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ztok n°5, mars 1982, pp. 21-28
Documents (sur les grèves de 81 et l’autogestion en Pologne)
lundi 18 avril 2005.

origine http://www.la-presse-anarchiste.net/article.php3?id_article=25

Pour illustrer plus concrètement l’article précédent, nous avons choisi trois textes qui nous semblent importants à connaître. Le premier, sur la démocratie et les élections, montre que l’illusion parlementaire qui sévit en Occident n’est pas forcement le modèle auquel se réfèrent les polonais qui ont réfléchit sur ce sujet. Nous publions des extraits d’un article de W.A. Sokotowski que l’Alternative a publié en entier dans son numéro 9, mais la traduction est d’Iztok car celle de l’Alternative nous a semblé appauvrir grandement les idées de l’auteur. Le deuxième texte sur la grève générale active est repris d’Imprecor n°110 du 12/10/81 qui a publié des extraits beaucoup plus longs que ceux que nous reprenons. C’est le texte le plus radical émanant de « Solidarité ». Le troisième teste enfin est repris dans son intégralité du quotidien « Le Monde » du 17 décembre 1981. Son auteur, Zbigniew Kowaleski, est aussi à l’origine de la théorie de grève générale active. Si nous ne sommes pas d’accord sur tous les points avec cet article, il résume à notre sens le contenu le plus positif du mouvement social en Pologne depuis août 1980. Et il explicite tout à fait pourquoi et avec quoi nous sommes solidaires vis à vis de la Pologne.

Qu’est-ce que la démocratie ?

La démocratie est la forme de gouvernement sur une société, non par une personne ni par un groupe, mais par cette société toute entière. Telle est l’idée de la démocratie ; en pratique, il n’est jamais vraiment possible de la réaliser dans son expression littérale formulée plus haut. Au cours de l’histoire de l’humanité sont apparues d’autres formes de démocratie. Actuellement est « en usage » ce qu’on appelle la démocratie représentative, où les représentants élus par la société exercent le pouvoir sur elle.

Le degré de démocratisation de la vie s’évalue en principe d’après le degré de liberté de ces élections (c’est à dire dans quelle mesure la décision du vote est indépendantes d’autres personnes) et d’après la mesure où la technique d’élection appliquée permet de choisir les personnes les plus compétentes. Mais cette évaluation est très simpliste. Évidemment une condition indispensable est la liberté des élections, mais ce n’est pas tout. L’électeur doit encore avoir un choix réel à faire et savoir qui il veut élire. Admettons qu’on réalise ces conditions grâce à une bonne technique et à une culture électorale ; les gens les plus compétant, selon les électeurs, sont par conséquent choisis. Sur ce, en général, on croit l’affaire finie et tout le monde rentre chez soi avec le sentiment d’avoir accompli un grand acte de démocratie. C’est en effet un acte, mais ce n’est qu’un acte-démocratie, c’est à dire que le gouvernement par la société elle-même se termine au moment de l’élection de ses représentants. Suit une période qui dans la plupart des systèmes « démocratiques » fonctionnant dans le monde n’a rien de commun avec la démocratie. Pendant cette période, seuls les représentants gouvernent. Ils le font de différentes manières, la plus fréquente étant le gouvernement d’une personne ou d’un petit groupe constitué plus ou moins formellement.

Ainsi donc des élections démocratiques seules ne règlent rien encore - une société donnée qui se gouverne vraiment démocratiquement décide non pas qui a été élu mais comment et dans quels intérêt se comportera le gouvernement après les élections. Comme on ignore généralement, ou bien on ne tient pas compte de ce fait, en conséquence la plupart des représentants, même élus le plus démocratiquement du monde, sont fermement persuadés que le mandat obtenu les autorise à agir comme bon leur semble, c’est à dire conformément à leur point de vue personnel dans les cas où ils ont à décider comme représentants de leurs électeurs. Ils considèrent qu’en leur donnant sa voix, l’électeur reconnaît comme siens leurs intérêts et leur façon de penser. Et pourtant c’est (ou cela doit être !) le contraire : l’électeur qui donne sa voix à un candidat donné considère que justement le candidat, quand il sera élu, pensera et sentira comme lui, agira comme lui aurait agi à sa place.

Et la différence entre la démocratie simulée (sous la masque de laquelle se cache plus d’une fois une dictature ordinaire) et la démocratie véritable se trouve justement là : dans cette dernière le représentant élu subordonne ses intérêts aux intérêts de ceux qu’il représente, et non le contraire comme cela se passe habituellement...

