Origine : http://infokiosques.net/imprimersans2.php3?id_article=309
http://nem.brassicanigra.org/ET/ET-199810-Ratgeb.pdf
Contributions à la lutte des ouvriers révolutionnaires,
destinées à être discutées, corrigées
et principalement mises en pratique sans trop tarder
Nous voulons voir la vérité sous forme de
résultat pratique.
Les pages qui suivent s'adressent aux ouvriers révolutionnaires,
et à nuls autres. Aux ouvriers, car, en dehors des travailleurs
impliqués directement dans le processus de production, il
n'y a personne qui détienne le pouvoir de briser les reins
à l'impérialisme marchand. Aux ouvriers révolutionnaires,
car ceux qui restent inféodés aux partis, syndicats,
groupuscules, ne font, comme des salauds d'esclaves, que travailler
au renforcement du système dominant et de sa misère.
Dans les dix dernières années, des grèves
sauvages de plus en plus fréquentes et de plus en plus résolues
ont secoué, sans le briser encore, le joug commun de la bourgeoisie
et des appareils bureaucratiques. Ce mouvement insurrectionnel latent
a dévoilé à la conscience du prolétariat
l'emprise croissante que la marchandise exerce sur la vie quotidienne,
sur l'ensemble des comportements humains, sur la nature même.
Et en même temps, il a fait la preuve de sa force, il a montré
dans le miroir de son refus la faiblesse irrémédiable
du système marchand et de l'Etat.
Dans le refus apparaissent aussi les approches d'un style de vie
en violente opposition avec la survie qui est aujourd'hui la misère
du monde la mieux partagée. Ce sont des réactions
fragmentaires et souvent confuses, nées de la volonté
spontanée d'en finir une fois pour toutes avec le travail,
le sacrifice, le spectacle, l'économisme, l'ennui, les contraintes,
les séparations ; mais si dispersées et si isolées
qu'elles soient, elles jettent les bases d'une société
radicalement nouvelle la société d'autogestion généralisée.
La théorie révolutionnaire de l'autogestion généralisée
s'est efforcée de donner une plus grande cohérence
à l'ensemble des réactions de refus. Elle s'est développée
jusqu'à atteindre aujourd'hui le stade où elle doit
reprendre place dans le mouvement dont elle est issue, le mouvement
insurrectionnel des travailleurs.
La réussite ou l'échec de l'autogestion généralisée
dépend désormais de ceux qui dans les usines, les
entrepôts, les grands magasins, les transports, les champs,
tiennent entre leurs mains le sort de la marchandise ; de ceux qui
peuvent détourner, au profit de tous, les biens de la terre
et de l'industrie, ou bien continuer contre eux-mêmes et contre
tout le prolétariat à laisser le processus marchand
étendre sa pollution.
Un changement décisif s'amorce partout. Il suffit de l'accélérer
en lui apportant les garanties d'efficacité et de cohérence
pratique. Attendre davantage serait un crime, ou pire, une faute
historique, dont toute l'eau de la mer ne pourrait effacer le sang.
D'abord, les conditions nous sont favorables. Les techniques, hautement
développées, sont à notre portée et
pour peu que nous voulions les tourner contre nos exploiteurs, tout
est possible et rien n'est utopique. Jamais la survie n'a tant régné
et jamais elle n'a suscité tant de révolte. Jamais
l'Etat n'a mieux disposé de la force du mensonge et jamais
il n'a été si vulnérable à la vérité
quotidienne. Jamais le système marchand n'a poussé
si loin le conditionnement des hommes à l'argent, au paraître
et au pouvoir et jamais il n'a vu se dresser pour le détruire
totalement autant de rage raisonnée, autant de créativité
et de passion.
Ensuite, si les ouvriers révolutionnaires ne se décident
pas à régler leurs affaires eux-mêmes et à
mener jusqu'au bout les bouleversements sociaux qu'annoncent les
grèves sauvages, les occupations et les détournements
d'usine, ceux qui n'ont pas les moyens de la réaliser feront
de l'autogestion généralisée un mensonge de
plus dans le ciel des idées, et ils joueront les messies
descendus sur terre pour prêcher l'organisation du prolétariat,
dans la meilleure tradition des Lénine, Trotsky, Mao, Garcia
Oliver, Castro, Guevara et autres bureaucrates.
Enfin, il y a trop longtemps que la révolution est aux portes
de nos cités d'ennui, de nos villes polluées, de nos
palais de stuc. C'en est assez de subir le travail, les chefs, les
temps morts, la souffrance, l'humiliation, le mensonge, les flics,
les patrons, les gouvernements, l'Etat. L'impatience trop longtemps
contenue pousse à la violence aveugle, au terrorisme, à
l'autodestruction ; certes nous avons mieux à faire, pour
nous sauver nous-mêmes d'une société qui se
suicide, que de jouer les kamikases contre un régiment de
flics, un quarteron d'évêques ou une brochette de patrons,
de généraux et d'hommes d'Etat, mais l'écoulement
des heures sans vie est plus terrible que la mort. Notre lutte finale
a assez duré. Il nous faut maintenant la victoire !
Les textes ici proposés essaient de répondre aux
problèmes que pose le passage d'une société
de classes à une société d'autogestion généralisée.
La première partie part des refus les plus communs et insiste
sur leur signification, car il importe que le familier nous soit
le mieux connu si nous voulons que tout ce qui vient de la vie quotidienne
y retourne pour l'enrichir en permanence. La deuxième énumère
quelques mesures à prendre selon que l'action ouvrière
se limite au sabotage et au détournement, s'étend
en grève sauvage ou aboutit à l'occupation des lieux
de travail. La troisième donne un modèle de ce que
pourraient être l'autogestion généralisée
et une société fondée sur la satisfaction des
volontés et des passions individuelles.
De telles notes sont nécessairement entachées de
faiblesses, d'hésitations, voire d'erreurs mais leur radicalité
est indiscutable. Elles méritent d'être discutées
mais non par ceux qui ne peuvent leur opposer que des critiques
abstraites, non par la canaille intellectuelle. Leur seul intérêt,
c'est d'être débattues sur le tas, dans les ateliers,
quand la colère monte. Alors, expérimentées,
corrigées, diffusées par tous les moyens que possèdent
patrons, cadres, permanents syndicaux (télex, photocopie,
radio, sono, imprimeries), elles permettront vraiment de donner
toute sa cohésion à l'élan insurrectionnel,
elles éviteront les atermoiements et les lenteurs si souvent
funestes dans les premiers moments d'une révolution, elles
jetteront à la face des étatistes cette raison dans
l'histoire, qu'ils redoutent par-dessus tout quand elle s'exprime
dans le prolétariat en armes : « Voilà la société
que nous allons construire. Voilà pourquoi nous voulons vous
détruire. »
CHAPITRE I
LA SOCIETE DE SURVIE
1. Avez-vous éprouvé au moins une fois le désir
d'arriver en retard au travail, ou de le quitter plus tôt
?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Le temps de travail compte double car il est du temps perdu
deux fois :
- comme temps qu'il serait plus agréable d'employer à
l'amour, à la rêverie, aux plaisirs, aux passions ;
comme temps dont on disposerait librement.
- comme temps d'usure physique et nerveuse.
b) Le temps de travail absorbe la plus grande partie de la vie,
car il détermine aussi le temps dit « libre »,
le temps de sommeil, de déplacement, de repas, de distraction.
Il atteint ainsi l'ensemble de la vie quotidienne de chacun et tend
à la réduire à une succession d'instants et
de lieux, qui ont en commun la même répétition
vide, la même absence croissante de vraie vie. c) Le temps
de travail forcé est une marchandise. Partout où il
y a marchandise il y a travail forcé, et presque toutes les
activités s'apparentent peu à peu au travail forcé
: nous produisons, consommons, mangeons, dormons pour un patron,
pour un chef, pour l'Etat, pour le système de la marchandise
généralisée.
d) Travailler plus, c'est vivre moins.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société qui assure à chacun le droit de
disposer lui-même du temps et de l'espace ; de construire
chaque jour sa vie comme il le désire. (Voir III, 49).
2. Avez-vous éprouvé au moins une fois le désir
de ne plus travailler (sans faire travailler les autres pour vous)
?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Même si le travail forcé ne devait produire que
des biens utiles tels que habits, nourriture, technique, confort...,
il n'en resterait pas moins oppressif et inhumain car :
- le travailleur serait encore dépossédé de
son produit et soumis aux mêmes lois de la course au profit
et au pouvoir.
- le travailleur continuerait de passer au travail dix fois plus
de temps qu'il n'est nécessaire à une organisation
attrayante de la créativité pour mettre à la
disposition de tous cent fois plus de biens.
b) Dans le système marchand, qui domine partout, le travail
forcé n'a pas pour but, comme on veut le faire croire, de
produire des biens utiles et agréables pour tous ; il a pour
but de produire des marchandises. Indépendamment de ce qu'elles
peuvent contenir d'usage utile, inutile ou polluant, les marchandises
n'ont pas d'autre fonction que d'entretenir le profit et le pouvoir
de la classe dominante. Dans un tel système, tout le monde
travaille pour rien et en a de plus en plus conscience.
c) En accumulant et en renouvelant les marchandises, le travail
forcé augmente le pouvoir des patrons, des bureaucrates,
des chefs, des idéologues. Il devient ainsi un objet de dégoût
pour les travailleurs. Tout arrêt de travail est une façon
de redevenir nous-mêmes et un défi à ceux qui
nous en empêchent.
d) Le travail forcé produit seulement des marchandises.
Toute marchandise est inséparable du mensonge qui la représente.
Le travail forcé produit donc des mensonges, il produit un
monde de représentations mensongères, un monde renversé
où l'image tient lieu de réalité. Dans ce système
spectaculaire et marchand, le travail forcé produit sur lui-même
deux mensonges importants :
- le premier est que le travail est utile et nécessaire,
et qu'il est de l'intérêt de tous de travailler ;
- le deuxième mensonge, c'est de faire croire que les travailleurs
sont incapables de s'émanciper du travail et du salariat,
qu'ils ne peuvent édifier une société radicalement
nouvelle, fondée sur la création collective et attrayante,
et sur l'autogestion généralisée.
De fait, vous luttez déjà, consciemment r ou non,
pour une société où la fin du travail forcé
laisse place à une créativité collective réglée
par les désirs de chacun, et à la distribution gratuite
des biens nécessaires à la construction de la vie
quotidienne. La fin du travail forcé signifie la fin du système
où règnent le profit, le pouvoir hiérarchisé,
le mensonge général. Il signifie la fin du système
spectaculaire-marchand et amorce un changement global de toutes
les préoccupations.
La recherche de l'harmonie des passions, enfin libérées
et reconnues, va succéder à la course à l'argent
et aux miettes de pouvoir. (Voir III, 59 à 74).
3. Vous est-il arrivé de ressentir hors du lieu de travail
le même dégoût et la même lassitude qu'à
l'usine ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) L'usine est partout. Elle est le matin, le train, la voiture,
le paysage détruit, la machine, les chefs, la maison, les
journaux, la famille, le syndicat, la rue, les achats, les images,
la paie, la télévision, le langage, les congés,
l'école, le ménage, l'ennui, la prison, l'hôpital,
la nuit. Elle est le temps et l'espace de la survie quotidienne.
Elle est l'accoutumance aux gestes répétés,
aux passions refoulées et vécues par procuration,
par images interposées.
b) Toute activité réduite à la survie est
un travail forcé ; tout travail forcé transforme le
produit et le producteur en objet de survie, en marchandise.
c) Le refus de l'usine universelle est partout puisque le sabotage
et le détournement se répandent partout chez les prolétaires
et leur permettent de prendre encore du plaisir à flâner,
à faire l'amour, à se rencontrer, à se parler,
à boire, à man- ger, à rêver, à
préparer la révolution de la vie quotidienne en ne
négligeant rien des joies de n'être pas tout à
fait aliénés.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où les passions soient tout, l'ennui
et le travail rien.
Survivre nous a jusqu'aujourd'hui empêchés de vivre
; il s'agit maintenant de renverser le monde à l'envers ;
de prendre appui sur les moments authentiques, condamnés
à la clandestinité et à la falsification dans
le système spectaculaire-marchand : les moments de bonheur
réel, de plaisir sans réserve, de passion. (Voir III,
47 à 58).
4. Avez-vous déjà eu l'intention de vous servir de
votre machine pour fabriquer un objet dont vous avez l'usage en
dehors de l'usine ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) La machine produit des effets opposés selon qu'elle est
employée au profit d'un patron et de l'Etat, ou selon qu'elle
est employée par le travailleur à son profit immédiat.
b) Le principe du détournement consiste à tourner
contre l'ennemi les techniques et les armes qu'il emploie contre
nous.
c) Le contraire du travail forcé, c'est la création
individuelle et collective. Les prolétaires aspirent à
créer leurs propres conditions de vie pour cesser d'être
des prolétaires. Hors de quelques rares moments révolutionnaires,
cette créativité est restée jusqu'à
présent clandestine (usage des machines, bricolage, expérimentation,
recherche de passions ou de sensations nouvelles).
d) La passion de la créativité veut être tout.
Comme destruction du système marchand et comme construction
de la vie quotidienne, elle est la passion qui contient toutes les
autres. Le détournement des techniques au profit de la création
faite par tous est donc la seule façon d'en finir avec le
travail et les séparations qu'il répercute partout
(manuel-intellectuel, travail- loisir, théorie-pratique,
individu-société, être-paraître...).
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où les dépôts, les
centres de distribution, les usines, les techniques appartiendront
aux assemblées de grève, puis à l'ensemble
des individus groupés en assemblées d'autogestion.
(Voir III, 1 à 20).
5. Vous arrive-t-il de saboter volontairement des pièces
en cours d'usinage ou déjà stockées ?
Si oui, vous avez compris que :
a) La lutte des ouvriers contre la marchandise est le vrai point
de départ de la révolution. Elle fait apparaître
clairement comment le plaisir d'être soi et de jouir de tout
passe par le plaisir de détruire de façon totale ce
qui nous détruit chaque jour.
b) La marchandise est le coeur d'un monde sans coeur ; elle est
la force et la faiblesse du pouvoir hiérarchisé, de
l'Etat
et de sa bureaucratie. La liberté et le bonheur individuels
de tous exigent non seulement qu'on lui porte des coups mais bien
plutôt qu'on l'anéantisse définitivement et
totalement (par exemple, le simple sabotage des marchandises ne
suffit pas puisque l'usure prématurée des produits
lancés sur le marché aide en fin de compte le capitalisme
privé et le capitalisme d'Etat - U.R.S.S., Cuba, Chine...
- à accélérer le renouvellement des achats
et le renouvellement des idéologies ; qu'elle amé-
liore ainsi l'accumulation de la marchandise et l'accumulation de
ses représentations et des attitudes sociales qu'elle impose).
c) Dans la mesure où le sabotage est une façon de
bâcler le travail, il a le mérite d'épargner
de l'énergie et d'encourager à ne plus travailler.
d) Si insuffisant qu'il soit, le sabotage des produits finis est
une réaction saine. Il traduit le mépris de l'ouvrier
pour la marchandise et pour le rôle d'ouvrier, c'est-à-dire
pour l'attitude liée aux idées de travail nécessaire,
de travail bien fait et autres conneries, que la société
dominante lui impose.
e) Le refus du rôle d'ouvrier va de pair avec le refus du
travail et de la marchandise. Il a toutes les chances de s'étendre
au refus de tous les rôles, de tous les comportements qui
font agir chacun non en fonction de ses désirs et de ses
passions mais en fonction d'images, bonnes ou mauvaises, qui lui
sont imposées et qui sont le mensonge par lequel la marchandise
se donne à voir. Faites la part de ce qui reste de vous quand
vous accumulez sur une journée des rôles comme celui
de père de famille, d'époux, d'ouvrier, d'automobiliste,
de militant, de téléspectateur, de consommateur...
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où les séparations disparaissent
à mesure que le travail disparaît ; où chacun
peut enfin être totalement vrai parce qu'il cesse de produire
la marchandise et son mensonge (le monde inversé où
les reflets sont plus importants que l'authentique). (Voir III,
69, 90).
6. Tout en sabotant la production, éprouvez-vous le désir
de vous amuser à saboter les réseaux répressifs
(appareil bureaucratique, flics, cadres de maîtrise, information,
urbanisme) ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Le système marchand sait fort bien récupérer
à sou profit le sabotage partiel de la marchandise. Le sabotage
limité au sabotage des produits ne détruit pas le
système marchand car la mauvaise qualité obtenue s'ajoute
seulement à l'usure prématurée déjà
prévue par les patrons pour provoquer le renouvellement accéléré
des achats. De plus, le sabotage, comme acte terroriste, renouvelle
le stock d'images du spectacle en y apportant les indispensables
images négatives (l'odieux- saboteur, l'affreux-incendiaire-d'entrepôts...).
b) Ce qui permet la transformation d'un produit en marchandise
et l'extension du processus marchand à toutes les activités
sociales, c'est le travail forcé et les forces qui le protègent
et le maintiennent : l'Etat, les syndicats, les partis, la bureaucratie,
le spectacle, c'est-à-dire l'ensemble des représentations
au service de la marchandise et marchandises elles- mêmes
(idéologies, culture, rôles, langage dominant).
c) La destruction de la marchandise par la liquidation du travail
forcé est donc inséparable de la liquidation de l'Etat,
de la hiérarchie, de la contrainte, de l'incitation au sacrifice,
du mensonge et de ceux qui organisent le système de la mar-
chandise généralisée. S'il n'attaque pas en
même temps la production de la marchandise et ce qui la protège,
le sabotage reste partiel et inopérant ; il devient ce terrorisme,
qui est le désespoir de la révolution et la fatalité
autodestructrice de la société de survie.
d) Tout ce qui ne peut être détourné au profit
des révolutionnaires doit être détruit par le
sabotage. Tout ce qui entrave le détournement doit être
détruit.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où l'Etat et toute forme de pouvoir
hiérarchisé auront disparu et laisseront place à
des assemblées d'autogestion disposant des forces productives
et des biens à distribuer gratuitement, et qui mettront fin
à tout danger de reconstituer le système marchand.
