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Origine :
http://www.adels.org/rdv/autogestion/16_actualite_de_l%27autogestion.rtf
Le texte qui suit a servi à la préparation des diverses
interventions d'un séminaire organisé lors du Forum
social européen de Saint-Denis et Bobigny. Hormis quelques
modifications de forme mais aussi l’adjonction des notes en
annexe, il est publié dans sa forme originelle. L’intervention
orale qui ouvrit le séminaire en donnait un résumé.
Cette approche ne prétendait d'aucune façon fonder
un consensus. L'un des enjeux de ce débat était précisément
de dégager les convergences possibles entre les diverses
sensibilités se réclamant de l'Autogestion et plus
encore peut-être d'évaluer leur capacité à
gérer leurs divergences. Cela est essentiel, car l'Autogestion
ne tend pas à l'uniformité mais à la reconnaissance
et à l'articulation des différences.
Traiter de l’actualité de l’autogestion, c’est
considérer que dans les crises et les béances que
provoquent les transformations de la production et des institutions
capitalistes, il apparaît des aspirations et des ouvertures
qui la rendent concevable et nécessaire. Nous avons à
montrer et si possible à démontrer que l’autogestion
généralisée, la République autogérée,
peuvent définir et structurer un nouveau projet de société.
Nous avons constamment à souligner, ce qui dans les pratiques
et les revendications des mouvements de contestation –que
les causes en soient sociales, politiques, écologiques- exprime
les aspirations à l’autodétermination, à
l’autogestion. Parce que c’est un trait constant et
peut-être pour cela constamment minoré. Parce que c’est
plus que jamais, une condition de l’émancipation du
plus grand nombre.
Le “ mouvement des mouvements ”, l’altermondialisation,
est la première manifestation massive, qui exprime à
l’échelle planétaire cette volonté populaire
d’autodétermination. Ce mouvement témoigne ainsi
de la diversité et de l’intrication des problèmes
et des oppositions que soulève le capitalisme globalisé.
Mais il n’est pas encore parvenu à construire les concepts,
les structures, les stratégies, qui sont indispensables à
la synergie, des forces sociales et politiques qui peu ou prou se
reconnaissent en lui, pour mettre fin aux méfaits de ce système
de domination et d’exploitation des ressources humaines et
naturelles.
L’ambition de ces rencontres est de contribuer à la
construction de ces outils intellectuels. Nous appartenons ou avons
appartenu à des familles politiques différentes, nous
provenons de pays différents, mais nous avons en commun la
volonté de dépasser le capitalisme, de construire
d’autres rapports humains, d’autres institutions, un
autre monde. Nous avons aussi en commun l’importance que nous
attachons comme moyen et comme fin à l’autodétermination
du plus grand nombre, à l’auto-gouvernement, ou pour
le dire autrement à l’autogestion. Les formations sociales,
les institutions de nos pays sont très comparables, comme
nos interrogations, non sur l’Europe des peuples, mais sur
celle qu’au nom d’un prétendu libéralisme,
les gouvernements en place construisent. Dans ces conditions, la
diversité de nos parcours, de nos implications, bien loin
de nuire, devrait enrichir nos problématiques respectives,
favoriser le dialogue entre nous et avec les diverses composantes
de l’altermondialisation.
QUEL MONDE, QUELLE SOCIETE ?
La mondialisation, tendance inhérente au capitalisme, atteint
un nouveau stade. Sans engager ici un débat sur la périodisation
de ce mode de production, il me semble utile de se positionner dans
le débat en cours sur la caractérisation de cette
période. Il faut, me semble-t-il, réfuter les thèses
(1) selon lesquelles le capitalisme serait entré avec “l’économie
de la connaissance ” dans une nouvelle et longue ère
de développement, de stabilité. Pour autant on ne
peut se satisfaire d’une vision du présent comme un
développement presque linéaire de ce qui fut au XX°
siècle. Des caractérisations comme “ néo-tayloriste
” (2) ou “ super-impérialisme ” ne disent
que peu de choses sur les conditions actuelles de dépassement,
de rupture. Il y a en œuvre des transformations fondamentales
et largement irréversibles du procès de travail et
de valorisation, des institutions politiques, des formations sociales.
La persistance et même l’extension de certaines formes
antérieures d’exploitation et de domination ne doivent
pas nous dissimuler que prennent forme et force de nouvelles contradictions.
La globalisation capitaliste comprise non seulement comme mondialisation
mais comme nouvelle phase de “ socialisation ” -au sens
de Marx- pose de redoutables problèmes, mais ouvre de nouveaux
possibles. Je n’irai pas jusqu’à dire comme André
Gorz (3) que déjà “ plusieurs modes de production
coexistent ”. Mais les prémisses d’une nouvelle
société semblent rassemblées, le dépassement
de l’ancienne est concevable. Ce sont ces conditions concrètes
qui donnent toute son actualité au projet autogestionnaire.
