|
Origine : http://www.adels.org/rdv/autogestion.htm
http://www.adels.org/rdv/autogestion/03_l%27adels_et_l%27autogestion.rtf
article publié dans :
Franck Georgi (dir.), Autogestion. La dernière utopie, Paris,
Publications de la Sorbonne, juin 2003, 612 p., pp. 287-308
Le secteur de la Jeunesse et de l'éducation populaire apparaît
très peu autogestionnaire. Il est constitué de mouvements,
qui depuis la deuxième guerre sont devenus des partenaires
de l'Etat. Corps intermédiaires par excellence, méfiants
envers l'Etat et en même temps fascinés par lui, ils
ont accepté la délégation de mission qui leur
était donnée, celle de l'éducation dans le
pluralisme, à côté et en plus de l'instruction
donnée à l'école. Ils ont préservé
leur individualité mais collectivement, ils ont ainsi cherché
de la reconnaissance. Beaucoup plus que l'autogestion, qui semble
très peu atteindre ces quelques 70 mouvements, c'est souvent
la cogestion qui a été en discussion, la cogestion
étant alors une manière de gérer à quelques
mouvements cooptés et auto-légitimés des budgets
et des moyens accordés par l'Etat. Des mouvements dans ce
secteur se sont positionnés depuis les années 1950
par rapport à cette philosophe de la cogestion, la plupart
y ont été favorables, d'autres (tels la Ligue de l'Enseignement)
se sont montrés plus réticents .
Un des rares mouvements qui me semble avoir été au
coeur de discussions sur l'autogestion dans les années 1960-1970
fut l'ADELS. Non pas parce que ce mouvement avait lui-même
un fonctionnement autogestionnaire, mais parce que son domaine de
compétences l'amenant sur le terrain du municipal et du local,
il construisit des argumentations et il constitua un corpus d'analyse
par rapport au territoire, et par la suite, il prit des positions
par rapport à la participation directe des habitants à
leur propre vie territoriale.
Mais l'ADELS n'a pas écrit son histoire, même si récemment
elle a fêté ses 40 ans, et l'association ne s'est pas
encore sérieusement préoccupée de ses archives.
Une chance cependant : l'ADELS est un mouvement qui a beaucoup écrit,
ce fut même une de ses principales activités. J'ai
donc eu à ma disposition l'ensemble des revues et ouvrages
publiés par ou avec l'ADELS et rédigés directement
par les militants de cette association. Cette communication est
donc encore très provisoire, car le simple dépouillement
des imprimés ne peut suffire. Il manque les ambiances, les
conflits, les atmosphères que seules les archives de première
main peuvent apporter. Je tenterai néanmoins de débusquer
ici la manière dont le terme d'autogestion se trouve employé
et interprété, à l'intérieur de l'ADELS
et dans son environnement immédiat.
1 - L'ADELS ou le pouvoir de l'écriture
L'ADELS est née en 1958, et se déclare en association
1901 aux lendemains des élections municipales. Un journaliste
en présentera ainsi les origines : "Elle a été
lancée par des élus et militants d'une dizaine de
municipalités de gauche, mais non inscrites, qui voulaient
se démarquer de la vieille gestion de la SFIO et à
l'occasion de celle du PC" . Dans les toutes premières
années, son sigle reste le même mais se développe
de manière légèrement différente jusqu'en
1963, moment où l'intitulé semble enfin stabilisé
:
- en 1959 : Association Démocratique des Elus Locaux et Sociaux
- en 1960 : Association Démocratique des Elus Locaux et Municipaux
- en 1961 : Assocation Démocratique des Elus et animateurs
de la vie Locale et Sociale
- en 1963 : Association pour la Démocratie et l'Éducation
Locale et Sociale
Roger Beaunez en fut un de ses principaux fondateurs, voici comment
il présente le lancement de l'ADELS : "Elle est surtout
l'oeuvre de jeunes militants politiques et associatifs, présents
et actifs sur le terrain de la vie locale. Elle s'est créée
à l'initiative de l'Union de la Gauche Socialiste (UGS),
qui regroupait essentiellement la nouvelle Gauche et le Mouvement
de Libération du Peuple (MLP) dont les membres venaient pour
une bonne part du Mouvement Populaire des Familles (MPF) et de la
Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC)" . Elle se
forge donc dans le creuset d'un militantisme chrétien de
gauche, proche de la CFTC.
Roger Beaunez était lui-même un ancien de la JOC.
Ses parents étaient de milieu ouvrier et de sensibilité
plutôt gauche laïque. Mais il a milité à
la JOC d'Asnières à partir de 1937, puis il a été
président de la fédération jociste de Paris-Nord.
En 1950, il a milité au MLP, il est devenu membre du comité
directeur. Il a été arrêté pendant la
guerre d'Algérie, après avoir organisé des
journées d'amitié franco-algérienne, et a été
défendu par Paul Stibbe, dont il deviendra un peu plus tard
le suppléant aux élections législatives du
début de la Vème République. Son militantisme
le conduit ensuite vers l'UGS. Licencié de son travail à
plusieurs reprises pour raisons militantes, il trouvera refuge auprès
de Claude Bourdet, conseiller municipal de Paris, dont il sera le
secrétaire .
La création de l'ADELS correspondait à plusieurs
objectifs : "aider les nouveaux élus et développer
un courant d'intérêt qui s'était manifesté
en ce domaine dans les nouvelles générations ; développer
l'étude des problèmes relevant des collectivités
locales ou des institutions sociales ; apporter à ses adhérents
l'aide technique leur donnant des compétences nécessaires
à l'exercice de leur responsabilité présente
ou à venir ; favoriser en ce domaine les échanges
d'expériences" . Dans ses appels aux adhérents,
l'association se présente comme "une plate-forme des
forces vives d'expression populaire" et dit son ambition de
donner aux militants "des outils de travail pratiques pour
conduire une action politique ou sociale à l'échelon
communal", ainsi que "de former les animateurs locaux
aux problèmes relevant des collectivités de base".
L'ADELS se vit beaucoup plus comme un réseau que comme un
mouvement structuré. Ses membres disent : "Ce qui nous
caractérisait, c'était notre carnet d'adresses".
C'est ainsi d'ailleurs que la décrivait en 1983 Paul Pavy,
son président de l'époque : "L'ADELS est une
association protéiforme, il est impossible d'en dessiner
les contours avec exactitude comme il est impossible de trouver
un militant "pur ADELS". Simplement, il y a un réseau
de quelques centaines de personnes, peut-être un millier,
qui se réclament de ce qu'on peut appeler l'esprit ADELS"
.