(Voir 27 à 39).
7. Avez-vous déjà éprouvé le désir
de ne plus lire de journaux et de briser votre téléviseur
?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Les journaux, la radio, la télévision sont les
véhicules les plus grossiers du mensonge. Non seulement ils
éloignent chacun des vrais problèmes - du «
comment vivre mieux ? » qui se pose concrètement chaque
jour -, mais en plus ils poussent chaque individu en particulier
à s'identifier à des images toutes faites, à
se mettre abstraitement à la place d'un chef d'Etat, d'une
vedette, d'un assassin, d'une victime, bref à réagir
comme s'il était un autre. Les images qui nous dominent,
c'est le triomphe de ce qui n'est pas nous et de ce qui nous chasse
de nous-mêmes ; de ce qui nous transforme en objets à
classer, étiqueter, hiérarchiser selon le système
de la marchandise universalisée.
b) Il existe un langage au service du pouvoir hiérarchisé.
Il n'est pas seulement dans l'information, la publicité,
les idées toutes faites, les habitudes, les gestes conditionnés
mais aussi dans tout langage qui ne prépare pas la révolution
de la vie quotidienne, dans tout langage qui n'est pas mis au service
de nos plaisirs.
c) Le système marchand impose ses représentations,
ses images, son sens, son langage chaque fois que l'on
travaille pour lui, c'est-à-dire la plupart du temps. Cet
ensemble d'idées, d'images, d'identifications, de conduites
déterminées par la nécessité d'accumulation
et de renouvellement de la marchandise forme le SPECTACLE où
chacun joue ce qu'il ne vit pas réellement et vit faussement
ce qu'il n'est pas. C'est pourquoi le rôle est un mensonge
vivant, et la survie un malaise sans fin.
d) Le spectacle (idéologies, culture, art, rôles,
images, représentations, mots-marchandises) est l'ensemble
des conduites sociales par lesquelles les hommes entrent dans le
système marchand, y participent contre eux-mêmes en
devenant des objets de survie - des marchandises -, en renonçant
au plaisir de vivre réellement pour eux et de construire
librement leur vie quotidienne.
e) Nous survivons dans un ensemble d'images auxquelles nous sommes
poussés à nous identifier. Nous agissons de moins
en moins par nous-mêmes et de plus en plus en fonction d'abstractions
qui nous dirigent selon les lois du système marchand (profit
et pouvoir).
f) Les rôles ou les idéologies peuvent être
favorables ou hostiles au système dominant, cela importe
peu puisqu'elles restent dans le spectacle, dans le système
dominant. Seul ce qui détruit la marchandise et son spectacle
est révolutionnaire.
De fait, vous en avez assez du mensonge organisé, de la
réalité inversée, des grimaces qui singent
la vraie vie et achèvent de l'appauvrir. Vous luttez déjà,
consciemment ou non, pour une société où le
droit de communication réelle appartienne à tous,
où chacun puisse faire connaître ce qui le concerne
grâce à la libre disposition des techniques (imprimeries,
télécommunications), où la construction d'une
vie passionnante liquide la nécessité de tenir un
rôle et d'accorder plus de poids à l'apparence qu'au
vécu authentique. (Voir III, 40 à 46).
8. Vous arrive-t-il d'éprouver le sentiment désagréable
qu'en dehors de rares moments vous ne vous appartenez pas, vous
devenez étranger à vous-même ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) A travers chacun de nos gestes - mécanisés, répétés,
séparés les uns des autres - le temps s'émiette
et, morceau par morceau, nous arrache à nous-mêmes.
Et ces temps morts se reproduisent et s accumulent en travaillant
et en nous faisant travailler pour la reproduction et l'accumulation
des marchandises.
b) Le vieillissement n'est rien d'autre aujourd'hui que l'accroissement
des temps morts, du temps où la vie se perd.
C'est pourquoi il n'y a plus ni jeunes ni vieux mais des individus
plus ou moins vivants. Nos ennemis sont ceux qui croient et font
croire que le changement global est impossible, ce sont les morts
qui nous gouvernent et les morts qui se laissent gouverner.
c) Nous travaillons, mangeons, lisons, dormons, consommons, prenons
des loisirs, absorbons de la culture, recevons des soins, et ainsi
nous survivons comme des plantes d'appartement. Nous survivons contre
tout ce qui nous incite à vivre.
Nous survivons pour un système totalitaire et inhumain -
une religion de choses et d'images - qui nous récupère
presque partout et presque toujours pour augmenter les profits et
les pouvoirs en miettes de la classe bureaucratico-bourgeoise.
d) Nous serions simplement ce qui fait survivre le système
marchand si parfois nous ne redevenions soudain nous- mêmes,
si nous n'étions saisis par l'envie de vivre passionnément.
Au lieu d'être vécus par procuration, par images interposées,
les moments authentiquement vécus et le plaisir sans réserve,
allié au refus de ce qui l'entrave ou le falsifie, sont autant
de coups portés au système spectaculaire-marchand.
Il suffit de leur donner plus de cohérence pour les étendre,
les multiplier et les renforcer.
e) En créant passionnément les conditions favorables
au développement des passions, nous voulons détruire
ce qui nous détruit. La révolution est la passion
qui permet toutes les autres. Passion sans révolution n'est
que ruine du plaisir.
De fait, vous en avez assez de traîner de temps morts en
contraintes. Et vous luttez déjà, consciemment ou
non, pour une société dont la base ne sera plus la
course au profit et au pouvoir mais la recherche et l'harmonisation
des passions à vivre. (Voir III, 75 à 92).
9. Avez-vous déjà éprouvé le désir
de détruire par le feu une usine de distribution (supermarché,
magasin à grande surface, entrepôt) ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) La vraie pollution est la pollution par la marchandise universalisée,
étendue à tous les aspects de la vie. Chaque marchandise
exposée dans un supermarché est l'éloge cynique
de l'oppression salariale, du mensonge qui fait vendre, de l'échange,
du chef et du flic qui servent à les protéger.
b) L'exposition des marchandises est un moment de la survie et
la glorification de sa misère éloge de la vie perdue
en heures de travail forcé ; des sacrifices consentis pour
acheter de la merde (nourriture trafiquée, gadgets, voitures-cercueils,
cages d'habitation, objets conçus pour se déglinguer...)
; des refoulements ; des plaisirs-angoisse ; des images dérisoires
proposées en échange d'une absence de vraie vie et
achetées par compensation.
________________________________________
c) L'incendie d'un grand magasin n'est qu'un acte terroriste. En
effet, puisque la marchandise est conçue pour se détruire
elle-même et être remplacée, l'incendie ne détruit
pas le système marchand mais y participe avec seulement trop
de brutalité. Or il ne s'agit pas que la marchandise nous
détruise en se détruisant elle-même. Il faut
la détruire totalement pour construire l'autogestion généralisée.
De fait, vous en avez assez des décors de l'ennui et du
voyeurisme ; d'un monde où ce qui se voit empêche de
vivre et où ce qui empêche de vivre se donne à
voir comme caricature abstraite de vie. Et vous luttez déjà,
consciemment ou non, pour une société où la
vraie fin de la marchandise est dans le libre usage des produits
créés par la fin du travail forcé. Contre le
travail qui interdit l'abondance et en produit seulement le reflet
mensonger, nous voulons l'abondance qui invite à la créati-
vité et aux passions. (Voir III 47 à 58).
10. Avez-vous déjà éprouvé le désir
d'emporter de l'usine ou d'un magasin tel ou tel objet, pour la
bonne raison que vous avez participé à sa production
ou pour la raison, meilleure encore, que vous en avez besoin ou
envie ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Ce n'est pas voler que reprendre son bien. Les seuls voleurs
sont les serviteurs du système marchand et les hommes de
main de l'Etat : patrons, bureaucrates, policiers, magistrats, sociologues,
urbanistes, idéologues. C'est parce que nous tardons à
les condamner pratiquement à la disparition qu'ils osent
encore condamner légalement un ouvrier qui prend dans une
usine ou un magasin ce dont il a besoin.
b) Un produit industriel ou agricole n'a d'intérêt
que s'il sert librement aux satisfactions de chacun. C'est un crime
contre le droit à la jouissance que de le transformer en
marchandise, en élément d'échange et de spectacle.
c) La condition nécessaire pour qu'un objet dérobé
au processus marchand n'y retourne pas, c'est évidemment
qu'il ne soit ni revendu, ni approprié à titre privé,
ni échangé coutre une part d'argent ou de pouvoir
(voler pour jouer au caïd, pour tenir un rôle, c'est
toujours reproduire le processus spectaculaire-marchand, qu'il soit
ou non toléré par l'Etat).
d) La condition pour qu'un objet, ou une attitude, ne soit pas
récupéré par le système marchand, c'est
de l'employer contre lui, de le tourner contre la marchandise saisie
dans son propre mouvement (ce mouvement qui transforme un produit
en marchandise va de l'objet concret à sa représentation
abstraite, et sa représentation abstraite est à son
tour concrétisée en divers conditionnements d'attitudes
sociales - les rôles).
e) La destruction complète de la marchandise ne peut se
faire que par le détournement collectif des biens industriels
et agricoles au profit de l'autogestion généralisée
et par l'autogestion généralisée.
De fait, vous en avez assez de passer par la soumission à
l'argent et aux rôles pour obtenir en échange les biens
nécessaires à un semblant de vie. Vous luttez déjà,
consciemment ou non, pour une société où la
gratuité et le don soient les seuls rapports sociaux possibles.
(Voir III 54, 55, 56).
11. Avez-vous déjà participé au pillage d'une
usine de distribution (super-marché, grand magasin, discount)
?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) La reprise individuelle des biens volés par l'Etat et
par le patronat retombe dans le processus marchand si elle ne se
transforme pas en une action collective et en une liquidation totale
du système (si sympathique que le geste soit, il ne suffit
pas de reprendre les biens, il faut aussi reprendre l'espace et
le temps volés).
b) Le pillage est une réaction normale à la provocation
marchande (voyez les inscriptions « offre gratuite »,
« libre- service », etc.). Comme l'incendie dit criminel,
il n'est qu'un avatar du système. De même que le système
marchand s'accommode d'un certain pourcentage de vols dans les grands
magasins et les usines, de même il s'accommodera aussi d'un
certain pourcentage de mises à sac, et il calculera son autorégulation
en fonction de ces « accidents » prévisibles
et programmables. Le fait est si évident qu'un représentant
de la loi, le juge Kinnard, juge unique au tribunal correctionnel
de Liège a refusé, le 12 septembre 1973, de sanctionner
pénalement des vols à l'étalage, avec les remarquables
attendus suivants : « Les vols à l'étalage dans
les magasins organisés en libre service sont la conséquence
inéluctable et d'ailleurs prévue dans les charges
d'exploitation de ce genre de commerce où les publicités
tapageuses et les tentations multiples scientifiquement étalées
forment pour les consommateurs une provocation à acheter
bien au-delà, soit de leurs besoins, soit de leurs possibilités
d'achats. Les vols à l'étalage ne dénotent
généralement pas dans le chef de leur auteur une mentalité
ou une attitude qui mériterait d'être sanctionnée
pénalement. » Ce qui fera sans doute jurisprudence.
c) Si, dans le pillage, chacun s'approprie des biens comme s'ils
devenaient sa propriété privée, la marchandise
reparaît et le système se renouvelle (dans ce cas,
mieux vaut tout détruire : on assure au moins la disparition
de 90 % de merdes).
d) Sans la conscience de l'autogestion généralisée,
le pillage n'est au mieux qu'un mode de distribution incohérent.
Il est un acte séparé des conditions révolutionnaires
où la collectivité, qui crée les biens, les
distribue directement à ses membres. Il risque, dès
lors, en débouchant sur la disette et le manque de produits
utiles, d'engendrer la confusion dans les
esprits et de provoquer un retour aux mécanismes de la distribution
marchande.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où la production non salariée
et la distribution gratuite des biens sont rendues possibles par
la suppression de la propriété et le regroupement
des producteurs en assemblées d'autogestion. C'est là
que la volonté de chacun se manifeste par la voix de délégués
contrôlés et révocables à tout instant.
Ces délégués dressent le bilan des biens disponibles
et harmonisent les offres de création productives et les
demandes individuelles, en sorte que l'abondance s'installe de façon
progressive et irréversible. (Voir III 1 à 10).
12. A la première occasion, avez-vous l'intention de casser
la gueule à votre chef ou à quiconque vous traite
en subordonné ?
Si oui, vous avez compris que :
a) Devenir un chef, c'est cesser d'être humain. Le chef est
l'emballeur et l'emballage de la marchandise. Hors du système
marchand, il est sans usage. Comme les marchandises, il se reproduit
et s'accumule ; il se mesure en quantité de pouvoir, de haut
en bas de la hiérarchie. Et son pouvoir, il le tient du pouvoir
que le spectacle exerce comme volonté économique et
comme représentation sociale sur la plus grande partie de
la vie quotidienne.
b) Plus le pouvoir s'émiette et s'étend partout,
plus il se renforce et s'affaiblit. Plus il y a de chefs, plus ils
sont impuissants. Plus ils sont impuissants et plus la machine bureaucratique
tourne à vide, plus elle impose à tous l'apparence
de sa toute-puissance, et plus les gens apprennent à refuser
globalement la servitude.
c) Partout où il y a autorité, il y a sacrifice,
et inversement. Le chef et le militant sont la même pierre
d'achoppement de la révolution, le point où elle se
renverse et devient le contraire de l'émancipation.
d) L'acte terroriste qui consiste à liquider, dos à
dos, d'une même balle, bureaucrate et patron ne change rien
aux structures et ne fait qu'accélérer lé renouvellement
des cadres dirigeants. Pour liquider l'Etat et les organisations
hiérarchisées, qui le reproduisent tôt ou tard,
il faut anéantir le système marchand.
e) L'Etat est le régulateur, le centre nerveux et le réseau
protecteur de la marchandise. Il s'efforce d'équilibrer les
contradictions économiques, d'ordonner politiquement le travail
social en droits et devoirs du citoyen, d'organiser le battage idéologique
et les mécanismes répressifs qui transforment chaque
individu en serviteur du système marchand.
f) La collusion de l'État et de la marchandise peut s'estimer
au premier coup d'oeil à la rapidité d'intervention
des flics (et des milices patronales et syndicales) dès qu'une
grève sauvage éclate.
De fait, vous luttez déjà pour une société
sans contrainte ni sacrifice, où chacun est son propre maître,
et vit en de telles conditions qu'il n'a jamais à traiter
un autre homme en esclave ; une société sans classes,
où le pouvoir délégué aux conseils s'exerce
sous le regard permanent et par la volonté de chaque individu
en particulier. (Voir III 28, 29).
13. Vous réjouissez-vous à la pensée du jour
prochain où l'on pourra traiter comme des êtres humains
les flics qu'il n'aura pas été nécessaire d'abattre
sur place ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Le flic est le chien de garde du système marchand. Où
le mensonge de la marchandise ne suffit pas pour imposer l'ordre,
il sort casqué de la cuisse de la classe ou de la caste bureaucratique
dominantes.
b) Sans compter le mépris qu'il se porte, le flic est méprisé
comme tueur salarié, comme valet de tous les régimes,
comme esclave professionnel, comme marchandise de protection, comme
clause répressive du contrat économico-social imposé
par l'Etat aux citoyens.
c) Partout où il y a Etat, il y a flics. Partout où
il y a flics - à commencer par le service d'ordre des manifestations
contestataires - il y a l'Etat ou ses ébauches.
d) Toute hiérarchie est policière.
e) Abattre un flic est un passe-temps pour candidats au suicide.
Il ne faut s'y y résoudre que dans l'autodéfense,
dans le mouvement général de liquidation de tout pouvoir
hiérarchique.
f) Le bonheur n'est possible que là où l'Etat a cessé
d'exister ; où aucune condition de hiérarchisation
n'en prépare le retour.
De fait, vous en avez assez du contrôle et de la contrainte,
du flic qui vous rappelle que vous n'êtes rien et que l'Etat
est tout, du système qui crée les conditions du crime
illégal et légalise le crime des magistrats qui le
répriment. Vous luttez déjà pour une harmonisation
des intérêts passionnels (par la disparition des intérêts
économiques et spectaculaires) et pour l'organisation des
rapports entre individus par l'abondance des rencontres et la libre
diffusion des désirs. (Voir III 11 à 18).
14. Avez-vous déjà prouvé le désir
de jeter votre fiche de paie à la tête du caissier
?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Le salariat réduit l'individu à un chiffre d'affaire.
Du point de vue capitaliste, le salarié n'est pas un homme
mais un indice dans le coût de production et un certain taux
d'achat à la consommation.
b) Le salariat est la base de l'exploitation globale aussi clairement
que le travail aliéné et la production de marchandises
sont la base du système spectaculaire-marchand. L'améliorer,
c'est améliorer l'exploitation du prolétariat par
la classe bureaucratico-bourgeoise. On peut seulement le supprimer.
c) Le salariat exige le sacrifice de plus de huit heures de vie
pour huit heures de travail, échangées contre une
somme d'argent qui ne couvre qu'une petite partie du travail fourni,
le reste constituant le profit du patron. Et cette somme doit être
à son tour échangée contre des produits pollués
et trafiqués, des équipements ménagers payés
dix fois leur prix, des gadgets aliénants (la voiture qui
permet de travailler, de consommer, de polluer, de détruire
le paysage, de gagner du temps vide et de se tuer) ; sans compter
les redevances à l'Etat, aux spécialistes, aux rackets
syndicaux...
d) Il est faux de croire que les revendications de salaire peuvent
mettre en danger le capitalisme privé ou d'Etat : le patronat
n'accorde aux ouvriers que l'augmentation nécessaire aux
syndicats pour démontrer qu'ils servent encore à quelque
chose ; et les syndicats n'exigent du patronat (qui dispose en outre
de l'augmentation des prix à la consommation) que des sommes
qui ne mettent pas en péril un système dont ils sont
les profiteurs en second.