Toute réflexion sérieuse sur le système complexe
et contradictoire de rapports sociaux, d’institutions, se
développant à l’échelle de la planète,
suppose sans doute de reprendre les analyses, de retravailler les
concepts. La marchandisation, la financiarisation, la mondialisation,
le procès de travail et celui de valorisation, les trames
politiques et les structures sociales, tout fait question. Les matériaux
pour cette reconstruction ne manquent pas, loin s’en faut,
mais les synthèses restent à construire. Elles sont
très largement conditionnées par le développement
des conflits et des luttes, par l’expérience collective.
Ne pouvant ignorer cette nécessité ce séminaire
devra donc limiter, relativiser, ses ambitions.
En charge de cette introduction, je m’en tiendrai à
trois angles de vue sur la société capitaliste telle
qu’elle se présente au début du XXI° siècle.
Les transformations du procès de travail, des institutions
politiques, des formations sociales me paraissent en effet poser
des questions essentielles pour notre débat. (4)
LE TRAVAIL EN QUESTION
L’incontestable transformation du procès de production
et notamment du procès de travail dans la dernière
partie du siècle passé, fait l’objet d’analyses
nombreuses et souvent divergentes. Faisant ici l’économie
d’une critique argumentée j’avancerai les propositions
suivantes :
Le travail intellectuel est devenu déterminant pour l’ensemble
des procès de production et de valorisation. La conception,
la simulation, l’innovation parfois, un travail intellectuel
en tout cas, préfigurent chaque moment du processus. Celui-ci
suppose une formalisation, une intégration des savoirs, ceux
de l’ouvrier, du technicien et de l’ingénieur,
dans une démarche souvent plus pragmatique que scientifique.
Entre l’homme et la matière s’installe ainsi
une nouvelle médiation. C’est manifeste dans les épicentres
de la société capitaliste ; c’est déjà
perceptible à la périphérie où coexistent
les formes les plus archaïques et les plus modernes de travail,
donc d’exploitation et de domination. L’image selon
laquelle c’est l’occident qui conçoit et le sud
qui construit (5) risque en effet de nous dissimuler que les deux
pôles sont entraînés dans un même mouvement.
Sur le court et moyen terme et au-delà, sans doute n’aurons-nous
pas, les mêmes formations sociales. C’est une autre
question.
Mais déjà les multinationales transfèrent
dans ces nouveaux marchés, leurs capitaux et leurs techniques.
Si la main d’œuvre même qualifiée y est
très chichement payée, s’il y a des sous-traitants
qui pendant un certain temps peuvent maintenir des outils archaïques,
le modèle “ cognitif ” s’impose. Des transferts
s’opèrent, des concentrations se font. En Chine(6),
en Inde(7), à Singapour, l’informatique et les informaticiens
sont de plus en plus présents. Comme les intérêts
financiers, les logiques cognitives se mondialisent. Les messages
techniques, financiers, politiques véhiculés par les
réseaux de télécommunications, transmettent
aussi des normes et des représentations. Ce "capitalisme
cognitif" n’est pourtant qu’un modèle, un
principe d’organisation de la production marchande. Comme
le "taylorisme" avant lui, il est à la fois minoritaire
et déterminant dans l’ensemble de la production des
biens et des services.
La coopération d'une série d’acteurs de divers
métiers, souvent de divers continents est requise pour la
conception des marchandises, comme pour la mise en œuvre des
divers moments de leur fabrication et de leur valorisation. La démarche
ne se limite donc pas à l’intégration dans les
logiciels du savoir-faire ouvrier ; les salariés sont de
façon directe ou indirecte, constamment sollicités.
Pour accroître la productivité donc le profit, il faut
que tous les acteurs s’impliquent dans le travail commun,
en comprennent les finalités, en partagent les modalités.
S’il y a peu d' années encore, Robert Solow s’étonnait
que l’informatisation ne semblait pas entraîner de croissance
de la productivité, plusieurs études (8) paraissent
depuis avoir élucidé le paradoxe. C’est précisément
l’organisation de cette chaîne d’échange
et de collaboration qui conditionne la productivité d’une
machinerie informatisée.
Le savoir se développe ainsi. Nombre de travaux apparemment
simples réclame une connaissance de la société,
de ses codes, de ses rythmes ; la généralisation de
l’enseignement primaire et secondaire est aujourd’hui
censée y pourvoir, mais la “ quotidienneté ”
tout encombrée qu’elle soit d’idéologies
marchandes et étatiques y contribue et donne à un
grand nombre une capacité de dialogue et d’initiative,
un savoir-être. Celui-là, souvent nécessaire
à la coopération dans les filières de production
de biens matériels, est indispensable dans les services aux
entreprises et aux particuliers. Les salariés, de toutes
les branches et de toutes les qualifications, en nombre croissant,
doivent en même temps posséder et croiser un savoir,
un savoir-faire, un savoir-être . Cette force de travail qualifiée
est le produit de l’enseignement, de l’information,
des sciences et des arts et donc des salariés qui s’y
emploient ; ce travail est un travail complexe (9). Elle est aussi
le fruit de l’expérience collective et individuelle
dans les entreprises, les institutions, la société,
c’est une culture, c’est un produit social. Même
si elle n’est nullement dépassée, à l’échelle
planétaire notamment, la dichotomie entre la connaissance
et le travail, c’est-à-dire aujourd’hui entre
le capital et le travail, est en question. Ainsi le concept marxien
de “ général intellect ” prend vie sous
nos yeux. Mais nul ne garantit, qu’il aura la vie facile !