Depuis sa création, l'ADELS a eu très peu de permanents,
a reçu relativement peu de moyens de la part de l'Etat, elle
a pris l'habitude de vivre sur ses fonds propres. Dès 1960,
elle s'est rangée du côté de l'éducation
populaire, et en 1964, elle a ainsi reçu de la part du Secrétariat
d'Etat à la Jeunesse et aux Sports (avec Maurice Herzog à
sa tête) l'agrément, lui permettant de recevoir ses
premières subventions. Dans la réalité de son
fonctionnement, l'ADELS ne peut guère prétendre être
un mouvement de masse et - contrairement à d'autres mouvements
qui étaient dans son sillage - sa propension à la
vie associative est toujours restée très mesurée.
Son organisation collective est minimaliste, et les commissions
d'études ou les secrétariats de rédaction de
la revue semblent souvent plus importants que le conseil d'administration
ou l'assemblée générale de l'association. Un
tract résume assez bien cette simplicité de fonctionnement
: "une assemblée générale par an, un conseil
d'administration par trimestre et un bureau par semaine" .
A partir de novembre 1961, est formé un comité de
patronage, la liste des noms qui le composent figure sur plusieurs
documents internes et sur le bulletin,voulant illustrer par là
le soutien des courants dont l'ADELS se prévaut.
Elle a été surtout une structure souple et adaptable,
un micro-organisme s'appuyant sur des correspondants régionaux,
toujours soucieux de leur indépendance. Ce fonctionnement
interne discret fut cependant producteur d'efficacité, car
le rayonnement de l'ADELS n'a pas failli : le sujet dont elle était
porteuse - la démocratie locale et les modes de gestion communale
- y a certes contribué, mais c'est surtout ses productions
écrites qui ont assuré sa reconnaissance et sa stabilité.
L'ADELS en effet a diffusé inlassablement ses idées
par l'écriture : un bulletin, une revue, des ouvrages...
Elle n'a jamais failli sur ce terrain et sa régularité
est étonnante de constance et de ténacité.
Il fallut beaucoup d'énergie militante et des rédacteurs
particulièrement productifs et inspirés, pour rester
fidèle à l'objectif d'origine durant plus de quarante
ans. Le premier acte de l'ADELS en 1958 fut la rédaction
d'un bulletin de liaison, qui très vite devint une revue,
ronéotée d'abord, puis imprimée à partir
de 1965, qui s'est appelée Correspondance Municipale puis
à partir de 1989 Territoires, qui a connu différentes
formes mais qui, quoiqu'il arrive, a su garder sa périodicité.
Le premier numéro sort en novembre 1959 et il est vendu
d'abord à 250 exemplaires. Il est très vite annoncé
comme mensuel, il a pour titre "Correspondance Municipale"
et il est présenté comme "le Bulletin d'information
sur les problèmes d'Action communale, municipale et sociale".
Dès 1960, il y a 222 abonnements et 1000 adhérents.
Le Bulletin est composé d'abord de feuilles ronéotypées
de différentes couleurs, pliées en deux et glissées
dans une pochette, qui comportent des informations pratiques et
techniques, sous forme de fiches d'information et d'initiation.
Puis, à partir du 21ème numéro, il est annoncé
"qu'un effort particulier sera porté à la présentation
de la revue, pour en mettre le contenu en valeur et rendre sa lecture
plus attrayante". Le Bulletin prend alors la forme d'un assemblage
dont tous les feuillets sont reliés à la colle, et
qui sont donc détachables, "ce qui doit faciliter la
conservation des fiches classées par rubriques". Sur
la couverture, figure désormais les noms du Comité
de patronage, et le sous-titre de "Revue mensuelle d'information
et d'action communale, municipale et sociale", devient "Documents
pour l'information et l'action locale, régionale et sociale".
Ces changements de présentation ne sont pas anodins, nous
y reviendrons un peu plus loin.
Les responsables de l'ADELS ont très tôt le souci
de leurs lecteurs. La revue est le moyen d'expression du réseau
et c'est aussi la principale ressource financière. Le nombre
d'abonnés est régulièrement martelé
lors des assemblées générales et les éditoriaux
se veulent incitatifs. Le Bulletin s'adresse "aux élus
locaux et à tous ceux qui veulent participer au développement
démocratique de la vie locale, municipale et sociale"
, et plus particulièrement aux jeunes. La métaphore
de la jeunesse et du nécessaire rajeunissement des politiques
est utilisée pour convaincre les nouveaux lecteurs : "rajeunissons
les moeurs, mais aussi les méthodes" ; "que la
commune retrouve son rôle de cadre dans lequel les citoyens,
surtout les jeunes générations, recevront leur éducation
de base politique".
Le constat que "de plus en plus, de nouvelles équipes
prennent des responsabilités dans la vie de la Cité"
s'accompagne d'une critique frontale sur "les notabilités"
et sur "la technocratie". L'ADELS propose que "les
responsables élus militants, par leur enracinement en pleine
vie populaire, expriment les besoins de la population" et qu'"à
la technocratie succède une décentralisation, associant
effectivement et progressivement, au travers des élus, la
plus grande partie de la population à la gestion des affaires
municipales et sociales". Elle exprime fortement une conviction,
celle que "les libertés communales ne se défendent
jamais aussi bien qu'en les exerçant : la démocratie
doit se renouveler dans le cadre même des préoccupations
quotidiennes".
Un slogan résume ces prises de position, c'est : "faire
du citoyen mineur d'une commune sous tutelle, un citoyen majeur
d'une commune émancipée". Ce slogan sera utilisé
à plusieurs reprises dans les tracts d'appel aux lecteurs
dès 1960 et sera de nouveau glissé dans la quatrième
de couverture d'un ouvrage qui connut un succès de diffusion,
écrit par Roger Beaunez et Max Dejour, et intitulé
"La Commune, le conseil municipal... et les citoyens ? Pouvoir
local et démocratie"? La première sortie de cet
ouvrage date de 1971 aux Editions universitaires, il est réédité
en 1976 aux Editions ouvrières, avec cette fois une préface
d'Hubert Dubedout, maire de Grenoble et avec toujours le même
slogan.
L'ADELS ne se contente pas de la revue, puisque Roger Beaunez,
toujours lui, prend en charge aux Editions ouvrières une
collection qu'il nomme "Pouvoir local". Cette position
d'éditeur ajoute au pouvoir d'écriture, et des publications
sont rééditées plusieurs fois. Elles répondaient
sans doute à un besoin des jeunes et nouveaux élus,
un peu démunis dans leur nouvelles fonctions. Mais leur contenu
est souvent moins militant que ne l'étaient les premiers
feuillets de la revue. Dès le départ, l'ouvrage"Commune
d'aujourd'hui", écrit par Francis Houdet et Paul Cornières,
et publié par le Centre de Culture ouvrière (CCO)
en 1959, à la veille des élections municipales, avait
été largement diffusé par divers mouvements
et des municipalités. Forts de ce succès, les fondateurs
de l'ADELS ont poursuivi l'entreprise avec les deux tomes de "Communes
et démocratie" écrits par Roger Aubin en 1965.