De fait, vous en avez assez de vivre la plus grande partie du temps
en fonction de l'argent, d'être réduit à la
dictature de l'économique, de survivre sans avoir le loisir
de vivre passionnément. Vous luttez déjà, consciemment
ou non, pour une répartition des biens utiles qui ne doive
plus rien à la course au profit et qui réponde aux
besoins réels des gens. (Voir III 31, 34, 35, 40, 51, 52).
15. Vous arrive-t-il de cracher sur le curé qui passe ?
D'avoir envie de brûler une église, un temple, une
mosquée, une synagogue ?
Si oui, vous avez compris que :
a) La religion est l'opium de la créature opprimée.
b) Toute religion appelle au sacrifice, tout ce qui appelle au
sacrifice est religieux (les militants, par exemple).
c) La religion est le modèle universel du mensonge, le renversement
du réel au profit d'un monde mythique, qui deviendra, une
fois désacralisé, le spectacle de la vie quotidienne.
d) Le système marchand désacralise ; il détruit
l'esprit religieux et ridiculise ses gadgets (pape, coran, bible,
crucifix...) mais en même temps, il le conserve comme une
incitation permanente à préférer l'apparence
au réel, la souffrance au plaisir, le spectacle au vécu,
la soumission à la liberté, le système dominant
aux passions. Le spectacle est la religion nouvelle et la culture
est son esprit critique.
e) Les symboles religieux attestent la permanence du mépris
que les régimes hiérarchiques de tous les temps ont
porté aux hommes. Pour ne prendre qu'un exemple, le Christ...
Au premier rang des succursales de produits divins, les Eglises
chrétiennes ont adopté sous la pression du processus
marchand une exhibition contorsionniste qui 11e verra sa fin qu'avec
la disparition complète de son label publicitaire, le caméléon
Jésus. Fils de dieu, fils de putain, fils de pucelle, faiseur
de miracles et de petits pains, pédéraste et puritain,
militant et membre du service d'ordre, accusateur et accusé,
homme de peine et astronaute, il n'est aucun rôle qui ne soit
à la portée de l'étonnant guignol. On l'a vu
en marchand de souffrances, en commis des grâces, en sans-culotte,
en socialiste, en fasciste, en anti-fasciste, en stalinien, en barbudo,
en reichien, en anarchiste. Il a été de toutes les
enseignes, sur tous les drapeaux, de tous les mépris de soi,
des deux côtés de la trique, de la plupart des exécutions
capitales, où il tient aussi bien dans la main du bourreau
que dans celle du condamné. Il a sa place dans les commissariats,
les prisons, les écoles, les bordels, les casernes, les magasins
à grande surface, les aires de guérilla. Il a servi
de pendentif, de poteau indicateur, d'épouvantail pour garder
les morts en paix et les vivants à genoux, de torture et
de régime amaigrissant ; il servira de godemiché quand
les marchands de saints prépuces auront réhabilité
commercialement le péché. Pauvre Mahomet, pauvre Bouddha,
pauvre Confucius, tristes représentants de firmes concurrentes
et sans imagination ni dynamisme, Jésus l'emporte sur tous
les fronts. Jésus-Christ super-drogue et super-star toutes
les images du vendu à dieu en promotion-vente de dieu.
La peau de couille de grand-papa-personne tirée à
trois épingles et montée en amulette est le symbole
le plus accompli de l'homme comme marchandise universelle.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où aura disparu l'organisation
de la souffrance et de ses compensations, où chacun étant
son propre maître l'idée de dieu n'aura plus de sens,
où surtout les problèmes du vécu authentique
et des passions à satisfaire l'emporteront définitivement
sur les problèmes de la vie inversée et des passions
à refouler. (Voir III 75 à 92).
16. Etes-vous écoeuré par la destruction systématique
de la campagne et du paysage urbain ?
Dans ce cas, vous comprenez que :
a) L'urbanisme est l'appropriation du territoire par le système
marchand et ses polices.
b) La misère du décor spectaculaire est le décor
de la misère générale.
c) Urbaniste = sociologue = idéologue = flic.
d) Pour le système dominant, il n'y a plus ni paysage, ni
nature, ni rue à flâner mais rentabilité du
m2 ; plus-value de prestige par le maintien d'un cadre de verdure,
d'arbres ou de rocailles ; expulsions et regroupements hiérarchisés
de la population ; quadrillage policier des quartiers populaires
; habitat étudié pour conditionner à l'ennui
et à la passivité.
e) Le pouvoir n'essaie même plus de dissimuler le fait que
l'aménagement du territoire est principalement et directement
conçu en fonction d'une prochaine guerre civile : les routes
sont renforcées en prévision du passage des chars
;
les tours et les ensembles nouvellement construits abritent des
caméras qui transmettent à la préfecture, vingt-quatre
heures sur vingt-quatre, une vue panoramique des rues ; dans les
immeubles modernes, des « chambres de tir » sont prévues
à l'usage des tireurs d'élite de la police.
f) Le regard que le système dominant porte sur tout transforme
tout en marchandise. L'idéologie est l'oeil artificiel du
pouvoir, celui qui permet de voir vivant ce qui est déjà
mort, ce qui est déjà transformé en marchandise.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où votre volonté d'échapper
à l'urbanisme et aux idéologies se traduira par la
liberté d'organiser selon vos passions l'espace et le temps
de votre vie quotidienne, de construire vos propres lieux d'habitation,
de pratiquer le nomadisme, de rendre les villes passionnantes et
ludiques. (Voir III 93 à 98).
17. Eprouvez-vous le désir de faire l'amour - non par habitude
mais passionnément - à votre partenaire, au premier
ou à la première venue, à votre fille, à
vos parents, à vos amis et amies, à vos frères
et soeurs ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Il faut en finir avec les réserves imposées à
l'amour, qu'il s'agisse de tabous, de convenances, d'appropriation,
de contrainte, de jalousie, de libertinage, de viol, de toutes les
formes d'échange qui, du scandinavisme à la prostitution,
transforment l'art d'aimer en rapports entre choses.
b) Vous en avez assez du plaisir mêlé d'angoisse ;
de l'amour vécu de façon incomplète, déformée
ou inauthentique ;
du baisage par procuration et images interposées ; de la
fornication mélancolique ; des orgasmes débiles ;
des rapports hygiéniques ; des passions engorgées,
refoulées et mettant à se détruire l'énergie
qu'elles mettraient à se réaliser dans une société
qui favoriserait leur harmonisation.
c) Tout le monde recherche, en se l'avouant ou non, l'amour-passion
multiple et unitaire. Nous voulons créer socialement les
conditions historiques d'une aventure passionnelle permanente, d'une
jouissance sans autre limite que l'épuisement des possibles,
d'un jeu où le plaisir et le déplaisir redécouvrent
leur positivité (par exemple dans la naissance et dans la
fin d'une liaison amoureuse libre).
d) L'amour est inséparable de la réalisation individuelle,
de la communication entre les individus (des possibilités
de rencontres), de la participation authentique et passionnelle
à un projet commun. Il est inséparable de la lutte
pour l'autogestion généralisée.
e) Il n'y a pas de plaisir qui ne découvre son sens dans
la lutte révolutionnaire et de même, la révolution
n'a pas d'autre but que de réaliser tous les plaisirs dans
leur libre développement.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où le maximum de possibilités
sera socialement agencé pour multiplier les regroupements
libres et changeants entre gens attirés par les mêmes
activités, les mêmes plaisirs ;
où les attractions fondées sur le goût de la
variété, de l'enthousiasme, des jeux tiendront compte
aussi bien des accords que des désaccords et des écarts.
(Voir III 75 à 92).
18. Vous arrive-t-il de vous sentir mal dans votre peau chaque
fois que les circonstances dominantes vous obligent à tenir
un rôle ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Il n'y a de plaisir total qu'à devenir ce que l'on est,
qu'à se réaliser comme homme de désirs et de
passions. Au contraire, les relations sociales, organisées
comme spectacle de la vie quotidienne, imposent à chacun
de se conformer à une série d'apparences et de comportements
inauthentiques ; elles incitent à s'identifier à des
images, à des rôles.
b) Les rôles sont la misère faussement vécue
qui compense la misère vécue réellement. Les
rôles (de chef, de subordonné, de père ou mère
de famille, d'enfant soumis ou révolté, de contestataire,
de conformiste, d'idéologue, de séducteur, d'homme
de prestige, de théoricien, d'activiste, de pédant
cultivé, etc.) obéissent tous à la loi d'accumulation
et de reproduction des images dans l'organisation spectaculaire
de la marchandise. Et en même temps, ils dissimulent et entretiennent
l'impuissance réelle des individus à changer réellement
leur vie quotidienne, à la rendre passionnante, à
la vivre comme un ensemble de passions harmonisées.
c) Le refus des rôles passe par le refus des conditions dominantes
(il est bon de se souvenir que le rôle peut aussi servir de
protection, ainsi le rôle de bon ouvrier, couvrant des activités
de sabotage et de détournement).
d) Il ne s'agit pas de changer de rôle mais de liquider le
système qui contraint à se jouer de soi contre sa
propre volonté. La lutte révolutionnaire est la lutte
pour la vie authentiquement vécue.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
le droit à l'authenticité, pour la fin des dissimulations
et des mensonges imposés, pour le droit d'affirmer la spécificité
de chacun sans le juger ni le condamner mais au contraire en lui
permettant de donner libre cours à ses désirs et à
ses passions, si singulières soient-elles. Vous luttez pour
une société où la vérité sera
pratique et de chaque instant. (Voir III 11 à 18, 40 à
46).
19. Eprouvez-vous une méfiance instinctive pour tout ce
qui est intellectuel et pousse à l'intellectualisation ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) La fonction intellectuelle est, avec la fonction manuelle, le
résultat de la division sociale du travail. La fonction intellectuelle
est une fonction de maître, la fonction manuelle une fonction
d'esclave. L'une et l'autre sont également méprisables
et nous les abolirons en abolissant la division du travail et la
société de classes.
b) Dans la lutte de la bourgeoisie révolutionnaire contre
la classe féodale et l'esprit religieux, la culture a été
une arme de libération partielle, une arme de démystification.
Quand la bourgeoisie est devenue à son tour une classe dominante,
la culture a gardé pour un temps sa forme révolutionnaire.
Des intellectuels comme Fourier, Marx, Bakounine ont tiré
des revendications prolétariennes, exprimées dans
les grèves et les émeutes, une théorie radicale
qui, prise en conscience et pratiquée par les ouvriers, aurait
pu liquider rapidement la bourgeoisie.
c) Au contraire, les penseurs spécialisés du prolétariat
- intellectuels ouvriéristes et ouvriers intellectualisés
- en jouant les tribuns, les hommes politiques, les guides de la
classe ouvrière, ont transformé la théorie
radicale en idéologie, c'est-à-dire en mensonge, en
idées au service des maîtres. Le socialisme et les
variétés de jacobinisme (blanquisme, bolchevisme...)
ont été ce mouvement qui annonce la dictature bureaucratique
sur le prolétariat, telle qu'elle apparaît avec tous
les partis dits ouvriers, les syndicats et les organisations gauchistes.
d) Les intellectuels sont l'armée de réserve de la
bureaucratie, qu'il s'agisse d'intellectuels ouvriéristes
ou d'ouvriers intellectualistes.
e) La culture est aujourd'hui la forme d'intégration intellectuelle
au spectacle, le label de qualité qui fait vendre toutes
les marchandises, l'initiation au monde inversé de la marchandise.
Sous le prétexte de la nécessité de s'instruire,
la culture récupère le besoin de connaissance pratique
et le transforme en savoir séparé ; elle impose une
plus-value de savoir abstrait, une compensation au vide de la survie
quotidienne, une promotion dans la bureaucratie des spécialistes.
Parce qu'elle est un savoir qui se veut sans emploi, elle finit
toujours par servir le système spectaculaire-marchand.
f) En particulier, le prétendu savoir économique
est une mystification bureaucratico-bourgeoise. Il n'a de sens que
dans l'organisation capitaliste de l'économie, et encore
! Une fois celle-ci abolie, chaque ouvrier est mieux préparé
à organiser la nouvelle production que le plus savant des
économistes (Sans même aller au-delà du réformisme,
les travailleurs de Lip ont prouvé qu'ils étaient
capables de faire marcher l'usine et de se passer des cadres).
g) Le refus de l'intellectualisation n'a pas de sens hors de la
lutte pour la liquidation de la division du travail, de la hié-
rarchie, de l'Etat.
h) Les intellectuels ouvriéristes sont des cons et des salauds.
Comme intellectuels, ils acceptent, honteusement ou non, de conserver
une mission dirigeante. Sous le rôle et la fonction d'ouvrier,
ils perpétuent la duperie du rôle et une fonction d'esclave
dont aucun ouvrier ne veut plus. En choisissant de travailler en
usines alors que les ouvriers sont obligés de le faire et
n'attendent que le moment de se libérer définitivement
du travail, ils sont ridicules et contre-révolutionnaires
(car l'appel au sacrifice est toujours contre-révolutionnaire).
i) Les ouvriers qui sont fiers de l'être sont des cons serviles.
Les ouvriers intellectualistes sont aussi salauds que n'importe
quel candidat dirigeant, misant sur la servilité des «
bons ouvriers ».
j) La théorie radicale, issue des luttes d'émancipation
du prolétariat, appartient désormais, sous sa forme
la plus claire et la plus simple, à ceux qui sont capables
de la pratiquer, aux ouvriers révolutionnaires, c'est-à-dire
à tous les prolétaires qui luttent pour la fin du
prolétariat et de la société de classes. Elle
appartient à tons ceux qui engagent le combat pour l'autogestion
généralisée, pour la société
des maîtres sans esclaves.
De fait, vous luttez déjà pour une société
qui s'organise de telle façon que les séparations
disparaissent, que la diversité s'accroisse dans l'unité
du projet révolutionnaire, que l'ensemble des connaissances
emprisonnées dans la culture soit rendu à la pratique
d'enrichissement de la vie quotidienne ; que le savoir soit partout
où est le plaisir ; que passion et raison soient inséparables
; et que la suppression de la division du travail, poussée
à ses extrêmes conséquences, crée vraiment
les conditions d'harmonisation sociale. (Voir III 47 à 58).
20. Eprouvez-vous un égal mépris pour ceux qui font
de la politique et pour ceux qui n'en font pas mais laissent les
autres la
faire pour eux ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Il est de tradition de considérer les hommes politiques
comme les clowns du spectacle idéologique. Cela permet de
les mépriser tout en continuant de voter pour eux. Personne
ne leur échappe tout à fait puisque personne n'échappe
tout à fait à l'organisation spectaculaire du vieux
monde.
b) La politique est toujours la raison d'Etat. Pour en finir avec
elle> il faut en finir avec le système spectaculaire-
marchand et son organisation de protection, l'Etat.
c) Il n'y a pas de parlementarisme révolutionnaire, comme
il n'y a pas et n'y aura jamais d'Etat révolutionnaire. Entre
les régimes parlementaires et les régimes dictatoriaux,
il n'y a que la différence entre la force du mensonge et
la vérité de la terreur.
d) Comme toute idéologie, comme toute activité séparée,
la politique récupère les revendications radicales
pour les morceler et les transformer en leur contraire. Par exemple,
la volonté de changer la vie devient, entre les mains des
partis et des syndicats, une revendication de salaire, une demande
de temps libre et autres améliorations de la survie qui ne
font qu'accroître le malaise en le rendant plus ou moins confortable
momentanément.
e) Les grandes idéologies politiques (nationalisme, socialisme,
communisme) ont perdu leur attrait à mesure que les conduites
sociales imposées par l'impérialisme de la marchandise
multipliaient les « idéologies de poche ». A
leur tour, les miettes idéologiques (les idées sur
la pollution, l'art, le confort, l'éducation, l'avortement,
les ratons laveurs) se politisent en regroupements grossiers vers
le droitisme ou 1e gauchisme. Ce n'est là qu'une façon
d'éloigner chacun de l'unique préoccupation qui lui
tient vraiment à coeur : changer sa propre vie quotidienne
dans le sens de l'enrichissement et des aventures passionnelles.
f) Il n'est personne qui ne se batte pour soi et n'en arrive la
plupart du temps à se battre contre lui-même. L'action
politique est une des causes principales de cette inversion du résultat
recherché. Seule la lutte pour l'autogestion de tous en tout
répond au désir réel de chaque individu. C'est
pourquoi elle n'est ni politique ni apolitique mais sociale et totale.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où la décision appartient
à tous ; où les divergences entre les individus et
les groupes sont agencées de telle sorte qu'elles n'aboutissent
pas à des destructions mutuelles mais au contraire se renforcent
et profitent à tous. Il faut que la part ludique emprisonnée
et engorgée dans la politique se libère dans un jeu
des rapports entre les individus et entre les groupes d'affinités,
par relations équilibrées et harmonisées d'accords
et de discords. (Voir III 75 à 92).
21. Avez-vous depuis longtemps déchiré votre carte
syndicale ?
Si oui, vous avez compris que :
a) Il est faux de se croire trahi par les syndicats. Ceux-ci forment
une organisation, séparée des travailleurs et qui
devient nécessairement un pouvoir bureaucratique s'exerçant
contre eux tout en organisant le spectacle de leur défense.
b) Créés pour la défense des intérêts
immédiats d'un prolétariat sur-exploité, les
syndicats sont devenus, avec le développement du capitalisme,
les courtiers attitrés de la force de travail. Leur but n'est
pas d'abolir le salariat mais de l'améliorer. Ils sont donc
les meilleurs serviteurs du capitalisme qui règne, sous la
forme privée ou étatisée, dans le monde entier.
c) L'idée anarchiste d'un « syndicat révolutionnaire
» est déjà la récupération bureaucratique
du pouvoir direct que les travailleurs peuvent exercer directement
en se réunissant en assemblées de conseils. Née
d'un refus du politique au nom du social, elle retombe dans le piège
de la séparation et des leaders (même si certains d'entre
eux ne veulent pas se conduire en chefs).
d) Les syndicats sont la bureaucratie para-étatique qui
complète et perfectionne le pouvoir que la classe bourgeoise
exerce sur le prolétariat.
