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On ne peut comprendre l'art d'aujourd'hui sans revenir un moment
sur l'art de la première moitié du siècle.
Les avant-gardes des années 20 et 30, et les philosophies
de l'art et de l'histoire qu'elles exprimaient, faisaient d'une
part fusionner la finalité artistique et la finalité
révolutionnaire, l'idée était qu'il ne pouvait
y avoir de réalisation de l'art sans suppression du capitalisme
; et d'autre part, intégraient dans la formation du langage
artistique l'importance de l'expression inconsciente. Poussé
par la révolution russe et son attraction, l'art de la première
moitié du siècle (Dada, surréalisme, expressionnisme
allemand...) était en rupture avec la gestion capitaliste
de la société, il était donc également
en rupture avec l'ensemble des valeurs de la bourgeoisie. Il valorisait
l'importance de la psychanalyse comme instrument de connaissance,
et ne considérait pas l'artiste comme un héros ou
un génie. L'art devait être fait par tous, car n'étant
qu'affaire d'expression il devait être l'affaire de tous.
Quand Marcel Duchamp introduisait en 1917 une pissotière
dans une exposition d'oeuvres d'art, il n'avait pas à l'esprit
que celle-ci était une oeuvre d'art, il remettait en question,
par cette provocation, la culture élitiste de son époque.
Pour mémoire, cinq ans auparavant, Apollinaire, introduisait
des commentaires de la vie quotidienne dans la poésie ("Les
directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes,
du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent",
Zone). On attendait enfin de la révolution sociale qu'elle
donne à tous les moyens matériels de se consacrer
à la poésie.
La guerre d'Espagne a marqué la fin de la période
révolutionnaire de l'entre-deux guerres. Le mouvement révolutionnaire
abattu, les conditions étant réunies, la guerre a
pu éclater et résoudre provisoirement par la destruction
et la mort les contradictions de l'économie capitaliste.
Les théories d'économie politique qui ont fondé
la société d'économie mixte après la
seconde guerre mondiale voulaient remplacer les mécanismes
d'équilibre opérant librement par le marché
et qui avaient abouti à la grande crise de 1929 et à
la guerre mondiale, par un équilibre établi consciemment
par l'intervention de l'État dans l'économie. A défaut
de supprimer ce cauchemar du capitalisme qu'est la récurrence
des crises économiques, on espérait au moins en atténuer
les effets. La société d'économie mixte avait
pour vocation d'être une société sans crise,
ni sociale ni économique.
L'art d'économie mixte est l'art de cette période
qui s'étend de la Libération (en fait la fin des années
50) au retour de la crise aujourd'hui. Ses éléments
constitutifs sont les mêmes que ceux de l'économie
mixte : le consensus et le partenariat privé-Etat. On ne
peut comprendre l'art de la seconde moitié du siècle
si on garde à l'esprit le découpage linéaire
par mouvement artistique retenu en histoire de l'art : nouveau-réaliste,
pop art, art minimal, art conceptuel, land art, figuration libre,
etc. L'art d'économie mixte regroupe deux grandes familles
d'oeuvres et d'artistes : [1]
- d'une part, celle des artistes simulacres du privé (les
artistes et les oeuvres miroirs de la machine, qui s'inscrivent
de façon plus générale dans un art miroir de
la production, dont les traits essentiels sont l'accumulation, la
destruction, la mise en série, etc.) ;
- d'autre part, celle des artistes simulacres de la fonction publique
et de l'État (les "artistes-fonctionnaires", dont
les caractéristiques sont la taxinomie, la mise en boite,
l'étiquetage, le classement, la définition, la nomination,
etc.).
La façon de procéder des premiers s'apparente à
celle des personnels de l'industrie, voire aux grands cycles de
la production (l'accumulation, la série, la destruction),
celle des seconds à la façon de procéder des
fonctionnaires de l'État (la taxinomie). C'est essentiellement
un art de la procédure avec les objets, et du renoncement
à l'inconscient et à la subjectivité. En art
d'économie mixte, je est un on, et ce on est celui de l'idéologie
dominante, faussement objective comme les publicités. C'est
pourquoi les oeuvres d'art d'économie mixte ressemblent aux
objets ménagers présentés dans les publicités.
On a ainsi une première esquisse de ce qu'est l'art d'économie
mixte, qui constitue l'art contemporain officiel, tel qu'il est
omniprésent depuis plusieurs décennies dans les galeries,
les espaces publiques, les musées, les cours intérieures
des grandes entreprises, les espaces verts autour des centrales
nucléaires, les cours des ministères. L'art qui nous
intéresse est ailleurs.