Ces tendances en œuvre dans les pays où nous vivons
et agissons se développent donc de façon contradictoire
:
• Le savoir, scientifique ou social, en se généralisant
se banalise. Les couches techniciennes, elles aussi mises en concurrence
avec la main d’œuvre des pays dominés, se retrouvent
sous la pression de la flexibilité et de la précarité.
• Les frontières entre travail et non-travail deviennent
poreuses. Le non-travail est nécessaire à la construction
et au développement de la compétence. L’élaboration
n’a cure des horaires de travail. Pourtant le Capital, prétend
toujours faire du temps la mesure du travail salarié. Avec
le "modèle de service", il veut accroître
la responsabilisation individuelle. Cela contribue à un climat
permanent d'instabilité, voire de culpabilité, dans
les entreprises. La réduction de l'effort physique s'accompagne
souvent d'une pénibilité accrue du travail.
• C’est l’agencement des collectifs de travail
qui élève la compétitivité et la compétence
globales ; dans leur pratique se construit un savoir collectif qui
échappe largement aux états-majors financiers. Les
contradictions entre travail concret et travail abstrait, valeur
d'usage et valeur d'échange, donc entre travailleurs et patrons,
prennent de nouveaux contenus.
LA CRISE DES INSTITUTIONS POLITIQUES.
La démocratie représentative présente tous
les symptômes d’une crise systémique. La complexité
grandissante des rapports sociaux, la domination du capital financier,
concourent à des modifications drastiques des fonctions des
institutions nationales ou internationales (10). Ces modifications
rendent de plus en plus fragiles et conflictuelles les régulations
sociales et politiques qui deviennent pourtant la principale fonction
des Etats.
La représentation en question
Les rapports sociaux sont devenus plus complexes. La gestion de
la cité, de la société, réclame la mise
en cohérence d'intérêts diversifiés souvent
contradictoires. L'Etat capitaliste et à sa tête le
gouvernement, ont dans ce dessein, deux références
majeures, le profit et la stabilité politique et sociale.
Pour assurer l'un et l'autre ils doivent tenir compte des attentes
populaires, les satisfaire quelquefois, le plus souvent les contenir.
Outre les arbitrages entre les divers intérêts capitalistes,
ils ont aussi à tenir compte des revendications salariales,
féministes, écologistes, humanistes, etc. Dans la
plupart des cas les attentes populaires sont déçues.
par le contenu de leurs réponses mais aussi par l'absence
de dialogue préalable. En effet l'activité de chaque
individu se déroule dans des rapports, dans des espaces sociaux
différents et diversifiés. L'individu concilie plus
ou moins bien ces moments et ces activités. Mais les partis,
les syndicats, les associations, des groupes informels, différencient
et formalisent les aspirations et les demandes répondant
à l'une des facettes de l'existence individuelle. Ce sont
ces représentations -le discours et le représentant-
qu'il faut convoquer. L'objectif n'est pas seulement la délibération
mais aussi l'appropriation par le plus grand nombre des déterminations,
des conditions de la vie sociale. Dans les régimes politiques
actuels l'absence de ce moment décisif d'une effective démocratie
réduit plus encore l'efficience des décisions d'administration.
Dans le régime que nous souhaitons il faudrait sans aucun
doute à la concertation ajouter l'action, l'expérience
collective.
Mais ce qui est vrai pour les différentes activités
l'est aussi pour les territoires. La façon d'articuler ces
moments du processus démocratique, de distribuer et contrôler
les responsabilités des différentes institutions,
aux différents niveaux territoriaux réclame débats
et expériences, mais cela dépasse largement mon propos
immédiat.
La démocratie représentative est bien loin de répondre
à ces exigences. On s’en remet à des assemblées
- souvent lointaines et pressées - pour trancher de questions
qui le plus souvent n’ont fait l’objet d'aucun débat
et moins encore de mandat, des intéressé(e)s. Ainsi
les politiciens et les technocrates, obnubilés les uns et
les autres par des enjeux d'appareils et de pouvoir, peuvent à
l'infini répéter les mêmes erreurs ou en inventer
de nouvelles. Mes critiques visent au premier chef des institutions
qui se consacrent à la reproduction du capitalisme. Mais
chacun comprend qu'elles pourraient en concerner d'autres.
Le Capital et l’Etat
Avec l’implosion de l’empire “ soviétique
” se sont effacés des obstacles majeurs à l’expansion
mondiale du Capital. Pour un temps au moins le spectre du communisme
a disparu. Les peuples ont perdu des espérances, les petits
Etats des recours ; même fallacieux ils nourrissaient leurs
résistances.