Un avertissement précise que ces ouvrages sont le fruit du
travail collectif d'une petite équipe, constituée
de : Bernard Archer, Roger Beaunez, André Chaudières,
Paul Cornière, Jean Fribault, Francis Houdet, Jean Mazot,
Claude Néry, Michel Rocard, Henry Théry, Jean Villot.
Le public visé est à la fois celui "des élus
municipaux, des enseignants, des militants sociaux, syndicaux ou
politiques". Les auteurs voudraient atteindre "le Français
moyen, soucieux de franchir le fossé qui sépare le
citoyen passif du citoyen actif" .
L'ADELS est une association nationale qui structure une pensée
sur le communal et le municipal. C'est une identité assez
originale par rapport au paysage des mouvements d'éducation
populaire de l'époque, qui fonctionnaient surtout sur des
principes jacobins. Quelques hommes à ce titre ont beaucoup
écrit, certains parmi eux étaient des journalistes
professionnels, d'autres des militants qui avaient la plume facile,
d'autres enfin des occasionnels de l'écriture qui avaient
des idées à défendre.
2 - Le terme d'autogestion vient se loger dans... l'habitat
Pour répondre à l'objectif de ce colloque, et pour
pister le terme d'"autogestion" dans son usage explicite,
j'ai procédé à un dépouillement systématique
du Bulletin dans les deux premières années, du numéro
1 de novembre 1959 au numéro 30 de septembre 1962 . Les thèmes
qui y sont traités sont : les équipements communaux,
les finances locales, l'aménagement du territoire, et surtout
l'habitat, qui a été choisi comme thème principal
pour le cycle de l'année 1961-1962.
Dans cette période, le terme d'autogestion est rarement
employé pour désigner un projet politique à
part entière. D'autres termes lui sont souvent préférés,
tels "participation" : "Il faut faire participer
les communes à l'avenir collectif du pays, avenir auquel
elles auront été associées et auront souscrit"
.
Ou encore "pouvoir gestionnaire" : "Etre libre, c'est
en premier lieu, avoir les moyens de l'être. Aussi l'autonomie
des finances locales est-elle la condition de l'autonomie politique.
Ce désir coïncide avec une juste appréciation
des nécessités de la vie démocratique : plus
la gestion est décentralisée, plus elle est prise
en charge par les intéressés eux-mêmes, plus
il y a de démocratie.(...) Les objectifs de la démocratie
ne sont pas seulement d'ordre gestionnaire, elles exigent le respect
de la justice sociale. Inventer des formules nouvelles pour garder
à l'échelon local le maximum de pouvoir gestionnaire
et pour que cet échelon de base demeure le lieu où
s'expriment les besoins de la population" .
Dès le premier numéro donc, les contours politiques
étaient donnés.
Dans ces années de démarrage de l'ADELS, le secteur
qui est d'abord investi par les idées autogestionnaires n'est
pas l'entreprise ou autre collectivité professionnelle, mais
le logement, c'est à dire la gestion d'un habitat par ceux
qui y logent. L'usage du mot "autogestion" comme tel apparaît
au détour de comptes-rendus d'expériences, françaises
ou étrangères, portant essentiellement sur le logement
ou l'urbanisme et sur le rôle que peuvent y jouer les locataires
et les habitants du quartier. Un article de décembre 1961
souligne par exemple "l'intérêt d'une action de
base conduisant à des responsabilités gestionnaires
s'appuyant réellement sur les usagers". Cet article
intitulé "Une cité qui bouge", décrit
un HLM de Bourges, c'est un témoignage rédigé
par Michel Colin, "animateur membre du PSU". Il est le
secrétaire de la section de Bourges, il est professeur de
français au collège technique du quartier et il s'est
investi dans l'amicale de locataires de la Cité de la Chancellerie
où il habite. Il croit en la défense des intérêts
des locataires sous toutes ses formes et il conclut sa lettre en
se demandant "s'il ne faudrait pas prendre la gestion de l'Office
HLM", ce qui donnerait alors le vrai pouvoir de décision...
L'équipe de Correspondance Municipale a donc choisi pour
l'année 1961-1962 de se concentrer sur le thème de
"l'habitat et ses prolongements (logement, habitation, équipement
social et culturel)". Dans ce but, sont préparées
des fiches techniques de base sur "tout ce qu'il faut savoir",
puis des documents "actualités", relatant "des
expériences locales et réalisations étrangères".
L'équipe de l'ADELS s'est sentie impliquée sur ce
sujet car elle a participé activement à plusieurs
journées d'études :
- celle de janvier 1960, organisée par le Centre national
pour l'amélioration de l'habitat à l'Unesco
- celle de mars 1960, mise en place par l'Institut de Culture Ouvrière
au Centre d'Education populaire de Montry en Seine et Marne
- celle de décembre 1960 que le groupe "Construire"
a réalisée au Centre international d'études
pédagogiques de Sèvres.
Dès le début 1961, un numéro spécial
du Bulletin propose "une enquête préparatoire
à l'établissement des projets d'aménagement
et d'équipement communal". Cette méthode de l'enquête
n'est pas sans faire penser à la démarche de la JOC
, qui diffusait régulièrement des questionnaires auprès
de ses adhérents. Le cadre de cette enquête s'inspire
d'une part des recherches du Groupe d'Ethnologie Sociale dirigé
par Paul-Henry Chombart de Lauwe et d'autre part des travaux d'Economie
et Humanisme. Pourquoi cette initiative ? La réponse est
limpide : "L'action communale, bien comprise, peut être
un élément d'éducation politique. Elle peut
être aussi un moyen d'intéresser et de faire participer
les citoyens à la vie publique" .
Les 14 janvier 1961 et 4 mars 1961, l'ADELS a organisé deux
visites successives au grand ensemble de Massy-Antony. Ce fut un
succès, il y avait plus de 120 participants : "élus
municipaux, divers milieux techniques et administratifs de la construction,
mais aussi de multiples groupements familiaux, socio-culturels,
comités de locataires, groupe d'action communale et locale
de nombreuses communes". Jacques Mazot, directeur de la publication,
en fait un compte-rendu succint et en justifie le bien-fondé
:
"A partir de l'idée fondamentale que la gestion des
affaires publiques est l'affaire du peuple lui-même (dont
les élus, désignés démocratiquement,
ne sont que les représentants les plus qualifiés),
il importe de redonner à chacun des citoyens de nos communes
- à chacun des usagers des services que gèrent les
collectivités territoriales (locales ou régionales)
- le goût de collaborer eux-mêmes à l'élaboration
et à l'animation des structures sociales mises en place.
Notre volonté est d'aider les usagers à retrouver
les moyens de participer efficacement à la gestion directe
de l'ensemble des affaires publiques par le jeu de la représentation
démocratique" .
Et il constate avec satisfaction que le dialogue s'est établi.
