Origine : http://www.adels.org/rdv/autogestion/08_autogestion_et_entreporise_une_utopie_realiste.rtf
La question de l’autogestion renvoie à celle de l’entreprise.
Qu’est-ce qu’une entreprise ? La question a paradoxalement
été peu traitée, ni par la science économique
ni par la sociologie.
En fait, au sujet de l’entreprise, il se passe la même
chose que pour l’État, c’est la conception weberienne
en tant qu’institution de domination qui domine aussi bien
les points de vue de gauche que ceux des libéraux.
Max Weber entend par entreprise « une activité continue
en finalité et par groupement organisé en entreprise
une sociation comportant une direction administrative à caractère
continu, agissant en finalité ». Pour cet auteur, un
groupement est constitué « lorsque le maintien de l’ordre
est garanti par le comportement de personnes déterminées,
instituées spécialement pour en assurer l’exécution,
sous l’aspect d’un dirigeant ou éventuellement
d’une direction administrative ».
Il y a dans les définitions les plus courantes du politique
et de l’entreprise, une pensée implicite que Vincent
(1998 :14 ;15) formule ainsi à propos de Weber : «
la création de nouvelles valeurs ne peut véritablement
et directement concerner les grandes masses. Ces dernières
ne participent et ne peuvent participer à des processus de
création de valeurs que par l’intermédiaire
d’innovateurs charismatiques qui représentent une élite
peu nombreuse ». Vincent reprend des critiques formulées
par Schütz au sujet de la vision très limitée
des processus collectifs de transformation ou de création
de valeurs. En se plaçant ainsi significativement dans le
contexte de rapports de domination, Weber sous-estime les possibilités
de création de sens par le bas : « Il n’arrivait
pas à imaginer ou à se représenter le pouvoir
comme capacité de mobilisation collective, comme coopération
dans l’action et libération d’énergies
multiples » (Vincent, 1998 :19).
La condition humaine ne se définit pas dans la seule dialectique
de la caverne, ni dans celle des dominés et des dominants.
Hannah Arendt s’est élevée contre cette tradition
affrontant, comme le dit Ricœur (1989), la quasi-totalité
de la philosophie politique, Weber compris. Elle critique vivement
l’idée que « le rapport politique se définit
comme rapport de domination entre gouvernants et gouvernés,
lequel à son tour s'analyse en termes de commandement et
d'obéissance ». La domination est pour Arendt une interprétation
falsifiée et falsifiante du pouvoir, entendu comme pouvoir
de contraindre, comme pouvoir de l'homme sur l'homme. C’est
« l'action, la seule activité qui mette directement
en rapport les hommes, sans l’intermédiaire des objets
ni de la matière, (qui) correspond à la condition
humaine de la pluralité ». (1994) Il ne s’agit
pas de nier les phénomènes de domination, mais de
ne pas épouser ce seul point de vue pour penser le politique
comme le fait la tradition dominante de la pensée politique.
Cette tradition de pensée va assez souvent de pair avec
l’assimilation du politique au savoir, une tradition qui se
nourrit et de grande philosophie et de faux bon sens. C’est
la même tradition qui s’oppose à l’idée
d‘autogestion qui pourrait cependant se révéler
une utopie mobilisatrice en tant qu’alternative aussi bien
à la pensée marxiste léniniste qu’à
la pensée libérale.
Prôner l’autogestion représente une remise en
cause radicale de la tradition dominante qu’elle soit libérale
ou marxiste concernant les formes sociales possible du vivre ensemble
que cela soit dans la cité ou dans l’entreprise.
Adhérer à l’utopie autogestionnaire suppose
d’abord de contester la vision de l’homme et de la femme
comme plus ou moins compétent-e pour prendre en main les
affaires de la cité et de l’entreprise, plus ou moins
désireux - se de les prendre en main. Elle exprime aussi
l’analyse de la société comme expression nécessaire,
inévitable, des rapports de domination.
L’autogestion véhicule une triple idée :
Les hommes et les femmes sont compétents pour décider
dans l’entreprise comme dans la cité.
Les hommes et les femmes n’ont pas envie à priori de
se replier sur la sphère privée pour laisser à
d’autres les responsabilités
Les rapports sociaux ne sont pas par essence des rapports d’intérêt
ou de domination, il existe aussi de rapports de coopération.
Ce sont l’histoire, les pratiques, les expériences
qui construisent des rapports sociaux qui peuvent être de
domination, mais qui peuvent se déployer aussi dans d’autres
registres. C’est une question de choix politique.
Ces débats rejoignent ceux de la démocratie participative.
Ces quelques rapides remarques laissent entière la forme
possible de l’autogestion, celle de l’articulation avec
le marché, celle de la coordination nécessaire des
activités autogérées, celle de la planification
démocratique, comme celle de l’égalité,
le rôle des pouvoirs publics, et celui de la société
civile.
L’intérêt de la période, c’est
de pouvoir repenser librement les possibles d’une société
solidaire et démocratique, pour laquelle l’autogestion
peut représenter un chantier intellectuel stimulant.
Antoine Bevort, le 26 novembre 2004,
contribution au débat de l’Adels sur l’autogestion.
|