fasciste, ou de squats.
"A la fin des années 80 et au début des années
90, à chaque fois qu’un collectif de jeunes s’organisait,
les partis d’extrême-gauche se précipitaient
à leur tête, et plusieurs collectifs furent infiltrés
par le parti maoïste Movimiento Comunista. Quand la direction
du Movimiento Comunista fusionna avec celle du parti trotskyste
LCR, une partie de leurs bases, et particulièrement les jeunes,
commencèrent à s’intéresser au discours
anti-parti. Quand les autonomes et les partis entraient en contact,
c’était eux, plutôt que de nous absorber, qui
assimilaient notre discours anti-parti, et de cette manière
nous faisions un important travail de dissolution : des gens des
jeunesses du MC, LCR, PCE, ML, ont fini dans des collectifs de la
Coordinadora de Lucha Autonoma et dans d’autres structures
du mouvement autonome."
L’organisation de ces différents jeunes collectifs
se cristallise en octobre 1990, dans des journées qui donnent
naissance à la Coordinadora de Colectivos de Lucha Autonoma
(Coordination de Collectifs de Lutte Autonome), comme structure
de communication et de dynamisation de l’Autonomie.
La critique de l’avant-gardisme, des partis et des syndicats,
est menée à travers une pratique d’organisation
autogestionnaire, anti-hiérarchique et anti-autoritaire,
réelle et effective.
Les nouveaux militants de Lucha Autonoma sont jeunes et peu expérimenté-e-s.
"La majorité des gens entrent dans le collectif avec
un idéal vaguement anti-capitaliste, l’impression qu’il
faut se battre contre le système et que le réformisme
ne mène à rien. En réalité, c’est
dans le collectif qu’ils se forment politiquement. Aussi bien
au niveau théorique que pratique : comment convoquer une
mobilisation, comment faire une assemblée... Les gens les
plus vieux, venant d’autres collectifs, s’occupent de
la formation des plus inexpérimenté-e-s. Pendant la
première année, dans toutes les assemblées
il y avait quelqu’un-e qui apparaissait avec un texte sur
l’organisation, la violence, la femme... Et puis, quand tu
commences, tu lis tout ce qui te tombe entre les mains... En plus
nous faisions beaucoup de débats, parce que nous n’avions
clairement qu’une toute petite base théorique, et nous
faisions beaucoup de choses, et donc tu te retrouves face à
des doutes que tu dois résoudre : le droit à l’auto-défense,
le travail avec les associations de voisin-e-s, les partis politiques..."
La rupture avec les dogmes et les formes de militantisme de la
vieille gauche se manifeste de cette manière mais aussi sous
l’aspect de peurs. Peur du leadership des vétérans,
peur d’un militantisme exhaustif et prenant, peur des assemblées
interminables qui font fuir celleux qui débutent dans le
collectif.
Les scénarios de lutte sociale dans lesquels sont intervenus
les collectifs de Lucha Autonoma ont été nombreux.
Les plus visibles socialement sont peut-être la lutte anti-fasciste
et le squat, bien qu’un vaste travail ait été
accompli dans des terrains comme ceux de la contre-information,
et que diverses activités aient été menées
dans la lutte contre la précarité et l’exclusion,
dans des tentatives d’organiser un travail féministe,
etc...
En conséquence de cette réelle force de confrontation,
le pouvoir politique et médiatique a déployé
une violente campagne de criminalisation et de manipulation sur
la légitimité et la valeur sociale de ce jeune mouvement.
La répression s’est abattue de manière intense
sur un mouvement qui souvent n’a pas non plus su gérer
de façon adéquate les risques que comportaient son
défi au système.
Dans les textes mêmes de la coordination, il est affirmé
qu’il ne suffit pas d’avoir une politique écrite,
et que l’unité existante se fonde sur la pratique commune.
Néanmoins, une vaste réflexion théorique s’est
produite, et s’est concrétisée en de nombreux
textes.
Presque tous les ans ont été réalisées
des assemblées de bilan dans lesquelles, de façon
progressive et parfois insistante, des débats se sont produits
et des textes ont été élaborés, sur
des thèmes comme le travail de quartier, la critique de la
forme-parti, l’expérience des centres sociaux autogérés,
l’autonomie et la coordination, l’intervention sociale,
les drogues, le patriarcat, les groupes non-mixtes, le mouvement
autonome, les tentatives de coordination nationale de l’Autonomie,
l’anti-fascisme, l’anti-militarisme, etc...
Pendant les années 90, les initiatives de coordination en
vue d’activités ponctuelles créent peu à
peu un réseau de contacts entre des collectifs très
différents, pas tous insérés dans "la
zone autonome".
Les motifs qui impulsent le processus de refondation de Lucha Autonoma
sont variés : d’un côté, ouvrir un débat
entre tous les collectifs plus ou moins proches de la zone autonome
pour créer un espace stable qui favorise les débats,
l’unité d’action et l’accumulation des
forces. De l’autre, tracer une démarcation partagée
par tou-te-s, entre celleux qui veulent construire l’unité
en comptant sur les autres et celleux qui, à partir d’une
esthétique de l’opposition révolutionnaire extrême,
réalisent, sans le moindre calcul, des actions individuelles
dont les conséquences négatives se répercutent
sur le reste des groupes.
Vus ces motifs, beaucoup pensent qu’il est nécessaire
de tirer la discussion hors des bars, pour l’amener dans un
espace formel où tou-te-s puissent participer de façon
transparente.
Les différentes hypothèses qui présideront
à la refondation sont largement débattues, du printemps
1998 jusqu’à Janvier 1999, avec des documents allant
et venant, se modifiant et se remodifiant. (Les textes de cette
brochure sont certains d’entre eux). On prend finalement la
décision de créer un espace ouvert de débat
sur la nécessité de générer des structures
formelles de coordination pour étendre l’Autonomie
et l’Auto-organisation, où s’expriment les différents
courants et les différents groupes. Cette décision
suppose la dissolution de la Coordinadora de Colectivos de Lucha
Autonoma dans la nouvelle dynamique se constituant. S’ouvre
alors une expérience dramatique, généreuse
et radicale. Un processus de constitution politico-sociale à
l’état pur. Tout est ouvert à la volonté
et au désir des acteurs et des actrices.
S’organiser
Construire l’auto-organisation
Lucha Autonoma, coordinadora de colectivos de Madrid
Ce texte naît de la critique de pratiques et d’expériences
que nous avons l’intention d’analyser pour apprendre
à partir de nos erreurs. Il n’y a pas de volonté
de grandes théorisations ; on s’en tient aux bases
de raisonnement.
Pourquoi des structures ?
En têtant notre culture politique de milieux anti-autoritaires,
nous avons parfaitement compris que le mot "organisation"
donnait des frissons à beaucoup de gens, parce qu’immédiatement,
dans l’imaginaire collectif, surgit l’image de ces militant-e-s
révolutionnaires qui ont cru aveuglément en leurs
organisations, les considérant comme porteuses de vérités
absolues, les convertissant en objets de culte, et accomplissant
en leur nom des barbaries injustifiables. Mais tout ceci s’applique
à un type déterminé d’organisation, l’organisation
qui devient une fin et cesse d’être un moyen, l’organisation
qui se sacralise.
Pour beaucoup de gens, la nécessité de former des
structures est une idée élémentaire, mais pour
beaucoup d’autres ce n’est pas si évident. Les
nécessités d’organisation apparaissent quand
on envisage l’action collective ou politique (dans le sens
de ce qui a une incidence sur la vie et sur la nature de la communauté),
c’est-à-dire quand on se demande comment concrétiser
cette action, comment lui donner une cohérence.
Tant qu’un individu envisage une quelconque intervention
dans la collectivité ou dans la société, il
doit inévitablement se mettre en contact avec d’autres
individus, s’associer. Il est évident que malgré
les grandes capacités qu’un individu peut avoir, elles
ne sont rien face à celles que développent plusieurs
personnes quand elles se regroupent. Ainsi, prétendre qu’il
y a des débouchés individuels (ou d’un groupe
réduit) "révolutionnaires", ou hors du système,
est illusoire.
S’unir a pour inconvénient que l’individu doit
transiger, accepter des limites que lui imposent le travail avec
d’autres personnes. Il est évident qu’il y aura
toujours une tension entre ce qui est désiré et ce
qui est accompli, et que certains problèmes font exploser
les structures, mais il est aussi clair que la plupart du temps
les différences qui opposent les groupes ou les personnes
sont des nuances, et que la plupart du temps la formation de camps
ou de courants est liée aux adhésions à des
groupes informels (tensions de leadership, désirs de se faire
remarquer en montant sa propre petite affaire...), plus qu’à
de claires divisions théoriques et pratiques. Evidemment,
ça paraît stupide, mais combien de fois, dans un collectif,
surtout quand il s’associe à d’autres groupes,
oublions-nous que pour arriver à se regrouper, il faut supporter
et attendre les autres ? Et que par conséquent tout travail
collectif signifie effort vers l’extérieur (pour propager
nos idées) et vers l’intérieur (construire une
organisation), c’est-à-dire être disposé-e-s
à céder ? Pour faire quelque chose il n’est
pas nécessaire de tout partager, il suffit de partager ce
qu’on décide de faire en commun.
Avec une structure ou une organisation stable, on a, en plus de
la force que donne le fait d’être ensemble, une accumulation
de cette force. La coordination de groupes pour un objectif concret
(manifestations antifascistes, semaines de lutte sociale,....) démontre
la puissance que donne l’union (ces exemples sont les rares
moments où nous avons atteint une certaine incidence sociale),
mais en même temps prouve sa fragilité, en n’étant
que sporadique. Toutes les potentialités qu’on rassemble
alors auraient une formidable force politique si elles se maintenaient
dans le temps. C’est pour cela qu’il ne suffit pas de
mener un travail dans des moments ponctuels, qu’il faut maintenir
un travail continu, il faut que les organisations vers un effet
politique réel dans la société perdurent. Ici
naît la critique de la défense de l’action spontanée
comme solution aux problèmes de la société,
simplement parce que la spontanéité dans la société
est très relative. En réalité, ce qui arrive
est que parfois, de manière abrupte et imprévisible,
un processus souterrain devient visible. Il n’y a pas d’explosion
"spontanée" ni d’actions "spontanées"
: avant il y a eu un travail. Pour prendre un exemple, les explosions
révolutionnaires au début du siècle dans la
campagne andalouse n’avaient rien de spontané, elles
avaient derrière elles des années de propagande, d’actions
et de travail constants et enfouis, qui devinrent visibles avec
l’insurrection.
La structure est un squelette sur lequel se fixent tous les autres,
et bien que parfois les os se rompent, la plupart du temps ils nous
aident à résister. Comment allons-nous faire face
à la répression sans rien qui ne nous donne de la
consistance et de la continuité ? Il nous faut des moyens
de propagande, des avocat-e-s, des locaux, pour développer
la lutte. Si en plus on aspire à ce que qu’un plus
grand nombre de personnes deviennent protagonistes des luttes, il
nous faut nous doter de moyens à la hauteur, c’est-à-dire
de moyens massifs. Pour faire un fanzine ou un bulletin il ne faut
pas beaucoup de gens, mais pour un quotidien qui publie des milliers
d’exemplaires il faut être légion. Si un collectif
veut faire un travail, par exemple, contre les abus dans les prisons,
il devra avoir un local où se réunir, un avocat à
qui recourir, des moyens économiques pour entretenir son
activité, et durer quand même plus de quelques mois.
Comment aspirer à ce que les prisonnier-e-s affrontent les
prisons s’illes n’ont pas la moindre garantie qu’illes
ne seront pas seul-e-s quand viendra la répression, s’illes
n’ont aucune structure pour les défendre ?
La nécessité de structures stables formelles naît
des hypothèses théoriques d’égalité
et de participation. Si nous voulons qu’un maximum de personnes
participent aux décisions, aux débats et aux compte-rendus,
nous devons leur en donner la possibilité. Les décisions
ne se prennent pas en une seule réunion mais en un ensemble
de réunions, et par conséquent il faut garantir une
participation maximale en conditions égales pour tou-te-s.
Ainsi les mécanismes de prise de décision doivent
être connus de tou-te-s les participant-e-s et être
à la portée de chacun-e d’entre elleux. Les
structures formelles sont nécessaires comme garantie minimum,
et possibilité, de participation égalitaire. Si l’information,
les mécanismes internes, etc., sont à la portée
seulement des personnes qui sont constamment dans le coup, et donc
ne se basent que sur les rapports personnels, sans prendre en compte
les gens qui n’ont pas le même rythme ou les mêmes
"affinités", on enlève à beaucoup
de personnes la possibilité de décider en conditions
égales. Parfois l’égalité des chances
dans nos organisations n’est pas plus que rhétorique.
Si, en plus, nous avons l’intention de faire de nos pratiques
politiques l’embryon ou le reflet d’une nouvelle société,
nous devons les éprouver dans la pratique. Il y a une relation
dialectique entre pratique et théorie, ces dernières
doivent avancer l’une comme l’autre, en s’influençant
mutuellement. A quoi sert-il de défendre les assemblées
si dans la pratique nous sommes incapables de les faire fonctionner
?
Pour résumer, nous considérons que pour développer
une réelle action politique, avec une certaine cohérence
(égalité en termes de participation, forum de discussion
sur nos pratiques et nos idées,.) et avec des infrastructures
qui servent d’appui, il est nécessaire d’avoir
des organisations formelles, stables et durables. Et nous considérons
que cela n’est possible que quand les membres sont disposé-e-s
à "céder une partie du mien pour construire le
nôtre", et devenir, ainsi, un collectif.
Types de structures, ou comment s’organiser
Les individus qui s’unissent définissent leur organisation,
dans la même mesure où l’organisation modèle
ses membres. Il faut éviter au maximum les contradictions
entre les objectifs -ou propositions politiques- et les moyens -ici,
l’organisation-, sinon les objectifs finiront par s’adapter
aux nécessités de l’organisation. La structure
cessera d’être un outil et deviendra une fin en elle-même.