Cette notion de dialogue entre techniciens, politiques et usagers
est un souci constant de l'ADELS. Jacques Mazot se félicite
"de la volonté des usagers de prendre eux-mêmes
une part active à l'élaboration, à l'exécution
des programmes, puis à la gestion directe, économique,
sociale et culturelle des services mis ainsi à leur disposition
par la municipalité et par l'Etat". Il y voit "les
prémices d'un véritable service national de l'habitat".
Dès lors, les témoignages de "démocratie
communale" en matière d'habitat, réussie ou pas,
vont venir régulièrement émailler le Bulletin.
Entre autres exemples, je citerai :
- en octobre 1961 celui de la commune de Sceaux, où des conseillers
municipaux, s'appuyant sur un groupe local d'action communale, ont
procédé à une enquête sondage d'opinion,
sur un quartier en voie de transformation : le quartier des Quatre
Chemins et de la Gare de Robinson.
- en novembre 1961 celui de la ville nouvelle de Lacq-Mourenx, où
deux associations de locataires représentent quelques 3000
logements, dans une ville "qui a été conçue
sans l'avis des usagers" .
- en janvier 1962, celui d'une amicale de locataires à Mâcon,
rattachée à la CNL, où des délégués
d'escalier implantés dans chaque immeuble, représentent
les quatre cités HLM de la Percée-Sud. L'auteur de
l'article fait ce constat : "L'amicale a un rôle revendicatif,
elle se propose de faire participer le plus possible de locataires
à son action et d'introduire une esquisse de gestion démocratique.
Mais la population répugne à s'engager, elle redoute,
par ignorance, une participation, directe ou non, à une oeuvre
commune. Un noyau est très actif, mais la masse reste passive,
soit par indifférence, soit par confiance. Il est urgent
de chercher et de mettre en oeuvre les moyens propres à "dégeler"
la masse des locataires."
- en juin 1962, celui des coopératives d'habitation non HLM
de Pessac. A. Kespern, l'auteur de l'article, rappelle à
cet effet la création de l'Association des Castors en 1948
: "association volontaire à caractère démocratique,
le groupe Castor s'affirmait ainsi dans la tradition gestionnaire
du mouvement ouvrier". Mais si "un esprit pionnier animait
les fondateurs, souvent syndicalistes", ce mouvement se révéla
"incapable de maîtrier son développement dans
une structure nationale cohérente et efficace". Et l'insuffisance
de l'organisation coopérative rendit nécessaire l'intervention
de techniciens, dont la présence vint fausser la structure
sociale naturelle.
A côté des expériences françaises, il
y avait les modèles venus de l'étranger. Plusieurs
sont analysés dans des articles du Bulletin, de manière
assez précise. Ainsi :
- Jacques Jenny et H. Houdet évoquent en octobre 1961 : "Les
new-towns ou les villes satellites londoniennes". Ils y ont
constaté "le développement de corporations qui
s'arrogent des droits sur les assemblées locales élues,
que nos conseils municipaux ne tolèreraient pas", et
par suite ils posent le problème de la participation des
habitants et de leur représentation démocratique "à
tous les stades de l'élaboration des plans, de la construction
et de la gestion des affaires communes de la cité".
- Roger Dauphin parle en janvier 1962 de "L'expérience
yougoslave en matière de logements". Cet article fait
suite au voyage d'études que plusieurs membres de l'ADELS
viennent d'effectuer en Yougoslavie, à l'invitation de la
Conférence permanente des Villes et dans lequel un des points
plus particulièrement étudié fut le logement.
Pour la première fois, le mot "autogestion" est
directement employé dans le Bulletin : "L'autogestion,
principe fondamental de la société yougoslave, se
limite en ce qui concerne le logement, à l'emploi par les
comités du logement, de 50 % du montant des loyers pour l'entretien
de l'immeuble. Depuis 1959, le conseil de gestion est élu
et traite de tous les problèmes quotidiens de l'usager, et
conseil de consommateurs est élu par réunion des électeurs".
L'avis de Roger Dauphin sur l'intérêt et la réussite
de ce modèle reste nuancé : "Si nos amis yougoslaves
n'ont pas tout résolu, ils ont apporté des méthodes
novatrices, riches d'enseignement : un certain réalisme politique,
une faculté d'adaptation, accentuée par la décentralisation,
presque excessive parfois. (...) C'est en cela surtout que le fonctionnement
de la société yougoslave apporte un enseignement,
le principe de l'autogestion introduit au plan de la commune, de
l'entreprise, de l'habitation, a permis une prise de conscience
et une prise en charge réelle de leur problèmes par
les travailleurs et les usagers".
- P. Guinchat en avril 1962 évoque "Les maisons communautaires
rurales de l'Etat de Hesse". L'auteur y constate que "la
gestion a lieu sous forme d'administration communale autonome sans
aucune influence de l'Etat".
- Bondioli Francesco en septembre 1962 rapporte l'expérience
de Matera (Italie) où, sous l'impulsion de travailleurs sociaux,
la participation des paysans à la construction de leur maison
future se trouve sollicitée
- enfin, C. Grison en septembre 1962, fait un article la politique
du logement en Suède, "s'apparentant au courant du socialisme
hygiénique".
Ce tour d'horizon ne serait pas complet s'il n'était signalée
la journée d'étude que l'ADELS organise le 20 juin
1962 sur les problèmes d'aménagements de la région
parisienne et qui réunit sociologues, architectes, syndicalistes,
représentants d'associations familiales, sociales, civiques,
culturelles. L'usager doit donner son avis par rapport à
l'urbanisme qui s'installe, c'est la conviction de l'ADELS. La décennie
1960 est l'âge d'or des équipements, et les IVème
et Vème Plans vont contribuer à truffer la France
de mètres-carrés sociaux. C'est au cours du Vème
Plan (1966-1970) que se profile le concept de "détermination
des besoins". Mais, contrairement aux souhaits exprimés
par les militants de l'ADELS, les Plans resteront l'apanage des
experts. Les "hommes du Plan" travaillent en commissions
d'étude au niveau national, ils vont peu sur le terrain,
ils sollicitent peu les architectes et encore moins les habitants
car les prévisions se formalisent dans l'urgence .
Cette volonté d'intégrer l'avis des habitants dans
la conception de leur logement relevait-elle de l'utopie ?
3 - L'animateur local, intermédiaire entre le sommet et la
base ?
Le sigle de l'ADELS au départ n'évoquait que "les
élus locaux et sociaux". Mais au début 1961,
il se transforme en "élus et animateurs de la vie locale
et sociale". Un nouveau personnage était apparu, venant
s'intercaler dans le dialogue élus-usagers, sans pour autant
s'y substituer. Cette place donnée à l'animateur mérite,
à mon avis, d'être examinée, au-delà
d'un changement de sigle. Très vite, l'ADELS se mobilise
dans la formation de ces personnages "passeurs" ou "éclaireurs".