Rendre publics les résultats d’un vote a une importance capitale pour le fonctionnement de la véritable démocratie. Avant tout, cela permet la remise en marche n’importe quand du mécanisme la plus « rouillé » de la démocratie - la révocation d’un délégué par ceux qui l’ont élu. Ce n’est qu’en rendant publics les résultats des votes qu’on peut estimer véritablement l’attitude d’un délégué. Rendre publics les résultats des votes permet aussi de fixer précisément, donc justement, la sphère de responsabilité de chacuns de ceux qui prennent part aux « décisions collégiales ». Cela empêche les vainqueurs du vote d’usurper une force plus grande que celle dont ils disposent effectivement et cela garantit au moins à ceux qui étaient contre ou se sont abstenus de ne pas endosser la responsabilité des erreurs des autres.

La problème de la majorité lors du vote demande aussi explication. On pense en général que le principe selon lequel « la majorité décide » est le plus équitable et beaucoup le considèrent comme l’unique principe de décision. Et pourtant on peut commettre les plus grands crimes en l’appliquant. On connaît dans l’histoire des cas où l’on a décidé avec le vote légal de la majorité le « massacre jusqu’au dernier » de minorités constituant plus d’une fois une grande partie de ces sociétés.

W.A. Sokotowski, « Solidarnosc » n°26 (04/12/80)

La grève active

Les formes de lutte de Solidarité, y compris et surtout son arme ultime, la grève de masse, devraient être subordonnées à son but stratégique. La grève d’occupation, telle qu’elle a été pratiqué jusqu’à présent par Solidarité - c’est à dire passive - est comme une arme à double tranchant. L’interruption du processus de production, suivant sa longueur et son extension, freine toujours plus ou moins la production de biens matériels et, par là même, peut limiter les possibilités de satisfaire les besoins sociaux. Face à l’approfondissement de la crise économique et de la pénurie, face à l’effondrement dramatique de processus de reproduction sociale, la grève de masse apparaît bien comme une arme à double tranchant. [...]

Pendant la grève d’occupation passive, les commissions d’entreprise de Solidarité, transformées en comités de grève, prennent automatiquement le pouvoir à l’intérieur de l’entreprise. Ils doivent agir de même pendant la grève active. La différence entre ces deux formes de grève d’occupation est qu’après un court arrêt de la production, c’est à dire une grève passive, les comités de grève en assurent la reprise, contrôlant la production et d’une manière générale toute l’activité de l’entreprise. En outre, après la fin de la grève, contrairement à ce qui se passe en cas de grève passive, le pouvoir dans l’entreprise ne retourne plus à ceux qui l’exerçaient auparavant, mais il est transmis aux organes de l’autogestion ouvrière. [...]

Le comité de grève doit disposer, au nom des travailleurs et au nom de l’intérêt social, du bien national confié à l’entreprise, et décider de toutes les affaires importantes concernant l’activité pendant la durée de la grève active. Aucune décision essentielle, prise soit par le directeur, soit par la personne responsable, n’est valable si elle n’a pas été avalisée par le comité de grève. La direction ou le comité de gestion qui la remplace exécutent les décisions prises par le comité de grève et en est responsable uniquement devant lui et les travailleurs. [...]

En prenant leur indépendance par rapport aux Associations industrielles, les entreprises ne risquent pas de manquer d’informations sur les entreprises coopérantes possibles, car celles-ci leur sont parfaitement connues. C’est pourquoi l’entreprise, connaissant ses coopérants, doit établir avec eux des relations horizontales. Toutefois, elle doit continuer à assurer les livraisons de la part de ses coopérants obligatoires jusqu’à ce qu’elle trouve des coopérants volontaires. Il convient d’analyser l’état actuel des relations de coopération et d’examiner les possibilités de rapprocher les entreprises coopérantes des entreprises de production finale, pour obtenir ainsi des économies substantielles en transport, en combustible, etc. Sur l’initiative des travailleurs, les entreprises doivent s’entendre entre elles, signer des engagements pour briser ainsi les obstacles administratifs. [...]