Sous la bannière du libéralisme économique,
les grandes puissances capitalistes entreprennent une ultime reconquête
qui bouscule ou marginalise les Etats résultant de la grande
vague anti-coloniale et ceux qui émergent de la décomposition
de l'empire russe. La marchandisation et la financiarisation, l’expansion
et la concentration, tout l'arsenal du capital se déploie.
Dans chacune des branches de l’industrie et des services se
constituent des mastodontes mondiaux. Dans cette compétition,
les Etats accompagnent d'abord leurs champions industriels et financiers.
Mais le nombre de ceux-ci se réduit. Fusions et acquisitions
font que les assemblées générales et les conseils
d'administration deviennent cosmopolites. Quelques centaines de
groupes mondiaux émergent. Leurs attaches industrielles,
financières, politiques sont multiples et leurs orientations,
leurs décisions, échappent très largement au
contrôle des Etats. Un grand nombre d’accords économiques,
de conventions normatives, d’arbitrages interviennent sans
l’assentiment de ceux-ci, ni même leur information.
Il y a des “ lois ” qui n'ont plus besoin d'Etat. Soumis
aux pressions du marché financier, engagés dans le
marchandage politique international, les Etats ont de moins en moins
de moyens juridiques ou législatifs de s'opposer - s'ils
le souhaitaient- aux exigences du Capital. Il y a d'évidence
des moments, des conflits, où ils retrouvent une marge d'autonomie
à l'égard des logiques et des pouvoirs dominants à
l'échelle planétaire. Mais en règle générale
il faut pour amener à résipiscence, telle ou telle
multinationale, tel ou tel Etat, de puissantes et durables mobilisations
populaires. Les manifestations contre l'invasion de l'Irak, furent
sans précédent par leur ampleur et par le nombre de
pays où simultanément elles eurent lieu. Elles n'ont
pas ébranlé les pouvoirs étatsuniens, faute
sans doute de pérennité et donc de structures spécifiques.
Aujourd’hui les Etats occidentaux –capitalistes de
constitution - n’ont nulle raison et en tout cas guère
de possibilité de récuser la domination mondiale du
capital financier. Leur existence n’est nullement menacée,
mais leurs fonctions ont changé. Dans les périodes
antérieures, ils devaient assurer le développement,
la coexistence, les privilèges voire le monopole des capitaux
allogènes, donc l'ordre dans le territoire national et l’empire
colonial. Maintenant la tâche majeure des Etats est l’ouverture
de toutes les frontières aux marchandises et aux capitaux,
c'est-à-dire la défense du nouvel ordre mondial. Le
conflit larvé entre le gouvernement Bush et certains pays
européens n'est pas un conflit entre des impérialismes
concurrents, mais porte sur la meilleure façon de gérer
l'Empire capitaliste. Les successifs gouvernements étatsuniens
prétendent régenter cet empire, cela est évident
sous Bush, plus discret mais déjà présent sous
Clinton ; les déboires en Afghanistan et en Irak peuvent-ils
les conduire à se contenter de l'hégémonie
?
Ainsi, hormis pour quelques fonctions régaliennes, notamment
militaires, et un clientélisme favorisant certains groupes
amis, le protectionnisme n’a plus guère de raison d’être.
Le couple Etat-Capital est toujours inséparable, mais la
distribution des rôles n'est plus la même.
Une régulation européenne ?
"Comme tant d'autres choses en Europe après 1945, la
"Communauté" fut à la fois créée
par et contre les Etats-Unis". Institution modérant
les tensions sociales et politiques au cœur du continent, militarisée
lors de la “ guerre froide ”, elle affirme à
la fin de celle-ci une autre vocation. Le traité de Rome
institutionnalise la prééminence du marché,
l’économie européenne s'intègre progressivement
au grand marché mondial, mais les Etats confortent les institutions
communes mises en place L’ existence de ces dernières,
au moins autant que l’intention, rend concevable l’autonomie
politique. La domination des USA est en question, potentiellement
au moins. C’est dans cette ambiguïté que se construit
et s’élargit l’Union européenne.
Dans cette construction, les Etats abandonnent aux institutions
européennes certaines de leurs prérogatives et même
des droits régaliens sont délégués.
Fruit de compromis incessants, tant sur le fond que sur la forme,
les accords européens ne peuvent aboutir que si la négociation
est discrète et les textes suffisamment abscons pour autoriser
des nuances dans leur interprétation. Dans les conflits permanents
qui agitent les instances européennes, la Commission face
au Conseil, a une capacité d’arbitrage et de suggestion
qui renouvelle la parabole du maître et du serviteur. Les
assemblées nationales, issues du suffrage universel n'ont
plus qu'une fonction législative subsidiaire. Les avancées
de la démocratie représentative sont en question.
Il semble donc que les méthodes de régulation politique,
traditionnelles en Europe aient fait long feu. La démocratie
parlementaire, instituée à la fin du XIX° siècle,
dans une grande partie de l'Europe occidentale permettait de fait
une reconnaissance réciproque de l’Etat et du prolétariat.