Ce terme d'animateurs n'a pas ici le même sens, me semble-t-il,
que celui du futur animateur socio-culturel qui se profilera progressivement
dans la deuxième moitié des années 1960. Ce
n'est pas ici forcément un professionnel qui doit avoir un
diplôme reconnu et qui exerce son métier parmi les
groupes ou collectifs. C'est plutôt un homme sensible, qui
vit auprès des usagers, qui n'est pas loin du pouvoir politique
local, sans être lui-même un élu municipal. Il
serait plus proche peut-être, et avant l'heure, des nouveaux
métiers qui se répandent aujourd'hui, comme les médiateurs
de quartiers, ou les agents de développement local...
L'ADELS très tôt a souhaité participer à
la formation de cet "animateur local", elle a ainsi mis
en place des stages, des journées d'études, des week-ends
de formation. Elle s'est associée pour cela d'abord à
un mouvement dont elle se sentait proche : le CCO (Centre de Culture
Ouvrière) pour organiser des sessions de formation. Elle
a répondu ponctuellement à des demandes de correspondants
de province, en proposant des modèles de stages régionaux.
Elle a ainsi maintenu une adéquation constante entre formation
et information .
Le métier d'animateur a commencé à être
défini dès le début des années 60, notamment
dans le cadre du FONJEP, créé en 1964 pour financer
des postes d'animateurs professionnels. Des diplômes ont commencé
à être préparés : le DECEP en 1964, le
DUT carrières sociales en 1967, puis en 1971, le CAPASE et
enfin le DEFA. Les définitions de ce métier "à
tout faire" ont abondé à l'époque, je
n'y reviendrai pas ici . Je citerai seulement un article du Bulletin
de l'ADELS, daté de mai 1962 qui décrit, aux environs
de Rennes, une petite ville dans l'orbite de la capitale régionale,
placée comme "un bout de banlieue parachutée
en pleine campagne". Les propos du maire devant son conseil
municipal y sont rapportés, les voici : "Nous payons
des cantonniers pour entretenir nos rues, pourquoi n'aurions-nous
pas un jour un animateur compétent pour les loisirs et que
nous pourrions rétribuer ?".
Dans le même numéro de mai 1962, un autre article
prenait l'exemple du département de la Loire, et prônait
la nécessité "de créer des comités
locaux pour étudier et promouvoir un plan d'ensemble pour
le renouvellement de la vie rurale" et prévoyait dans
ce but "de susciter des animateurs capables de poser et faire
avancer les problèmes". L'auteur de l'article envisage
alors un travail d'équipe à l'échelon du canton,
avec des élus, des responsables syndicalistes, des mutualistes
ou autres animateurs.
La formation que se propose de dispenser l'ADELS touche toutes
sortes d'acteurs. En juin 1962, il est rendu compte par exemple
d'un stage de formation en direction des administrateurs bénévoles
. Constatant que la gestion des ensembles d'habitations exige des
compétences techniques et que "les sociétaires
peuplant les grands ensembles n'y ont pas été forcément
préparés", il s'agit de les initier à
leur fonction d'administrateurs. Ces sessions sont destinées
aux accédants à la propriété, aux administrateurs
bénévoles de ces sociétés, aux groupes
d'habitation. Le programme comporte un apprentissage des connaissances
sur les aspects administratifs, techniques et financiers, "les
mettant ainsi en mesure de faire face à leur responsabilité
gestionnaire". .
Très tôt , l'ADELS prévoit des sessions décentralisées,
organisées au niveau régional. Ce projet se formalise
après l'expérience d'une session nationale, qui s'est
déroulée en printemps 1960, au Centre Régional
d'Education Populaire de Montry, en Seine-et-Marne. Elle a duré
5 jours et a accueilli 20 ou 30 participants. Quelques temps après,
en novembre 1960, a eu lieu une session en Eure-et-Loir. Et rapidement,
l'ADELS a des perspectives d'autres sessions, car plusieurs demandes
lui sont parvenues des Alpes Maritimes, des Vosges, de la Seine
Maritime, de la Région Parisienne. C'est ainsi qu'elle présente
à ses adhérents et abonnés de la revue un schéma
de stage régional. L'objectif est clairement défini,
il s'agit "d'aider les animateurs à se situer au niveau
d'une action régionale concertée, avec une méthode
d'enquête, une méthode de travail et d'organisation
pour développer sur ce plan une action collective, susciter
les militants, multiplier les points d'appui et les relais en direction
de la population".
Pour préparer une session régionale, il est conseillé
de constituer une petite équipe départementale ou
régionale, où participeront d'une part "des militants
ou animateurs, déjà engagés dans divers secteurs
(municipalités, action familiale, action logement, action
jeunesse, action syndicale)" et d'autre part "des sociologues
s'il en est et en tout cas des militants, désireux d'acquérir
des connaissances techniques précises en matière d'enquête
sociologique ou de sondage d'opinion".
Cette ouverture de l'ADELS à cette population nouvelle d'"animateurs
de la vie locale et sociale" n'infléchit-elle pas l'identité
première de l'association, qui visait essentiellement les
nouveaux élus, et plus partculièrement les jeunes
? C'est cette inclination que ne manque pas de noter Roger Beaunez
, qui constate dès 1962 que la revue est de plus en plus
orientée vers les animateurs locaux en fonction des spécialisations.
Il déplore par ailleurs que la revue n'intéresse guère
les conseillers municipaux de petites communes, ni ceux de villes
plus importantes ; "la plupart en effet sont abonnés
à des revues spécialisées, plus ou moins sous
la dépendance d'organisations politiques".
Correspondance Municipale doit réviser la définition
de son public potentiel, à partir de cette première
analyse. Roger Beaunez affirme ainsi que, "dans sa forme actuelle,
la revue est surtout destinée aux cadres naturels de la cité
pour les préparer à être demain des cadres élus
et compétents". Les responsables de l'association pensent
alors que, face aux notables traditionnels, des équipes d'animateurs
représentent en quelque sorte ces cadres naturels et peuvent
constituer une force potentielle d'élus locaux. Mais cette
réorientation passe par un élargissement idéologique
et géographique. Il faut élargir l'équipe rédactionnelle,
prendre des contacts extérieurs, étendre la présence
de correspondants locaux (en 1962, l'association se targue d'en
avoir déjà dans 64 départements), constituer
des groupes de travail selon les sujets traités, faire une
propagande plus massive et la personnaliser, "surtout en milieu
rural où la percée reste difficile".
Le Comité de patronage constitué depuis novembre
1961 marque, d'une certaine façon, cette ouverture nécessaire,
faisant de l'ADELS "le lieu de rencontre de tous les courants".