Pendant près d'un siècle, l'art s'est constitué
en rupture avec les valeurs de la bourgeoisie et des fonctionnaires
de l'État :" [Du Salon des refusés (1863)] jusqu'aux
années 40 et 50 de notre siècle, la chronique abonde
en querelles, erreurs monumentales et aveuglements obstinés.
Il y a eu l'entêtement du Louvre, qui refusait d'accrocher
l'Olympia de Manet, qu'une souscription avait achetée à
la veuve du peintre, pour éviter qu'elle ne soit acquise
par un étranger. Il y a eu la misérable affaire du
legs Caillebotte, collection d'impressionnistes reçue avec
dédain par une administration qui tolérait Renoir
et méprisait Cézanne. Il y a eu l'indifférence
absolue des musées français, qui n'ont acheté
ni Matisse ni Picasso jusqu'à la seconde guerre mondiale.
Sans la générosité de quelques donateurs, tel
Marcel Sembat à Grenoble, et quelques dons des artistes,
il n'y aurait pas eu un fauve ni un cubiste dans les collections
nationales en 1939." [3]. L'art d'économie mixte, au
contraire, se présente avant tout comme un art intégré,
subventionné par le privé et les pouvoirs publics.
Il ne connaît pas de Salon des refusés, ses commandes
sont celles de l'État et des grandes entreprises. Car le
consensus social, première pierre de la société
d'économie mixte, a aussi été un consensus
culturel. La subvention de l'art par la société depuis
la libération a été le moyen de transformer
la subversion de la société par l'art qui avait prévalue
dans la première moitié du siècle. Comme le
note Rainer Rotchlitz, "les subventions accordées à
la création, à l'échelle municipale, régionale,
nationale et internationale [ont été] l'équivalent
des "acquis sociaux" de l'après-guerre et [ont
fluctué] au même rythme qu'eux." [4].
Marx qui n'avait pas prédis la société d'économie
mixte, avait écrit à son époque que "la
production capitaliste est hostile à certains secteurs de
la production intellectuelle, comme l'art et la poésie, par
exemple" [5]; la société d'économie mixte
réconcilie l'art et le capitalisme en intégrant la
production artistique dans l'industrie du tourisme, où les
grandes expositions coordonnées par des commissaires rassemblant
des artistes reconnus internationalement l'emportent progressivement
sur l'artisanat des galeries d'art réservée à
une élite culturelle et sociale. Les grandes expositions-shows
organisées par les commissaires sont aussi le lieu où
l'idéologie peut réécrire l'histoire [6].
L'artiste d'économie mixte est le produit d'une époque
qui a cru à son intemporalité. Il était de
bon ton, dès les années 60, de penser que la société
avait atteint un point de développement à partir duquel
elle pouvait intégrer n'importe qu'elle forme de contestation
culturelle. Tout avait été fait en art, et tout avait
été intégré sans grande difficulté
depuis la fin des années 50, l'incapacité de l'art
à faire frémir le bourgeois en était la preuve
incontournable. Il ne s'agissait que d'un leurre. Les limites de
l'intégration de la société d'économie
mixte sont celles de l'économie mixte elle-même : le
retour de la crise économique qui marque la faillite de cette
philosophie de l'économie, marque aussi la fin de l'idéologie
de l'intégration. Le retour de la crise aujourd'hui, annonce
la fin du consensus social comme du consensus dans la culture. Il
marque la fin de l'art d'économie mixte.
La société d'économie mixte fondée sur
le consensus laisse la place, avec le retour de la crise, à
un nouveau modèle fondé, lui, sur la confrontation
sociale et sur l'attaque frontale. Ce nouveau modèle, qui
n'est finalement qu'une forme plus brutale de gestion de la crise,
n'est autre que le nouvel ordre mondial, économique, politique
et social. Il comporte plusieurs aspects : le premier, c'est la
remise en cause de tout ce qui avait été négocié
par le partenariat depuis la fin de la seconde guerre mondiale (salaire,
retraite, assurance, etc.), elle prend la forme immédiate
d'une très forte crispation sociale (licenciements brutaux,
politique du lock out, criminalisation du syndicalisme, du droit
de grève, du droit de manifester, de critiquer, de s'exprimer,
d'informer, etc.)[7] , et rappelle à ceux qui l'auraient
oublié ces dernières années que le capitalisme
est déterminé essentiellement par l'exploitation de
la plus-value, qui est la clef de voûte autour de laquelle
s'organise l'ensemble économique, social, politique et culturel,
et qu'il ne développe, n'encourage, que ce qui va dans ce
sens. Le second aspect, c'est l'aménagement de l'idéologie.