Les partis de gauche et ouvriers faisant preuve de leur fidélité
au régime furent progressivement intégrés au
dispositif parlementaire et gouvernemental. Leur posture devint
ambiguë ; leur représentativité supposant à
l fois qu’ils expriment les revendications et les attentes
de leur électorat mais aussi qu’ils se portent garants
des compromis conclus et donc de la discipline de leurs mandants.
Condition de la construction du prolétariat en classe pour
soi, ces partis en même temps l’empêchèrent
de réaliser son opposition organique au capitalisme. Aujourd'hui
les partis de gauche sont affectés par la délégitimation
de la démocratie parlementaire, mais aussi par la réduction
ou la dispersion de leur base sociale originelle.
Dans la crise larvée qui frappe les démocraties occidentales,
nombre de mesures sont expérimentées avant d'apparaître
comme de simples expédients. Primauté des exécutifs,
compétence restreinte des assemblées élues,
bipartisme, partis confinés à leurs fonctions tribunitiennes,
tout cela, aux yeux du plus grand nombre, prive les régimes
parlementaires de leur légitimité antérieure.
La montée de l’abstention dans la plupart des élections
en est la traduction. Le maintien de l’ordre ne peut plus
reposer essentiellement sur l’intégration démocratique,
c’est la coercition, voire la répression, qui devient
l’instrument premier de gouvernement. Il y a un basculement
à droite d’une grande partie des gouvernements “
occidentaux ”. La droite “ libérale ” courtise
les populistes. Une nouvelle polarisation sociale et politique s’esquisse
sans qu’apparaissent encore de projets et de structures ouvrant
une alternative crédible.
• Le capital ne pourra pas poursuivre très longtemps
dans la voie populiste et réactionnaire illustrée
notamment par Bush ou Berlusconi, sans une dictature explicite.
Or dans les conditions actuelles, il lui déjà difficile
d’obtenir une implication soutenue des salariés dans
la production des biens, des services et des savoirs. Car le niveau
de vie se détériore pour certains, stagne pour beaucoup
et les dysfonctionnements sociaux et politiques se multiplient.
En même temps la possibilité en Europe, d'un nouveau
compromis social-démocrate achoppe sur l'inexistence, de
programme, de base et de mobilisation sociales
• Les partis de gauche et d’extrême gauche ne
pourront s’en tenir longtemps à des attitudes électoralistes
ou proclamatoires. A défaut d’alternative effective
aux orientations répressives, aux pulsions régressives,
les conditions existent pour un renouveau idéologique et
pratique de forces réactionnaires et racistes, redondance
du fascisme dans un nouveau contexte. Or la conception et l’appropriation
d’un projet alternatif par le plus grand nombre réclament
des initiatives et des avancées concrètes, des formes
nouvelles de démocratie militante.
LES FORMATIONS SOCIALES
Les transformations du procès de production entraînent
une évolution des formations sociales. Les sociétés,
les classes, des pays européens, malgré des spécificités
durables, sont engagées dans un même mouvement.
Il y a en Europe, une polarisation croissante entre capitalistes
et travailleurs. Les classes capitalistes, “ mondiales ”
ou “ allogènes ”, plus puissantes que jamais
sont numériquement plus réduites. Les petits propriétaires
du commerce et de la terre, très souvent attachés
au profit, sont de moins en moins nombreux. Les salariés
sont devenus la très grande majorité. Il y a néanmoins
une forte interrogation sur les forces sociales capables d'assumer
les changements et les ruptures nécessaires, forces qui en
tout cas ne paraissent pas pouvoir se limiter au “ prolétariat
”.
Le vocabulaire que les uns et les autres nous employons - les gens,
la multitude, le peuple, le plus grand nombre, le salariat, le travailleur
collectif - traduit ces incertitudes. Car ces approximations ne
désignent ni des classes, ni des groupes sociaux ; elles
ne se référent pas à des espaces de socialisation,
à des structures où se confronteraient et se mémorisaient
les expériences collectives. Cela renvoie alors au “
peuple-événement ” de Pierre Rosanvallon ; un
peuple mis en mouvement par ses pulsions plus que par la raison.
A charge pour les penseurs de lui fournir celle-ci...Le “
salariat ” voudrait rappeler le “ prolétariat
”, mais un nom ne peut tenir lieu de concept et moins encore
suffire à définir, à construire une force sociale.
Le salariat c'est “ la concurrence des ouvriers entre eux
” disait déjà au XIX° siècle le Manifeste
communiste. Aujourd'hui, le risque d'une scission entre “
la force de travail qualifiée et la force de travail totalement
déqualifiée ” tant à l'échelle
de l'entreprise que de la planète est bien réel. Ce
facteur vient s'ajouter à des causes plus anciennes de régression
de la conscience de classe. La dispersion des grandes unités
industrielles, la diversification des métiers, la désaffection
des syndicats et des partis ouvriers, tout cela l'atteint.