Il est logique de défendre avec ardeur un projet dans lequel
on dépense beaucoup de temps et d’efforts, mais il
ne faut pas pour autant finir par considérer toute proposition
avalisée par l’organisation comme forcément
meilleure que celle qui viendra de "l’extérieur".
Il doit y avoir chez les militant-e-s une tension dialectique et
constante entre la raison et la raison de l’organisation.
Si le projet d’organisation veut éviter ces contradictions,
comme dans notre cas, il faut impliquer dans ses décisions
le maximum de personnes, à conditions égales, et l’information
doit être répartie de façon égalitaire.
D’après notre expérience, c’est la seule
manière pour que la structure génère des individus
libres et capables de décider par eux-mêmes, conscients
de leurs actes et de leurs conséquences (la fameuse responsabilité).
Pour qu’une prise de décision soit égalitaire,
il faut qu’elle ait lieu en assemblée. L’assemblée
comme mécanisme participatif a beaucoup de limites, et ne
suffit pas à assurer l’égalité dans les
décisions : il ne faut pas non plus la porter aux nues. Toutes
les personnes assistant à une assemblée n’ont
pas la même facilité d’expression, ne s’expliquent
pas aussi bien les unes que les autres, n’ont pas le même
soutien des autres personnes présentes ; tout le monde ne
peut pas être présent, certains groupes s’organisent
pour manipuler l’assemblée (se répartissant
dans la salle de manière à ce que beaucoup de personnes
paraissent partager leurs idées...). Ainsi nous ne sommes
pas égales et égaux dans une assemblée. Malgré
tout, une assemblée donne bien les mêmes possibilités
d’intervention, et est, par conséquent, porteuse de
potentialités. S’il y a un groupe qui prend les devants,
il peut y en avoir un autre qui fasse de même pour le lui
empêcher, s’il y a un-e bavard-e, il peut y avoir quelqu’un-e
qui l’arrête.
Une autre limite de l’assemblée est le jeu de la majorité
face à la minorité. Dans une assemblée, la
décision correspond généralement à l’opinion
majoritaire, ce qui ne veut pas forcément dire qu’elle
soit la plus juste ou la plus adéquate. Il arrive qu’un
petit groupe ait raison, mais que sa proposition soit rejetée,
car elle ne peut s’appuyer sur suffisamment de soutiens. C’est
la principale critique que l’on peut faire à tout système
fondé sur le vote. Un vote, qui donne la parole à
la majorité, ne peut pas être considéré
comme démocratique quand il oblige l’ensemble, y compris
les opposant-e-s, à se plier à la décision
des plus nombreux-ses. C’est pour cette raison qu’il
est bon d’inclure des éléments correcteurs,
comme le système de décisions par consensus. Il faut
ici garder en tête que les concessions sont inévitables
et nécessaires pour maintenir une unité. Cependant,
il arrive qu’une solution de consensus ne soit pas possible,
à cause de la nécessité pour l’organisation,
pour être un instrument efficace de lutte politique et sociale,
d’être formée de petites structures autonomes
(collectifs, syndicats...) qui à leur tour s’unissent
dans une structure plus grande (coordination, confédération...).
Mais une proposition qui n’est pas acceptée par l’assemblée
(ensemble de petites structures) peut être mise en pratique
à des "niveaux inférieurs" sans que cela
implique les autres ; de même, une majorité de groupes
peut mettre une proposition en marche sans obliger les autres à
la suivre. Ce modèle de double instance a l’avantage
de permettre à la "base" d’être formée
de petits groupes, ce qui favorise la participation en leur sein,
mais a l’inconvénient de ralentir les processus de
décisions. Mais il faut suivre la devise "pour tout
ce qui me concerne c’est moi qui décide, pour tout
ce qui concerne tout le monde, c’est tout le monde qui décide".
En réalité le modèle des assemblées
est utile quand il est une constante, quand toutes les décisions
sont prises de cette manière, c’est-à-dire quand
les actes de l’organisation sont le résultat de nombreuses
assemblées. La majeure partie des militant-e-s de la structure
ont alors davantage la possibilité d’influer sur l’ensemble.
Sachant que toute structure a cette terrible capacité de
modeler et de "déformer" ses membres, il faut prendre
en compte la tendance "naturelle" à la formation
d’élites ou de bureaucraties, et la combattre en s’efforçant
de limiter toute délégation et de faire tourner les
tâches et les postes. La délégation est inévitable
quand l’organisation atteint une certaine taille : tou-te-s
les membres d’un collectif ne peuvent aller à toutes
les réunions auxquelles le groupe participe. Par ailleurs,
si l’on ne se répartit pas les tâches, on paralyse
la capacité d’action. Cependant la délégation
provoque beaucoup de problèmes : aucun-e délégué-e
ne transmet la totalité des avis, et dans beaucoup de réunions
on prend des décisions que le reste du groupe, dans le meilleur
des cas, ne fera que ratifier. Donc, moins on recourt aux délégué-e-s,
mieux c’est. De même, peu après la répartition
de tâches, des "spécialistes" peuvent se
former, et une compartimentation des connaissances peut apparaître,
démolissant la base de la participation : l’information
égalitaire. Pour corriger ces tendances il faut pratiquer
la rotation dans les tâches et dans la représentation.
C’est une bonne manière de conférer à
tout le groupe la même information, la même capacité
de décider et la même nécessité de se
préparer.
Il y a un autre élément fondamental qui détermine
les capacités d’une structure : la prise en charge
de responsabilités, ou formalité. Si la structure
est de type "informel", elle peut être égalitaire,
mais elle ne permet pas le débat d’autres avec elle,
convenant de tout entre ami-e-s ou collègues. Aucun de ses
actes ne peut être discuté ou critiqué parce
que leurs protagonistes disparaissent. Face à ça,
la formalité ne veut pas dire "costard-cravate"
mais "façon régulière de fonctionner".
Ceci est d’une importance fondamentale quand la structure
aspire à une grande incidence sociale plutôt qu’à
ne servir qu’à un petit groupe. Si l’on veut
que les personnes qui s’approchent de la structure (qui la
connaissent par sa propagande ou son image et non par ses petites
misères internes) puissent avoir la possibilité de
participer à l’organisation, les mécanismes
de décisions doivent être clairs et définis.
Si les assemblées d’une structure sont changeantes,
et si leurs décisions dépendent d’un noyau plus
militant, comment peut-on faire croître la taille du groupe
? Si tout est déjà dit, déjà fait ?
En outre, comment résoudre le problème de la représentation
? C’est-à-dire, au nom de qui parle-t-on ? Ces problème
peuvent paraître lointains mais ils sont très sérieux.
(...) Ils apparaissent à chaque tentative d’organiser
"un gros truc". Chaque fois que se forme à Madrid
la Coordination Antifasciste, pour préparer les mobilisations
du 20 Novembre, l’une des premières questions à
résoudre est : qui peut y aller, combien de représentant-e-s
par collectif, comment on prend les décisions... Il y a derrière
ces problèmes une question très importante à
résoudre : celle de l’égalité dans la
prise de décisions. Si les réunions d’un collectif
ne sont pas structurées, les personnes qui ont peu de temps,
par exemple pour se mettre au courant des changements, restent automatiquement
hors-jeu, hors du jeu réel (et non pas rhétorique)
de la participation. Ainsi, par exemple, les personnes qui ont plus
de temps libre finissent par avoir plus de poids que celles qui
travaillent ou qui ont moins de temps. Ce qui est profondément
injuste, parce que ce ne sont plus des volontés -ce que tu
donnes- qui interviennent, mais des possibilités -ce qu’on
te laisse donner-, possibilités qui la plupart du temps sont
entre les mains du capital. Par ailleurs, si les mécanismes
sont clairs, les mandats définis, et les formes de discussion
établies, la vigilance envers les délégué-e-s
et leur contrôle peuvent être effectifs. Le respect
des "formes" d’organisation évite qu’un
membre devienne indispensable. Si l’expérience, les
contacts, les connaissances..., sont concentrés dans le noyau
le plus actif, quand l’une de ces personnes vient à
manquer, le groupe entier se met à battre de l’aile.
S’il y a des compte-rendus, des rôles, si ceux-ci tiennent
le groupe au courant, régulièrement, des initiatives
et du travail réalisé, quand quelqu’un-e manque,
les autres, après s’être dégourdi-e-s,
peuvent continuer le travail. Il est pathétique de voir certains
groupes autogérés incapables de commencer une réunion
ou un débat avant que celui ou celle "qui est au courant"
n’arrive parce que le reste du groupe n’a pas d’idée
ni d’initiative. Il est clair qu’il faut s’entraîner
à prendre des notes, faire des rapports, structurer les réunions,
et ça paraît pesant, voire bureaucratique, on a l’impression
que ça bride les initiatives, que les initiatives, elles,
naissent en l’individu dès qu’on lui laisse un
peu d’imagination. Et, bien vite, on tombe du lit, on se réveille.
Il n’y a rien de plus faux que cette impression. Qui n’a
jamais ressenti la frustration d’arriver à une réunion
et d’avoir à attendre le/la dégourdi-e de service,
parce qu’on ne sait rien et qu’on ne peut rien faire
? Voilà quelque chose qui tue l’imagination et l’envie
de travailler. D’autre part, on ne conserve jamais rien des
expériences et des savoirs antérieurs, du coup à
chaque fois il faut tout recommencer à zéro, comme
ce qui arrive avec les assemblées antifascistes. Les pratiques
informelles et erratiques peuvent être considérées
comme vraiment nuisibles, autant que les bureaucraties. Quant à
faire des compte-rendus, ce n’est un plaisir pour personne,
mais comme c’est pratique d’être au courant de
ce qui a été discuté quand on n’a pas
pu assister à une réunion ! Comme c’est pratique
de savoir qu’on ne décrochera pas complètement
du groupe juste parce qu’on a dû travailler ou partir
ou penser à d’autres choses pendant quelques jours
!
Néanmoins, il faut toujours faire attention avec les organisations,
parce qu’elles ont des dynamiques internes très fortes.
On court le risque de les transformer en une fin plus qu’en
un moyen. On les prend en affection et ensuite on a du mal à
s’en défaire. La structure doit être élastique
et flexible, elle ne doit pas étouffer les initiatives et
les bonnes idées sous un tas de rigidités. Et, pour
cela, il faut savoir la tuer à temps : la structure doit
pouvoir s’auto-dissoudre. Elle ne doit pas mourir et renaître
chaque jour, il n’est pas bon qu’elle existe au-delà
de ses objectifs concrets. Gardons en mémoire les structures
qui sont nées pour être libératrices et participatives,
et qui se sont transformées en bastions du sectarisme et
des dogmes. Nos structures doivent exister, se formaliser et s’entretenir
mais elles doivent aussi être disposées à disparaître.
C’est seulement dans ce sens que le processus de formation
d’une grande structure est positif. Née de certaines
conditions, la Coordinadora Lucha Autonoma, en les dépassant,
n’aura plus de sens et se transformera. Et pour ce qui concerne
l’héritage que laisseront ces structures, si elles
savent collectiviser leur expérience et transmettre leurs
propositions, ses successeurs l’auront déjà
acquis.
Nous voulons nous assembler entre plusieurs groupes, parce que
les conceptions anti-autoritaires (ou de démocratie directe
ou populaire) que nous défendons, pour avoir du sens, doivent
être acceptées, intériorisées et pratiquées
par l’immense majorité de la société.
Nous devons pour cela construire un mouvement, avec une vocation
de mouvement de masse (pour de vrai, pas pour rire), doté
d’un poids social, dans lequel convergent les différents
"ilôts subversifs", et où nous nous reconnaissions,
derrière des pratiques collectives plus que derrière
une étiquette. Ce mouvement doit être autonome, c’est-à-dire
séparé et opposé aux intérêts,
rapports et "subjectivités" (représentations
du monde, passions, idées...) que le capitalisme nous impose,
son axe doit se trouver dans la lutte pour nos conditions de vie
immédiates, pour la réappropriation du contrôle
de nos existences (à travers le rejet collectif de l’argent
et de l’échange marchand comme centre de tout), et
pour le développement de notre créativité,
écrasée depuis le berceau. Quand nous parlons de la
"subjectivité capitaliste", nous y incluons une
partie du paradigme traditionnel du mouvement ouvrier. Nous faisons
nôtres ses aspirations, sa défense du soutien mutuel
et de la solidarité, mais nous rejetons frontalement sa considération
du travail salarié comme axe fondamental de la réalisation
de soi, sa façon de s’en remettre à un futur
prometteur au lieu d’assumer la révolution comme processus
quotidien, sa foi productiviste selon laquelle plus on produit plus
la richesse sociale est grande, et sa subordination systématique
de l’émancipation de la femme à une révolution
lointaine.
Et au sein de ce mouvement révolutionnaire, les collectifs
comme les nôtres doivent mieux converger et s’organiser,
parce qu’il nous semble que chacun-e pour soi et Dieu (ou
le Système) pour tou-te-s n’est pas une bonne voie.
Ce que nous proposons avec cette analyse est la création
d’UNE organisation dans laquelle nous nous reconnaissions
tou-te-s, en défendant l’AUTO-ORGANISATION, et en structurant
un minimum les aspirations de lutte. Cette organisation pourra se
faire sous forme de réseau, de cubes, de carrés, la
forme concrète reste à construire et à définir,
mais quoi qu’il en soit, elle ne doit pas être la misère
que nous connaissons aujourd’hui. Nous devons construire des
outils, des structures collectives qui servent à générer
des changements politiques globaux.
N’oublions pas que le résultat du travail social n’est
pas immédiat, et que ses fruits se voient assez tard, mais
il faut bien semer avant de récolter, et à Madrid
principalement, nous amendons notre jardin potager (c’est-à-dire
que nous lâchons beaucoup de merdes) mais nous ne semons pas
la campagne, puisque nous ne proposons rien à l’ensemble
de la société. Alors allons-y.
L’union des différences
Réflexions sur le processus de refondation
C’est parti. Cette idée, que nous commençons
à façonner dans la coordinadora de colectivos de lucha
autonoma depuis presque un an, commence à prendre forme.