De fait, vous luttez déjà à chaque grève
sauvage pour affirmer directement le pouvoir de tous contre toute
représentation qui marque une séparation. Nous ne
voulons plus de délégués syndicaux mais des
assemblées où les décisions soient prises par
tous et appliquées au profit de tous. Au lieu de discuter
sur la reprise ou non du travail, nous voulons nous prononcer sur
l'usage que nous allons faire des usines et de nous-mêmes.
Nous voulons traduire notre volonté dans les faits en élisant
un conseil, dont chaque membre soit révocable à chaque
instant, et qui soit chargé d'appliquer les décisions
prises par l'assemblée. (Voir III 27 à 39).
22. Vous arrive-t-il d'en avoir assez de votre épouse, de
votre époux, de vos parents, de vos enfants, des corvées
ménagères, des obligations familiales ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) La famille est la plus petite unité d'oppression sociale,
l'école du mensonge, l'apprentissage du rôle, le
conditionnement à la soumission, le chemin du refoulement,
la destruction systématique de la créativité
de l'enfance, le lieu commun de la bêtise, du ressentiment,
de la révolte téléguidée.
b) L'autorité familiale n'a cessé de décroître
et d'être contestée à mesure que le système
marchand diminue le pouvoir des hommes au profit de mécanismes
oppressifs où les gens de pouvoir ne sont que des rouages.
Le système marchand conserve ainsi la famille en la vidant
de ses significations anciennes presque humaines ; elle n'en devient
que plus insupportable.
c) La famille est le lieu où toutes les humiliations d'avoir
été traités en objets dans la société
de survie donnent le droit d'humilier et de transformer en objets
ceux qui en font partie.
d) L'émancipation des femmes est inséparable de l'émancipation
des enfants et de l'émancipation des hommes.
L'abolition de la famille est inséparable de la liquidation
du système spectaculaire-marchand. Toute revendication séparée
de l'ensemble (Mouvement de libération de la femme, Mouvement
de libération de l'enfant, Front homosexuel d'action révolutionnaire...)
n'est que réformisme et ne fait qu'entretenir l'oppression.
e) L'impérialisme marchand, qui détruit la famille
traditionnelle, fait de la famille le lieu de passivité et
de soumission au système (et de sa contestation qui nourrit
les querelles de détail).
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où chacun dispose librement de
lui-même sans dépendre de qui que ce soit, sans être
soumis à un système oppressif, ne se posant que des
problèmes d'harmonisation de ses désirs. Une société
qui se préoccupe prioritairement de la suppression des corvées
domestiques et qui laisse l9éducation des enfants aux volontaires,
à commencer par les enfants eux-mêmes. (Voir III 35,
38, 44, 76, 83, 89, 90).
23. Avez-vous souvent l'impression d'être dans un monde à
l'envers, où les gens font le contraire de ce qu'ils désirent,
passent le temps à se détruire et à révérer
ce qui les détruit, obéissent à des abstractions
et y sacrifient leur vie réelle ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) Le travail aliéné est la base de toutes les aliénations.
Il est à l'origine historique de la division sociale en maîtres
et esclaves, et de toutes les séparations qui en découlent
(religion, culture, économie, politique), de tout ce qui
détruit l'homme en prenant un visage humain.
b) Ce sont les produits, les relations sociales, les images et
représentations créées par les producteurs,
dans des conditions telles que ceux-ci en sont dépossédés
et les voient se retourner contre eux, qui masquent leur hostilité
et leur inhumanité sous des apparences inverses de ce qu'ils
sont réellement (le maître se dit le serviteur des
esclaves, les exploiteurs du prolétariat se prétendent
au service du peuple, les images du vécu se donnent pour
la seule réalité authentique, etc.).
c) La différence de plus en plus sensible et de plus en
plus insupportable entre les misères quotidiennes de la survie,
les représentations mensongères qui nous en sont proposées
et l'aspiration commune à tous de vivre une vraie vie montre
chaque jour plus nettement que la lutte est engagée entre
le parti de la survie et de la décomposition et le parti
de la vie et du dépassement ; que la lutte finale pour la
société sans classes, historiquement inévitable
aujourd'hui, dresse le prolétariat, qui en a assez de son
esclavage et qui réclame l'autogestion de tout et de tous,
contre le système marchand et ses serviteurs, bourgeoisie
et bureaucratie toutes deux sous le même casque protecteur
de l'Etat.
d) La recherche du bonheur est la recherche du vécu authentique,
non falsifié, non inversé, non sacrifié. S'accepter
tel que l'on est, dans sa spécificité particulière,
est une conquête qui suppose la liquidation du système
marchand et l'organisation collective harmonisée des passions
individuelles.
De fait, nous en avons assez d'une existence dominée par
le contraire de la recherche du bonheur individuel ;
dominée par des secteurs séparés (économie,
politique, culture et tous les éléments du spectacle)
qui absorbent toute notre énergie et nous empêchent
de vivre. Nous luttons pour le renversement du monde inversé,
pour la réalisation des désirs et des passions dans
des relations sociales débarrassées des impératifs
de rentabilité et de pouvoirs hiérarchisés.
(Voir III 11 à 18).
24. Trouvez-vous ridicule et odieux de faire une distinction entre
travailleur immigré et travailleur autochtone ?
Dans ce cas, vous avez compris que a) Le vieux principe «
les prolétaires n'ont pas de patrie » reste parfaitement
vrai, et il faut le rappeler sans cesse devant toutes les conneries
nationalistes et racistes.
b) De même, il faut rappeler sans cesse que l'émancipation
du prolétariat est une tâche historique et internationale.
Seule la pratique des ouvriers révolutionnaires dans le
monde entier créera de fait l'internationale des conseils
d'autogestion généralisée.
c) La classe dirigeante et ses serviteurs font tout pour imposer
une distinction entre travailleurs immigrés et travailleurs
autochtones. A ces derniers, qu'ils méprisent comme des objets
de rendements, ils font croire qu'il existe encore plus méprisé
qu'eux.
d) La participation des immigrés aux luttes les plus dures
est aussi une lutte contre leur propre bourgeoisie, qui les vend
dans la meilleure tradition de la traite des esclaves. En ce sens
aussi, ils forment avec tous les autres ouvriers révo- lutionnaires
la base d'une véritable internationale de l'autogestion généralisée.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où les différences, qu'elles
soient de race, de sexe, d'âge, de caractère, de passions,
de désirs ne créent plus de barrière mais au
contraire servent à l'harmonisation pour le plus grand accroissement
de plaisir et de bonheur de tous. Vous luttez pour la réalisation
de l'autogestion individuelle et collective sur des bases internationales,
liquidant les préjugés imbéciles des nationalismes,
des régionalismes, des attachements géographiques.
(Voir III 19 à 26).
25. Eprouvez-vous le besoin de parler à quelqu'un qui vous
comprenne et agisse dans le même sens que vous (refus du travail,
des contraintes, de la marchandise et de la vérité
des mensonges que constitue le spectacle) ?
Dans ce cas, vous avez compris que :
a) L'habitude de parler pour ne rien dire, de se perdre dans de
faux problèmes, de prêter l'oreille à ceux qui
parlent d'une façon et agissent d'une autre, de se laisser
aller à l'usure des conneries quotidiennes et du répétitif,
est encore une façon d'empêcher chacun de reconnaître
dans ses passions et ses souhaits de vie authentique (l'inverse
des désirs d'appropriation privée inventés
par le commerce) ses véritables intérêts.
b) Toute intervention qui n'aboutit pas à des mesures pratiques
est du bavardage, une façon de noyer le poisson.
Toute mesure pratique qui n'aboutit pas à l'amélioration
de la vie de chacun ne fait que renforcer son oppression ; et rien
ne peut vraiment améliorer la vie sans la destruction du
système marchand.
c) Toute assemblée doit arriver rapidement à une
décision ou être sabotée.
d) Pendant les grèves ou avant, la discussion doit avoir
pour but la vérité pratique : répandre la conscience
de la lutte entreprise et arriver à des certitudes quant
aux actions à entreprendre.
e) Ce qui reste emprisonné dans le langage devient vite
de l'idéologie, c'est-à-dire le mensonge, comme tout
ce que racontent les membres des appareils bureaucratiques (partis,
syndicats, groupes spécialisés dans l'amélioration
du bétail ouvrier).
f) Contre le langage dominant et faux, la meilleure garantie des
assemblées de grève est d'élire très
vite un conseil de délégués seuls habilités
à suivre les directives des grévistes, sous peine
de destitution immédiate, et à les traduire en actes
sans perdre de temps.
g) Nous ne voulons plus ni beaux parleurs, ni orateurs faisant
des effets de style mais le langage des actes, des propositions
concrètes et des plans d'action bien élaborés
par nous-mêmes. Il est temps que l'effort de perfection porte
non plus sur les phrases mais sur les actes.
De fait, vous luttez déjà, consciemment ou non, pour
une société où les mots ne serviront plus à
dissimuler mais à prolonger réellement nos désirs,
à être les porte-paroles fidèles de ce que nous
voulons. (Voir III 40 à 46).
CHAPITRE II
A B C D DE LA REVOLUTION
A) Le but du sabotage et du détournement, pratiqués
individuellement ou collectivement, est de déclencher la
grève sauvage.
B) Toute grève sauvage doit devenir occupation d'usine.
C) Toute usine occupée doit être détournée
et mise immédiatement au service des révolutionnaires.
D) En élisant des délégués - révocables
à chaque instant, chargés d'enregistrer ses décisions
et de les faire appliquer - l'assemblée des grévistes
jette les bases d'une organisation sociale radicalement nouvelle
la société d'autogestion généralisée.
Dès l'occupation des usines.
1. Toute assemblée de grévistes doit devenir assemblée
d'autogestion généralisée. Il lui suffit pour
cela :
a) D'élire des délégués, à tout
instant révocables, mandatés pour donner à
ses décisions force d'application
immédiate.
b) D'assurer son autodéfense.
c) De s'étendre à l'ensemble des révolutionnaires
et d'organiser son expansion géographique selon la meilleure
efficacité de détournement possible (par exemple dans
les régions qui possèdent à la fois des ressources
agricoles et des industries prioritaires).
d) De généraliser l'autogestion en assurant, de façon
irréversible, le passage de la survie à la vie.
2. Tout le pouvoir appartient à l'assemblée, en ce
qu'il est le pouvoir que chacun veut exercer sur sa vie quotidienne.
3. La meilleure garantie contre tout autre pouvoir, nécessairement
oppressif (comme partis, syndicats, organisations hiérarchisées,
groupuscules intellectuels et activistes, tous embryons d'Etats),
c'est la construction immédiate de conditions de vie radicalement
nouvelles.
4. Seules les fédérations de délégués
réunis en conseils peuvent dissoudre l'Etat en le paralysant.
Seule la coordination des luttes pour l'autogestion généralisée
peut liquider le système marchand.
5. Toute discussion, toute intervention doit aboutir à une
proposition pratique. Une mesure prise par l'assemblée est
immédiatement exécutoire.
ORGANISER RAPIDEMENT L'AUTODEFENSE.
6. L'autodéfense est le premier droit de l'assemblée
d'autogestion généralisée. Armer les masses,
protéger et étendre la conquête du territoire
en y créant les conditions d'un mieux-vivre général.
7. La révolution ne se planifie pas et elle ne s improvise
pas, mais elle se prépare. Il est donc indispensable que
les assemblées disposent notamment des renseignements suivants
:
a) Les zones d'approvisionnement : emplacement des dépôts,
des stocks, des super-marchés, des réseaux de distribution.
Emplacement des usines présumées prioritaires et qu'il
conviendra d'automatiser au plus tôt ; emplacement des usines
présumées reconvertibles et à transformer ;
emplacement des secteurs présumés parasitaires et
à supprimer.
Répartition des zones agricoles.
b) Les zones ennemies emplacement des casernes, commissariats,
arsenaux, dépôts d'armes. Domicile et itinéraire
des chefs dont la neutralisation désorganisera les forces
étatistes.
c) Les zones de communication et de liaison : emplacement des dépôts
de camions, bus, trains, avions, garages, dépôts d'essence...
Emplacement des centres de télécommunication : radios
locales, imprimeries, télex, offsets...
d) Les zones de survie : eau, électricité, hôpitaux,
centres de soins, usines à gaz...
8. Dès qu'une région est occupée par les révolutionnaires,
elle doit être détournée aussitôt selon
deux principes indiscutables : autodéfense et distribution
gratuite des biens de production.
9. La meilleure façon d'éviter l'isolement, c'est
l'attaque. Il faut donc :
a) Créer, dans une perspective internationaliste, d'autres
foyers d'occupations et de détournements.
b) Renforcer et protéger les liaisons entre les zones révolutionnaires.
c) Isoler l'ennemi et détruire ses liaisons, recourir à
des commandos d'intervention rapide pour le harceler sur ses arrières
et éviter ses manoeuvres d'encerclement en le morcelant.
d) Désorganiser la contre-révolution en mettant hors
d'état de nuire ses chefs principaux et ses meilleurs stratèges.
e) Se servir des imprimeries, des radios locales, des télécommunications
pour répandre la vérité sur le mouvement d'autogestion
généralisée et expliquer ce que nous voulons
et ce que nous pouvons. Faire en sorte que les masses, dans chaque
quartier, dans chaque ville et village, soient au courant de ce
qui se passe dans le reste du pays. Coordonner les combats de rues
et coordonner les luttes des villes et des campagnes.
10. On évitera les tactiques anciennes, passives et statiques,
telles que barricades, manifestations de masses, luttes de type
estudiantin. Il importe au plus haut point d'inventer et d'expérimenter
des tactiques nouvelles et inattendues.
11. Le succès d'une guérilla urbaine intervenant
comme appui tactique aux usines occupées réside dans
la rapidité et l'efficacité de ses raids, d'où
l'importance de petits commandos d'intervention réunissant
ceux que les étatistes de toutes couleurs appellent déjà
les « voyous de quartier » et les « voyous d'usine
».
12. Notre objectif est d'empêcher toute violence contre le
mouvement d'autogestion généralisée, non de
le répandre par la violence. Le désarmement de l'ennemi
nous importe plus que sa liquidation physique. Plus notre action
sera résolue et rapide, moins le sang coulera.
13. Le ralliement d'une partie des gens initialement hostiles à
l'autogestion généralisée est la pierre de
touche qui permettra de juger de la réussite des premières
mesures adoptées et de leur excellence pour tous.
14. Néanmoins, il faut compter avec les conditionnés
de la hiérarchie que les habitudes d'esclaves, le mépris
de soi, l'ancrage du refoulement et le goût du sacrifice poussent
à leur propre destruction et à la destruction de tous
les progrès de la liberté concrète. Voilà
pourquoi il est utile de neutraliser dès le début
de l'action insurrectionnelle les ennemis de l'intérieur
(chefs syndicaux, hommes de parti, ouvriéristes, jaunes)
et les ennemis de l'extérieur (patrons, cadres, flics, armée).
15. En cas d'isolement ou de dépérissement de l'insurrection,
l'autodéfense prescrit d'analyser différentes formes
de repli possibles. Ces formes varieront selon le degré de
la lutte engagée, la nature des fautes commises (par exemple
l'incohérence interne du mouvement), la violence des moyens
mis en oeuvre par l'ennemi, la répression prévisible,
etc.
16. Nous n'avons pas à craindre un échec mais à
tenter l'impossible et le possible pour le prévoir, l'éviter
et parer à la répression. « N'est pas un révolutionnaire
mais un individu qui ne s'est pas encore libéré de
l'intellectualisme et qui objectivement se tourne vers la contre-révolution
celui qui n'admet la révolution prolétarienne que
si elle s'accomplit facilement et sans heurts, s'assure immédiatement
le concours du prolétariat mondial et élimine à
l'avance l'éventualité des défaites. »
17. Les massacreurs de la Commune de Paris et de Budapest nous ont
appris que la répression est toujours impitoyable et que
la paix des cimetières est l'unique promesse tenue par les
forces de l'ordre étatique. A un stade de l'affrontement
où la répression n'épargnera personne, n 'épargnons
aucun de ces lâches qui attendent notre défaite pour
se transformer en bourreaux. Brûlons les quartiers résidentiels,
liquidons les otages, ruinons l'économie afin qu'il ne subsiste
rien de ce qui nous a empêchés d'être tout.
18. Instruits de ce qui nous attend en cas d'échec et résolus,
une fois notre victoire assurée, à ne pas tenir grief
aux anciens ennemis, nous sommes prêts à employer toutes
les formes de dissuasion au cours de la lutte, et notamment la destruction
des machines, des stocks et des otages dans le but d'obtenir le
retrait et le désarmement des forces étatistes. A
un stade d'affrontement moins dur, il est utile de couper l'eau,
le gaz, l'électricité, le combustible dans les quartiers
bourgeois et de dirigeants, d'y déverser les ordures, de
saboter les ascenseurs des blocs résidentiels, etc.
19. La voix des masses ne se fait bien entendre que dans le fracas
des armes. Les dons d'invention de chacun créeront des armes
insolites et efficaces à l'usage des commandos d'autodéfense.
Au bricolage succédera le plus tôt possible la reconversion
des machines qui se trouvent dans nos usines, selon un programme
d'armement rapide défini par les assemblées d'autogestion
généralisée.
20. Parmi les armes d'intervention immédiate, il convient
de prévoir les tuyaux transformés en tubes lance-fusées
(expérimentés au Vénézuela vers les
années 1960), les fusées sol-air (expérimentées
dans les clubs de jeunes scientifiques), les catapultes pour grenades
et cocktails molotov, les lance-flammes, les mortiers, les appareils
à ultra-sons, les lasers... On étudiera aussi les
différentes formes de blindage des camions et des bulldozers
reconvertis, les gilets pare-balles, les masques à gaz, les
produits neutralisant les effets des incapacitants, l'emploi de
L.S.D. dans l'eau des ennemis, etc.
21. Etudier des armes anti-hélicoptères : amélioration
du canon à grêle, fusées sol-air, canons légers
téléguidés, lasers, tireurs d'élite,
pieux empêchant l'atterrissage...
22. Préparer la défense contre les blindés
: silos anti-tanks, fusées téléguidées,
blindicides, jets de napalm, mines...
23. Tenir les toits et les caves, créer des passages d'un
immeuble à l'autre afin de permettre le déplacement
rapide et protégé des commandos d'autodéfense.