Mais le problème n'est pas seulement la classe "pour
soi" mais aussi la classe "en soi". Le développement
de ces nouvelles couches salariées, que les statisticiens
désignent comme “ professions intermédiaires
”, en effet nous interroge. Des salaires plus élevés,
des professions plus qualifiées, ne les impliquent pourtant
pas dans leur majorité, dans l'exploitation ou la domination
capitalistes. Plus dégagés des contraintes économiques
et hiérarchiques, ils sont souvent plus sensibles aux contradictions
sociétales et environnementales, apportant ainsi à
la contestation des dimensions indispensables. Une participation
significative de ces groupes sociaux aux conflits et aux luttes
anticapitalistes conditionne la constitution d'un nouveau bloc social
majoritaire.
En attendant, le mouvement alter-mondialiste est l'analyseur.
Il porte la contestation au niveau planétaire où se
tiennent les pouvoirs réels. En même temps les mouvements
qu'il rassemble ne s'opposent aux dysfonctionnements, aux dominations,
aux exploitations que dans des espaces sociaux spécifiques,
parcellaires. Si les hommes et les femmes, engagés dans ces
mouvements, sont concurremment ou successivement, présents
dans nombre de ces espaces, ils ne se sentent particulièrement
impliqués que dans certains d'entre eux. Ce sont alors les
méfaits du capitalisme qui sont mis en cause plus que son
existence. L'écrasante puissance des pouvoirs dominants,
la réelle difficulté à concevoir des réponses
globales expliquent très largement cette fragmentation du
politique. Les partis de gauche et d'extrême-gauche auraient
vocation à proposer de telles réponses. L'implication
dans les appareils d'Etat des uns, les postures passéistes
des autres, les disqualifient. Est-ce conjoncturel, est-ce organique
?
Pour le dire autrement et schématiquement, la “ classe
ouvrière ” ne doit pas et ne peut plus, prétendre
à l'hégémonie et moins encore le “ parti
”. L'acteur social du changement ne peut se construire, les
mouvements sociaux se constituer en force sociale à la dimension
des adversaires et des enjeux, sans un projet où chacun reconnaît
ses objectifs, comprend et accepte ceux des autres. Le projet ne
peut être élaboré, approprié par le plus
grand nombre sans la participation et l'expérience, des mouvements
sociaux. L'acteur et le projet sont ainsi leur condition réciproque.
Comment sortir de cette opposition paradoxale si ce n'est en multipliant
les démarches et les structures autogestionnaires, les rencontres
et les initiatives des hommes et des femmes militants dans les divers
espaces sociaux, dans les diverses formes associatives et politiques.
Ainsi l'Autogestion apparaît commeune condition de sa propre
généralisation.
EN GUISE DE CONCLUSION
Allant un peu au-delà de l’introduction annoncée,
je voudrais souligner ce qui me sépare de beaucoup d’auteurs
y compris amis(11). La plupart, favorables ou sceptiques, traitent
des perspectives autogestionnaires, en termes d’institutions
et de droit. Cela me paraît important mais second, ce qui
en bon français ne veut pas exactement dire secondaire. L’Autogestion,
la démocratie autogestionnaire, dans sa genèse comme
dans son développement c’est une praxis(12). Ce sont
les rapports sociaux, les sociabilités et les conflits, qu’ils
engendrent, qui permettent au plus grand nombre de s’approprier
des savoirs, ou plus exactement d’acquérir au travers
des expériences collectives et individuelles une capacité
à construire un savoir. Il ne s’agit pas que chacun
sache tout et de tout décide. Il s’agit dans le travail,
dans la politique, dans la vie quotidienne d’apprendre à
discerner et analyser, hiérarchiser et articuler, les problèmes,
d’apprendre aussi à en débattre et à
tester, expérimenter les réponses. C’est avec
cette exigence première que l’on peut concevoir, construire
de nouvelles règles sociales. En un mot, pour moi, l’Autogestion
c’est une culture.
Michel Fiant, le 30 octobre 2003
notes
(1)Le débat sur les transformations en cours dans le capitalisme
est trop riche et trop important pour s'y engager à la légère.
Le risque serait ici de minorer celui concurremment nécessaire
sur la construction et la généralisation de l'autogestion.
Par facilité de langage il m'arrive de désigner l'époque
actuelle commecelle du “ capitalisme cognitif ”. Cela
ne signifie nullement que je me retrouve dans les hypothèses
qui voudraient que le savoir soit produit en dehors du processus
global de la production des biens et des services et qu'il y ait
donc lieu de rejeter sans autre forme, les concepts hérités
des socialistes et des communistes du XIX° siècle. Certes,
comme tout outil, concepts et théories doivent être
retravaillés lorsque la matière révèle
des propriétés ignorées, des mutations imprévues.
Nous sommes en face d'une nouvelle phase du capitalisme - “
tardif ” disait Ernest Mandel, “ en survie ” renchérissait
Henri Lefebvre- pas d'un nouveau capitalisme. Les interrogations
exprimées entre autres par Antonella Corsani ne me paraissent
donc pas fondées. “ Le capitalisme cognitif : les impasse
de l'économie politique ” in “ Sommes-nous sortis
du capitalisme industriel ?” sous la direction de Carlo Vercellone-
La Dispute 2002.