Mais, loin de céder aux triomphalismes précoces, nous
sommes quelques-un-e-s à penser que tout le travail reste
à faire, et qu’il ne donnera de fruits satisfaisants
pour tou-te-s que si nous partons de la prudence, de la patience
et du respect qu’une initiative collective de ce calibre mérite.
Nous commençons à avancer à partir d’une
réalité assez abîmée. Divisions, affrontements,
paralyses, manque d’incidence dans la société...
Tout cela doit suffire à nous faire abandonner les hâtes
et les crises d’anxiété : chaque tentative de
forcer nos rythmes affaiblis peut nous faire échouer dans
notre intention de construire un mouvement.
En ce sens, c’est la réflexion sereine et l’attitude
ferme mais ouverte qui sont les clefs fondamentales pour atteindre
les objectifs communs, pour les vertébrer et les faire émerger
avec une envie renouvelée.
L’ennemi voisin
Pour assurer la conduite à bon port de ce projet, on ne
rappelera jamais trop quels sont ses ennemis les plus dangereux.
Il serait bon de revoir, dans la mesure du possible, les attitudes
et les méthodes développées dans les débats,
sinon ce ne sera ni la première ni la dernière fois
que d’honnêtes initiatives sont avortées à
cause de comportements, peut-être pas mal intentionnés,
mais en tout cas véhéments et peu réfléchis.
Nous devons reconstruire l’habitude de travailler ensemble,
de nous écouter, d’apprendre qui nous sommes, et assainir
l’irrespirable atmosphère politique madrilène.
Voilà notre première tâche ; en la laissant
de côté nous ne gravirons pas plus de marches que celles
qui mèneront à une nouvelle fracture de notre pauvre
autonomie.
La confrontation des discours
Différents discours et analyses ont proliféré
ces dernières années dans la zone de l’autonomie.
L’approfondissement de nos réalités mène
sans doute à l’élaboration de différentes
visions à leur propos. Ce fait, qui n’a rien de négatif
en principe, conduit en général à des tensions,
qu’engendrent la confrontation de ces visions.
Cette "tension dialectique" peut pencher dans deux directions
:
a) L’affrontement ouvert, les tentatives de forcer des consensus
artificiels, la mentalité guerrière ("conquérir",
"vaincre", "battre", "perdre")...
et, inévitablement, la frustration de certain-e-s devant
les grognements martiaux des autres.
b) La progression, le dépassement de la peur de nos différences,
le respect des points divergents dans nos discours, la configuration,
autour de nos objectifs, de la ou des structures qui nous faciliteront
le travail, qui nous rendront plus forts dans notre hétérogénéité.
Qui va à une assemblée "s’affronter à",
ne va pas "construire avec". La confrontation des visions
est une chose, l’affrontement sanglant en est une autre. Ca
paraît évident mais ça ne l’est pas tellement
quand on analyse le cours de beaucoup de débats. L’attitude
du style "c’est moi qui ai la vérité",
"moi et les mien-ne-s allons gagner" est assez présente
dans nos pratiques politiques, sûrement comme fruit du terrible
héritage d’un militantisme obsolète et raté.
Faisons la guerre aux ennemis véritables, le capitalisme,
l’ordre imposé par le haut, le vol de nos vies par
une partie du système. C’est là que nous devons
sortir les griffes, la rage. C’est à ça qu’il
faut montrer les dents.
Et tout cela ne contredit pas la légitime défense
des principes politiques. La fermeté n’est pas incompatible
avec le respect des opinions des autres camarades.
Ce respect dont nous parlons tant se voit absolument outragé
par des commentaires, tons, attitudes déterminées.
L’arrogance peut être l’une des plus évidentes.
Quand, pendant l’intervention d’un-e camarade, un-e
autre sourit ironiquement, se prend la tête dans les mains,
soupire, fait des commentaires avec lae voisin-e ou prend un air
dégoûté, ille prend sans détour cellui
qui parle pour un-e con-ne. Il vaudrait mieux qu’ille parle
et donne son avis, quand vient son tour, pour qu’il puisse
être réfuté et argumenté, au lieu d’engendrer
des malaises, des situations inconfortables, ou simplement de sévères
et compréhensibles réactions.
Ce qui précède n’est qu’un exemple, mais
ces comportements, très répandus parmi celleux qui
veulent faire les malin-e-s, sont très blessants, et souvent
ils poussent certaines personnes à se retirer du débat,
le privant ainsi de sa diversité et de sa richesse.
L’agressivité en réunion est une "stratégie"
comme une autre pour prendre les devants, en réduisant le
débat, en le polarisant sur deux positions, et en obligeant
les gens présents à se positionner dans l’une
ou dans l’autre. Elle est donc un outil pour forcer des décisions
et des consensus mal cimentés. Etre agressif ne veut pas
seulement dire se jeter sur quelqu’un-e. Ca peut être
un ton, une manière d’exposer ses idées.
Attention, parfois on confond l’agressivité avec la
fermeté, la clarté dans le discours.
Pour moi les "conspirations" préalables d’un
groupe sont les plus dangereuses. On passe des accords tacites pour
convaincre une assemblée, en accaparant les tours de parole,
en exprimant le même discours avec des tons différents
pour qu’il semble y avoir une convergence spontanée
de l’opinion de différentes personnes, depuis les plus
agressives jusqu’aux plus douces et courtoises. Ce n’est
pas une paranoïa mais une réalité de nos façons
de faire de la politique. Tout le monde a eu quelques occasions
de voir comment une assemblée pouvait se faire coincer.
Les attitudes évoquées ici, indubitablement, font
partie de celles qui portent préjudice au bon développement
d’un débat ou d’une assemblée ; j’en
oublie sûrement d’autres.
Différence et identité
Ces deux éléments sont en train d’apparaître
de manière explicite dans le débat général,
ce qui est logique, en effet tous deux peuvent être source
de richesses, mais ils n’ont jamais été, dans
notre "environnement politique", qu’objets ou sujets
de déformations.
Quelques brèves remarques seulement à ce sujet, en
fait c’est un vaste débat, qui échappe à
tout réductionnisme simpliste, bien qu’à mon
avis il ne doive pas être élevé au rang de débat
central.
La différence est spontanée, elle est intrinsèque
aux approches qui visent la liberté de l’individu et
la construction du social à travers l’auto-organisation
et la satisfaction des nécessités de chaque collectif
ou de chaque unité de cohabitation.
Voilà qui est évidemment très bien. Mais les
problèmes naissent quand les différences entrent en
relation. Ce qui est sûr, c’est que sur le terrain,
le respect de la différence brille en général
par son absence, qu’il est même nié. C’est
pour ça qu’on ne dédiera jamais trop des discussions
à la clarification de ces différences, afin de voir
si elles sont aussi peu solubles que nous semblons le penser quelques
fois. Ces débats sont en suspens depuis déjà
trop de temps.
Ils impliquent nécessairement un effort de compréhension
; sans ça nous sommes plus ou moins cuit-e-s. Nous ne devons
pas oublier que chacun-e articule sa lutte depuis l’angle
qui le concerne de plus près, mais cela ne doit pas non plus
impliquer la perte de cette pensée globale où nous
devons nous trouver, nous retrouver et nous découvrir comme
camarades. C’est là que réside la conciliation
de nos différences.
La vie en société génère des identités.
Celles-ci peuvent être culturelles, idéologiques, de
genre... La création d’identités est inévitable,
elle établit des liens au sein d’un groupe social et
lui donne une cohérence interne. Nous cherchons tou-te-s,
de manière plus ou moins consciente, à nous identifier
avec d’autres.
Cependant, c’est quand l’identité devient trop
forte, ou plutôt quand elle n’admet pas d’autre
identité et quand elle tente une homogénéisation
en fonction de ses paramètres, que se manifestent ses facettes
les plus dangereuses pour les initiatives collectives comme celle
qui nous occupe.
Ces identités "pathologiques" créent des
stéréotypes du militant modèle et visent à
encarter tout le monde dans un schéma préconçu.
Les identités ne peuvent donc pas être exagérées.
Elles affleurent simplement de la pratique commune. C’est
le travail collectif, la cohabitation politique, qui peut créer
ces identités de mouvement.
Par conséquent, et pour le moment, il suffirait de contrôler
les possibles tendances homogénéisatrices, et espérer
que le respect, le retour de la confiance politique, et l’action
collective, fassent naître les liens qui nous unissent comme
mouvement social.
Je pense, donc j’insiste
Le respect est un outil politique très important. Sans lui,
ce qui nous intéresse de construire ensemble manquera d’honnêteté.
Mais à ce sujet-là comme à beaucoup d’autres,
il y a beaucoup de paroles en l’air. D’où l’importance
de rester vigilant-e-s dans le sain développement de cette
ambitieuse tentative de convergence. Sans tomber dans d’obsessives
névroses, ni dans dans d’excessifs manques de confiance.
L’apprentissage est coûteux, et requiert, comme pour
tout, des corrections et des mises en gardes. La question n’est
pas d’amputer, mais d’assainir, et de corriger des erreurs.
Equilibres à trouver
Contribution du collectif Vallecas Zona Roja
(...) Nous entrons dans une phase où il va nous falloir
affronter et tenter de résoudre, dans la pratique, des tas
de tensions et de problèmes, qui sont toujours présents
dans ce genre de projets. Le moment est venu de nous bouger le cul,
de traduire le pari en réalité, et la seule façon
de le faire est de poser sur la table une série de propositions
concrètes bien fondées.
(...)Nos propositions se fondent sur différents équilibres
à trouver, entre :
a) Local et global
Le local est le meilleur cadre où une certaine incidence
sociale peut être développée, le seul espace
où l’on peut, d’une manière plus ou moins
efficace, et sans se faire récupérer par le "spectacle",
neutraliser le "bruit" de l’appareil de propagande
et de domestication du pouvoir. C’est dans notre plus proche
environnement que nous pouvons mettre en marche des dynamiques de
participation et de coopération qui échappent au modèle
capitaliste, et qui soient susceptibles d’exercer un contre-pouvoir
réel en mains aux bases de la société.
D’un autre côté, le local a des limites : il
ne s’agit pas seulement de construire des réalités
"différentes", il faut être capables de les
entretenir, de les défendre et de les étendre. Et
puis, le local fait référence à des thèmes
spécifiques du champ de notre travail, et les réalités
précises que nous tentons de traiter ne sont rien de plus
que la concrétisation dans la réalité quotidienne
de problèmes structurels propres à la façon
dont le monde est organisé (c’est-à-dire, au
global). Le local est déterminé par des conditions
globales qu’il faut transformer.
Contre-pouvoirs isolés ou RESEAU DE CONTRE-POUVOIRS
LOCAUX ? Nous sommes pour la deuxième solution.
b) Théorie et pratique
Il est relativement facile de dire qu’il faut faire telle
ou telle chose pour sortir du gouffre, qu’il faut inventer
des chemins de libération humaine et toujours nous y raccrocher.
Là où ça devient merdique, là où
on se casse la figure, c’est quand il faut les mettre en pratique.
Pour ne pas nous affaler sur le sol dur, nous devons apprendre de
quoi est fait ce sol, l’explorer, l’analyser... en le
contrastant toujours avec ce que nous serons plus tard capables
de faire. Pratique sans analyse ? Il est quand même bon de
donner une canne à l’aveugle. Simples bavardages ?
La télé et les autoroutes font déjà
assez de bruit pour nous unir à leur choeur. Si nous tendons
trop dans une direction ou dans une autre, nous deviendrons des
hippies qui attirent les touristes (les touristes qui se délectent
de la contemplation de leur putréfaction et qui achètent
comme souvenirs les produits de leur travail résiduel), ou
des héro-ïne-s (Guevara, Meinhof, Jackson... leur admiration
nous console plus que leur imitation ne nous mobilise), ou des réunionneux-ses
gauchistes, intellectuel-le-s de salon, morveux-ses snobs, fier-e-s
que personne ne les comprenne. FONDONS NOS PROJETS ET NOTRE CONVERGENCE
SUR LA CONNAISSANCE DE LA RéALITé QUE NOUS ESSAYONS
DE TRANSFORMER, ET SUR L’ANALYSE CRITIQUE DES RéALITéS
QUE NOUS SOMMES CAPABLES DE GéNéRER.
c) Personnel et collectif
"Tout ça c’est très bien, mais ce qu’il
y a c’est que dans le collectif Ma crête était
si verte, il y a un type qui sent le pourri ou il y a un autre gars
très bête qui était dans ma classe et il y a
l’autre là qui draguait celui qui me plaisait bien,
et puis ceux qui ont refusé ma proposition je peux pas les
supporter et moi dans ma tribu qui est super classe et qui mène
la barque je suis un peu la star mais y’a quand même
celui-là qui est dans l’autre groupe et qui me fait
de l’ombre..." Haines, amours, vieilles rancunes et rivalités,
ne devraient pas s’imposer mais s’imposent et accomplissent
un travail particulier... Une seule suggestion nous vient à
l’esprit : MûRIR, et sinon, METTRE LES CHOSES AU CLAIR,
POSER LE DéBAT SUR UN TERRAIN POLITIQUE, se forcer à
clarifier les choses et à leur donner la place qui leur correspond.
d) Dynamisme et ankylose
Un modèle d’organisation ne peut aspirer à
"unifier" et réduire les expressions du mouvement
social, au contraire, il devrait être capable de les structurer
et de les favoriser. Un MODèLE D’ORGANISATION multifonctionnel
et prolifique, EN MOUVEMENT CONSTANT ET EN RECONSTITUTION CONSTANTE
SELON LES NéCESSITéS DU MOUVEMENT, selon ses fonctions
et selon certaines tâches : "l’organisation est
la répartition des tâches".
e) Voeux pieux et réalité
Heureusement ou malheureusement, les choses ne se passent pas comme
nous voulons qu’elles se passent et la réalité
-notre réalité- laisse à désirer. N’allons
pas trop vite et tentons de transformer ce qui nous déplaît
du peu que nous le pouvons, ne prétendons pas le détruire
: LA RéVOLUTION SE FAIT AVEC CE QUE NOUS AVONS ENTRE LES
MAINS, si quelqu’un-e connaît un autre moyen, qu’ille
le dise.
f) Démocratie et efficacité
Il est plus long de prendre des décisions quand on essaye
d’y faire participer tout le monde de manière égalitaire,
à tel point que parfois les structures s’ankylosent
et deviennent inopérantes. D’un autre côté,
quand on ne répond qu’à des critères
d’efficacité, on tombe dans la création de petites
élites de spécialistes, accompagnées d’une
"masse" de domestiques qui ne comprennent rien de plus
que ce que leur ordonnent les expert-e-s : certain-e-s pensent,
d’autres exécutent. Le type d’organisation que
nous cherchons devrait garantir la PLEINE PARTICIPATION de tout
le monde, NE devrait PAS REPRODUIRE LA SéPARATION ENTRE CELLEUX
QUI PENSENT ET CELLEUX QUI EXéCUTENT les décisions,
et devrait fournir les mécanismes qui permettent d’adapter
ces aspirations aux exigences de l’environnement.
g) Militant-e chèvre et militant-e chou
On éviterait un tas d’irritations si on prenait en
compte dès le départ le fait qu’il existe différentes
façons de concevoir le militantisme, et différents
niveaux d’engagement. NOUS NE POUVONS IMPOSER COMME "BONS"
LES RYTHMES ET LES MODES DE FONCTIONNEMENT DE QUICONQUE, mais par
contre, QUE CHACUN-E ASSUME LES CONSéQUENCES DE SES ACTES
ET QUE PERSONNE NE PRESSE et n’embête LES AUTRES AVEC
DES PROJETS SUR LESQUELS ILS N’ONT PAS EU DE POUVOIR DE DéCISION.