24. Recourir à la ruse et aux armes télécommandées
afin de s'exposer le moins possible au danger.
HATER LE PASSAGE DES CONDITIONS DE SURVIE AUX CONDITIONS
DE VIE.
25. Nous l'emporterons à coup sûr si nous sommes capables
de concrétiser pour tous le passage de la survie à
la vie. Cela ne signifie pas que nous allons réussir à
abattre le système marchand dès le premier combat.
Cela signifie seulement que les premières mesures adoptées
et appliquées par les assemblées d'autogestion doivent
rendre doublement impossible tout retour en arrière en détruisant
les conditions anciennes et en créant de tels avantages que
personne n'accepte de s'en laisser déposséder.
26. Les premiers avantages de l'autogestion généralisée
porteront nécessairement sur :
a) La fin du système des échanges et du salariat
par la distribution gratuite des biens nécessaires à
la vie de chacun.
b) La fin du travail forcé par le passage des forces productives
sous le contrôle direct des assemblées d'autogestion,
et par le libre essor de la créativité individuelle
et collective.
c) La fin de l'ennui, des refoulements, des contraintes par l'organisation
de conditions sociales passionnantes, par une autonomie qui permet
à chaque individu de se réaliser en disposant de l'aide
de tous, par la reconnaissance, l'émancipation, la multiplication
et l'harmonisation de passions jusqu'aujourd'hui appauvries, sacrifiées,
engorgées, falsifiées et souvent tournées vers
la destruction.
En sorte que l'histoire enregistre, définitivement et simultanément,
en négatif l'anéantissement du système marchand
et en positif la construction d'une société radicalement
nouvelle, déjà présente au coeur de chacun.
27. Dès le début du mouvement, il s'agit d'empêcher
tout retour en arrière, de brûler derrière nous
les vaisseaux du vieux monde, en aidant à la disparition
des banques, des prisons, des asiles, des tribunaux, des bâtiments
administratifs, des casernes, des commissariats, des églises,
des symboles oppressifs. Ainsi que des dossiers, des fichiers, des
papiers d'identité, des traites et paiements à tempérament,
des feuilles d'impôt, des paperasseries financières
et autres. Destruction des réserves d'or par l'eau régale
(mélange d'acide nitrique et d'acide chlorhydrique).
28. Autant que possible, détruire les structures de la marchandise
plutôt que les personnes, et ne liquider que ceux qui espèrent
nous ramener au régime de l'exploitation, de la servitude,
du spectacle et de l'ennui.
29. La fin de la marchandise signifie la promotion du DON sous
toutes ses formes. Les assemblées d'autogestion généralisée
organiseront donc la production et la distribution des biens prioritaires.
Elles enregistreront les offres de création et de production
d'une part, les demandes individuelles d'autre part. Des tableaux
tenus à jour permettront à chacun de prendre connaissance
des stocks disponibles, du nombre et de la répartition des
demandes, de la localisation et du mouvement des forces productives.
30. Les usines seront reconverties et automatisées ou, dans
le cas de secteurs parasitaires, détruites. Un peu partout,
des ateliers de création libre seront mis à la disposition
de tous les talents.
31. Les bâtiments parasitaires (bureaux, écoles, casernes,
églises...) seront, sur décision des assemblées
d'autogestion généralisée, détruits
ou de préférence transformés en greniers collectifs,
entrepôts, logements de passage, labyrinthes et terrains de
jeux.
32. Transformer les super-marchés et magasins à grande
surface en centres de distribution gratuite, en examinant l'opportunité
de multiplier par région les petits centres de distribution
(reconversion des petits magasins et des bistrots par exemple).
33. Les besoins changent dès que disparaît la dictature
marchande, qui n'a cessé de les falsifier. Ainsi, les voitures
deviennent pour la plupart inutiles dès que l'espace et le
temps appartiennent à tous et qu'il est possible de se déplacer
librement sans limitation horaire. Il faut donc non seulement prévoir
l'apparition de demandes radicalement nouvelles, de fantaisies individuelles,
de passions insolites, mais aussi mettre tout en oeuvre pour les
satisfaire, de telle sorte que le seul obstacle à leur réalisation
soit dans le manque momentané d'équipement matériel
et non dans l'organisation sociale.
34. Le projet d'abolir la distinction entre villes et campagnes
exige la décentralisation de l'habitat (droit de nomadisme,
droit de bâtir sa maison en territoire disponible), la destruction
des industries de nuisance et de pollution, la création dans
les villes de zones de culture et d'élevage (aux Champs-Elysées
par exemple).
35. Dans le moment insurrectionnel, toutes les professions ont
l'occasion de se nier comme travail forcé. La petite étincelle
passionnelle qui permettait de supporter la dure aliénation
du métier exercé pour survivre, va embraser des vocations
nouvelles et libres. Tel qui aime enseigner donnera ses cours dans
la rue ; tel qui aime cuisiner disposera de cuisines « banales
» installées partout et rivalisant en qualité.
Ainsi chaque disposition créative donnera naissance à
un artisanat libre et à une profusion de raretés.
36. Chacun a le droit de faire connaître ses critiques, ses
revendications, ses opinions, ses créations, ses désirs,
ses analyses, ses fantaisies, ses problèmes... afin que la
plus grande variété puisse engendrer les meilleures
chances de rencontre, d'accords, d'harmonisation. Les imprimeries,
télex, offsets, radios, télévisions passées
aux mains des assemblées seront mises à cette fin
à la disposition de chaque individu.
37. Personne ne se battra sans réserve s'il n'apprend d'abord
à vivre sans temps morts.
En cas de grève sauvage limitée.
TOUTE GREVE DOIT DEVENIR GREVE SAUVAGE.
38. Le vrai sens d'une grève, c'est le refus du travail
aliéné et de la marchandise qu'il produit et qui le
produit.
39. Une grève ne prend son vrai sens qu'en devenant grève
sauvage, c'est-à-dire en se débarrassant de ce qui
entrave l'autonomie des ouvriers révolutionnaires : partis,
syndicats, patrons, chefs, bureaucrates, candidats bureaucrates,
jaunes, travailleurs à mentalité de flic et d'esclave.
40. Tous les prétextes sont bons pour déclencher
une grève sauvage, car il n'y a rien qui justifie l'abrutissement
du travail forcé et l'inhumanité du système
marchand.
41. Les ouvriers révolutionnaires n'ont pas besoin d'agitateurs.
C'est d'eux seuls que part le mouvement d'agitation générale.
42. Dans la grève sauvage, les grévistes doivent
exercer le pouvoir absolu, à l'exclusion de tout pouvoir
extérieur à eux.
43. La seule façon de tenir en échec les organisations
extérieures - toutes récupératrices -, c'est
d'accorder tout pouvoir à l'assemblée des grévistes
et d'élire des délégués chargés
de coordonner les décisions et de les faire appliquer.
44. Si limitée qu'elle soit, une grève sauvage doit
tout mettre en oeuvre pour obtenir le soutien du plus grand nombre.
Par exemple en amorçant les habitudes de gratuité
grève des caissières de super-marché permettant
la distribution gratuite des biens exposés et entreposés
; distribution par les ouvriers des produits fabriqués par
eux ou sortis des stocks.
TOUTE GREVE SAUVAGE DOIT DEVENIR OCCUPATION D'USINE.
TOUTE OCCUPATION D'USINE DOIT ABOUTIR A SON DETOURNEMENT
IMMEDIAT.
45. L'occupation d'usine traduit la volonté des ouvriers
révolutionnaires d'être les maîtres de l'espace
et du temps occupés jusqu'à présent par la
marchandise. S'ils ne détournent pas l'usine à leur
profit, cela signifie qu'ils renoncent à la créativité
qu'ils veulent exercer et à leurs droits les plus indiscutables.
46. Une usine occupée et non détournée apporte
au spectacle de l'impuissance à briser le système
marchand l'argument décisif dont ont toujours besoin les
appareils bureaucratiques, les manipulateurs idéologiques
et tous ceux qui oublient que la richesse des possibilités
techniques, aujourd'hui à notre portée, rend ridicule
l'accusation d'utopie.
47. Une usine occupée doit être aussitôt détournée
au profit de l'autodéfense (fabrication d'armes et de blindages)
et de la distribution gratuite de tout ce qui peut s'y fabriquer
d'utile.
48. Pour sortir de l'isolement, les révolutionnaires ne
peuvent compter que sur leur créativité. Il importe
notamment de :
a) Prévoir les formes d'appui tactique des autres travailleurs
hors usines : par exemple, les imprimeurs peuvent intervenir dans
les journaux qu'ils impriment pour donner des informations exactes
et diffuser le programme des ouvriers en grève ; les lycéens
et lycéennes peuvent s'emparer des écoles, former
des chaînes de liaison avec le reste du pays, attaquer les
forces de l'ordre à revers ; les habitants d'une région
peuvent neutraliser les forces de répression et former avec
les ouvriers en grève des assemblées d'autogestion
généralisée ; les soldats peuvent s'emparer
des casernes et prendre leurs
chefs en otages ; les avocats peuvent prendre les juges en otages
et les livrer aux grévistes... Dans le moment révolutionnaire,
il n'est aucune fonction qui ne puisse se détruire en se
tournant vers la subversion.
b) Internationaliser le conflit, répandre les grèves
sauvages entre divisions d'un même, complexe industriel éloignées
géographiquement, entre firmes connexes ou complémentaires
d'un pays à l'autre, entre une usine et ses sources d'approvisionnement.
Non seulement le détournement d'une région économiquement
viable se moque des frontières, des régionalismes,
du nationalisme, mais il est la base sur laquelle se construira
non plus une internationale politique mais au contraire une internationale
de la pratique révolutionnaire.
c) Donner sa pleine cohérence à la guérilla
d'autodéfense ; ne lancer de raids de commandos contre les
casernes, les arsenaux, la radio que pour appuyer et développer
le mouvement ouvrier révolutionnaire, et non séparément
comme c'est le cas dans le terrorisme, le blanquisme ou l'activisme
gauchiste ; ne recourir, si c'est utile, à des attentats
que d'une façon sélective (chefs contre-révolutionnaires
à mettre hors d'état de nuire, nids de flics à
neutraliser...) et jamais de façon aveugle (bombes dans les
gares, les banques, les lieux publics).
49. Aux otages vivants tels que patrons, ministres, évêques,
banquiers, généraux, hauts fonctionnaires, préfets,
chefs policiers, il faut préférer des otages matériels
: stocks, prototypes, réserves d'or et d'argent, machines
très coûteuses, appareillage électronique, hauts
fourneaux, etc.
50. Il faut savoir accorder les moyens de pression et de dissuasion
et la nature des revendications. Par exemple, il est absurde, comme
l'ont fait les ouvriers des établissements Salée à
Liège (septembre 1973), de menacer de faire sauter l'usine
pour obtenir une entrevue avec des parlementaires. Les recours à
des moyens extrêmes doivent aboutir à des mesures radicales
(par exemple à la liquidation de l'ennemi étatiste,
au désarmement des forces répressives, à l'évacuation
d'une ville ou d'une région par les flics et l'armée).
51. Ne prendre de risques que lorsque le résultat en vaut
la peine. Si l'isolement menace, mieux vaut abandonner mais en prévoyant
de nouvelles tentatives, en évitant la répression
et en tournant à l'avantage des révolutionnaires chaque
repli momentané.
52. En cas de menace répressive, envisager la destruction
des lieux et des otages. Ce qui ne peut être détourné
au profit de tous peut être détruit ; en cas de victoire,
nous reconstruirons, en cas de défaite, nous précipiterons
la ruine de la marchandise.
53. Il faut renoncer une fois pour toutes aux manifestations de
masse et aux affrontements de type estudiantin (pavés, bâton,
barricades). Pour protéger la marchandise, les flics n'hésitent
pas à tirer. Les commandos d'intervention doivent très
vite aboutir au désarmement et à la neutralisation
des étatistes.
54. Ne jamais faire confiance aux étatistes, n'accepter
aucune trêve, étendre le mouvement aussi rapidement
que possible, et ne pas oublier la férocité des répressions
bourgeoises et bureaucratiques.
Avant la vague de grèves sauvages !
L'EXERCICE INDIVIDUEL DU SABOTAGE ET DU DETOURNEMENT EST
EFFICACE QUAND IL ABOUTIT AU DECLENCHEMENT DE LA GRÈVE SAUVAGE.
55. Chaque ouvrier a le droit de détourner à son
usage les produits et les techniques employés jusqu'à
ce jour contre lui.
56. Chaque ouvrier a le droit de saboter tout ce qui sert à
le détruire.
57. Le sabotage et le détournement sont les gestes spontanés
les plus répandus en milieu ouvrier. Il suffit d'en répandre
partout la bonne conscience et d'en redire l'utilité pour
les multiplier, les perfectionner et leur donner plus de cohérence.
58. En 1972, un rapport présenté par des fonctionnaires
du Commissariat pour la protection de l'Etat et pour le respect
de la constitution, et par des responsables de la sécurité
dans l'industrie en République Fédérale Allemande
a relevé les actes de sabotage économiques suivants
:
- Dans une fabrique de pneus, les solutions intervenant dans la
fabrication de ceux-ci ont été plus d'une fois souillées
par différents moyens.
- Dans les environs d'une aciérie, deux hommes ont coupé
les vannes d'arrivée de gaz, provoquant le refroidissement
d'un haut-fourneau et, par là, des pertes à la production
s'élevant à plusieurs millions de marks.
- Une firme fabriquant des tubes de télévision devait
faire face à de nombreuses réclamations et se rendit
compte que le verre avait été sali par l'addition
de produits chimiques.
- Une cave contenant des machines de grande valeur a été
inondée suite à la section d'une conduite d'eau.
- Des inconnus ont volé des cartes perforées dans
un dépôt organisé par ordinateurs, stoppant
ainsi tout travail pendant quatre jours.
Ces exemples, publiés par une revue allemande, donnent une
idée de la créativité individuelle appliquée
au sabotage.
59. Le sabotage est plus passionnant que le bricolage, le jardinage
ou le tiercé. Soigneusement préparé, il risque
d'arriver à point pour déclencher la grève
sauvage, l'occupation, le détournement de l'usine au profit
de tous, et il amorce ainsi le contrôle de chacun sur sa propre
vie quotidienne. Vieille tradition ouvrière, il permet, ici,
de se détendre les nerfs en assouvissant une petite vengeance,
et là, de gagner un peu de repos en attendant les réparations.
Jusqu'aujourd'hui, il a rarement dépassé le stade
du bricolage. Tout le monde sait que :
- Un marteau ou une barre de fer suffisent pour détruire
un ordinateur, un prototype, du matériel de précision,
les pointeuses, les robots qui contrôlent et imposent le rythme
de production.
- Une source de chaleur approchée du déclencheur
libère l'eau des pommes d'arrosage fixées dans le
plafond des grands magasins et des zones de stockage.
- Un peu de limaille de fer dans le carburateur, de sucre dans
le réservoir d'essence, de sulforicinate d'ammoniaque dans
le carter met hors d'usage la voiture d'un flic, d'un patron, d'un
jaune, d'un chef syndical.
- La diffusion des numéros de téléphone des
étatistes et du numéro minéralogique de leur
voiture peut servir d'arme de dissuasion et de démoralisation.
Mais nous commençons vraiment à sortir de l'ère
du bricolage.
60. Plus le système marchand se complique, plus les moyens
simples suffisent à le détruire.
61. Le terrorisme est la récupération du sabotage,
son idéologie, son image séparée. Autant il
est utile, dès le début des grèves sauvages,
de détruire les caisses enregistreuses des super-marchés,
de donner l'argent des caisses au personnel en grève, d'organiser
une distribution sauvage des produits et d'expliquer ce que sera
l'autogestion généralisée, autant il est absurde
de déclencher la même opération sans liaison
avec le mouvement de détournement des usines.
62. La positivité du sabotage, c'est qu'habitués
à connaître mieux que les patrons les fautes commises
dans la production par suite de la course au profit, les ouvriers
sont tout aussi capables de les aggraver que de les corriger lorsqu'il
s'agit de détourner l'usine à leur profit. L'expérience
de Lip - initialement récupérée parce qu'elle
n'a pas réussi à rompre radicalement avec le système
marchand - a du moins souligné l'évidence que les
ouvriers sont seuls armés pour changer définitivement
le monde *. Dans l'état actuel des forces productives, nous
pouvons tout, et rien ne peut s'opposer durablement à ce
que nous en prenions tous conscience.
* Les ouvriers de Lip ont montré jusqu'où ils n'ont
pas réussi à aller assez loin. Handicapés par
le caractère parasitaire de leur industrie, ils ont agi partiellement
pour le mieux en faisant marcher l'usine pour leur propre compte,
en s'emparant du stock et en s'assurant une paie sauvage. Mais en
conservant les chefs syndicaux, en réduisant leur mouvement
à la défense du « droit au travail »,
en permettant aux pires ennemis de la révolution d'applaudir
au spectacle de leur grève, ils ont renoncé à
leur propre autonomie, n'ont laissé au mouvement aucune possibilité
d'expansion et n'ont amorcé aucun changement historique réel.
63. Soumis à toutes les aliénations, les ouvriers
ont sur le reste du prolétariat l'avantage de tenir entre
leurs mains la cause de toutes les aliénations : le processus
marchand. Parce qu'ils n'ont que le pouvoir de détruire la
totalité de ce qui les détruit, ils détiennent
aussi la solution globale aux problèmes d'harmonisation,
du détournement de l'économie à l'organisation
de nouveaux rapports humains, fondés sur la gratuité.
64. Le sabotage est par excellence l'anti-travail, l'anti-militantisme,
l'anti-sacrifice. Chacun le prépare en recherchant à
la fois son propre plaisir, l'intérêt de tous, un risque
calculé, la facilité d'exécution, l'occasion
favorable. Il habitue à l'autonomie et à la créativité,
et sert de base réelle aux relations que les révolutionnaires
souhaitent établir entre eux. Il est le jeu subversif où
se brise la récupération bureaucratique. Voilà
une description de ce qui s'est passé en 1963 dans une usine
automobile proche de Détroit :
« On commença à voir dans certaines parties
de l'usine des actes de sabotage organisé. Au début,
c'étaient des fautes d'assemblage ou même des omissions
de pièces à une échelle bien plus grande que
la normale, Si bien que de nombreux moteurs étaient rejetés
à la première inspection. L'organisation de l'action
entraîna différents accords entre les
vérificateurs et quelques ateliers d'assemblage, avec des
sentiments et des motivations mélangés chez les ouvriers
concernés - certains déterminés, d'autres cherchant
une sorte de vengeance, d'autres encore participant seulement pour
se marrer. Toujours est-il que le mouvement se développa
rapidement dans une ambiance très enthousiaste...