Il reste stable pendant plusieurs années, ce qui laisse à
penser qu'il a eu surtout un rôle d'affichage symbolique (il
est d'ailleurs aussitôt imprimé sur la première
de couverture de la revue). On y trouve des représentants
de mouvements de jeunesse et d'éducation populaire, certains
plutôt chrétiens tels Maurice Cayron (d'origine Scouts
de France, OCCAJ) ou André Chaudières (de la Fédération
des CCO ), d'autres plutôt laïques tels Henri Laborde
(des CEMEA, Centre d'Entraînement aux Méthodes d'Education
Active), Albert Varier (de la Jeunesse au Plein Air), Andrée
Viénot (issue de la Ligue de l'Enseignement, elle a été
en 1946 Sous-secrétaire d'Etat à la Jeunesse et aux
Sports et est alors maire de Rocroi) ou Joseph Rovan (de Peuple
et Culture) et enfin des spécialistes de l'habitat, tels
P. Goutet (du Groupe "Construire") ou J. Villot (du Comité
pour l'habitat rural ou l'aménagement des campagnes) ou d'autres
secteurs tel J. Bidgaray (du GERMM, Groupe d'Etudes et de Recherches
de la Médecine Moderne).
La façon dont l'ADELS décline ses objectifs en 1963
est en tout cas plus généraliste et moins directement
politique que ceux qui étaient défendus dans la première
version de 1959. L'association parle alors de "réintéresser
le citoyen aux affaires de la cité", "redonner
un contenu vivant et concret à la démocratie locale",
"constituer un tronc commun susceptible de faire converger
les efforts des militants engagés dans différents
secteurs de vie locale et sociale", "recréer des
foyers de citoyenneté active au plan des collectivités
et des institutions de base". La perspective de "renouveau
démocratique" qu'elle vise cependant passe toujours
par "le contrôle et la participation des citoyens à
la gestion municipale et aux institutions locales et sociales"
.
A partir de ce moment, on voit qu'entre le sommet et la base, entre
la décision politique et la vie quotidienne, entre l'individu
et la société, s'intercale le rôle de l'animateur,
du technicien, du spécialiste. Un être idéal,
qui serait suffisamment compétent donc formé, mais
qui ne serait pas un technocrate et qui n'empêcherait pas
les militances de s'exprimer. La dérive technicienne n'est
pas loin, mais l'ADELS veille ! Une journée d'étude
a eu lieu les 16 et 17 juin 1963 où participaient une centaine
de personnes et Roger Beaunez se félicite du rôle que
l'ADELS a su tenir, quand il constate que toutes les forces vives
d'expression populaire étaient présentes, "avec
le concours de techniciens, soucieux de mettre leur compétence
au service des militants". Mais cette vigilance n'empêche
pas l'association de mettre dans son programme interne : "la
constitution d'un pool de compétences, la réalisation
d'un fichier des associations, la création d'un centre de
documentation et d'initiation, l'organisation de cours périodiques
sur les questions d'aménagement de la région parisienne"
. Elle prévoit même de faire une expérience
pilote de participation des usagers à l'élaboration
d'un plan intercommunal d'urbanisme dans un secteur du district.
Face à l'urbanisme galopant, la nécessité
des compétences à acquérir s'impose subrepticement.
La technicité gagne du terrain, prendra-t-elle le pas sur
la militance ? C'est ce que confirmera quelques années plus
tard André Chaudières; dans la présentation
qu'il rédige pour le livre de Lorraine Chénot et Roger
Beaunez en 1969 : "Villes et citoyens" , où il
introduit cette phrase définitive : "la responsabilité
de gérer nos communes ne s'improvise pas, elle se prépare".
4 - Changements d'échelon : du communal au régional,
du régional au groupe de base
Revenons une fois encore aux modifications de couverture de la
revue. C'est en janvier 1962 donc que "l'information et d'action",
de "communale, municipale et sociale" est devenue "locale,
régionale et sociale". Quel sens donner à ce
changement de niveau et comment l'objectif initial de "participation
du citoyen à la gestion" s'en est-il trouvé modifié
?
Pour interpréter les tenants et le aboutissants de ce glissement,
il faut d'abord se reporter au tout premier numéro du Bulletin
de novembre 1959. L'article de S. Aubin traitant de "Dépendances
et interdépendances communales", cherchait à
préciser les limites territoriales, qui ne pouvaient s'en
tenir à la seule municipalité, pourtant annoncée
dans le titre de la revue: "Correspondance Municipale est un
bulletin spécialisé, mais la spécialisation
risque d'engendrer le système. L'explication de la dimension
de citoyen ou de responsable dans sa commune ne doit pas faire oublier
la dimension des autres collectivités". L'auteur, au
nom de l'équipe de l'ADELS, se défend d'ériger
la commune en système, et cherche à garder de la souplesse
dans ses analyses. Il est précisé aussi que, s'il
semble nécessaire d'accroître les libertés communales,
il ne s'agit pas pour autant de verser dans l'autonomisme : "Accroître
les libertés communales, bien sûr. Ce thème
sera développé bien souvent dans le bulletin qui n'aurait
pas sa raison d'être sans cette perspective. Mais aller dans
ce sens, ce n'est pas souscrire à l'autonomisme absolu, aussi
dépassé en 1959 que l'autonomisme absolu d'une région
ou même d'une nation".
Les limites communales apparaissent donc comme un peu trop étroites
pour développer toute la pensée participative. Cette
position est confirmée après l'analyse des élections
municipales qui avaient été à l'origine de
l'ADELS en 1959. Si elles ont montré que, face aux notables
traditionnels, de jeunes équipes de militants pouvaient et
devaient prétendre aux responsabilités municipales,
si certains parmi eux ont été élus conseillers
municipaux et ont besoin d'un soutien, il ne faudrait pas qu'ils
fonctionnant en vase clos. Ces nouveaux élus en effet ne
souhaitent pas se renfermer dans leur "bastion municipal",
ils ont envie d'échanger leurs expériences, et l'ADELS
doit rechercher "tous les moyens qui donnent à la démocratie
locale un contenu réel et en font une force vivante (information,
participation, contrôle)" .
L'ADELS vise aussi ceux qui, "sans être des conseillers
municipaux, veulent développer une action locale qui leur
permettra d'avoir une influence auprès du conseil municipal,
de la forcer à prendre position, d'aider la population à
exprimer collectivement des besoins essentiels et légitimes".
Dès 1961, se trouve ainsi défini "le groupe d'action
communale". Il agira au-delà des élections, car
"l'action n'est pas terminée parce que les élections
le sont". L'ADELS souhaite que partout se créent "ces
groupes d'études et d'action municipale" et pense que
c'est à elle d'en prendre l'initiative. Ces groupes prendront
le nom de GAM un peu plus tard et gagneront un certain nombre de
mairies aux élections de 1965 .