(2). “ On ne décèle aucune tendance d'une montée
en puissance du modèle cognitif suffisante pour supplanter
le modèle actuellement dominant que l'on peut qualifier de
néo-taylorien. On assiste au contraire à une articulation
entre ces deux modèles. ” Michel Husson "Sommes
nous entrés dans le “ capitalisme cognitif ”
? ”. Critique communiste n° 169/170.
(3)"L'immatériel" André Gorz. Galilée
2003
(4) Un Atelier précédent a abordé la définition
et la mise en œuvre du projet autogestionnaire donc la stratégie,
les acteurs du changement, les formes de la démocratie autogestionnaire,
les articulations entre le plan et le marché, l'appropriation
sociale, etc.. Comme on pouvait s'en douter, le débat n'est
pas clos. Il est vraisemblable que la transition entre la société
capitaliste que nous connaissons et celle que nous entrevoyons ne
pourra s'accomplir qu'au travers d'une "chaîne de révolution".
Mais si le XVIII° et le XIX° siècles nous ont appris
ce qu'était la révolution bourgeoise, si le XX°
nous a montré ce que n'était pas la révolution
socialiste, il reste à concevoir et à réaliser
la “ révolution de l'autogestion ” ou pour le
dire autrement l'autogestion de la révolution.
(5) “ La connaissance devient un input primordial : sa production
et sa détention obéit à des logiques cumulatives
qui engendrent des inégalités croissantes entre les
individus et les territoires. Dés lors la mondialisation
est loin de correspondre à une véritable intégration
planétaire des économies aux échanges de biens,
de capitaux et de technologies. Elle se traduit en réalité
par un processus de polarisation de ces flux entre et à l'intérieur
des pays riches de la Triade, selon une logique qui, tout en impliquant
certains pays émergents, aboutit pour la plupart des pays
à dotations naturelles à une déconnexion forcée,
les seuls avantages de ces derniers résidant dans la disponibilité
de ressources naturelles ou de main-d'œuvre à bas prix.
” El Mouhoub Mouhoud “ Division internationale du travail
et économie de la connaissance" in "Sommes-nous
sortis du capitalisme industriel ? ” œuvre citée.
(6)Thomson a annoncé le 3 novembre 2003 la création
avecle groupe chinois TLC d'une co-entreprise dont le français
ne détiendrait que 33% et serait donc minoritaire, temporairement
au moins. La construction et la commercialisation de téléviseurs
et de lecteurs de DVD de Thomson sont cédées au nouveau
groupe avec notamment les usines situées au Mexique, en Pologne,
en Thaïlande. Elles viendront s'ajouter à celles de
TLC en Chine , au Vietnam, en Allemagne. TLC-Thomson electronics
sera le premier groupe mondial dans sa branche avec 8 % du marché
européen, 18 % du marché états-unien et 18
% du marché chinois devenu le 1er marché mondial.
A moyen terme la mise en bourse d'une partie des actions détenues
par TLC devrait aboutir à un nouvel équilibre entre
les deux partenaires. (D'après Le Monde du 4 novembre 2003).
(7) La délocalisation de “ matière grise ”
aura des conséquences sérieuses tant en Occident qu'en
Asie. L'Inde forme déjà 260 000 ingénieurs
de haut niveau par an. Ceux-ci sont déjà plus nombreux
à Bangalore (150 000) que dans la Silicon Valley (120 000).
Plus de 200 000 emplois sont menacés en Grande Bretagne.
Les services financiers américains prévoiraient de
transférer 500 000 emplois à l'étranger d'ici
2008, principalement en Inde. Dans ce pays, les foyers “ aisés
” représentaient 284 millions d'individus en 2000,
soit deux fois plus qu'en 1994-1995. (Le Monde du 9 novembre 2003).
Ces mutations sociales font augurer de profondes crises politiques
à terme. Ces nouvelles élites seront amenées
à réclamer une participation aux pouvoirs politiques.
Une crise politique explicite ne manquerait pas alors, de faire
apparaître d’autres prétendants, les centaines
de millions de paysans sans terre et d’ouvriers sans travail.
(8) “ Les salariés utilisant les ordinateurs voient
leur travail transformé par les changements organisationnels
que facilite l'informatisation. Ils sont plus autonomes et en même
temps plus contrôlés. Ils sont soumis à une
plus grande pression et aux exigences parfois contradictoires d'organisations
complexes. Leur implication personnelle est plus forte. Le niveau
scolaire, la qualification, les responsabilités hiérarchiques
ou l'ancienneté restent déterminants dans l'accès
à l'informatique et encore plus à Internet. Au total,
l'informatisation reste largement tributaire des structures sociales
préexistantes même si, dans les entreprises fortement
réorganisées, les salariés ont, à profil
égal, plus facilement accès à l'informatique.