Nous proposons plus précisément :
DES ASSEMBLéES PLéNIèRES TOUS LES
DEUX MOIS : lignes générales, grands débats,
etc...
DES COMMISSIONS TECHNIQUES suivant les fonctions
déterminées par les assemblées plénières,
formées de délégué-e-s de collectifs
et d’individus détachés, assumant des tâches
concrètes : revue, propagande, compte-rendus,... Elles disparaissent
une fois accomplie la fonction pour laquelle elles ont été
créées.
DES COMMISSIONS PERMANENTES (formées de
délégué-e-s) qui assument les tâches
qui nécessitent une certaine continuité : convocation
des assemblées plénières, contacts avec les
autres groupes, communiqués de presse, finances, assemblées
extraordinaires...
Tou-te-s les les militant-e-s des collectifs et tou-te-s les individus
des commissions peuvent assister aux assemblées plénières.
La participation se fait à un niveau individuel. Les commissions
répondent aux décisions de l’assemblée
plènière et lui rendent des comptes. Les commissions
garantissent la réalisation des tâches et le maintien
des contacts entre les différents groupes. Les délégué-e-s
sont tournant-e-s, au moins dans les commissions permanentes.
"A l’avenir, organiser devra signifier surtout agir
sur nous-mêmes, en ce qui concerne la collectivité,
construire, reconstruire continuellement cette collectivité
dans un projet de libération. Non pas en référence
à une idéologie dirigeante, mais au sein des articulations
du réel. Cette recomposition permanente de la subjectivité
et de la praxis ne peut être conçue que dans la liberté
totale des mouvements de chacun-e de ses membres, et dans le respect
absolu de certains temps : temps de l’unification ou de l’atomisation,
temps de l’identification ou de la différence plus
marquée."
"Il n’existe pas un chemin de libération, une
porte pour sortir de la toile. Il faut rompre la toile. Mais pour
la rompre, tous les chemins sont valables, parce que les noeuds
sont de nature différente : chaque chemin rompt un noeud.
Il n’y a pas un chemin exclusif, mais une inclusion de chemins...
La révolution est morte (la Révolution comme mythe),
mais dans la nouvelle veille s’ouvre un champ réel,
décentré et pluriel, de révolutions."
(Jesus Ibanez)
L’organisation en réseaux
texte paru dans la revue Ekintza Zuzena n°23
Conscients que la structure fermée, verticale et hiérarchique
des partis s’avère toujours moins efficace pour articuler
la dynamique sociale, les nouveaux mouvements civiques s’organisent
de plus en plus conformément au modèle du réseau,
qui, comme le signale M. Ferguson, "est l’institution
de notre temps : un système ouvert, une structure riche et
cohérente, qui se trouve continuellement en état de
flux, un équilibre ouvert au réaménagement
et à la transformation, continuellement, indéfiniment.
Cette forme organique d’organisation sociale est plus adaptable
d’un point de vue biologique, elle est plus efficace et plus
consciente que les structures hiérarchiques de la civilisation
moderne. Le réseau est élastique, flexible. En réalité,
chaque membre est le centre du réseau. Les réseaux
sont en coopération, pas en compétition. Ils ont un
authentique ancrage populaire : ils s’autogénèrent,
s’autoorganisent, et parfois aussi s’autodétruisent.
Leur existence représente un processus, elle ressemble à
un voyage, pas à une structure congelée."(...)
L’organisation en forme de réseau est particulièrement
intuitive, elle se rapproche du modèle organique des êtres
vivants. Dans un réseau il n’y a pas de centres caractérisés
de pouvoir, il n’y a pas de chef-fe-s défini-e-s qui
filtrent l’information ; celle-ci coule librement dans toutes
les directions, favorisant la coopération entre les membres
du réseau. La logique de domination exige une information
unidirectionnelle, alors que la logique de coopération implique
la mise en commun, la communication sans restrictions, de l’information
que possède chaque membre. L’esprit glacé de
l’organisation bureaucratique répond à des critères
égoïstes et restrictifs. Chacun accumule les informations
pour son propre compte. Mais dans le modèle de réseau
ces critères n’ont aucune validité, l’intelligence
inspire l’altruisme. De la même manière que cellui
qui arrose un arbre a de grandes chances d’en manger les fruits,
cellui qui enrichit l’entourage reçoit aussi, tôt
ou tard, la récompense d’un retour d’information
amplifié. Le principe de synergie - le tout est plus que
la somme de ses parties - régit les réseaux, qui tirent
leur énergie de l’association, de la combinaison des
aptitudes, des instruments, des stratégies, des éléments
et des contacts entre leurs membres.
Le modèle d’organisation en réseau n’observe
qu’une faible analogie avec celui de la fédération,
la fédération de syndicats et de partis, où
celle-ci n’est rien de plus qu’un mot derrière
lequel on organise des unités clonées, dépendantes
d’une hiérarchie centrale. Les membres d’une
organisation en réseau partagent bien des contenus idéologiques
communs, mais sans porter préjudice aux particularités
et aux objectifs de chacun-e, sans aucun lien hiérarchique.
Face à un appel à l’action commune proposé
par un élément du réseau, chaque groupe agira
selon ce qu’il considère opportun, adhérant
ou non à l’initiative.
Un réseau est intégré par une infinité
de collectifs, de toutes sortes et de toutes tailles, qui partagent
de l’information. En principe, il n’existe pas d’intérêt
totalement commun ; chaque groupe a sa propre idéologie et
son propre projet, bien qu’en général on suppose
que l’appartenance à un réseau déterminé
implique l’existence d’une certaine affinité
idéologique. En fait, il suffit qu’une initiative,
surgie en l’un des points du réseau à un moment
donné, soit assez attractive pour que la majeure partie du
réseau l’assume et en relaye l’information. Alors
commence un vaste flux de feedbacks, ou retours d’information,
qui réalimentent et amplifient l’initiative d’origine.
A partir de ce moment-là, le point dont est partie l’initiative
se transforme en centre provisoire et temporaire du réseau.
Il diffuse son projet, sa méthodologie, ses consignes et
son plan des opérations. Et le réseau répond.
Chaque point reproduit, amplifie et réinterprète les
messages à sa manière. Les affiches, tracts, graffitis,
appels dans les radios libres et articles dans les fanzines surgissent
comme par enchantement, et débouchent sur des actions spécifiques.
Selon l’étendue et la densité du réseau,
le résultat de ce processus peut se concrétiser par
le boycott d’une multinationale, une campagne d’insoumission,
ou une bataille rangée pour empêcher un convoi de déchets
radioactifs. Une fois terminée l’action spécifique
produite par l’appel, tout ce vaste complexe virtuel d’organisation
se dissout, les groupes se détendent, le centre provisoire
cesse de l’être, et le réseau retourne à
un état de repos.(...)
Au niveau de l’organisation, le réseau offre l’avantage
de l’économie d’énergie. Le facteur fondamental
de basse consommation d’énergie est défini par
les périodes de latence que le réseau traverse. Une
fois finalisée l’initiative concrète, l’organisation
virtuelle créée pour cette fin se défait, et
bien que chaque groupe maintienne sa propre activité, l’organisation
générale du réseau entre en état de
repos. L’oisiveté est un luxe qu’une organisation
fondée sur une structure rigide ne peut se permettre, car
elle se trouve obligée de maintenir de façon permanente
ses classes et ses hiérarchies, au prix d’une grande
consommation d’énergie. L’exemple le plus clair
de maintien d’une structure sans objectif spécifique
est l’armée, constituée de manière permanente,
bien que la nation traverse une longue période de stabilité
dans ses relations avec ses voisines frontalières. (...)
Pour un réseau
Quelques réflexions sur l’institution et sur
l’organisation Carlos, Jacobo et Miguel, du centre social
Laboratorio
Le cadre institutionnel est formé de nombreux éléments
: il ne s’agit pas seulement des diverses administrations
(locales ou étatiques), mais aussi des appareils bureaucratiques
qui se chargent de leur gestion (partis, groupes parlementaires,
etc.), ainsi que des organismes complexes de gestion partielle de
problèmes précis (comme les ONG et les travailleurs
sociaux) et des groupes sectaires (comme les églises), sans
oublier les mass-media ou les institutions permanentes qui s’occupent
des lois et de l’ordre (magistrature et organismes armés).
Toute cette trame, qui n’est pas dépourvue de conflits,
malgré tout ce qu’on peut supposer sur ses fins auto-référentielles
et auto-conservatrices, se comporte de manière hétérogène
dans ses relations avec le social. Ainsi, si certaines de ses ramifications
spécialisées ont pour objectif d’exterminer
toute dissidence, les autres exécutent la tâche formelle
de garantir que la diversité -y compris celle qui s’envisage
comme contestataire- puisse s’exprimer à l’intérieur
des limites établies par les différents pouvoirs,
oeuvrant ainsi dans un rapport d’existence de marges -récupérées
dans l’espace de la formalité démocratique-.
Aussi, les marginaux et les marginales sont autorisé-e-s
à s’organiser, à se manifester, à l’intérieur
de canaux pré-établis. Même certaines initiatives
qui peuvent avoir un caractère transversal trouvent un financement
institutionnel (nous pensons par exemple au réseau complexe
Sodepaz-Nodo50 ou aux syndicats étudiants).
Ce champ relationnel entre les marges et l’institution n’est
ni univoque ni immobile : il est soumis à des forces, des
déviations, des flux de pouvoir... Mais aucune règle
ne peut définir ce qui y est préférable : un
rapport de force plus équilibré peut cacher un désir
du pouvoir d’exterminer l’anomalie. Peut-être
qu’une bonne analogie serait celle qui identifie les processus
sociaux au système immunologique du corps humain : les défenses
ne s’activent de manière agressive que lorsque le corps
étranger se manifeste comme un danger ; en attendant, celui-ci
peut être toléré. Les réactions allergiques
sont le symptôme d’un despotisme politique autoritaire
et dictatorial, qui attaque toute anomalie avant qu’elle n’en
vienne à exprimer sa dangerosité.
Nous sommes à Madrid en 1999 : l’Etat démocratique
s’est rarement montré aussi solide, aussi fort, tellement
à l’aise dans l’exécution de ses objectifs
stratégiques (contrôle du social afin de mieux accomplir
les processus économiques du commandement capitaliste : globalisation,
néo-libéralisme, démantèlement de l’Etat-Providence
et des acquis sociaux, etc.). Ce que fait le gouvernement aurait
pu être considéré à certaines époques
comme du para-fascisme, mais son habit "socialiste" a
permis de faire passer tout ça pour quelque chose de normal.
Les mouvements sociaux vivent une situation critique, de faible
incidence, d’impuissance stratégique, de bas niveaux
militants : de dangerosité minime. Les secteurs les moins
despotiques de l’institution peuvent donc s’autoriser
une activité tolérante : quand tout est ligoté
et bien ligoté, qu’importe une sorte de hameau d’irréductibles
gaulois-es. Seul-e-s les plus absolutistes et les plus réactionnaires
s’inquiètent de la survie de nos résistances.
Dans ce scénario, absolument rien ne pourrait ressortir
d’un affrontement frontal avec l’Etat, sauf de la frustration
et de la douleur. Tous ses revolvers sont pointés sur nous,
toutes ses caméras nous contrôlent, et nous, nous sommes
moins armé-e-s et moins protégé-e-s que jamais.
Et dans ce cadre de fin de siècle, où nous devons
essayer de construire un nouvel acteur politique, contestataire
et antagoniste, il est évident, et depuis longtemps, qu’un
nouveau parti d’avant-garde ne servirait à rien pour
organiser la matérialité du conflit, pas plus que
des fédérations et des coordinations, ni même
un mouvement dans le sens classique. Il faut créer et mettre
en pratique de nouvelles formes d’action politique, qui soient
enracinées dans la dimension territoriale et locale, et à
la fois dans l’horizon de la globalisation, de façon
transversale, ouverte, articulée en de multiples plans et
niveaux ; aptes à défendre les vieux droits conquis
par les luttes de générations entières de travailleuses
et de travailleurs, à résister au démantèlement
de l’Etat-Providence, de la santé, des services publics,
et en même temps à conquérir de nouveaux droits,
au sein des contradictions actuelles entre revenu garanti, travail,
citoyenneté ; enfin, à préfigurer un monde
nouveau, à ouvrir des possibilités multiples, des
expérimentations et des alternatives à ce qui existe,
sans être tuées dans l’oeuf.