« A la vérification et aux essais, au cas où
le moteur aurait passé la chaîne sans que des défauts
de fabrication s'y glissent, un bon coup de clef à molette
sur le filtre à huile, sur une couverture de bielle ou sur
le distributeur, arrangeait toujours les choses. Parfois même
les moteurs étaient simplement rejetés parce qu'ils
ne tournaient pas assez silencieusement...
« Les projets conçus lors de ces réunions innombrables
conduisirent finalement au sabotage à l'échelle de
toute l'usine des moteurs V-8. Comme les six cylindres, les V-8
étaient assemblés de façon défectueuse
ou endommagés en cours de route pour qu'ils soient rejetés.
En plus de cela, les vérificateurs, à l'essai, se
mirent d'accord pour rejeter quelque chose comme trois moteurs sur
quatre ou cinq qu'ils testaient...
« Sans aucun aveu de sabotage de la part des gars, le chef
fut forcé de se lancer dans un exposé tortueux, qui
lui troubla même un peu les sens, en essayant d'expliquer
aux gars qu'ils ne devaient pas rejeter des moteurs qui étaient
de toute évidence de très mauvaise qualité,
mais sans pouvoir leur dire carrément. Toutes ces tentatives
furent vaines car les gars y allèrent au toupet : ils lui
affirmèrent sans relâche que leurs intérêts
et ceux de la compagnie ne faisant qu'un, c'était leur devoir
d'assurer la fabrication de produits de première qualité...
« Un programme de sabotage rotatif au niveau de toute l'usine
fut élaboré pendant l'été pour gagner
du temps libre.
Lors d'une réunion, les ouvriers prirent des numéros
de 1 à 50 ou plus. Il y eut des réunions similaires
dans d'autres parties de l'usine. Chaque ouvrier était responsable
d'une certaine période d'environ 20 minutes pendant les deux
semaines à suivre, et lorsque sa période arrivait,
il faisait quelque chose pour saboter la production dans son atelier,
si possible quelque chose d'assez grave pour arrêter toute
la chaîne. Dès que le chef envoyait une équipe
pour réparer la « faute », la même chose
recommençait dans un autre endroit-clé. De cette manière
l'usine entière se reposait entre 5 et 20 minutes par heure
pendant un bon nombre de semaines, à cause soit d'un arrêt
de la chaîne, soit de l'absence de moteurs sur la dite chaîne.
Les techniques mêmes employées pour le sabotage sont
très nombreuses et variées, et j'ignore celles qui
furent employées dans la plupart des ateliers.
« Ce qui est remarquable dans tout cela, c'est le niveau
de coopération et d'organisation des ouvriers à l'intérieur
d'un même atelier et aussi entre les différents ateliers.
Tout en étant une réaction au besoin d'action commune,
cette organisation est aussi un moyen de faire fonctionner le sabotage,
de faire des collectes, ou même d'organiser des jeux et des
compétitions qui servent à transformer la journée
de travail en une activité plaisante. Ce fut ce qui se produisit
à l'atelier d'essai des moteurs...
« Les contrôleurs, au banc d'essai des moteurs, organisèrent
un concours avec les bielles qui nécessitait que des vigies
soient postées aux entrées de l'atelier et que des
accords soient conclus avec les ouvriers de la chaîne de montage
des moteurs, par exemple pour qu'ils ne fixent pas entièrement
les bielles de certains moteurs pris au hasard. Quand un vérificateur
sentait des vibrations douteuses, il criait à tous de dégager
l'atelier et les ouvriers abandonnaient aussitôt leur travail
pour se mettre à l'abri derrière les caisses et les
étagères. Ensuite, il lançait le moteur à
4 ou 5 000 tours minute. Celui- ci faisait toutes sortes de bruits
et de coups de ferraille pour finalement s'arrêter ; dans
un grand claquement sec, la bielle baladeuse crevant le carter était
projetée d'un seul coup à l'autre bout de l'atelier.
Les gars sortaient alors de leurs abris en poussant des hourrahs
et on marquait à la craie sur le mur un autre point pour
ce vérificateur. Cette compétition-là se prolongea
pendant plusieurs mois, entraînant l'éclatement de
plus de 150 moteurs. Et les paris allaient bon train.
« Dans un autre cas tout commença par deux gars qui
s'arrosaient par un jour de chaleur avec les jets d'eau utilisés
dans l'atelier d'essai. Cela se développa en une bataille
rangée de jets d'eau dans tout l'atelier qui dura plusieurs
jours. La plupart des moteurs étaient soit ignorés,
soit simplement approuvés en vitesse pour que les gars soient
libres pour la bataille, et dans de nombreux cas les moteurs étaient
détruits ou endommagés pour s'en débarrasser
rapidement. Il y avait en général 10 ou 15 jets d'eau
en action dans ta bataille, tous avec une pression d'eau comparable
à celle d'une lance à incendie. Des jets d'eau giclaient
de partout, les gars fiaient, criaient et couraient dans tous les
sens : dans cette atmosphère, il y en avait bien peu qui
étaient d'humeur à faire leur travail. L'atelier était
régulièrement inondé jusqu'au plafond et tous
les gars complètement trempés. Bientôt, ils
apportèrent toutes sortes de pistolets à eau, tuyaux
d'arrosage et seaux, et le jeu prit des proportions d'une foire
énorme pendant les heures. Un gars se promenait avec le bonnet
de bain de sa femme sur la tête, au grand amusement du reste
de l'usine qui n'était pas au courant de ce qui se passait
dans l'atelier des essais... » (« Lordstown 72 »,
brochure publiée par 4 millions de Jeunes Travailleurs B.
P. 8806, 75261 Paris Cedex 06).
65. Le problème de l'organisation est un problème
abstrait s'il ne répond à la question « qui
organise et pourquoi ? ».
Les organisations constituées en dehors des ouvriers ont
abouti, dans le meilleur des cas, à l'impuissance pratique,
et la plupart du temps au renouvellement des appareils bureaucratiques.
Les organisations constituées au nom des ouvriers ont, dans
le meilleur des cas, créé des conditions de bureaucratisation,
et la plupart du temps sont devenues des instruments d'oppression
para-étatiques. La seule forme d'organisation réellement
ouvrière et révolutionnaire, c'est l'assemblée
des grévistes sauvages devenant assemblée d'autogestion
généralisée (voir 2e partie, 1). Ce qui la
prépare, ce ne sont pas d'autres organisations, nécessairement
hybrides et séparées, mais l'action révolutionnaire
pour laquelle il n'est besoin que de
groupes d'intervention se formant pour une action précise
et se dissolvant quand une pratique précise ne les justifie
plus.
66. Les groupes éphémères, formés le
temps d'une action précise et de l'exploitation de ses effets,
veilleront au respect de l'autonomie individuelle, au refus de tout
militantisme, à l'exclusion de tout sacrifice. La seule discipline
sera celle adoptée après discussion et réglée
sur les nécessités de l'entreprise et de la protection
contre tout risque de répression.
67. Chaque révolutionnaire a le droit d'agir seul, en commandos
ou groupes éphémères, mais qu'il soit attentif
à ne pas agir séparément, c'est-à-dire
en perdant de vue la ligne tactique qui va des actes de sabotage
et de détournement à la grève sauvage, et de
la grève sauvage à l'occupation et au détournement
collectif des usines. Notre révolution est une révolution
totale et unitaire. Cela signifie, par exemple, que le sabotage
ne se limite pas à l'anti-travail mais qu'il s'en prend globalement
à la marchandise, liquidant les attitudes autoritaires, les
tabous (inceste, répression sexuelle), les conduites appropriatives
(jalousie, avarice), les mensonges de la représentation,
etc. ; qu'il encourage partout la liberté et le renforcement
des passions, l'harmonisation des désirs et des volontés
individuelles...
68. Seuls des groupes d'autodéfense, formés sur le
projet d'une action précise et disparaissant une fois le
but atteint et la protection de tous assurée, peuvent préparer
de façon cohérente l'apparition de conditions favorables
à l'établissement d'assemblées d'autogestion
généralisée.
69. Les ouvriers anti-travail, anti-partis, anti-syndicats, anti-marchandise,
anti-sacrifice, anti-hiérarchie formeront les groupes occasionnels
d'autodéfense. Les « voyous d'usine », comme
les appelle le front des étatistes (des fascistes aux maoïstes)
forment la base d'un mouvement sans laquelle l'action des «
voyous de quartier » tombe dans le terrorisme, et d'où
naîtront nécessairement les assemblées d'autogestion
généralisée.
70. La meilleure garantie de sécurité dont peut s'entourer
un groupe de sabotage et de détournement, c'est le déclenchement
d'un mouvement collectif d'enthousiasme révolutionnaire chez
l'ensemble des ouvriers et de la population. Le meilleur anonymat,
c'est l'adhésion du plus grand nombre.
71. L'absence de décisions prises hiérarchiquement
limite les risques de manipulation policière ou de machination
bureaucratique. Tout groupe éphémère d'intervention
a néanmoins intérêt à :
a) Se constituer entre gens qui se connaissent bien.
b) Tenir compte des capacités et des faiblesses de chacun,
et les accorder à l'action.
c) Prévoir l'échec du plan par trahison ou défaillance,
et préparer les différentes ripostes possibles en
veillant à éviter toute répression générale
(par exemple en prenant des otages et en mettant au point l'extermination
des exterminateurs probables et de leurs complices, etc.), à
lancer une deuxième vague d'actions qui corrigent les premières,
à tirer la leçon des échecs, à transformer
pratiquement tout échec en échec des étatistes.
72. D'une façon générale, une action subversive,
lancée par un groupe de guérilla contre le système
dominant, devrait répondre au moins à quatre préoccupations
:
a) Expérimenter la créativité et l'autonomie
individuelles tout en affinant les relations d'accords et de désaccords
entre les participants.
b) Etudier les modalités de répression probable et
la façon de riposter très vite pour le profit du plus
grand nombre.
c) Porter la lutte sur tous les aspects de la vie quotidienne,
qui est le lieu réel où s'enregistrent les progrès
et les manques de la longue révolution.
d) Avoir en vue la jouissance réelle et la qualité
de vie pour tous les ouvriers d'une usine, pour tout un quartier,
pour le prolétariat.
73. Le critère de réussite se mesure à la
rapidité du passage du sabotage et du détournement
individuels à la grève sauvage et au détournement
collectif. C'est la seule pratique qui amorce le projet d'autogestion
généralisée.
74. La base de l'autogestion généralisée n'est
pas l'individu mais l'individu révolutionnaire, n'obéissant
qu'a un engagement momentané sur un objectif particulier
et à son propre plaisir poussé jusqu'à la cohérence
globale ; ne s'inféodant à aucun fétichisme
organisationnel.
75. Un acte de sabotage ou de détournement, qu'il soit individuel
ou collectif, ne s'improvise pas mais se prépare comme une
opération de harcèlement. Calculer le moment opportun,
le rapport des forces engagées de part et d'autre, la disposition
des lieux, les défections et les erreurs possibles et toute
la gamme de leur correction, les chances de repli, les risques.
Lier l'action à une stratégie globale dont le centre
soit toujours la construction de l'autogestion généralisée.
76. Il est bon d'organiser la diffusion de renseignements sur les
usines, les casernes, les bâtiments de
télécommunication... afin que les plans d'accès,
les méthodes de sabotage, les modes de fonctionnement soient
entre les mains de plusieurs et à la disposition de beaucoup
d'esprits créatifs.
77. Il est bon que des textes comme celui-ci soient discutés,
critiqués, corrigés, mais non dans l'abstraction.
Seule la pratique porte en elle la critique réelle du projet
révolutionnaire.
78. De même, la meilleure façon d'en finir avec les
idéologies et leurs armées de bureaucrates, c'est
de lutter avec la plus grande cohérence et la plus grande
précision pour l'autogestion généralisée.
Dès que les grèves sauvages permettront de former
des assemblées d'autogestion, avec leurs délégués
élus, responsables et révocables, dès que la
gratuité des biens sera appliquée, les idéologues
verront la critique en armes se dresser contre leurs visées
étatiques et bureaucratiques et dénoncer définitivement
les mensonges derrière lesquels ils se dissimulent.
79. L'évidence théorique selon laquelle « le
droit de vivre passionnément passe par la liquidation totale
du système spectaculaire-marchand » doit maintenant
atteindre à une cohérence pratique qui va du projet
stratégique global aux moindres détails de la lutte
tactique. C'est pourquoi, il n'est pas inutile que chacun rédige
et diffuse ses recettes de jeu subversif (par exemple qu'il est
possible de déloger n'importe quel ennemi de son local en
jetant, fixés ensemble, une bouteille d'eau de javel - hypochlorite
de sodium - et un flacon de produit pour détartrer et déboucher
les éviers et les WC - à base d'hydrate de sodium
; qu'une heure avant d'être soumis à un tir de grenades
lacrimogènes, il faut absorber des comprimés d'anti-histaminique
(rumicine) ; etc.). Il conviendra de se méfier des fausses
indications données par les flics eux- mêmes.
80. La lutte pour la destruction radicale de la marchandise est
inséparable de la construction quotidienne d'une vie passionnante,
libérée des tabous et des contraintes. Tout projet
révolutionnaire s'appuie nécessairement sur la recherche
d'un enrichissement passionnel, sur un calcul et un jeu du risque
et du plaisir (risque minimum, plaisir maximum).
CHAPITRE III
L'AUTOGESTION GENERALISEE
1. L'autogestion généralisée est l'organisation
sociale du pouvoir reconnu à chacun sur sa vie quotidienne
et exercé directement soit par les individus eux-mêmes,
soit par les assemblées d'autogestion.
2. Elle est apparue dans l'histoire du mouvement ouvrier chaque
fois que la base a voulu imposer et réaliser ses propres
décisions sans abandonner son pouvoir à des chefs
et sans se laisser guider par aucune idéologie.
3. Elle a été écrasée par l'effet conjugué
de sa faiblesse constitutive, de ses irrésolutions et confusions,
de son isolement, et des dirigeants qu'elle a commis l'erreur de
se donner ou de tolérer et qui l'ont menée à
sa perte en prétendant l'ordonner et la fortifier. Les exemples
les plus riches d'enseignements sont les conseils ouvriers apparus
en Russie en 1905 (écrasés par le tsarisme), 1917
(récupérés et détruits par les bolcheviks),
1921 (écrasés à Cronstadt par Lénine
et Trotsky) ;
en Allemagne en 1918 (écrasés par les socialistes)
; en Italie en 1920 (détruits par les socialistes et les
syndicats) ; en Espagne en 1934 (révolution asturienne écrasée
par le gouvernement républicain), en 1936-1937 (récupérés
par le syndicat anarchiste et écrasés par les staliniens)
; en Hongrie en 1956 (écrasés par l'Etat dit soviétique).
4. Il n'y a pas de révolution possible hors du retour, du
renforcement définitif et de l'expansion internationale du
mouvement de l'autogestion généralisée.
5. Le mouvement d'autogestion généralisée
naît dans le fonctionnement des assemblées et de leurs
conseils de coordination.
6. C'est de la lutte de classes que vient l'assemblée d'autogestion
généralisée. Elle exprime de la façon
la plus simple la volonté du prolétariat de liquider
la bourgeoisie et de se liquider en tant que classe ; sa décision
de ne plus assister en spectateur à sa propre déchéance
et aux représentations mensongères qui la dissimulent
tant bien que mal ; sa résolution de ne plus subir l'histoire
mais de la faire à son profit et au profit de tous.
7. L'assemblée d'autogestion généralisée
n'est rien d'autre que l'assemblée de grève constituée
par les travailleurs dès l'occupation des usines, et qui
s'étend aussi vite que possible du lieu de travail au quartier
environnant et à la région. Son
projet n'a rien d'abstrait ou de politique : n est au contraire
centré sur la vie quotidienne de chacun et sur ses possibilités
d'enrichissement passionnel.
8. Le conseil groupe l'ensemble des délégués
élus par l'assemblée, chargés d'un mandat précis,
contrôlés et révocables à chaque instant.
9. Le conseil a essentiellement une fonction de coordination. Il
est indissociable de l'assemblée. Ses membres relèvent
exclusivement de ceux qui les ont élus dans un but bien précis
; ils n'exercent aucun pouvoir par eux-mêmes mais ont seulement
toute la liberté de créativité nécessaire
pour arriver au résultat qui leur a été assigné.
Si jamais une séparation apparaissait entre leurs intérêts
et ceux de leurs électeurs, le conseil deviendrait comité
et, en s'arrogeant un pouvoir autonome, ouvrirait la voie vers un
nouvel Etat.
10. Même au degré d'expansion le plus vaste, l'ensemble
des assemblées d'autogestion généralisée
ne cesse de contrôler en permanence, par tous les moyens de
la télécommunication, l'efficacité des délégués
dans la mission dont ils ont été chargés.
Des droits positifs révolutionnaires 11. Les droits positifs
révolutionnaires sont l'ensemble croissant des droits individuels
de jouissance, garantis par le fonctionnement même de la nouvelle
organisation sociale.
a) Nés de la lutte contre le système marchand et
concrétisés dès les premières mesures
prises par les assemblées d'autogestion généralisée,
ils constituent un acquis en deçà duquel il est impossible
de revenir.
b) Formés par les demandes présentées dans
l'assemblée d'autogestion généralisée,
et qui ont été réalisées immédiatement,
harmonisées ou différées par manque momentané
de moyens, ils composent un code perpétuel des droits possibles.