”
“ L'informatisation de l'ancienne économie ”
in “ Economie et statistique ” n° 339-340, 2000-9/10
-Michel Gollac et alii.
“ …seules les entreprises ayant simultanément
adopté des pratiques de travail flexibles et fortement investi
en informatique ont enregistré une forte hausse de la productivité
totale des facteurs. En revanche, la mise en œuvre de changements
organisationnels sans recours aux nouvelles technologies ou l'informatisation
sans réorganisation, ont un impact négatif sur la
productivité. ”
“ Le paradoxe de productivité ” dans la même
livraison de “ Economie et statistique ”. Philippe Askenazy
et Christian Gianella. :
(9) “ De nombreuses compétences (financières,
économiques, sanitaires , environnementales, etc.), qui jusqu'à
une époque assez récente entraient dans le champ de
la compétence générale des Etats (par application
de la “ compétence des compétences ” qui
est l'essence juridique de la souveraineté), sont désormais
hors de sa portée parce qu'il n'est possible de les gérer
qu'à un échelon plus vaste.”
“ Les fondements divers et successifs sur lesquels s'est
érigée la souveraineté de l'Etat donnent à
voir leur fragilité et, ce faisant perdent leur pouvoir légitimant.
Ni Dieu, ni la nature, ni même la raison ne peuvent plus emporter
la conviction dès lors que les droits du citoyen si hautement
proclamés, ne permettent pas la réalisation des droits
de l'homme. Ces derniers s'effritent pour tous ceux qui sont atteints
par l'exclusion. Des individus, parfois des fractions des peuples
ou des peuples entiers, sont rejetés dans une difficile survie
qui est la négation de la vie et la privation des droits
réels. L'Etat ne joue alors le rôle attendu que pour
un cercle d'individus qui va se rétrécissant et ne
correspond plus à l'universel social ”
“ Affaiblissement des Etats, confusion des normes ”
Monique Chemillier-Gendreau, in "Le droit dans la mondialisation"-
PUF 2001
(10) Le concept de “ travail complexe ” est avancé
par Marx dans “ Le Capital ” : comparé au travail
du fileur, celui du bijoutier est du travail à une puissance
supérieure…l’un est du travail simple et l’autre
du travail complexe où se manifeste une force plus difficile
à former et qui rend dans le même temps plus de valeur
”.Une note de bas de page en fait un commentaire rapide. (Œuvres
– La Pléiade, tome I, page 749).
C’est peut-être dans l’original allemand, rappelé
et traduit par Maximilien Rubel (page 1650) que Marx est le plus
explicite : “ Le travail qui est considéré comme
travail supérieur et complexe par rapport au travail simple
et moyen, est l’expression d’une force de travail dont
le coût de formation est plus élevé, dont la
production coûte plus de temps de travail et qui a, par conséquent,
une valeur supérieure à celle de la force de travail
simple ”. Il est sans doute nécessaire de poursuivre
l’élaboration du concept alors que les scientifiques,
les enseignants, les artistes, sont devenus des acteurs incontournables
de la formation de la force de travail du plus grand nombre et donc
qu’ils participent ainsi effectivement à la production
de la valeur des biens et des services marchands. D’autant
que le mode de vie, les rapports sociaux et politiques dans leur
ensemble, conditionnent le savoir faire et le savoir être
; non seulement le travail qualifié, complexe se généralise,
il est de surcroît un produit social.
(11) Je ne vise pas ici ceux qui considèrent que les idées
et les lois sont les matrices de toute société. Avec
eux c’est un tout autre débat dans le fond, voire dans
la forme, qu’il faut mener. Je n’ignore pas la réhabilitation
de la “ loi ”, nécessaire dans certains corpus
anti-capitalistes. Mais ici, nous sommes souvent confrontés
à une posture intellectuelle qui tout en reconnaissant nécessaire
l’Autogestion, fait de la “ prise du pouvoir ”
un préalable pratiquement absolu et renvoie celle-là
aux lendemains. Au contraire je prétends que non seulement
la construction du projet et de l’acteur, mais aussi le contenu
et les formes des ruptures, dés à présent réclament
une pratique-critique, d’auto-organisation et d’auto-gouvernement,
(12) Henri Lefebvre écrit dans “ Sociologie de Marx
” (P.U.F. 1974 - page 41) : “ la praxis est avant tout
acte, rapport dialectique entre la nature et l’homme, les
choses et la conscience ” mais aussi ( page 49) : “
Tout dans le social et l’homme est acte et œuvre. Même
la nécessité historique suppose le passage par l’action
– la praxis - du possible au réel, et laisse place
à l’initiative…La praxis au plus haut degré
(créatrice, révolutionnaire) inclut la théorie
qu’elle vivifie et vérifie. Elle comprend la décision
théorique comme la décision d’action. Elle suppose
tactique et stratégie. Pas d’activité sans projet
; pas d’acte sans programme ; pas de praxis politique sans
exploration du possible et de l’avenir. ”. C’est
avec ces significations que j’emploie le terme.
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