C’est uniquement dans ce cadre-là que la relation
entre les mouvements sociaux et les institutions peut être
considérée comme une question politique - et non comme
une question de principes. C’est seulement dans le cadre du
processus complexe de définition des nouveaux conflits sociaux
-les conflits qui génèreront de nouveaux acteurs sociaux,
au-delà des identités traditionnelles du mouvement
ouvrier et des mouvements de caractère symétrique
et traditionnel-, c’est seulement là, disons-nous,
que peut s’envisager un rapport pas forcément violent
avec les institutions -dans le sens où les institutions peuvent
ne pas projeter leur violence exterminatrice sur des anomalies,
sur des germes qu’elles ne connaissent pas, mais avoir l’attitude
tolérante de celle qui n’est pas sûre d’elle-,
un rapport avec les institutions qui s’efforce de générer
des espaces autonomes (relativement séparés, mais
contestataires, dont le développement exprime un conflit
à venir), en se réappropriant des espaces que le pouvoir
ne peut ou ne veut pas assumer comme étant les siens, en
s’installant dans l’entrebâillement des garanties
démocratiques, dans les interstices d’une mosaïque
de rapports sociaux apparemment intégrés.
C’est seulement dans ce cadre qu’il est envisageable
que les mouvements sociaux contestataires non seulement acceptent,
mais aussi promeuvent une relation ouverte avec tout type d’institution
: l’important n’est pas les gens avec qui on a des contacts
(parfois, l’ennemi) mais les choses qu’on peut obtenir
de l’ambiguïté de ces contacts, en termes d’espaces
de socialisation autonome, d’espaces embusqués, qui
génèrent une opposition derrière leur apparence
inoffensive : des espaces qui ne se laissent pas capturer par la
logique de l’affrontement, qui ne se laissent pas exterminer
- le cas des zapatistes est extrêmement révélateur,
mais aussi ceux de certains espaces autonomes néerlandais,
allemands, ilaliens, ou celui du mouvement des "sans-papiers"
en France ; d’autres cas traversent des moments critiques,
comme ceux de l’Irlande ou du Pays Basque, ou ont été
ouvertement vaincus, comme les restes de 68 en Europe et des années
70 en Italie.
Ne fixons donc a priori aucune limite dans les rapports avec les
différentes institutions, officielles ou non. Assumons le
risque d’être neutralisé-e-s, récupéré-e-s,
étouffé-e-s, mais en gardant à l’esprit
qu’il existe d’autres risques dans d’autres options.
Evoluons dans cette tension permanente, avec pour objectif de générer,
par l’action directe (qu’est-ce que ça veut dire,
voilà une autre paire de manches), sans médiation,
des moments de réappropriation de l’administration,
et de création d’espaces publics autonomes, de nouveaux
droits de citoyenneté non régulés par l’Etat,
ou alors produits du conflit entre notre puissance et sa capacité
d’écrasement.
C’est dans ce scénario que nous situons toute discussion
sur le type d’organisation que nous voulons : une organisation
pour quels objectifs, avec quelles alliances possibles. Nous proposons
une organisation consciente de ses limites, mais sans savoir jusqu’où
peuvent s’étirer ces limites ; pariant sur ce que peut
être l’avenir, sans prétendre ni le déterminer
d’avance ni le connaître de science sûre ; ne
sachant pas non plus qui (et quand) peut l’intégrer.
Une organisation travaillant dans le conflit de la différence
avant de prétendre étouffer le conflit à travers
l’identité centraliste démocratique, qui aplanit
toute variante -y compris les anarco-léninistes-. Une organisation
envisagée comme une machine de lutte, qui développe
une analyse commune mais qui agit en fonction des différences
que cette analyse met en évidence, dans différentes
directions s’il y a différentes directions , en une
seule s’il n’y en a qu’une seule. Une organisation
qui conjugue immédiatement ("sans médiation")
l’action politique locale, enracinée dans un territoire,
avec la dimension de la globalité ; qui n’essaye pas
d’étouffer ou d’occulter les différences,
mais qui les fasse agir dans toute leur puissance. Qui n’agisse
pas seulement contre ce à quoi il faut résister, mais
avant tout sur ce qui se génère, ce qui se libère
dans son propre devenir, dans sa propre lutte, non pas contre le
pouvoir, mais comme un ou des contre-pouvoir(s). Une organisation
qui ne se développe pas en fonction de l’affrontement
avec les délégués du pouvoir, mais qui tend
vers la libération des énergies de ceux et de celles
qui se délivrent de tout, qui manifestent leur singularité,
leurs désirs, la puissance irréductible de leur volonté
de vivre sous le signe de l’exceptionnel.
Bien que nous ne souhaitions aucunement définir une forme
d’organisation déterminée ou élaborer
des dogmes organisatifs, nous pensons que le futur modèle
d’organisation doit répondre à la question d’organiser
quoi, pourquoi et comment. Nous voulons dessiner un projet d’organisation
de la capacité et du désir d’autonomie dans
la société : l’autonomie en tant que libération
de la surdétermination verticale des pouvoirs, l’autonomie
contre la domination, l’autonomie contre la représentation,
l’autonomie contre le contrôle, l’autonomie comme
processus de recomposition des relations sociales. Organiser quoi
? Les ilôts d’autonomie, les îles en réseau,
mais aussi les nouveaux espaces de conflit qui peuvent engendrer
de nouveaux espaces d’autonomie, les nouvelles institutions
sociales qui naissent ou que nous faisons naître de ces processus,
les luttes auxquelles ils donnent lieu. La tentation d’organiser
de manière linéaire les ilôts d’autonomie
- les petits espaces auto-référentiels de nos collectifs
auto-définis comme autonomes - est grande, elle permet de
neutraliser certaines insécurités, de combattre l’horreur
du vide, et bien sûr de reconnaître plus confortablement
l’autre-identique, ce qui facilite l’être ou l’agir
en différents lieux tout en étant un même (une
politique unifiée sur la diversité des territoires,
sur l’immédiateté du désert médiatico-social
et sur la médiation de plate-formes-coordinations-cocktails
d’organisations). Mais le social est têtu et contradictoire,
il ne se laisse pas attraper ni déterminer, et il en résulte
qu’il n’y a pas de solution linéaire à
la question de l’auto-organisation sociale.
Une critique radicale du concept classique d’autonomie devient
urgente : il faut cesser de croire en la soi-disant efficacité
des solutions identitaires, cesser de croire qu’en créant
une espèce de mini-parti de l’autonomie et en réunissant
tant de faiblesses nous pouvons réussir à être
fort-e-s : il faut oublier enfin le bloc autonome, éviter
par tous les moyens les médiations politiques, la délégation
et la représentation, et mettre au premier plan l’expérimentation
de notre existence comme étant immédiate, il faut
intensifier la vie et la volonté de vivre plus que de survivre
dans la réalité du consensus. La convergence, la coordination,
n’est pas garantie par des réunions périodiques,
mais par le travail et l’analyse collectifs - théorique
et pratique - de nos propres parcours. Nous devons délimiter
les champs d’intervention de la zone autonome et nous retrouver
dans ces espaces, il apparaîtra peut-être que nous n’avons
pas besoin de nous coordonner séparément (bien que
nous ne nous y opposions pas non plus), parce que nous serons déjà
coordonné-e-s de fait. Vue sous cet angle, la question fondamentale
à laquelle il faut répondre est où situer la
lutte pour l’autonomie : dans l’organisation des collectifs
militants, dans l’organisation des luttes sociales, ou dans
les deux si elles peuvent être réalisées en
même temps, c’est-à-dire si le déplacement
de la lutte autonome depuis les conflits vers l’organisation
ne supposera pas une médiation qui mettra en péril
l’autonomie des conflits, l’autonomie du social. Si
nous voulons organiser les ilôts d’autonomie par eux-mêmes
c’est parce que les ilôts d’autonomie ne s’organisent
pas dans les luttes sociales, parce qu’ils ne se retrouvent
pas en elles, et si nous ne coïncidons pas, c’est parce
que le diagnostic de l’espace de conflit n’est pas commun,
ou au moins n’est pas communiqué. Tisser un réseau
de luttes autonomes est différent, et même à
l’opposé, de créer une coordination, une plate-forme
ou une fédération de groupes autonomes. L’espace
d’intervention des groupes autonomes n’est pas -et ne
doit pas être- dans le propre groupe ou entre voisin-e-s (la
bande), mais dans le social, c’est-à-dire dans le tissu
de luttes que nous voulons mener à bien. Converger, mettre
en commun, n’est pas agir de façon unifiée,
mais communiquer, et ensuite agir de manière autonome dans
les espaces d’intervention, pas seulement dans les confortables
petites affaires du même, mais dans les conflictuels espaces
du multiple. Il faut créer des espaces de communication et
de débat -celui dans lequel nous sommes en est déjà
un- et en même temps dépasser définitivement
et radicalement toute instance centralisatrice (la centralisation
et l’unitarisme sont les deux derniers restes de la forme-parti)
; tisser des relations, des projets, des initiatives de lutte et
de coopération différente entre acteurs, actrices,
collectifs, et territoires différents ; préfigurer,
là où c’est possible, à partir de la
dimension locale, les éléments d’auto-gouvernement,
de démocratie locale, d’appropriation par le bas de
l’administration ; conditionner les administrations locales
à travers le conflit et les rapports de force, pour conquérir
des droits, des espaces de meilleures qualités de vie, pour
construire et diffuser, au-delà de toute limite et de toute
frontière, les réseaux de contre-pouvoirs et de soutien
mutuel ; arracher, morceau par morceau, territoire par territoire,
ville par ville, des conquêtes concrètes, bien que
partielles, de nouveaux droits de citoyenneté, de dignes
conditions de vie pour tou-te-s, contre le racisme et l’exclusion...
Il ne suffit plus de se définir comme communistes/autonomes/anarchistes,
parce qu’en réalité il y a de tout dans ces
termes... du sectarisme, de la merde et de la bêtise, mais
aussi des choses dignes, belles. Cependant nous voyons quelque chose
de neuf dans ce processus, par rapport aux essais antérieurs
de convergence : la conscience que quelque chose doit changer...
qu’il est absolument nécessaire de réenvisager
la recomposition de la subjectivité autonome pour recommencer
à réfléchir avec notre propre tête dans
l’essai de compréhension de nouvelles trajectoires.
Nous en sommes au point, semble-t-il, où presque tout le
monde est convaincu qu’il en est ainsi. Mais, même en
étant convaincu-e-s, rien ne nous garantit que nous ne nous
tromperons pas, les choses qui valent le coup portent toujours sur
le dos une dose de danger... Quoi qu’il en soit, il serait
imbécile de notre part de ne pas nous rendre compte qu’il
y a des espaces où coïncident fondamentalement les collectifs
autonomes, qu’il y a des langages et des politiques qui n’affectent
que les collectifs de la "zone de l’autonomie".
Il y a, par conséquent, des espaces exclusifs du commun :
des espaces qu’il faut analyser et discuter, pour libérer
l’autonomie dans la société. Organiser cela
est indispensable, parce que la possibilité d’autonomie
dépend en grande partie de la potentialisation de ces espaces
exclusifs. Organiser : régulariser l’analyse, le diagnostic,
l’information, "vivre" ce qui est commun, ce qui
affectera parfois certains groupes et d’autres fois certains
autres, et d’autres fois encore tous les groupes et même
plus. Comment envisager, par exemple, des luttes sur le terrain
de la critique du travail sans compter sur des groupes comme CAES,
CGT, SO, et d’autres (ou pourquoi le faire par étapes
: d’abord on se coordonne et on s’unifie entre nous,
puis avec les autres, puis on agit...). Faisons un bilan des champs
d’action et nous trouverons des tonnes d’exemples. La
dispersion et l’atomisation de ces luttes peuvent être
résolues uniquement en créant des connexions diverses
entre elles : des réseaux qui se connaissent, qui se savent
différents, et qui sont disposés à coopérer
dans l’organisation de nouveaux réseaux qui prolifèrent,
se composent et se dissolvent pour se recomposer à nouveau.
Le processus sera lent, parce que nous devrons déterminer
petit à petit un cadre d’action stratégique
qui aille au-delà du petit rythme particulier et quotidien
de chacun-e. C’est un processus sans fin, qui passe parfois
par des rencontres périodiques (bimensuelles ?), par la favorisation
des espaces de communication qui sont déjà en marche
(UPA, revue ContraPoder, sindominio, CDA...), ou par la création
de nouveaux espaces de communication (nous n’entendons pas
la communication comme un simple échange d’informations,
mais comme un parcours de recomposition des initiatives et des dynamiques
sociales de lutte ; la communication est de fait un tissu de connexion
de ces luttes). Ce processus s’accomplira en analysant et
en vérifiant ensemble des formes stables au sein desquelles
chacun-e valorisera "l’autre", parfois ensemble
et parfois séparément, en respectant vraiment les
chemins différents et en souhaitant pour les autres que les
choses se passent bien.
Pour une fédération
Pour une fédération des groupes libertaires
et autonomes de Madrid
Acciòn libertaria estudiantes
Le 20 février 1999, la première rencontre des collectifs
de Madrid a eu lieu au squat Seko, à l’initiative de
Lucha Autonoma, dans le but de se rapprocher et de discuter de positions
sur les formes d’organisation et de communication. Cent personnes,
représentant plus de vingt groupes, ont assisté à
ces débats, qui se sont prolongés toute la journée
durant. En résumé, et malgré la dispersion
et la pluralité des interventions, deux conceptions fondamentales
se sont distinguées à propos des contenus et des organes
qui pourraient structurer le monde autonome madrilène.
D’un côté, le modèle du réseau.
Modèle diffus d’organisation, qui limiterait les contacts
des groupes et des collectifs à la constitution d’un
espace de communication. C’est-à-dire à des
réunions dans lesquelles on fait circuler l’information
que chaque regroupement veut, en toute liberté, transmettre
au reste des individualités et des collectifs. Le réseau
ne constitue pas proprement une organisation, mais un forum public,
dans lequel se retrouvent régulièrement différents
acteurs sociaux, qui évoluent et se construisent dans différentes
luttes, et qui appartiennent à différents mouvements
sociaux. On ne prend pas de décisions communes, mais on lance
des propositions et des idées d’action auxquelles adhèrent
uniquement celles/ceux qui se sentent en affinité avec celles-ci.