Une autre tâche non moins importante de la direction régionale doit être l’exploitation de toutes les ressources qui permettent d’assurer l’approvisionnement des villes par les campagnes à un niveau suffisant pour satisfaire les besoins de la base de population citadine. Il est possible, en coopérant avec le mouvement syndical indépendant des paysans individuels, d’en appeler à la solidarité entre les paysans et les ouvriers. Mais il existe également d’autres moyens, comme par exemple la mise en route ou l’augmentation de la production de produits industriels, ne fût-ce que d’équipements mécaniques, dont les paysans ressentent cruellement le besoin ; on peut aussi les aider aux travaux des champs en envoyant des brigades ouvrières à partir des entreprises dont la production est arrêtée. Dans le même sens, il faut empêcher, par l’institution d’un contrôle, la discrimination dans les livraisons de fourrages, de combustibles, d’engrais, dans l’aide apportée par les centres techniques, d’une ressource sociale importante pour la classe ouvrière à savoir les ouvriers propriétaires de parcelles, les ouvriers-paysans et les paysans-ouvriers qui habitent à la campagne et vont travailler à la ville et qui sont des producteurs importants de denrées alimentaires. [...]

Z. Kowalewski, « De la tactique de la grève active », brochure publiée à Lodz fin 81.

L’affaire de tous les travailleurs.

Les conquêtes de la grève nationale d’août 1980 ont ouvert une nouvelle phase de la lutte des travailleurs polonais décidés à prendre leurs affaires en main. Aujourd’hui la contre-révolution est une réalité en Pologne. Le pouvoir bureaucratique, plongé depuis des mois dans une crise sans précédent, use de ses dernières armes. Devant l’inertie de l’administration civile de l’État, qui avait perdu toute capacité à diriger le pays, et devant la décomposition des bases du POUP, le pouvoir a considéré que sa dernière planche de salut résidait dans son appareil militaire. L’État de guerre instauré par le général Jaruzelski contre la classe ouvrière et contre la société toute entière tente d’écraser la révolution ouvrière par des méthodes qui relèvent d’un véritable terrorisme d’État.

Ces derniers mois, l’incapacité de l’appareil d’État et du parti au pouvoir à satisfaire les besoins matériels les plus élémentaires est devenue évidente aux yeux de tous. Néanmoins, les travailleurs mettaient leurs espoirs dans la réforme économique fondée sur l’autogestion ouvrière qui devait entrer en vigueur à partir de janvier 1982, les libérant d’un strict contrôle de la bureaucratie centrale et leur permettant de prendre le pouvoir dans les entreprises. Le développement d’un contrôle social sur la politique économique et la perspective des premières élections libres aux parlements locaux ; le printemps prochain, renforçaient ces espérances.

Au mois de novembre, l’abandon inattendu de la part du gouvernement de son propre projet de réforme économique et la décision de concentrer encore plus le pouvoir économique entre les mains de l’appareil bureaucratique provoque une grande tension sociale. Dans de nombreuses entreprises et certaines régions, les travailleurs de Solidarité commencèrent dès lors à se préparer à la grève active afin d’exercer un contrôle sur les moyens de production et de distribution, d’instaurer une véritable autogestion ouvrière et d’imposer une réforme économique par le bas, au travers d’un vaste mouvement de masse.

Simultanément, pour assurer l’autodéfense en vue de la prise en main des entreprises et de leur gestion par les travailleurs, Solidarité commença à préparer la mise en place de gardes ouvrières. La question de savoir qui devait détenir le pouvoir - une minorité privilégiée ou les masses laborieuses elles-mêmes - commença à être discutée au sein de Solidarité. Une situation directement révolutionnaire surgit dès lors en Pologne. C’est alors que la hiérarchie de l’armée polonaise décida de mener à terme les préparatifs du coup d’État pour imposer sa dictature. Préparatifs qui avaient commencé depuis un an mais auxquels, dirigeants de Solidarité, nous avions prêté une attention insuffisante.

Aujourd’hui le recours aux baïonnettes surprime non seulement la possibilité d’un socialisme ouvrier et autogestionnaire auquel aspirent les syndicats libres et les masses laborieuses polonaises, mais également les droits élémentaires de l’homme, du citoyen et du travailleur.

La révolution polonaise, qui constitue l’une des expériences les plus avancées eet les pus audacieuses au monde du point de vue de l’émancipation des travailleurs, court le péril de se voir écrasée. La classe ouvrière et le peuple polonais sont décidés à résister, mais ils ont besoin d’un appui unitaire et déterminé de la part des travailleurs du monde entier, et en premier lieu des puissantes organisations syndicales d’Europe occidentale. La défaite de Solidarité représenterait leur propre défaite. Ce qui se passe aujourd’hui en Pologne est l’affaire de tous les travailleurs.

Z. Kowalewski, membre du présidium de Solidarité de la région de Lodz, en exil en france.