"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Autogestion, la dernière utopie ?
Groupe universitaire Le Maitron http://www.maitron.org/

Origine http://calenda.revues.org/nouvelle371.html

Url de référence http://www.maitron.org/


Université Paris I - CNRS
9, rue Malher
75181 Paris cedex 04
tél : 01.44.78.33.78
fax : 01.44.78.33.33

L'idée d'un colloque sur le thème de l'autogestion en France est partie d'un constat. Marginale avant 1968, la référence à l'autogestion devient incontournable dans la décennie 1970. Non seulement tout un pan de la gauche politique, syndicale, associative et culturelle se réclame d'elle comme un drapeau (le "courant autogestionnaire"), mais le terme connaît un tel succès qu'il finit par être repris par ses adversaires mêmes, du PC à certains libéraux. Le thème irrigue alors les milieux les plus divers, suscite une floraison de débats, colloques, revues, articles. On dissèque les expériences et expérimentations étrangères, de la Yougoslavie à la Californie, en passant par l'Algérie ou le Pérou. L'idée autogestionnaire est portée par un certain nombre de conflits-phares, mais elle déborde les frontières de l'entreprise et rencontre les "nouveaux mouvements sociaux" de la décennie, ancrés dans la vie quotidienne : écologie et reconquête de la ville, féminisme, utopies communautaires, pédagogies anti-autoritaire, régionalisme, etc. En 1976, Pierre Rosanvallon annonce L'Âge de l'autogestion, que pendant que se crée à la Maison des Sciences de l'Homme, un Centre international de coordination des recherches sur l'autogestion (CICRA).

Or aujourd'hui, depuis plus de dix ans, le terme a presque totalement disparu du vocabulaire politique et social. L'autogestion ne constitue plus une référence ni pour le PS, ni pour la CFDT, et le PSU s'est auto-dissout. Même le discours savant paraît l'avoir occultée : ni la Nouvelle histoire des idées politiques, ni le Dictionnaire des Intellectuels ne comportent une entrée "autogestion".

Pourtant, l'autogestion peut être un objet historique et des souces accessibles existent. La distance apparaît suffisante pour tenter de décrire et d'expliquer, des années quatre-vingt, l'émergence, l'apogée et la déshérence de ce qui apparaît comme la dernière des grandes utopies du siècle. Pourquoi cette fortune du mot et du thème durant cette période, et pas avant, ni après ? Au-delà des élaborations théoriques et des expériences, quel sens donner à cette aspiration multiforme à l'autonomie des individus et des groupes, tant dans le champ social que politique, qui semble fleurir dans la dernière décennie des Trente Glorieuses ? Est-elle d'abord utopie positive ou critique sociale et politique, voire critique du politique, qui rejetterait tous les modèles existants tout en mettant au premier plan les notions de "pouvoir" et de "participation" ? Y a-t-il, entre prise de conscience des phénomènes de "massification" et de "socialisation" engendrés par les sociétés industrielles moderne et émergence d'un "nouvel individualisme", un moment où se cherche confusément un mode nouveau d'articulation entre l'individu et le collectif ?

Un éclairage international apparaît indispensable, même si le colloque demeure centré sur le cas français. Non seulement pour analyser les références étrangères, les réseaux qui relient entre-eux militants autogestionnaires de différents pays, la circulation des idées, mais pour amorcer une réflexion comparative. S'agit-il, et dans quelle mesure, d'une utopie transnationale ? Si oui, quelles formes a-t-elle pu revêtir dans les pays voisins de la France, de l'Europe du Nord à l'Europe méditerranéenne ? Y-a-t-il une spécificité française et laquelle ?

Les contributions du colloque devraient prendre en compte des études de cas, des micro-expériences (indispensables pour rendre compte d'un courant qui valorise par définition l'expérimentation, le local et la "base"), mais aussi s'interroger sur les acteurs collectifs de la société, les grands secteurs, les milieux, les espaces et sur leur perméabilité (ou leur imperméabilité) aux thèmes autogestionnaires. Elles pourraient porter d'une part sur l'autogestion comme représentation (une utopie moderne), de l'autre sur les pratiques et usages de l'autogestion.

Dans la première rubrique, autour de l'élaboration d'une culture pilitique autogestionnaire, on pourrait travailler :

* sur le vocabulaire de l'autogestion et la polysémie du terme

* sur les modèles, les mythes et les références, passés (reconstruction d'une généalogie) et contemporains (expériences étrangères, légitimation "scientifique" de l'autogestion)

* sur quelques couples structurant le discours autogestionnaire (qui entend dépasser) : individu et société, local et global, pouvoir et propriété, plan et marché, démocratie et efficacité, socialisme et libéralisme, expérimentation concrète et utopie, fins et moyens, réforme et révolution

* sur les discours anti-gestionnaires, de droite et de gauche

* sur les canaux et réseaux de diffusion du thème (colloques, revues, maisons d'éditions, médias ...) sur ses théoriciens et ses vulgarisateurs

D'autre part, on pourrait s'interroger sur la réception du discours autogestionnaire dans la société française et ses effets sur les pratiques sociales.

* Y a-t-il eu, en mai-juin 68 et dans les années qui ont suivi, des conflits spécifiquement "autogestionnaires", dans leurs objectifs ou leur conduite ?

Y a-t-il eu essor de coopératives ouvrières de production, d'établissements "autogérés" ?

* Quel bilan tirer des structures participatives mises en place par des municipalités se réclamant de l'autogestion ?

* Quels ont été les usages de l'autogestion par les organisations qui s'en sont réclamés ? Faut-il les anayser au terme de greffe (donc d'eventuel rejet) ou d'instrumentalisation (mythe mobilsateur alternative stratégique au communisme, ralliements tactiques) ? Le fonctionnement interne de ces organisations en a-t-il été modifié ?

* L'autogestion a-t-elle séduit au-dela des cercles militants ? Quels liens par exemple avec les expériences communautaires ou alternatives, les essais de management participatif ou d'enrichissement des tâches dans l'entreprise, les méthodes de formation fondées sur le dynamisme de groupe ?

Il faudrait analyser l'impact sur le déclin rapide autogestionnaire du retournement de conjoncture économique et de la révolution technologique, des bouleversements sociaux, idéologiques, culturels qui s'amorcent à partir des années 1970, des effets, dans le cas français, de l'alternance politique. On pourraint enfin se demander si les années autogestionnaires se sont révélées stériles ou si on peut repérer aujourd'hui, dans un environnement radicalement différent, et malgré l'oubli du mot, une postérité de l'autogestion, dans quels secteurs et sous quelles formes.

Date jeudi 14 juin 2001

Url de référence
http://www.maitron.org/