Dans ce sens, on peut se demander ce qu’apporte l’organisation-réseau
; la réponse est rien, sauf un lieu d’échange
d’information, qui de fait existe déjà à
Madrid sous une forme diffuse et "spontanée" :
les squats, les distros...
Pourtant, cette proposition ne semble pas si simple à rejeter.
Les partisan-e-s du réseau soutiennent, de manière
plus ou moins explicite, que le ciment de l’unité est
l’action, c’est-à-dire l’accord ponctuel
et précis dans une activité spécifique, et
non l’articulation collective autour de principes généraux
- un projet. Ainsi, un conflit spécifique pourrait être
l’origine d’un accord avec des groupes et des institutions
avec lesquels, par ailleurs, on n’aurait aucune affinité
particulière. Cela permettrait des rencontres avec des écologistes,
des nationalistes, et même des partis d’extrême-gauche
ou des institutions publiques.
La multiplicité, le plus grand respect des volontés
individuelles et de la différence, et la possibilité
de travailler avec des organisations et des collectifs très
différents, sont mis en avant pour défendre ces formes
d’organisation diffuse. De fait, il a été répété
durant les débats que le réseau était une structuration
de divers acteurs possibles, de différentes identités
sociales qui travaillaient sur différents terrains de lutte,
qu’il était une organisation "non autoritaire"
dans la mesure où il permettait de nouvelles relations et
de nouvelles luttes - de nouvelles "perspectives". Il
ne faut pas oublier qu’il y a, derrière cette proposition,
une élaboration théorique soignée, qui, bien
qu’elle ne soit pas représentée par un corps
cohérent de penseurs-euses, parmi lesquel-le-s figurent Deleuze,
Negri, Guattari..., obéit à une pratique déterminée
et à un certain état d’esprit de vieux militants
et de vieilles militantes marxistes-léninistes fatigué-e-s,
et ayant tiré les leçons de leurs vieilles méthodes
et de leurs vieilles organisations bureaucratico-hiérarchiques.
La position favorable à l’organisation était
présentée d’une manière un peu moins
approfondie. De nombreuses interventions répétèrent
la nécéssité de créer une coordination
ou une fédération de caractère stable, qui
devrait se présenter comme un espace de décisions,
auquel participeraient et dans lequel seraient représentés
tous les groupes. Les critiques de cette position ont souligné
les dangers de réprimer la possibilité d’innovation,
d’uniformiser excessivement les modes d’actions et de
travail, et de transformer l’organisation en une fin en elle-même.
Le plaidoyer pour une organisation de ce type reste malgré
tout le nôtre, et nous apparaît comme absolument nécessaire
dans les conditions actuelles de développement du mouvement
libertaire et autonome. L’existence de plus de quarante collectifs
dans la région de Madrid, qui d’une manière
ou d’une autre, évoluent dans le milieu de la contestation
autogestionnaire et horizontale, et l’augmentation du nombre
de publications en lien direct ou indirect avec ces espaces, démontrent
qu’une forte croissance quantitative et qualitative de nos
pratiques et de nos idées a eu lieu dans la dernière
décennie. Cependant, l’état actuel de dispersion
et le "localisme" - non seulement territorial, mais aussi
pratique et théorique - d’une bonne partie des groupes
n’a malgré tout pas permis un saut qualitatif qui génère
une diffusion sociale effective du mouvement, mis à part
les fameux lieux communs de l’insoumission et du squat. Les
dangers de ghettoïsation, de marginalisation et d’auto-marginalisation
continuent décidément à constituer une bonne
partie de la réalité du mouvement. La construction
d’une organisation qui englobe la majorité de ces groupes
permettrait un saut qualitatif fondamental, non seulement en mettant
en contact divers collectifs qui jusqu’à présent
avaient travaillé séparément, mais aussi en
permettant une union des forces qui pourrait être le germe
de nouveaux champs de conflit dans des territoires où jusqu’à
présent ne se maintient qu’une présence-témoin
-travail, écologie, développement de nouveaux et plus
puissants moyens de contre-information, etc.- ; en mettant en circulation
des informations qui jusqu’à présent restent
à l’intérieur de petits cercles ; en créant
des structures permanentes qui servent d’écoles et
d’appuis politiques pour les nouveaux groupes, sans leur imposer
"les modes de fonctionnement corrects", mais en leur permettant
la connaissance de l’histoire et de l’activité
des autres groupes, nouvelle valeur d’usage d’une mémoire
qu’aujourd’hui même on perd ou on méprise
; en conférant une voix et une présence à des
modes authentiques de dissidence face à la pseudo-critique
médiatique et spectaculaire qui règne actuellement
sur les masses ; et surtout en créant un point de référence
public et visible qui pourrait, avec une présence dans divers
quartiers, organiser la participation immédiate des nouveaux
et nouvelles intéressé-e-s.
Cependant nous considérons que l’unité ne peut
être obtenue à n’importe quel prix et par n’importe
quel moyen. La construction de ce nouvel espace doit être
discutée et doit être un processus actif auquel participent
toutes les parties impliquées. D’autre part, nous croyons
qu’il est nécessaire que l’organisation se construise
sur des fondements solides et sur une affinité qui aille
au-delà de l’accord ponctuel et de l’action directe.
De la nécessité de s’organiser autour
d’un projet
Nous pensons qu’il ne peut exister aucune forme d’action
consciente si celle-ci n’est pas mise en oeuvre avec la volonté
explicite qu’elle se produise dans un sens déterminé
et pas dans un autre. L’action politique, bien que ses résultats
soient toujours imprévisibles, et bien qu’elle se réalise
comme création de nouveaux liens et relations, est toujours
une action pleine de sens -nationaliste, bureaucratique, libertaire...-,
un sens qui va donc bien au-delà du simple affrontement concret.
Un projet ne représente rien de plus que l’explicitation
du sens de nos pratiques ; il n’est donc ni un corps de doctrines
fermé, ni l’expression pratique d’une identité
sociale déterminée -les basques, les anarchistes...-,
ni même une théorie mise en marche - comme le marxisme-léninisme.
Bien qu’il puisse être toutes ces choses, nous entendons
qu’un projet n’est rien d’autre que les principes
qui regroupent un ensemble déterminé de gens et qui
oriente son action dans un sens spécifique. "Un sens
libertaire" ne représente pas l’organisation idéale
de la société pour le lendemain de la révolution
-ce qui serait un programme révolutionnaire-, ni la détermination
absolue de ce qu’il faut faire, mais fait simplement référence
à l’orientation des actions et à la visibilité
de ce que nous voulons.
Un tel projet est pour nous le projet d’autonomie qui coïncide
essentiellement avec les principes postulés par le mouvement
libertaire classique. L’autonomie, comme pièce centrale
de l’organisation et de l’action politique, s’appuie
sur la volonté que la communauté sociale décide
directement de l’organisation et des buts de sa propre existence.
C’est-à-dire que les individus réalisent un
effort intense de réappropriation de leur vie. En termes
classiques, " l’émancipation des travailleurs
et des travailleuses ne peut être l’oeuvre que d’eux
et d’elles-mêmes ". Cela suppose que l’on
ne recoure à aucune instance supérieure d’organisation
sociale, qu’elle se nomme dieu, nature, raison, famille, nation,
économie..., mais que ce soient le débat public même
et la décision consensuelle qui dirigent la vie publique
du collectif. Ainsi, il n’y a pas de place dans l’organisation,
suivant notre position, pour une quelconque sympathie ou proximité
avec l’espace nationaliste basque, ou avec les mouvements
dits "de libération nationale", qui pourraient
très bien être rebaptisés "de transition
de pouvoirs" (du vieil Etat centraliste au nouvel Etat périphérique).
L’autonomie comporte ainsi tout un ensemble de traductions
bien connues, comme le rejet du patriarcat ou des relations de domination
de genre, l’anticapitalisme, l’autogestion, l’anti-étatisme,
l’auto-organisation, etc... Des luttes et des positions qui
ont toutes une longue expérience historique. Ainsi le projet
se place dans une tradition historique déterminée,
non pas pour répéter d’anciennes formules, mais
pour en produire de nouvelles qui reprennent et rénovent
l’ancien sens de la théorie et de la pratique.
En résumé, la construction de l’organisation
autour d’un projet libertaire de ce type ne suppose pas la
répression de toute différence, puisqu’en définitive
on ne connaît jamais parfaitement les moyens pour insérer
ces valeurs dans le monde, et on ne connaît pas non plus toutes
les implications et les matérialisations que peut revêtir
ce que nous voulons. Par contre, cela suppose de l’intransigeance,
ou au moins de l’indifférence, envers les pratiques
qui apparaissent comme contraires au dialogue, à l’autonomie
et à la réappropriation de la vie. Un projet libertaire
semblable à ce que nous avons décrit est aussi ouvert
que l’est l’imagination de ses participant-e-s, et,
en se fondant sur des principes négatifs -absence de relations
de domination- ou méthodologiques -que les individus et les
collectivités soient maîtresses et conscientes de leur
vie-, ne comporte de façon intrinsèque aucune nouvelle
forme de fondamentalisme ni de négation de la différence,
il établit simplement le cadre qui empêchera la différence
de s’imposer de manière autoritaire.
Par conséquent, nous considérons nécessaire
que la nouvelle organisation qui naîtra de ces débats
s’articule sur l’explicitation de ce que nous voulons
et de ce qui nous anime, à travers la formulation statutaire
de principes et de finalités, afin non pas de créer
un corps de doctrines ni une définition idéologique
officiels (il y a la place, dans une organisation de ce type, pour
un grand nombre d’autodénominations : libertaire, anarchiste,
autonome, communiste libertaire, écologiste anticapitaliste,...),
mais plutôt de ne pas permettre un "tout se vaut",
dans l’organisation, qui pourrait nous faire glisser vers
l’ambiguïté et vers une dangereuse proximité
avec des positions autoritaires.
Par et pour l’organisation
L’allergie qu’inspirent à beaucoup de gens les
compromis et la responsabilité qu’impliquent la participation
à une organisation se trouve en parfaite résonance
avec l’époque que nous vivons. Les critiques saines
et fondées du militantisme et du sacrifice personnel ont
déjà trop souvent dégénéré
en un "je fais ce que je veux" incompatible avec le développement
responsable et autonome des décisions. Nous ne pouvons certes
pas plaider pour le militantisme aveugle, propre à une bonne
partie du mouvement ouvrier traditionnel, qui exigeait du militant
une abnégation désintéressée qui la
plupart du temps n’était rien d’autre que le
produit de l’étouffement de la capacité de réflexion
et de participation effectives. Nous ne pouvons pas non plus défendre
un modèle d’organisation qui ruine toute différence
et qui détruise la capacité d’innovation et
de création de nouvelles relations sociales et de nouvelles
formes de lutte. Mais nous ne pouvons conclure que toute forme d’organisation
qui recherche l’unité et le consensus, au moins dans
une partie de son action, est capable de détruire toute différence
subjective et d’imposer la tyrannie de la majorité.
Loin de ce préjugé, nous pensons que l’individualisme
extrême que démontrent certains groupes et l’expansion
illimitée de la volonté et du désir personnels,
quoi qu’il arrive, sont absolument inconciliables avec une
quelconque organisation pratique du projet indiqué plus haut.
Ils sont, par contre, très significatifs de comportements
largements promus par la publicité ("vive la différence",
"sois toi-même", "c’est toi qui choisis").
Cet ultra-individualisme reproduit les modes d’isolement social.
La pluralité qui doit exister dans une assemblée (qui
doit aussi nécessairement provoquer cette pluralité,
en faisant naître la différence -problèmes,
attitudes, propositions-) peut trouver une réconciliation
dans l’action commune, qui ne suppose pas le sacrifice d’une
minorité, mais la recherche, en dernière instance,
du consensus, fruit du dialogue et de la discussion. Consensus bien
distinct de celui que l’on connaît dans le cadre de
la consommation et de l’Etat - espace de séquestation
du politique. Distinct dans la mesure où ce dernier est indiscutable,
imposé, où il exige une adhésion irréfléchie
à ses principes.
Ainsi, on ne peut pas tolérer un militantisme à la
carte selon lequel "une fois je fais ceci et l’autre
le contraire", selon lequel à un moment je m’engage
à faire une activité, puis "je renonce parce
que ça ne me plaît pas ou parce que je suis tombé
sur d’autres choses qui m’intéressent plus".
Il existe, bien sûr, des degrés d’engagement
librement adoptés, qui sont redéfinissables dans chaque
situation, mais l’engagement implique toujours une responsabilité
face aux camarades et face aux décisions prises par tou-te-s.
D’autre part, personne ne peut croire que la mobilisation
et l’action politique sont le résultat d’un accord
spontané entre sujets hétérogènes. Toute
action est le fruit d’une préparation et doit être
le produit (surtout si l’on veut se solidariser avec le projet
libertaire) du débat public, du dialogue et du consensus
entre des parties qui, tout en étant différentes,
avancent une volonté unitaire dans l’exécution
de la décision. En définitive, nous plaidons pour
la responsabilité et l’engagement dans l’activité
politique, pour la création de nouveaux espaces publics,
fondés sur les valeurs classiques d’auto-organisation
et d’autonomie, et au sein desquels soit possible la participation
effective de tou-te-s à la création de nouvelles formes
d’expérience et d’activité.
Vers la fédération
Il y a aussi une grande diversité de propositions concrètes
d’organisation. Cependant on peut avoir une préférence
pour deux modèles fondamentaux : la coordination et la fédération.