Le glissement des termes de janvier 1962 avait introduit une nouvelle
dimension, la dimension régionale. Elle est confirmée
par le numéro de février 1965, intitulé "Villes
et régions" et piloté par Michel Rocard, qui
est alors président de l'ADELS (il l'a été
de 1963 à 1966). Le GROP (Groupe de recherches ouvriers-paysans),
association d'études formée par les dirigeantss de
la CFDT et du CNJA, lui avait demandé de présenter
un rapport sur les problèmes posés à la société
française par le mouvement d'urbanisation et ses conséquences
sur les structures régionales, et ce numéro s'en inspire
directement.
Après avoir prédit que "l'aménagement
des villes sera le problème majeur qu'affronteront les Français
dans la décennie 1970-1980", Michel Rocard évalue
les pouvoirs de décision dans le domaine de l'urbanisme,
en rapport avec la démocratie. La définition d'instances
urbaines et d'instances régionales où seront traités
les vrais problèmes de la vie quotidienne des Français,
lui apparaît comme une nécessité, car "il
n'est pas de dialogue sans instances intermédiaires entre
le pouvoir central et le citoyen".
Il précise ce qu'il entend par "décentraliser"
: "c'est remettre les pouvoirs exécutifs, notamment
financiers, à des assemblées élues et aux exécutifs
désignés par elle". Il défend d'abord
et avant tout la pertinence du niveau régional, précisant
que ceci implique au passage, au niveau départemental, la
suppression des préfets, "comme l'a notamment demandé
le Club Jean Moulin". Ensuite, il montre que "les problèmes
de l'habitat, de l'urbanisme, de l'aménagement ont été
trop souvent considérés comme affaire de techniciens
et ne sont que très partiellement pris en charge par les
organisations populaires" :
"L'influence du marxisme a été telle sur les
travailleurs de ce pays que jusqu'à présent, ils ont
considéré comme but exclusif de leur action le seul
contrôle des moyens de production, en laissant dépérir
leur arme d'intervention dans le secteur de la consommation, la
coopérative, et en ignorant pratiquement les problèmes
de la vie quotidienne au niveau local et régional".
Il émet donc le voeu que "des structures locales d'action
revendicative et de discussion avec les pouvoirs publics soient
mises sur pied. C'est un front de lutte nouveau qu'il faut ouvrir
pour les forces de mouvement". Et construire la démocratie
régionale lui apparaît être la seule issue.
La vie de l'ADELS connaît ensuite quelques remous. Elle traverse
1968 d'une drôle de façon, c'est du moins l'analyse
qu'en avait fait Roger Beaunez . L'ADELS fut présente au
même titre que les autres mouvements d'éducation populaire
dans les évènements de 1968. Elle occupa le FIAP,
elle participa aux coordinations, elle entra dans le nouveau CNAJEP
(Comité National des Associations de Jeunesse et d'Education
Populaire) et simultanément elle fit partie du GEREA (Groupe
d'Etude et de Recherche pour l'Education des Adultes). Cependant,
là où elle aurait pu, autrement que d'autres mouvements
plus hiérarchiques ou plus classiques, reconnaître
dans les idées soixante-huitardes un certain nombre de positions
qu'elle avait défendues et suscitées quelques années
auparavant, elle traversa cette période avec aisance certes
mais sans bouleversements profonds. Voilà comment Roger Beaunez
se l'expliquait :
"Dans cette contestation riche d'idées et de création,
apparaissaient les mots d'autogestion, d'imagination libérée.
De nouveaux espaces d'initiatives étaient revendiqués.
La démocratie se voulait à portée de main.
Par ses membres, l'ADELS fut présente dans ce mouvement d'opinion,
où elle reconnaissait un certain nombre d'inspirations qu'elle
et les mouvements d'éducation populaire avaient suscitées
dans les années soixante. Mais, chose curieuse, cette contestation
qui voulait rendre la démocratie plus vivante, moins formelle,
ne s'est guère manifestée en direction du pouvoir
municipal et de ses méthodes de fonctionnement. Ce qui motiva
ma tribune parue dans Le Monde sous le titre interrogatif : "Et
le pouvoir local ?" (...). Ainsi le pouvoir resta concentré
entre les mains de quelques hommes, le plus souvent issus des classes
dirigeantes et de l'Administration."
Il y aura cependant un "effet 68", quelque peu inattendu,
c'est la suppression en 1969 de la subvention de l'ADELS, sur la
décision de Joseph Comiti, qui évoqua le prétexte
de "compression budgétaire". L'association rencontra
alors de graves problèmes financiers, d'où une crise
de trésorerie. Ses ressources reposeront désormais
essentiellement sur la vente de la revue et sur les abonnements,
ainsi que sur les montages qu'elle réalise ou sur les stages
et conférences qu'elle organise. Devant l'adversité,
sa propension à écrire se confirme un peu plus, et
le maintien et la diffusion de la revue devient une de ses principales
activités. Elle fait le choix à ce moment-là
de se rapprocher d'associations amies qu'elle fréquentait
jusque là de près ou de loin, mais qui là devinrent
des soutiens nécessaires à sa survie, telles Culture
et Liberté, La Vie Nouvelle, Peuple et Culture. Elle fait
avec elles des congrès, des journées d'études,
des stages, des commissions, elle collabore à leurs propres
revues.
Chacune de ces associations a sa propre vision d'une démocratie
de participation, certaines développent à ce moment-là
des expériences en direct, d'autres produisent un discours
sur les expériences à mener. Ainsi, face aux "unités
de vie sociale" de l'ADELS, on trouve "les groupes de
base" de Culture et Liberté ou "les groupes et
communautaires" de La Vie Nouvelle, etc. Ces modèles
s'agencent, se superposent ou s'opposent (il en est porté
témoignages à travers notamment des revues comme Affrontement,
Confronter, Citoyens 60), et il serait intéressant de les
comparer). L'exemple de Confronter est illustratif de ces collaborations
ou voisinages de courants. Dirigée par Dominique Alunni (ancien
de la JOC de Nice, issu du CCO et partie prenante dans la difficile
naissance de Culture et Liberté ), cette revue est réalisée
en commun par Culture et Liberté, Perspectives Socialistes,
la Confédération syndicale des familles, la Confédération
nationale des associations populaires familiales, l'INFAC et...
l'ADELS.
Avec Culture et Liberté l'ADELS fait un bout de chemin qui
l'implique plus fortement qu'avec ses autres partenaires. Elle avait
établi depuis 1967 une liaison organique étroite avec
le CCO et avec le MLO et quand ces deux derniers mouvements négocient
pour fusionner et constituer le nouveau mouvement Culture et Liberté
en 1969, après bien des tractations, l'ADELS est de la partie.
Culture et Liberté a eu une naissance difficile, le mariage
entre MLO et CCO, deux mouvements proches mais différents,
s'étant révélé mouvementé, et
l'ADELS devient pour un temps l'arbitre au milieu d'un conflit latent.