12. Dans le refus de la survie, les droits à la jouissance
apparaissent sous une forme négative. Nous en prenons conscience
dans des revendications anti-Etat, anti-bureaucratie, anti-travail,
anti-échange, anti-sacrifice, anti-propriété
privée, anti-quantiatif, anti-idéologie, anti-hiérarchie.
Ainsi n avons-nous qu'une idée appauvrie du bonheur inépuisable
que la destruction d'un système de contraintes et de mensonges
peut mettre à notre portée du jour au lendemain. En
réalisant positivement des désirs jusqu'à ce
jour réprimés, engorgés, falsifiés,
l'assemblée d'autogestion va débarrasser authentiquement
les passions de ce qui les corrompt et les harmoniser de telle sorte
que disparaissent une fois pour toutes les séquelles psychologiques
de la survie (jalousie, avarice, prestige, autoritarisme, goût
de la soumission et du viol...).
13. Pour que le mouvement d'autogestion généralisée
soit vrai, il faut que son pouvoir soit absolu dans les zones libérées
nous voulons l'autogestion des libertés, non l'autogestion
de l'oppression et du mensonge, qui n'est que l'oppression et le
mensonge au nom de l'autogestion.
14. il ne s'agit pas de condamner un désir, une passion
tournés vers l'angoisse ou la destruction mais de les rendre
caducs par la multiplicité des jouissances possibles. Toutes
les demandes passionnelles méritent ainsi d'être présentées
à l'assemblée d'autogestion généralisée
afin d'y être réalisées, harmonisées
par offres et demandes, développées du simple au composé,
multipliées et raffinées. S'il est vrai que les révolutionnaires
formeront les premières assemblées d'autogestion,
ce sont aussi ces assemblées qui formeront les révolutionnaires.
15. Les droits positifs révolutionnaires sont la pratique
d'individus concrets, non les principes abstraits du citoyen ou
de l'Homme en soi.
16. Il ne suffit pas que chaque individu connaisse et s'invente
des droits en expérimentant leur pratique, il faut surtout
que l'organisation sociale soit ainsi faite qu'elle puisse seulement
renforcer, enrichir et multiplier ces droits individuels. Nous ne
voulons pas une nouvelle déclaration des Droits de l'Homme
mais les droits réels qui découlent du fonctionnement
même de l'organisation sociale.
17. Les droits positifs révolutionnaires s'expriment partout
dans la vie sociale grâce au fonctionnement des assemblées
d'autogestion généralisée. Plus ce fonctionnement
sera simple, plus la complexité des exigences individuelles
augmentera et plus la demande passionnelle pourra se satisfaire
sans même passer par les assemblées.
18. Plus décisifs seront les coups portés au système
marchand et à l'Etat, mieux l'harmonisation des intérêts,
des désirs et des passions individuels fera de chacun le
maître de sa vie quotidienne. Pendant la phase de tâtonnements
et
d'erreurs, il importe surtout de rendre impossible toute forme
de répression à l'intérieur de la société
d'autogestion. Hors de la guerre d'autodéfense qui vise à
l'élimination des étatistes a) Personne n'est condamnable
pour ce qu'il a été avant la révolution. Seule
l'attitude pendant la lutte est déterminante. Ainsi, à
Alcorisa, en Aragon, lors des émeutes de 1933, les anarchistes
avaient tiré sur le notaire du village, qui en resta boiteux
jusqu'à sa mort. En 1936, le village fut collectivisé
et le notaire entra dans la collectivité, car tout le village
l'était. Un an plus tard, avec le renforcement de la bourgeoisie
grâce au parti communiste et aux efforts des staliniens pour
détruire les collectivités, une minorité de
petits paysans voulut sortir en entraînant les autres. Le
notaire s'opposa alors à leur argumentation et dit : «
Auparavant, j'avais une propriété qui faisait tant
d'hectares. Maintenant, dans la collectivité, tout m'appartient
et je suis bien plus riche. » Ce notaire devenu révolutionnaire
fut fusillé par les franquistes en 1939 à Barcelone.
b) Autant la rigueur doit l'emporter dans le combat, autant il
convient, une fois la victoire assurée, de rendre caduque
la notion de « suspect » en diversifiant les rapports
ludiques.
c) Seul compte le résultat pratique. Que les rapports de
jugement s'effacent au profit des rapports d'harmonisation. Le manquement
aux droits individuels n'appelle aucun autre « châtiment
» que sa correction.
Du droit d'autodéfense 19. L'autodéfense est le premier
droit des révolutionnaires. Tant que les armes ne seront
pas devenues inutiles, chacun aura le droit d'être armé.
20. L'assemblée s'organise immédiatement en groupes
d'autodéfense chargés entre autres de :
- La guérilla en zones non libérées, avec
destruction des centres économiques vitaux pour les étatistes
et attentats visant à la désorganisation de l'ennemi.
- La production d'armes nouvelles.
- La mise au point de tactiques insolites.
- La protection des usines prioritaires, des sources d'approvisionnement,
des dépôts, des zones de stockage, des centres de soins,
des télécommunications.
21. A travers les tâtonnements et les erreurs inévitables,
la meilleure garantie de l'autodéfense réside dans
la preuve apportée à tous, pratiquement et immédiatement,
que :
a) L'autogestion généralisée assure à
chaque individu une hausse instantanée de la qualité
de vie quotidienne (primauté des passions désaliénées,
abolition du travail forcé, construction de vrais rapports
humains... ).
b) La régression vers l'échange, l'argent, la hiérarchie,
la marchandise devient subjectivement odieuse et objectivement impossible.
c) La liquidation du système marchand change radicalement
le sens des intérêts et des préoccupations humaines.
Débarrassés des problèmes de survie, nous
n'aurons enfin que le souci d'apprendre à vivre.
22. L'acquisition de droits multiples et de plus en plus riches
est la meilleure arme du combattant révolutionnaire.
Nous n'avons que faire d'exhortations ou de leçons. Nous
ne sommes pas des héros mais les conquérants de passions
nouvelles, les enragés d'un plaisir sans réserve.
23. L'expansion du mouvement d'autogestion généralisée
- une expansion qui doit atteindre rapidement et nécessairement
une dimension internationale - tient principalement aux progrès
de l1émancipation individuelle, assurée par la transformation
collective des conditions historiques.
24. La lutte contre l'isolement qui menace les tentatives d'autogestion
généralisée implique un bouleversement simultané
du temps et de l'espace :
a) Modifier l'espace géographique en instaurant le règne
de la gratuité des biens, la conquête de secteurs économiques
complémentaires (notamment une zone industrielle une zone
agricole + les sources de matières premières), la
création de « polyindustries » automatisées
et capables de fournir la plus grande diversité de produits.
Et inséparablement, b) Créer les conditions de passage
du temps de l'ennui et de la passivité à un temps
de créativité et de passions multiples, en sorte que
les gens vivent sur un autre rythme et dans un ensemble d'unités
d'espace et de temps qu'ils contrôlent et transforment.
25. Le changement qualitatif de la vie quotidienne est une exigence
absolue dans la société d7autogestion généralisée.
Elle exclut tout compromis avec les forces du vieux monde. C'est
pour n'avoir pas été assez de l'avant et avoir pactisé
avec la canaille réformiste et stalinienne que les révolutionnaires
espagnols se sont condamnés à l'extermination de
1937.
26. L'autogestion généralisée n'a ni programme
minimum ni programme maximum. Son sort est lié à celui
des assemblées, à leur développement cohérent
ou à leur dépérissement. Quelques réalisations
inséparables et immédiatement applicables permettent
de juger de sa réussite ou de son échec l'abolition
de tout pouvoir étatique ou para-étatique, l'appropriation
par les producteurs de tous les moyens de production, la fin du
travail par la création collective, la fin des échanges
par le don généralisé, la fin de la survie
et du spectacle par la construction individuelle de la vie quotidienne.
Du droit de participation 27. Tout individu a le droit de :
a) Participer à l'assemblée d'autogestion de son
choix.
b) Elire des délégués.
c) Etre élu comme délégué.
d) Saisir l'assemblée de ses revendications, prendre la
parole pour les défendre et disposer, pour les faire connaître,
de toutes les techniques aux mains de la collectivité.
e) Jouir dans l'ensemble de sa vie quotidienne des enrichissements
dont il bénéficie dans l'assemblée d'autogestion,
ceux-ci constituant un minimum.
28. Tout délégué s'engage à défendre
les mandats pour lesquels il a été élu. Il
en assure l'exécution par tous les moyens. Son élection
ne lui accorde aucun privilège ; sa révocation n'entraîne
donc aucun discrédit. Le seul critère qui décide
de sa révocation ou de son maintien, c'est le résultat
de ses démarches.
29. Les membres de l'assemblée ne délèguent
pas leur pouvoir : le délégué n'est qu'un moment
dans le mouvement de réalisation du pouvoir de tous et de
chacun ; il n'en est jamais séparé. C'est pour empêcher
cette séparation que les membres doivent rester en contact
permanent avec leur délégué et user des télécommunications
moins dans un esprit de contrôle qu'afin de lui permettre
la consultation à chaque instant de son mandat. Cette communication
que les membres de l'assemblée exigent en permanence de leurs
délégués ne concerne que la mission qu'ils
ont accepté de remplir. Elle n'agit pas comme une entrave
à leur créativité mais veille seulement à
l'heureux aboutissement du mandat.
30. Tout délégué a le droit de démissionner.
Il semble néanmoins qu'un tel droit tombe momentanément
sous certaines réserves dans la période d'autodéfense.
On voit mal un volontaire de section d'assaut abandonner ses camarades
à l'instant de déclencher une opération armée.
31. Sans présumer de la forme que les conditions historiques
prêteront au conseil des délégués de
l'assemblée d'autogestion généralisée,
il est peut-être utile de prévoir quatre sections étroitement
unies :
a) Une section d'équipement, chargée de coordonner
les offres de production et les demandes de distribution ;
d'équilibrer les stocks de production et les stocks à
distribuer ; de régler les rapports entre les zones industrielles
et les zones agricoles en mettant tout en oeuvre pour aboutir à
leur fusion.
b) Une section d'autodéfense, chargée d'organiser
la guérilla, la libération des territoires contrôlés
par les étatistes et la protection des usines prioritaires,
des stocks et des centres de matières premières.
c) Une section d'harmonisation, chargée de coordonner les
offres et les demandes passionnelles, d'harmoniser la pluralité
des désirs, d'aider à la réalisation des caprices
particuliers.
d) Une section de liaison, chargée des relations avec les
assemblées et leurs conseils de délégués.
32. La division des conseils en différentes sections correspond
à un premier effort de coordination des demandes et des offres
les plus diverses. Mais il n'existe aucune séparation entre
les sections ; bien plus, elles travaillent en commun et aident
à fonder sur des bases concrètes l'esprit de totalité.
Les délégués participent aux réunions
et au travail de toutes les sections du conseil.
33. Sauf en matière d'autodéfense - et si la stratégie
l'exige -, aucune décision prise à la majorité
des votes n'exclut les autres revendications. Si une revendication
ne peut être satisfaite (parce que l'équipement matériel
nécessaire à sa réalisation fait défaut,
ou encore parce qu'elle manifeste une régression vers des
conduites anciennes et aliénantes), elle est prise en charge
par les délégués de la section d'harmonisation.
Ceux-ci veillent à éviter son engorgement et ont pour
mandat de la réaliser selon les voeux du demandeur.
34. Chacun a le droit de présenter et de défendre
ses revendications jusqu'à satisfaction. (Voir III, 82 et
88).
35. Tout ce qui s'harmonise spontanément n'a pas besoin
de passer par l'assemblée d'autogestion généralisée.
La diversité des occupations attrayantes, la multiplication
des aventures, le goût du changement, le jeu des intrigues,
des rencontres, des enthousiasmes atteignent à un tel développement
que seul s'harmonise avec l'aide de l'assemblée ce qui n'a
pas encore trouvé à s'harmoniser au hasard de la vie
quotidienne.
36.Les membres de l'assemblée fixent la fréquence
des réunions selon les urgences du moment. L'intérêt
et le plaisir de chacun déterminent la participation aux
assemblées, et non pas le volontarisme, ni évidemment
la contrainte.
37. Le renforcement des possibilités et l'enrichissement
des régions et de leurs assemblées est la meilleure
garantie de rapports internationaux fondés sur le don et
le ludique. D'autre part, l'internationale des assemblées
et de leurs conseils assure les plus grandes chances d'harmonisation
des désirs et fonde réellement le règne de
l'abondance.
38. La liberté de changer d'occupations et de lieux de résidence
entraîne la liberté de changer d'assemblée.
Une telle mobilité offre au moins trois avantages :
a) Elle évite la réapparition d'un régionalisme
ou l'attachement à une notion de territoire.
b) Elle évite la fixité des groupes et les habitudes
communautaires.
c) Alliée au souci de satisfaire aussi bien les revendications
minoritaires que les majoritaires, elle permet, en modifiant le
nombre de membres des assemblées et des groupes d'affinité
qui se font et se défont, de dissoudre le critère
de la quantité, d'en finir avec les oppositions proportionnelles
(tel l'antagonisme majorité-minorité), d'encourager
une diversité du qualitatif.
39. Dans les modalités de participation, comme dans les
problèmes de réalisation, il importe de veiller à
battre en brèche ce qui subsiste de la vieille dictature
du quantitatif. Où la diversité existe dans la qualité,
la loi du nombre n'a plus cours ; où le dont prédomine
sans contrepartie, l'échange de quantités égales
disparaît ; où chacun a le droit d'affirmer sa particularité,
les groupes cessent d'être considérés comme
une simple somme d'individus.
Du droit de communication 40. Tout individu a le droit d'exprimer
et de diffuser son opinion, ses désirs, ses revendications,
ses critiques par la parole, l'imprimé, le film, les moyens
artistiques... Pour cela, il dispose librement des techniques de
communication créées, entretenues et améliorées
par les assemblées d'autogestion généralisée.
41. Chaque assemblée détient un maximum de moyens
de télécommunication. Ceux-ci servent principalement
à :
- Diffuser les projets et les demandes des individus ou des groupes.
- Faire connaître les décisions des assemblées
et l'état de développement des problèmes en
cours.
- Porter à la connaissance de tous les questions d'harmonisation
entre les individus et les possibilités d'accorder les offres
et les demandes matérielles et passionnelles.
- Communiquer des informations sur tout, former des centres d'accumulation
de connaissances, diffuser les procédés de création
en tout domaine, constituer des mémoires de base à
l'usage d'un enseignement fondé sur la curiosité et
l'attrait pratique.
- Recueillir et communiquer les expériences particulières,
les rêves, les souvenirs, les créations, les études
et recherches individuelles et collectives.
42. Toute proposition à l'assemblée est débattue
et réglée publiquement. Quand tous les attraits sont
permis, tous sont avouables et la réalisation d'un désir
ne fait qu'exciter à les réaliser tous.
43. L'assemblée assure la communication de ce que la volonté
individuelle ne réussit pas à communiquer par elle-
même. Elle n'intervient jamais en dehors d'une demande des
individus (ce qui reviendrait à agir contre eux et à
se nier). Elle n'est pas chargée de limiter mais au contraire
de radicaliser, de multiplier et d'enrichir les occupations attrayantes,
les rencontres, les expériences, les aventures.
44. Le bilan permanent des réalisations, la pratique de
droits nouveaux, le progrès de l'harmonisation sociale permettent
de juger avec la plus grande netteté de la marche irrégulière
de la longue révolution ; de corriger ses manques, de rappeler
ses retards, d'oublier ses progrès.
45. L'assemblée est aussi le lieu où se commettent
les fautes. Mais la transparence des rapports entre les individus,
rendue possible par l'absence de préjugés, de contraintes
et de tabous, encourage non à l'autocritique mais à
l'autocorrection
permanente. La seule erreur irrémédiable serait de
préférer à une assemblée qui se trompe
un comité qui a toujours raison.
46. Le conseil des délégués répond
à ce que l'assemblée en attend en présentant
chaque fois une perspective globale des revendications individuelles
et de leur devenir. Il reflète le point de vue de la totalité
en rendant compte de ses démarches, de ses réussites,
de ses échecs.
Du droit de réalisation 47. L'assemblée d'autogestion
généralisée met la collectivité au service
des individus, et non l'inverse. Ce que la créativité
de chacun lui offre par le jeu des occupations attrayantes est aussitôt
et intégralement mis à la disposition de tous sans
contrepartie.
48. Le conseil des délégués est un simple
organe de coordination. Il est le centre de l'assemblée comme
l'assemblée est le pivot de la vie sociale. Il est aussi
l'instrument d'exécution des volontés exprimées
dans l'assemblée. Ce sont les besoins qui créent les
délégués, et non l'inverse. Qu'il n'y ait pas
de délégués élus hors de volontés
précises à exécuter en sorte qu'à chaque
instant, selon les décisions de l'assemblée, ceux-ci
puissent être appelés à justifier de la réalisation
- immédiate, différée à court terme
ou différée à long terme - des demandes exposées.
49. La construction par chacun de sa propre vie individuelle -
la réalisation de ce qu'il veut être réellement
- signifie la fin de l'économie comme secteur séparé
et son intégration à une création collective
qui assure inséparablement le libre usage des biens de survie
(habits, maisons, nourriture, soins, équipements ménagers)
et de l'équipement nécessaire à la réalisation
des passions, des rencontres, des aventures, des jeux.
50. Même si l'urgence porte sur l'autodéfense (armements,
équipements, vivres, organisation de la guérilla...),
la satisfaction des passions individuelles doit rester prioritaire.
« Nous ne nous battrons sans réserve qu'à la
seule condition de gagner en combattant une vie sans réserve.
» 51. La fin du système marchand implique le règne
de la gratuité. Celle-ci atteint sa phase irréversible
lorsque les assemblées d'autogestion s'emparent des centres
de distribution et de production et organisent la répartition
des biens ainsi que le libre usage des équipements techniques.
52. La production ou la création de biens ne donne pas droit
à la distribution gratuite, comme contrepartie. Nous remplaçons
« à chacun selon son travail » par « à
chacun selon ses désirs ». Le don doit effacer partout
l'échange.
53. Les délégués du conseil sont, d'une façon
permanente, mandatés pour suivre le mouvement des stocks
dans les « greniers d'approvisionnement » et les magasins
collectifs. Les ordinateurs permettent le relevé des possibilités
d'approvisionnement et des offres de production et de création.