Malgré l’ambiguïté de ces deux positions,
on peut relever de notables différences. Une coordination
serait plutôt une réunion de collectifs et de groupes
différents et indépendants, qui passent régulièrement
des accords et réalisent des actions communes. La fédération
est une organisation unitaire dans laquelle travaillent des groupes
et des collectifs aux terrains d’action variés. La
coordination est donc une réunion, en général
à des fins concrètes, de différents collectifs
et individus. Les autres groupes ne sont pas forcément tenus
par les accords passés. La coordination est plus flexible,
mais aussi plus faible, moins efficace au moment d’organiser
des actions communes. Une fédération suppose l’élaboration
de statuts qui sont les mêmes pour tous les groupes. Les accords
sont inaliénables, et généralement l’organisation
se dote d’une série de postes sans capacité
de décision et totalement subordonnés à l’assemblée
des collectifs. Les détenteurs et détentrices de ces
postes sont élu-e-s et n’ont pas, par ce biais, de
pouvoir de décision. Ils/elles ne font que garantir qu’il
existe des responsables pour exécuter des décisions
prises par toute l’organisation. Ainsi peuvent exister des
secrétaires -archives, notes, propagande...- et des commissions
-de la revue de la fédération, d’investigation
en cas de faute grave, comme la manipulation de compte-rendus ou
l’exclusion d’un groupe ou d’un camarade...
Nous autres penchons pour cette dernière formule, puisque
nous pensons qu’elle garantit vraiment l’application
des décisions de l’assemblée, l’expansion
des activités du mouvement et la création d’un
point de référence public et permanent d’organisation
qui permet la création beaucoup plus rapide de nouveaux groupes.
Cependant, cela implique un niveau d’engagement beaucoup plus
fort que celui qu’entretiennent aujourd’hui la plupart
des collectifs, et que peu de personnes, soupçonnons-nous,
sont disposées à assumer. Voilà pourquoi nous
proposons que les deux modèles soient discutés et
que chaque groupe manifeste sincèrement sa volonté
et sa capacité de développer un travail continu, afin
de pouvoir créer la forme d’organisation qui sera la
plus réaliste et la plus incluante possible. Ainsi, nous
amenons au débat l’ébauche suivante de future
fédération de groupes autonomes et libertaires de
Madrid.
La fédération de groupes autonomes est formée
par tous les collectifs et individualités disposés
à participer à une activité de questionnement
global théorique et pratique, bien que leur travail concret
se concentre en un terrain d’action réduit, non seulement
territorial (quartier, squat, université, lieu de travail)
mais aussi pratique (une revue, une agence de contre-information,
une lutte spécifique : squat, insoumission, écologie...).
Une fédération de ce type est ainsi une organisation
plurielle, au sein de laquelle chaque groupe et chaque collectif
peut déployer son activité sur son terrain concret,
et à la fois participer aux campagnes et actions communément
décidées par tous et toutes.
Ses "principes et finalités" comprennent les valeurs
libertaires classiques du projet d’autonomie, qui doivent
être assumées par toutes celles et tous ceux qui veulent
participer à l’organisation.
Les décisions doivent être prises à un seul
niveau : soit celui des groupes, soit celui des individualités.
Nous pensons que les décisions doivent être prises
au niveau des groupes, dans une assemblée des membres hebdomadaire
ou bimensuelle, dans laquelle chaque groupe présente ses
propositions et les accords trouvés dans ses propres réunions.
Il est donc nécessaire que chaque collectif discute des propositions
des autres et envoie un membre avec ses accords et propositions
écrits. Et qu’à son tour ce membre recueille,
par écrit également, les accords généraux
de l’organisation et les propositions des autres groupes.
Les individualités ont l’opportunité de participer
aux débats, aux commissions, aux secrétariats, et
à l’élaboration de nouvelles propositions, mais
pas aux décisions, qui doivent être prises par les
groupes. Cela encourage les individualités à former
de nouveaux collectifs, et en même temps permet un haut degré
de participation à celles et ceux qui ne veulent faire partie
d’aucun des groupes existants.
Les décisions doivent être prises par consensus, c’est-à-dire
en regroupant les volontés de tou-te-s les membres de l’organisation.
Au cas où l’on n’y parvienne pas, on peut adopter
le mécanisme de la pseudo-unanimité, ou faux consensus
-tous les groupes moins un ou moins 10%- qui empêche le véto
d’un seul groupe ou d’un nombre très réduit
de groupes. Les propositions qui ne gagnent pas le consensus ou
le faux consensus des groupes sont reformulées ou abandonnées.
Une fois un accord passé, il doit engager tous les groupes.
La fédération peut établir des réunions
spéciales dans lesquelles on traitera de la modification
des statuts, de l’engagement et du nombre de postes, de l’élaboration
de stratégies à long-terme et de la réalisation
du bilan d’une saison. Ces réunions sont les séances
plénières auxquelles doivent assister tous les groupes
qui font partie de l’organisation. Ainsi, il est sain et nécessaire
d’organiser des colloques et des débats internes, dans
lesquels on ne prend pas de décision, mais on stimule la
réflexion sur la théorie et sur les pratiques de chacun.
La fédération doit se doter d’une série
de postes, entretenus par des militant-e-s élu-e-s et responsables
de la réalisation d’un ensemble de tâches qui
sinon ne sont souvent pas réalisées, à cause
du laisser-aller que produit la dénommée "responsabilité
diffuse", qui veut que "l’on parle de faire beaucoup
de choses, sans que personne ne les fasse". Ces postes accomplissent
seulement ce que l’assemblée des groupes décide
et sont constamment soumis, dans leur activité, à
la possibilité d’être révoqués.
Ils doivent tourner ou changer périodiquement pour ne pas
conduire à une nouvelle spécialisation des fonctions.
Entre le réseau et la fédération
Réinventer le projet d’autonomie
Colectivo Maldeojo
Malheureusement, les observations qui suivent ne sont pas des réponses
précises aux questions qui ont été fixées
à la dernière réunion de "refondation"
(au squat laboratorio), comme questions-clefs du débat. Le
présent texte évolue sans doute sur les mêmes
pistes que le débat de la dernière réunion,
mais s’en va parfois tourner autour du pot toujours asséché
(et pas seulement par l’ennemi) du projet autonome. Il a été
impossible d’atteindre une cohérence totale, en partie
à cause des urgences qui ont présidé à
l’élaboration de ce texte.
Pourquoi nous assemblons-nous ?
"Nous pensions que nous pouvions nous sauver d’une manière
ou d’une autre, par les voyages, la musique, l’amitié,
le théâtre, tout ça... Que la vie viendrait
nous délivrer on sait pas bien comment, pendant que nous
nous taisions, afin de ne pas les fâcher, les contrarier...
mais aussi parce que nous voyions que nous étions coincé-e-s,
seul-e-s, isolé-e-s. Maintenant nous le savons enfin : ce
problème n’était pas personnel, individuel.
C’est un problème commun à nous tou-te-s !"
(Paris, 1986)
Pour quoi nous assemblons-nous ?
Dans la dernière réunion de refondation de la Coordinadora
de Lucha Autonoma, il a été dit une chose avec laquelle
nous sommes particulièrement d’accord : nous nous assemblons
pour réinventer le projet autonome et pour l’installer
de manière permanente et visible dans la société.
Mais si on veut vraiment réinventer ce projet et pérenniser
certaines pratiques, il faut non seulement dépasser les querelles
construites autour du fétichisme des mots et des symboles,
mais aussi élargir le contenu réel donné jusqu’à
présent à ce projet et à ces pratiques.
Nous nous sommes rendu-e-s compte depuis maintenant longtemps que
la simple collectivisation des moyens de production ne faisait pas
disparaître par magie le reste des formes de domination existantes
dans la société. Nous nous sommes rendu-e-s compte,
ainsi, que la société ne s’organise pas selon
le schéma banal de base-superstructure. Tout cela est évident,
bien qu’on commette toujours l’erreur d’illustrer
cette conclusion avec l’exemple de l’Union Soviétique
(comment peut-on parler de collectivisation quand une bureaucratie
concentre tout le pouvoir de décision sur la production,
l’orientation du travail, la redistribution, etc. ?). Mais,
dans ce cas, comment se fait-il qu’on ait dédié
si peu de temps et d’efforts à la compréhension
de dimensions du social aussi fondamentales que le langage, l’art,
l’urbanisme, le temps, la technique, l’inconscient,
etc. ? Ne serions-nous pas encore en train de penser - sans oser
le dire - que ces problèmes se résoudront d’eux-mêmes
le jour de la révolution ? Comment peut-on prétendre
réinventer le projet autonome sans considérer un instant
la vie quotidienne - parce que c’est bien ça qu’on
fait quand on ne répond pas à des questionnements
comme ceux sur le langage, l’urbanisme, le désir, etc.
?
Il est très clair que ces thèmes ont suscité
de plus en plus d’intérêt ces dernières
années. Et différentes personnes y ont prêté
attention en partant d’un point de vue qui relie ces analyses
et le projet révolutionnaire de transformation globale. D’autre
part, il est évident que l’on ne peut rejeter, en le
qualifiant d’absurde, le danger de prolifération d’aristocraties
qui utilisent la théorie pour confondre et voiler la réalité
-c’est à dire, qui font de l’idéologie-
et conserver ainsi leur triste statut. Mais il faut toujours souligner
un fait : c’est le désintérêt pour l’analyse
théorique qui est à l’origine de la propagation
des impostures, et non le contraire. Si, au contraire, la théorie
critique était plus familière, la capacité
de séduction rhétorique des discours qui décorent
le vide serait pratiquement nulle. Il est très courant d’entendre
des bravades contre le travail théorique. Occasionnellement,
on entend aussi de justes critiques sur la masturbation intellectuelle.
Mais il est très curieux de voir ce qui se passe quand on
cesse de faire le moindre effort théorique : on perd le respect
pour la pratique.
D’un autre côté, si nous ne faisons pas attention
et si nous n’opérons pas de distinction entre théorie
et pratique, nous finirons par essayer de résoudre les problèmes
pratiques dans et par la théorie. De cette manière
on perd l’autonomie de la pratique et on confond tout. Comment,
par exemple, trouver une solution une bonne fois pour toutes au
problème des relations avec les institutions (concept qui
inclut les administrations universitaires autant que les municipalités,
en passant par les transports publics et les Jeunesses Communistes
Révolutionnaires) ? Qui dictera les hypothèses a priori
valables en tout temps et en tout lieu pour juger l’activité
pratique ? L’autonomie relative de la pratique signifie précisément
qu’il est impossible d’analyser une situation concrète
avec un catalogue parfait d’hypothèses théoriques.
La pratique nous confronte quotidiennement avec la nouveauté
et la singularité, avec des situations que la théorie
ne peut prédire et qu’il faut analyser de manière
spécifique entre gens impliqués. Ainsi, la pratique
même fait naître constamment un nouveau savoir. Nous
jugeons tou-te-s durement la collaboration de Federica Montseny
au gouvernement républicain, par exemple. Mais une donnée
importante nous échappe : nous savons maintenant ce qui s’est
passé, elle ne le savait pas. Celles et ceux qui savent lire
comprendront que nous ne défendons aucunement la collaboration
de temps à autre avec les appareils bureaucratico-hiérarchiques,
pas plus que nous ne légitimons les Pactes de la Moncloa.
Il s’agit simplement de garder à l’esprit que
la future organisation des groupes (quelle que soit sa forme) ne
peut se fonder sur des hypothèses invariables qui s’arrogent
le droit de juger la pratique. On peut, à partir de cette
considération, convenir malgré tout de dénominateurs
communs qui empêcheront les contradictions de fleurir et de
finir par déchirer l’organisation.
Cette argumentation répond à la coutume que nous
avons d’évoquer l’action politique à travers
le schéma théorique des fins et des moyens. Nous parlons,
par exemple, de "traduire la théorie en réalité",
comme si la théorie était une hypothèse qu’il
faut vérifier dans une expérimentation pratique. Nous
parlons aussi de "considérer l’organisation comme
un moyen, un outil". Métaphores équivoques. La
praxis est précisément cette activité qui tend
vers l’autonomie (fin) à partir de l’autonomie
(moyen). Et l’organisation autogestionnaire, égalitaire
et horizontale, est une manifestation fondamentale de la praxis
; elle tente en effet d’étendre l’autonomie à
partir de l’exercice même de l’autonomie. Dans
la praxis, l’autonomie des autres n’est pas une fin
mais un début. Elle n’est pas finie, elle ne se laisse
pas définir par un état ou des caractéristiques
définitives. Il n’y a pas un "état"
d’autonomie. Le reste n’est qu’une conception
militaire de l’action : on choisit des moyens en vue de fins
envisagées par avance, on calcule les coûts, les pertes
nécessaires, et le succès ou l’échec
de l’activité selon la proximité du résultat
avec les fins envisagées au début. La moindre expérience
d’activité politique autonome nous apprend que les
choses ne sont pas ainsi, que le succès ou l’échec
de l’activité ne peuvent jamais être comparés
au programme initial parce que les objectifs changent dans l’action,
l’activité provoque une série de nouveaux événements,
etc. En disant que "l’organisation n’est qu’un
moyen", peut-être veut-on signaler le danger que l’activité
s’aliène à un programme. Le programme, qui n’est
rien de plus qu’une vision fragmentée et provisoire
du projet, peut être pris pour quelque chose d’absolu
; on néglige alors la "fin" : l’autonomie.
Mais le fait que l’activité ne puisse pas reposer
ailleurs que sur un savoir partiel ne veut pas dire qu’elle
ne repose sur rien, qu’il est impossible de définir
certaines choses, de vérifier des tendances et d’en
tirer les leçons adéquates. Si nous décidons
que sans théorie globale il ne peut y avoir d’action
consciente, continue, projetée vers l’avenir, orientée
selon certains principes, etc., nous sommes prisonnier-e-s du fantôme
du savoir absolu. Et si nous disons que l’action consciente,
prolongée, etc., ne peut répondre qu’au rêve
totalitaire de réprimer les différences, nous sommes
tout aussi prisonnier-e-s du fantôme du savoir absolu. Le
choix supposé entre géométrie et chaos est
une fiction, et n’a aucun sens dans l’activité
humaine, qui n’est jamais organisée de manière
exhaustive, ni soumise au désordre moléculaire complet.