Les militants de Culture et Liberté se sont sentis un peu
malmenés dans cette histoire de fusion et il fallait rassembler
les troupes. Et Georges Tamburini dans son rapport de mai 1972 a
lancé "les groupes de base". Cette notion, qui
intègre la dimension du local, devient fer de lance du nouveau
mouvement Culture et Liberté. Elle permet d'allier dialectiquement
les formules de mouvements et d'institutions c'est sur elle que
reposerait la démocratie interne du mouvement, qui se veut
"une démocratie de participation réalisée
à partir de l'initiative concrète de la base".
Le rapport des 27-28 mai 1972 en donne la définition suivante
: "Le groupe de base est un colloque permanent d'hommes et
de femmes remettant sans cesse sur le tapis le projet de développement
culturel qu'ils sont amenés à formuler ensemble, à
partir de l'unité de vie à laquelle ils appartiennent".
Voilà une certaine approche de l'idée autogestionnaire,
qui se situe dans le partage des idées de cette époque.
En 1971, Michel Cornaton (il est docteur en sociologie et enseignant
à Lyon II, et a appartenu à l'équipe d'Economie
et Humanisme de 1965 à 1970), sort un petit ouvrage qui a
pour titre "A la recherche du pouvoir", qui a des ambitions
plus critiques. Pierre Belleville, militant mosellan de Culture
et Liberté en écrit la préface :
"A la recherche du pouvoir, Michel Cornaton aboutit aux groupes
de base. Le raccourci peut sembler audacieux, voire téméraire.
Certes, une centaine d'années de fréquentation du
marxisme nous ont quelque peu familiarisés avec l'idée
que le pouvoir se situait ailleurs qu'au sommet des états.
Nous soupçonnons qu'il est aussi au sommet des entreprises.
Dans les organisations de quartier, on ne fait guère que
de l'agitation politique, c'est à dire, pour reprendre un
terme à la mode, de l'animation".
Pierre Belleville insiste ensuite sur l'ambiguïté des
groupes de base, qui sont à la fois relais déconcentrés
des structures de masse, mais aussi outils, en vue d'une réappropriation
active de la vie quotidienne. Ces groupes ne sont pas exactement
des groupes de quartiers, "de quartiers préfabriqués",
mais ce sont "des groupes concrets réunissant chaque
fois de façon différente des hommes et des femmes
concernés (et conscients de l'être) par ces problèmes".
Son interprétation penche nettement du côté
de l'autogestion :
"C'est commencer à opposer le réseau des pouvoirs
que nous voulons construire à celui des pouvoirs que la société
massifiante et bloquée. C'est opposer concrètement
une volonté d'autogestion sociale à une société
que la loi des profits a transformé en un marché unique
et décentralisé."
Cette position est confirmée par l'auteur de l'ouvrage,
Michel Cornaton :
"Ceux qui se situent en haut de la pyramide sociale parleront
de participation, voire d'autogestion, afin de rameuter les troupes.
Nous sommes quant à nous, pour la participation et l'autogestion,
mais à condition qu'elles soient voulues par la base en non
imposées d'en haut pour les besoins idéologiques du
moment. Il faut que la participation, la contestation, l'autogestion
et autres idées générauses puissent s'exercer
dans des groupes réels, émanant de structures concrètes
et aux responsabilités effectives."
A La Vie Nouvelle, que l'ADELS a aussi croisé sur son chemin,
le cas est un peu différent. Le mouvement ne recrute pas
dans les mêmes sphères. Le travail d'équipe
et la prise de décision en collectif y ont toujours eu une
dimension importante et les groupes locaux sont connu une vraie
réalité. Le mouvement dans les années 1960
s'est divisé entre promotionnaires et communautaires, et
l'entrée des idéaux PSU dans ce mouvement très
catholique a accompagné un débat assez vif sur "l'avenir
autogestionnaire". Dans son livre sur l'histoire de La Vie
Nouvelle , Jean Lestavel interroge cette période assez complexe,
en constatant que "en même temps que le marxisme, et
peut-être même plus fondamentalement, une aspiration
différente parcourait La Vie Nouvelle, c'était celle
de l'autogestion". L'autogestion lui paraît à
cet égard être dans le droit-fil de l'idée de
participation développée dans La Vie Nouvelle à
partir de la fin de la guerre d'Algérie et sous l'influence
de Citoyens 60. En dernier lieu, son analyse est que l'idéal
autogestionnaire dans son mouvement a abouti à une décentralisation
et à mise en valeur de la région et de l'équipe
régionale : "l'animateur régional était
jusque là surtout le représentant de l'échelon
national, et plusieurs régions s'opposaient à cette
conception parisienne. Le poids des régions s'accrut et l'organe
exécutif s'orienta vers un conseil des régions".
Cette interprétation de l'idée autogestionnaire est
assez lointaine des collectifs d'habitat ou d'entreprise ! A chaque
secteur son autogestion ? Dans le secteur de la jeunesse et de l'éducation
populaire, il faut reconnaître que la terme d'autogestion
a été assez peu employé et l'idéal a
été assz peu exploré. Si, comme le suggère
Jean Lestavel, l'autogestion était simplement l'agencement
des niveaux de décision en fonction de l'organisation géographique
de chaque mouvement, alors chaque mouvement pourrait revendiquer
des propensions autogestionnaires ! Car ces enjeux de répartition
des tâches et de prise des décisions en fonction des
échelons ont été posées et discutés
à l'intérieur de chaque mouvement à de nombreuses
reprises et depuis plusieurs décennies.
Néanmoins, on ne peut exclure de cette réflexion
l'analyse du comportement autogestionnaire propre à l'ADELS.
Car, si l'ADELS produit des discours "sur", si elle théorise
le concept d'autogestion, elle n'est pas pour autant un collectif
autogestionnaire dans sa vie au jour le jour. C'est là où
les archives de première main manquent (pour l'instant) pour
étudier de plus près les pratiques de cette équipe
et de ce réseau. Contrairement à l'ADELS, Culture
et Liberté ou La Vie Nouvelle connaissaient des vies de mouvement,
avaient des habitudes connunautaires, vivaient le collectif dans
leur quotidien. L'ADELS reste avant tout un laboratoire qui produit
des analyses, qui fait des fiches, qui organise des stages, qui
rend compte des expériences des autres, qui fonde un corpus
d'écriture. C'est en quelque sorte un réseau "au
service" de militants, qui agissent à l'ADELS et pour
l'ADELS mais qui militent ailleurs et à côté.
Un travail prosopographique sur les trajets croisés de ces
militants se révéle nécessaire avant d'approfondir
toute analyse complémentaire. Néanmoins, la question
se pose de savoir si, par ses publications, l'ADELS a contribué
à forger un modèle homogène de démocratie
municipale ou plus largement territoriale.
|
|