Ces données sont portées à la connaissance
de tous. Elles sont la voie vers l'abondance avec son accroissement
graduel de stocks, la multiplication de centres de produits excédentaires,
l'émulation du luxe et le triomphe du somptueux.
54. Le règne de la gratuité signifie la fin des échanges
qui régissent l'ensemble des comportements sociaux dans le
système marchand. Quand l'intérêt passionnel
l'emporte sur la course au profit et au pouvoir, l'usage des objets
et la notion d'utilité se modifient et détournent
les gestes quotidiens de leurs anciennes habitudes. C'est ainsi
que disparaîtront les réactions d'avarice, d'appropriation
privative, de jalousie, de mensonge, de prestige et de spectacle.
55. Le règne de la gratuité ne fera que développer
ce que les moments révolutionnaires du passé ont amorcé.
Ainsi, à Cronstadt, en 1921, « l'union des agriculteurs,
organisation des ouvriers possédant une liaison avec les
campagnes, demanda à tous ceux qui possédaient de
la vieille ferraille de la donner pour fabriquer des outils d'agriculture.
Tout ce qui était fabriqué était répertorié
en listes complètes dans les Izvestia du soviet de Cronstadt.
Chaque objet portait l'estampille de l'Union des Agriculteurs de
Cronstadt. On donnait aux agitateurs du soviet, partant dans les
campagnes, selon les possibilités, des objets et instruments
fabriqués par cette union ; ils étaient offerts aux
paysans par l'intermédiaire de leurs soviets locaux ».
(Efim Yartchouk : Cronstadt dans la révolution russe.) L'échange
fera place au don, au cadeau sans contrepartie.
56. La fin du système marchand signifie la fin du règne
du quantitatif. A mesure que la production laissera place à
la création collective, le critère de la qualité
l'emportera partout et sera un des facteurs importants de l'émulation
passionnelle et de la conquête du luxe. De même que
l'art de bien manger doit remplacer le simple besoin de se nourrir,
de même la
recherche de la qualité dans les produits, les techniques
et le style de vie va devenir l'occupation essentielle de tous.
57. Le progrès de la longue révolution se marquera
dans le passage de la pratique « A travail minimum, distribution
égale pour tous » à son stade plus avancé
« A créativité générale, dons
maximums pour tous ».
58. Nous voulons que la jouissance de tous les droits soit le droit
à toutes les jouissances.
De l'abolition du travail forcé 59. L'autogestion généralisée
est le plus court chemin vers l'abondance. Le travail y tend vers
zéro, la créativité vers l'infini.
60. La liquidation du travail forcé est l'une des premières
mesures qui expriment la réalité du moment révolutionnaire.
Son processus est applicable immédiatement par :
) La suppression des secteurs parasitaires (industries inutiles
ou polluantes, bureaux, ministères, banques, assurances,
secteur tertiaire). Celle-ci va libérer un très grand
nombre de travailleurs, parmi lesquels il ne manquera pas de volontaires
à la fois pour passer 5 à 8 heures par mois en secteurs
prioritaires, et pour s'adonner à la création individuelle
et collective. Les assemblées coordonneront le déplacement
des équipes tournantes. Les volontaires préciseront
eux-mêmes le nombre d'heures et leur répartition.
b) Un renversement de perspective : au lieu de quarante heures
de travail forcé par semaine et d'un temps dominé
par les impératifs de survie (la course au profit et aux
promotions), chaque individu va découvrir les problèmes
passionnants que pose la construction d'une société
qui se donne pour but d'assurer le bonheur de tous : création
et distribution gratuite des biens créés, multiplicité
des rencontres, regroupements par affinités, réalisation
des désirs par la variété des dispositions
passionnelles enfin reconnues et débarrassées des
tabous qui les refoulaient vers la violence et la destruction.
c) L'automatisation sera installée ou développée
immédiatement dans les secteurs prioritaires et les travaux
résiduels répugnants (nettoyage, destruction des ordures).
On veillera notamment à assainir la production d'énergie
(étude des procédés de production d'énergie
solaire).
61. Il n'est pas sûr, néanmoins, que tous les travaux
pénibles puissent être supprimés sur-le-cliamp.
Il faut donc veiller :
a) A ce qu'ils soient de peu de durée.
b) A les réserver à ceux qui y prennent du plaisir.
c) A les automatiser en priorité.
62. D'une façon générale, il importe que tout
travail forcé résiduel disparaisse au profit de la
création collective, grâce à un jeu d'occupations
attrayantes. Les travaux indispensables redécouvriront ainsi,
mais à un plus haut niveau de développement technique,
le caractère de fête que revêtait, dans certaines
sociétés agricoles, la corvée des moissons
et des vendanges.
63. Une fois abolies les conditions qui font du temps une marchandise,
les occupations cessent d'obéir à la nécessité
du profit et de la représentation sociale ; elles s'organisent
selon les critères du plaisir. Une activité - aujourd'hui
dérisoire - comme le bricolage contient en germe une créativité
qui n'attend que le moment de se développer sans contrainte
et de disposer des techniques les plus élaborées pour
enrichir l'humanité, en quelques mois, de plus de trouvailles
ingénieuses et agréables que ne lui apportèrent
jamais des siècles de travail forcé.
64. Ce qui subsistera de tâches répétitives
et ennuyeuses sera agencé de telle sorte que le plus grand
nombre possible de gens y consacrent une heure ou deux par goût
du changement ; afin que ceux qui y étaient condamnés
à demeure n'y restent plus que le temps de former quelques
équipes de relève.
65. A mesure que le goût du changement s'affinera, on peut
supposer que beaucoup arriveront à une formation polytechnique,
c'est-à-dire à la capacité d'exercer avec bonheur
n'importe quelle occupation créative.
66. Les nouveaux désirs définissent de nouvelles
utilités. A mesure que disparaîtront avec le temps-marchandise
les voitures, les déplacements rapides ; avec le spectacle
l'organisation du mensonge ; avec la bureaucratie l'Etat et la hiérarchie,
etc. la disponibilité de la créativité individuelle
aboutira à la déconcentration industrielle et agricole.
67. Il n'y a risque de pénurie que si l'on commet l'erreur
de considérer la survie comme prioritaire au lieu de se donner
pour but l'élévation globale du style de vie.
68. Il faut désormais éviter les concentrations de
population, décentraliser et ouvrir les villes à une
nouvelle campagne.
69. La fin des séparations sera aussi la fin de la séparation
entre villes et campagne. Cela signifie la mécanisation de
l'agriculture débarrassée des impératifs marchands
(rentabilité, pollution par engrais...) et la pénétration
dans les villes de zones agricoles telles que champs, pâturages,
forêts, potagers, zones d'élevage.
70. L'automatisation rapide des secteurs prioritaires encourage
la renaissance d'un nouvel artisanat, la redécouverte de
techniques anciennes perdues à cause de leur manque de rentabilité,
la création d'inventions nouvelles.
71. Aussitôt que possible les usines seront décentralisées
en ateliers automatisés de création collective (sur
le modèle de ce qui existe, mais de façon archaïque,
pour certaines usines de tissage, d'armements, d'horlogerie). Les
industries de matières premières fourniront en pièces
de base les ateliers de création afin de leur permettre la
plus grande variété de produits finis.
72. A côté d'ateliers de création ou de montage,
il faut prévoir la multiplication de centres d'expérimentation
individuels ou à collectivité réduite ainsi
que des machines éparses où chacun peut réparer
ou construire, des cuisines et des boulangeries banales, versions
modernes des fours et moulins banaux du Moyen Age, voire des greniers
à blé.
73. Quels que soient son âge, son état physique, ses
capacités, chacun a le droit d'exercer sa créativité
librement.
C'est un acquis particulièrement important car il est de
nature à hâter la liquidation des distinctions d'âge,
de sexe, de force physique ou mentale, de capacités ou d'incapacités
érigées en prestige, bref à en finir avec les
séparations.
74. L'harmonisation sociale incite à la plus grande variété
de goûts et de passions. Ce seront désormais les seuls
moteurs de l'abondance, la garantie de chaque individu contre tout
retour au travail forcé, à la fonction et au rôle.
Du droit de rencontre et d'affinités
75. Le mouvement d'autogestion généralisée
est aussi l'étude, la recherche et l'expérimentation
de rapports humains fondés sur l'attrait et l'antipathie
qui se manifestent entre les individus.
76. Les délégués qui forment la section d'harmonisation
sont précisément saisis des conflits ou des accords
surgis entre les individus et entre les groupes. La section facilite
les rencontres, enregistre et communique l'offre et la demande passionnelles,
élargit le champ des possibilités et accumule la plus
grande variété de comportements et de désirs.
77. Il ne s'agit pas de supprimer les oppositions et les désaccords
mais au contraire de les entretenir en sorte que tout le monde y
découvre des plaisirs accrus.
78. Les inégalités, les contrastes, les désirs
disparates sont le moteur de l'harmonisation, son principe de variations
et de variétés. Leur analyse et leur organisation
forment une des préoccupations les plus importantes de la
vie quotidienne en autogestion ; elle est vraiment la réalisation
de l'histoire individuelle par la réalisation collective
de l'histoire.
79. Tout ce qui ne peut être harmonisé sur-le-champ
doit être maintenu comme demande urgente, avec délégués
dûment chargés du projet de réalisation.
80. Plus il y aura de singularités, plus l'harmonisation
se fera spontanément. La meilleure façon de ne pas
succomber à une seule passion, c'est d'en avoir plusieurs.
81. Nous ne voulons pas que le refus d'eu revenir au système
marchand donne naissance à un nouveau moralisme.
L'appel à la vertu révolutionnaire est toujours contre-révolutionnaire.
Il ne fait que rendre honteuses et cyniques les tares qu'il condamne.
Mensonges, séparations, prestige, passivité, appropriations
et toutes les habitudes héritées du système
marchand ne disparaîtront pas sous l'effet de contraintes,
de sanctions ou de bonnes paroles mais par l'organisation harmonieuse
des passions et des volontés de réalisation individuelles.
82. Il est prévisible que des groupes idéologiques
antérieurs à la révolution (partis, organisations
politiques) tentent
de se conserver ou de se reconstituer dans les assemblées.
Il faut les combattre résolument pendant la période
de lutte à outrance contre les étatistes mais pas
au-delà. Si l'autogestion se généralise correctement,
les groupes à étiquette politique ou syndicale disparaîtront
dans la variété et la complexité des regroupements
qui vont se fonder sur les sympathies, les antipathies, les communautés
de goûts et de répulsions ; dans un jeu d'accords et
de désaccords qui mettra les rivalités et les affinités
au service des progrès de l'autogestion.
83. Les individus disposent de toutes les libertés pratiques
de ralliement ou de non-ralliement, en sorte qu'ils peuvent se grouper
par affinités, se réunir pour des occupations communes,
partager leurs passions et leurs goûts, rester seuls, passer
d'un groupe à l'autre, se faire les champions enthousiastes
d'une activité, changer de préoccupations plusieurs
fois par jour, rivaliser d'émulation dans la créativité
(concours de meilleur plat cuisiné, d'invention, de perfectionnement
des plaisirs, etc.).
84. La cohérence de l'assemblée doit promouvoir un
ensemble d'activités agencées de telle sorte qu'elles
ne se détruisent pas mutuellement mais au contraire se multiplient
et se renforcent. Il est entendu une fois pour toutes qu'une telle
organisation implique la disparition des conditions spectaculaires-marchandes
et n'a rien de commun avec la dynamique de groupe et autres techniques
d'intégration au monde de la survie. Il ne s'agit pas de
combiner des désirs aliénés mais au contraire
d'harmoniser entre eux les désirs désaliénés,
libérés de leur engorgement, débarrassés,
par le changement radical des conditions historiques, de ce qui
les tournait contre eux-mêmes à la faveur d'un ensemble
de contraintes, d'impuissances et de mensonges.
85. Tous les goûts sont dans la nature de l'harmonisation
sociale. En liquidant la culpabilité, la promotion et la
libération des désirs liquideront aussi ce que le
vieux monde connaissait de délits et de crimes. C'est un
des paris de l'autogestion généralisée.
86. Les tendances rivales ou divergentes donnent de la vie aux
assemblées d'autogestion généralisée
et à l'organisation sociale tout entière. «
L'absence de discorde, ou bien négatif, n'est que le succédané
du bien positif qui naît de la combinaison des discordes.
» 87. La nouvelle organisation sociale n'est rien d'autre
que l'organisation par tous les individus des désirs, des
passions, des volontés, des rêves, créant au
jour le jour les conditions historiques de leur libération,
de leur développement, de leur réalisation pratique.
L'humanité n'a plus d'autre choix, au stade actuel de son
histoire, que de disparaître ou de créer les garanties
du bonheur individuel.
88. Les comportements et les habitudes hérités du
système marchand, et que sa liquidation n'a pas réussi
à extirper complètement, il faut les tourner vers
le jeu, vers la combinaison ludique des passions, en sorte que l'abondance
des jouissances vienne à bout des misérables compensations
du renoncement, des manques et de la sous-estimation de soi.
89. Non seulement admettre mais surtout encourager chaque disposition
d'un individu, chaque revendication subjective, chaque désir
particulier, chaque singularité de goût, chaque capacité,
voilà ce qui donne leur valeur positive aux inégalités,
voilà ce qui les empêche de s'ordonner selon les fonctions
négatives d'une nouvelle hiérarchie. La satisfaction
compétitive des tendances individuelles définit la
gamme des inégalités positives qui fait, dans les
rapports ludiques non contraignants, le charme des rencontres et
des regroupements. Nous voulons créer les conditions égalitaires
pour toutes nos inégalités subjectives.
90. La pratique de l'harmonisation sociale des individus est inséparable
de la lutte contre les séparations. Il est important, par
exemple, que l'économie et la vie quotidienne ne subsistent
pas comme des secteurs autonomes mais au contraire disparaissent
telles qu'elles ont existé jusqu'à présent
et se retrouvent étroitement mêlées, indistinctes
l'une de l1autre. Il faudra donc veiller à ce que l'offre
et la demande passionnelles soient inséparables de l'offre
et de la demande de produits de survie (nourriture, connaissances,
matières premières, soins, etc.). C'est le travail
des délégués de coordonner en un tout ce qui
est exigé d'eux de façon séparée, afin
que l'esprit de totalité achève de se répandre
partout.
91. Le mouvement de regroupements par sympathies et contrastes
est à son tour une des plus sûres garanties de la fin
des séparations, du parcellaire, des spécialisations.
En devenant l'affaire de tous, par un jeu d'émulation générale
et de jouissances particulières, l'économie, l'enseignement,
les connaissances, le langage... cessent d'être des secteurs
et des activités séparés de la construction
de la vie quotidienne, et participent ainsi, selon une unité
dont les générations passées ont toujours ressenti
l'impérieux désir et la très incertaine possibilité,
au plus grand bouleversement de l'histoire.
92. L'existence d'une section d'harmonisation au sein du conseil
des délégués a son utilité dans la mesure
où elle
facilite, de façon unitaire avec les autres sections>
les possibilités de rencontre et de regroupements attractifs.
Elle disparaîtra lorsque les individus auront par eux-mêmes
une vue globale des chances de rencontres et d'association. Elle
peut hâter notamment l'autogestion des enfants, en coordonnant
l'action de tous ceux qui leur sont attachés afin de créer,
dans l'âge de survie, les meilleures conditions d'épanouissement,
et en apprenant ensuite de leur créativité spontanée
comment redécouvrir une finesse disparue, une nouvelle perception
du réel, le véritable sens de l'unité entre
la parole et l'acte, l'espace et le temps, le rêve et le réel.
De la libre disposition de l'espace-temps
93. L'espace-temps créé par la révolution
de la vie quotidienne est l'ensemble des territoires libérés
du contrôle étatique et du système marchand,
et modifiés en permanence par les individus qui apprennent
à construire, collectivement et en particulier, chaque moment
de leur existence.
94. Modèle et centre de la vie sociale, l'assemblée
d'autogestion généralisée est l'unité
de lieu et de temps de la pratique révolutionnaire individuelle
et collective. C'est en elle que le vieux projet de se faire en
faisant l'histoire découvre sa seule voie de réalisation
possible.
95. La libre disposition du temps et la libre disposition de l'espace
sont inséparables. Il faut à chaque instant que chacun
puisse être partout chez lui. Pratiquement, cela signifie
que chaque individu a le droit de bâtir n'importe quel style
d'habitation, de créer des ambiances, de se déplacer
comme il l'entend (droit de nomadisme), de construire ses rêves,
de concrétiser ses souvenirs, de condenser le temps du vécu,
de l'émietter en instants fugitifs, d'y mettre fin par le
suicide, de l'explorer.
96. Une des moindres modifications de l'espace-temps, réalisable
à bref délai, consiste à liquider la distinction
entre villes et campagnes. Partiellement envahies par les champs
et les forêts, les grandes villes disparaîtront au profit
d'une grande dispersion et d'une grande variété d'habitats,
mobiles ou fixes, éphémères ou durables.
97. Le droit au changement d'espace-temps de la vie quotidienne
entraîne le droit à tous les changements dont rêve
la subjectivité (par exemple, changement d'aspect, changement
de nom selon les circonstances).
98. Il n'est pas douteux que la libre disposition de l'espace-temps
apporte de précieux bouleversements dans le comportement
humain. Ainsi se modifiera notre perception du réel ; ainsi
nos sens, érodés par les habitudes abrutissantes de
la survie, vont s'affiner jusqu'à atteindre une acuité
aujourd'hui insoupçonnable.
La révolution en permanence est le pivot rationnel
de toutes les passions
Ce texte a été publié par l'Union générale
d'éditions, 10/18, en 1974.
[De la grève sauvage à l'autogestion généralisée
de Ratgeb a été publié sous forme de brochure
(72p A5 / prix libre)
par les Editions Turbulentes en septembre 1998. Catalogue disponible
contre un timbre ou par e-mail :
Editions Turbulentes c/o Maloka, B.P. 536, 21014 Dijon cedex, France
e-mail : turbulentes
(at) editions.net
|