Peut-être pourrions-nous dire de l’activité autonome
ce que le philosophe Maurice Merleau-Ponty disait de son travail
et de ses enfants :
"Mon métier, mes enfants, sont-ils pour moi des fins
ou des moyens, ou une chose et l’autre en alternance ? Ils
ne sont rien de tout ça : ils ne sont certainement pas des
moyens de ma vie, qui se perd en eux au lieu de les utiliser, et
ils sont beaucoup plus que des fins, puisqu’une fin est ce
que l’on veut et puisque j’aime mes enfants et mon métier,
sans mesurer d’avance jusqu’où tout cela va m’entraîner,
et bien au-delà de ce que je peux connaître d’eux.
Non pas que je ne sache pas à quoi je me dédie : je
les vois avec le type de précision que supposent les choses
existantes, je les reconnais entre tous, sans savoir du tout de
quoi ils sont faits. Nos décisions concrètes ne pointent
pas des significations fermées."
Les deux positions exprimées dans les débats ouverts
par Lucha Autonoma pour réorganiser le monde autonome madrilène
peuvent être analysées séparément puis
réunies comme nécessaires et complémentaires.
L’organisation articulée en fédération
Après avoir jeté un coup d’oeil au panorama
autonome madrilène, nous pensons qu’un bon nombre de
groupes, surtout les collectifs de quartier, ont besoin d’une
forme d’union qui irait au-delà de la simple communication
ponctuelle ou de l’organisation diffuse (nous employons ici
"organisation diffuse" non pas comme un concept défini,
mais comme un simple terme de référence à l’assemblage
de divers groupes au moyen de noeuds lâches et sur la base
de certaines pratiques).
Le problème que rencontrent les différents collectifs
est clair : l’absence d’une structure qui articule,
sur tous les terrains, un front commun. Il n’est pas moins
évident que cette articulation ne peut être obtenue
qu’à partir d’une base commune ; en effet la
force déployée par chaque collectif sur son terrain
doit avoir le même sens collectif. Autrement dit, les collectifs
qui forment cette organisation ne peuvent travailler en brutale
contradiction les uns avec les autres. Cette nécessité
de convergence nous oblige à discuter avec un objectif clair
: tomber d’accord sur une position unitaire, qui permette
aux différents collectifs de travailler autour d’un
même axe qui tournerait en autant de sens qu’en suivent
les collectifs.
Ceux qui déclarent que l’idée de fédération
porte en elle une répression des différences se trompent.
Il s’agit simplement d’un problème de cohérence.
L’union cohérente de certaines formes de réflexion-action
est une façon de conjuguer ces forces avec celles auxquelles
nous avons fait référence plus haut, sans qu’elles
s’affrontent entre elles. Par exemple, il serait incohérent
d’entretenir une organisation au sein de laquelle un collectif
de quartier lutterait durement contre la manipulation des syndicats
bureaucratiques, pendant que le collectif du quartier voisin collaborerait
activement avec ces mêmes syndicats. Ces contradictions brutales
finiraient par miner l’organisation.
Le problème que nous entrevoyons tou-te-s à présent
est la prolongation indéfinie et tendue des discussions.
Les débats des groupes qui veulent converger vers une fédération
devraient acquérir l’aspect d’une négociation
: une discussion en vue de points d’accord et de conclusions
qui, sans être définitives, puissent mettre en marche
la fédération.
Le niveau de l’information
D’autre part, il serait souhaitable qu’en même
temps que ces collectifs entament le processus de fédération,
débute également (entre tous les groupes, fédérés
ou non) la construction d’un espace stable d’échange
d’information, de textes, de propositions, de débats,
d’analyses, etc.
Dans cet espace de communication, aussi nécessaire que la
fédération, pourraient dialoguer tous les groupes
"antagonistes" de Madrid. Le collectif Maldeojo, par exemple,
qui écarte pour l’instant la possibilité de
se fédérer par incapacité d’affronter
les implications que cela comporte forcément, serait très
intéressé à participer à la construction
de cet espace de rencontre et de discussion.
La mise en marche d’un espace d’échange d’information
(nous entendons ici par "information" tout type de textes,
propositions, analyses, etc.) permettrait d’en finir avec
la méconnaissance généralisée des groupes
entre eux et de mettre en conract des pratiques très différentes
et hétérogènes : squats, distros, écologistes,
musicien-ne-s, féministes, antimilitaristes, situationnistes,
surréalistes, agences de contre-information, etc. etc.
La réflexion sur ce problème est fondamentale ; en
effet, la situation actuelle est caractérisée par
la séparation absolue de toutes les façons de concevoir
la critique du système. Ouvrir et consolider un espace de
communication, d’information et de débat permettrait
de dépasser cet isolement et favoriserait en chaque groupe
l’élargissement de la critique, théorique ou
pratique, par des thèmes de toute nature : du travail antifasciste
jusqu’à l’intervention anti-urbaniste dans les
villes ; de l’écologisme jusqu’à la lutte
syndicale, de l’antimilitarisme jusqu’à l’actionnisme
esthétique, du squat jusqu’au travail sur la manipulation
génétique, de la contre-information jusqu’à
la critique du système éducatif, etc. L’ouverture
de nouveaux terrains d’analyse et de lutte ne peut se faire
qu’à travers la communication entre les expériences
de chacun de nos groupes.
Conclusion : pour commencer
Comme nous le disions ailleurs, tout reste à faire, tout
reste à réinventer : le langage critique ; l’alliance
de la réflexion, de la mémoire et de l’action
; une véritable communauté radicale en définitive.
Il s’agit, et c’est le plus difficile, d’inventer
et de mettre en jeu certaines significations (le goût pour
la liberté, le sens du temps historique, qui est le temps
de l’action et non le temps de la répétition,
le sens de la mémoire et un appui de la tradition, un nouveau
sens de la communauté, de l’union par ce que nous faisons
et pas par ce que nous voyons à la télévision,
etc.). Ces significations sont le contenu substantiel de mots comme
l’autonomie et l’auto-organisation ; et sans un tel
contenu ces mots ne sont que des tétines vides dont toutes
les bouches se servent. Beaucoup de personnes vivent dans la soumission,
non pas parce qu’elles ne savent pas s’auto-organiser,
mais plutôt parce qu’elles ne veulent pas le faire,
parce que l’autonomie ne signifie pour elles rien de réel.
La création de nouvelles significations est indissociable
de la création de nouveaux espaces de socialisation dans
lesquels ces significations puissent communiquer et vivre ; elle
est également indissociable de la réactivation d’une
mémoire de l’Histoire, où se trouvent les éléments
sur lesquels on pourra appuyer ces significations, afin justement
de les créer.
Il s’agit, en définitive, de la création d’une
communauté radicale, d’un acteur collectif qui puisse
contribuer à l’effondrement de l’état
actuel d’atomisation, à travers une conscience et une
expérience partagées, un projet et une mémoire
communs :
"La réalité d’une telle communauté
réside dans le fait qu’elle constitue en elle-même
une "unité plus intelligente que tous ses membres"
(remplacer par collectifs). Le signe de son échec sera la
régression vers une espèce de néo-famille,
soit vers une unité moins intelligente que chacun de ses
membres". (Encyclopédie des Nuisances).
Epilogue Le processus de refondation des collectifs
de lutte autonome de Madrid (extraits)
Agustin Moràn
Le 20/02/1999 s’ouvrit la première assemblée
de la refondation de Lucha Autonoma. Cinq assemblées suivirent
jusqu’à juillet 1999. Les critères de sélection
des collectifs invités étaient variés : "Etre
extérieurs aux institutions, vouloir créer des structures
stables, avoir une mentalité unitaire et intégratrice,
avoir une pratique commune et pas seulement une théorie commune,
être des collectifs autogérés et non hiérarchisés."
Dès la première assemblée, deux positions
très marquées se distinguèrent, polarisèrent
le débat et le conditionnèrent du début jusqu’à
la fin. D’un côté fut formulée une proposition
de formalisation de la nouvelle Autonomie en une fédération
de groupes autonomes, sur la base de nouveaux statuts qui devaient
contenir tous les moyens et tous les objectifs de la nouvelle organisation,
comme lignes d’accord théorique. D’un autre côté,
des militants d’un squat critiquèrent "l’ambiguïté
de la proposition de Lucha Autonoma", défendant "une
dissolution radicale de cette coordination comme unique façon
d’atteindre une dimension constituante véritable".
"Plutôt que de discuter de la refondation de Lucha Autonoma,
il faudrait débattre de thèmes d’intervention
sociale (Maastricht, Kosovo, immigration, répression, etc.)".
Ils proposèrent "d’impulser un réseau et
pas un Parti de l’Autonomie". Ils déclarèrent
"que l’autonomie n’est pas nécessaire comme
organisation, mais comme pratique sociale". Au lieu de s’associer
dans un modèle limité de bloc autonome, il vaut mieux
s’étendre en se dissolvant dans le social. "Il
faut se coordonner à partir du réel, à partir
du social". (Interventions verbales dans les assemblées).
Leurs deux textes, "l’Autonomie en tant que crise"
et "Quelques considération sur l’institution et
l’organisation", contiennent de précieuses et
opportunes contributions au débat. En particulier le premier
texte, qui expose une vision équilibrée des différentes
étapes et courants de l’autonomie (sociale, organisée,...),
faisant apparaître des possibilités d’explorer
des formes plus radicales de refondation. Le second texte est un
plaidoyer plus formel contre toute tentative de reconstruction de
l’autonomie, ou de ses parties quelles qu’elles soient,
sur la base d’une coordination stable. Le scénario
de la constitution de l’Autonomie est judicieusement décrit
comme celui de la tension entre notre pouvoir constituant et le
pouvoir constitué. La critique du fantasme d’arriver
à être fort en réunissant des faiblesses, la
dénonciation de "l’anarco-léninisme"
et de la croyance que les réunions périodiques de
délégué-e-s garantissent en elles-mêmes
le développement des collectifs dans le social, pointent
des problèmes réels chez les groupes participants.
La majorité des collectifs n’était pas pour
la formule de la fédération dotée de statuts,
mais encore moins pour se dissoudre en tant qu’organisation.
Tous les groupes, plus ou moins dissous dans le social, selon leur
degré de connexion avec la société, après
des années de coordination, étaient favorables à
la recherche de formules de coopération organisée
et stable, pour les raisons exposées plus haut (dans l’introduction
de la brochure). De fait, l’une des conditions pour le lancement
du processus était précisément "le désir
de créer des structures stables".
Naturellement, tout dans un processus de constitution peut être
considéré comme ouvert, y compris les limites posées
au processus proprement dit. Néanmoins, une fois proposées
ces deux positions, le débat resta casé entre les
deux, de telle manière que la quantité de nuances
de la proposition de coordination, largement élaborée
par les collectifs, disparut, et l’on ne reconnut plus d’autre
opposition à "se dissoudre dans le social" que
"le Parti de l’Autonomie" avec ses statuts. L’impact
de la radicalité verbale qui comparait toute forme d’organisation
à l’Etat, et qui défendait "l’expansion"
et la dissolution dans le social comme processus constituant véritable,
réussit à faire oublier à beaucoup de personnes
les nuances des textes débattus, les conquérant grâce
au lyrisme spontanéiste. Ce qui, dans la première
assemblée, n’était l’opinion que d’un
collectif, grandit en gagnant l’adhésion totale ou
partielle de divers collectifs. On en vint même à produire
un procédé de double débat, où le matin
de réunissaient celles/ceux du "réseau diffus"
et le soir les autres, celles/ceux du "Parti de l’Autonomie".
Comme cette classification était faussée, personne
ne comprenait rien et le double procédé mourut de
mort naturelle.
Le discours non homogène du spontanéisme oubliait
beaucoup de choses en plus des textes débattus. Les possibilités
de survie d’un collectif qui habite un squat et qui compte
en son sein des militant-e-s expérimenté-e-s, sont
différentes de celles de collectifs de gens jeunes, parfois
presque dépourvus d’expérience, dont la vie
quotidienne et le militantisme sont scindés, et pour qui,
de plus, la coordination stable de leur collectif avec d’autres
collectifs est un signe d’identité.
L’absence de limites dans les affirmations, le manque de
dialogue avec le discours qui avait lancé le processus, la
méconnaissance des spécificités des groupes
coordonnés qui l’avaient impulsé, ruina la possibilité
de dialogue et d’enrichissement mutuel. Ce processus de constitution,
en proie à la confusion, la division et la fatigue, ce processus
qui laissait tout ouvert pour finir par construire presque zéro,
a été sur le point de passer de "refondation"
à "dissolution et disparition" de Lucha Autonoma.
Dans l’assemblée du 10/04, les lignes de déblocage
du processus pointèrent leur nez. "Que tou-te-s celleux
qui veulent une coordination de collectifs autonomes discutent de
points d’unité minimale et se mettent dès maintenant
à fonctionner ensemble, en laissant pour plus tard une plus
grande précision des formes de coordination." Dans l’assemblée
du 3/07/1999 on approuva les points d’unité minimale
de la coordination. Tout au long du processus, il y eut plusieurs
contributions écrites. (Les textes de cette brochure sont
certaines d’entre elles) . (septembre 1999)
Collectif
P.S. : Chronologie
- 1990 : création de la coordination de collectifs autonomes
madrilènes Lucha Autonoma.
- janvier 1999 : début de la refondation de Lucha Autonoma
: première assemblée.
- premiers mois de 1999 surtout : écriture, par les différents
collectifs impliqués dans cette refondation, des textes présentés
dans cette brochure.
- automne 1999 : parution de ces textes, et d’autres textes
sur les mêmes thèmes, dans le troisième numéro
de la revue ContraPoder (organe de communication et de débat
des collectifs autonomes).
- juillet 2001 : traduction de ces textes, par un non-spécialiste,
du castillan au français. Toute envie de participer à
la correction et à la retraduction de ces versions est la
bienvenue. Dans cette optique, ou dans celle d’une simple
consultation, l’original en espagnol de la revue est disponible
en tout cas à l’infokiosque des 400 Couverts et peut
être photocopié par ses auto-gérant-e-s.
L’infokiosque / 10 traverse des 400 Couverts / 38000 Grenoble
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