Celle-ci était consensuelle et intégrait les valeurs
qui lui étaient hostiles, désormais, de la même
manière que les frontières se ferment sur le territoire
pour repousser les étrangers et les exclure, les frontières
se ferment également dans la culture. Les idées étrangères
aux soient-disantes valeurs occidentales deviennent suspectes, plusieurs
se prêtent à rêver d'un art occidental grec et
romain débarrasé de ce qu'il a assimilé au
cours des siècles. On peut ainsi lire dans une revue sur
l'art (disponible par exemple à la librairie La Hune à
Paris 5ème, au rayon art) que "la trahison qui a donné
naissance à l'art moderne s'est faite par une greffe assumant
l'altérité, prenant en compte les cultures étrangères
à l'Europe et à la civilisation européenne
[8], sur le même ton de la réaction, on peut également
lire, dans la revue Esprit, sous la plume d'un certain Jean Molino,
que "l'art risque sans doute de se confondre avec l'acception
la plus large de la culture et l'on constate qu'il n'y a plus guère
de différence entre les musées des Beaux-Arts et les
musées éthnographiques" [9]. Attaques répétées
qui annoncent les expositions des "Arts dégénérés"
de demain.
Avec la fin de l'économie mixte, on assiste à un retour
des valeurs qui ont toujours accompagné le conservatisme
politique et social : la morale, la famille, la religion. Le droit
de critiquer, dans l'entreprise et hors de l'entreprise, qui était
permis relativement dans les temps consensuels n'est plus de mise
aujourd'hui. Les idées qui s'écartent des valeurs
morales s'apparentent désormais à des valeurs subversives,
et sont traitées comme telles, sans ménagement. Avec
le retour de la crise et la fin du consensus, on voit aujourd'hui
réapparaître les mêmes sinistres figures blâmer
les manquements aux valeurs et aux moeurs, dénoncer les oeuvres
"immorales et scandaleuses". C'est en Autriche, véritable
laboratoire de la réaction, qu'un film récent de Werner
Schroeter (l'auteur du Tambour), Le Concil d'Amour, d'après
l'oeuvre d'Oscar Panizza, a été confisqué par
le gouvernement parce qu'il était jugé anticlérical
et accusé d'avoir heurté les sentiments religieux
des catholiques tyroliens (Libération, du 7/10/94). Dans
ce même pays où l'extrême droite fait jeu égal
avec les partis politiques classiques, des artistes contemporains
sont montrés du doigt dans les médias, dénoncés
comme des criminels et des pornographes. Un projet de musée
d'art contemporain à Vienne est abandonné après
une campagne virulente menée par l'extrême droite.
"Nous sommes les premiers visés après les immigrants
par l'extrême droite, disait récemment un artiste autrichien"
[10].
Ce à quoi on assiste aujourd'hui, c'est à la fois
à la faillite de l'art d'économie mixte et à
la criminalisation de la figure de l'artiste. La première
accompagne la fin de la société d'économie
mixte, la seconde le retour de la crise et des conflits sociaux,
et la fin du consensus. C'est cela aussi le nouvel ordre mondial.
NOTES : Publié dans
- Le Monde Libertaire, Hors série N0.4, juillet-août
1995
- Ab irato N0.7 décembre 1995
Origine : http://abirato.free.fr/1book/aem/delasub.htm
Note de lecture du livre par Jean-Philippe Uzel :
« Rochlitz, Rainer -- Subversion et subvention : art contemporain
et argumentation esthétique. »
Paris : Gallimard, 1994. -- 238 p. -- (NRF Essais).
En ouvrant l'ouvrage de Rainer Rochlitz, Subversion et subvention,
nous sommes tentés, dans un premier temps, de le classer
parmi la série de libelles qui depuis quelques années
s'acharnent à démontrer que l'art contemporain n'est
qu'une vaste entreprise de mystification.
La thèse centrale de l'ouvrage sonne en effet comme un constat
d'échec : la subversion artistique, inaugurée par
les avant-gardes historiques dans les années 1910 est, depuis
les années 1960, gérée et sollicitée
par les institutions artistiques qu'elle avait pour but de détruire.
La création contemporaine se trouve donc en contradiction
flagrante avec son système de diffusion.
Les artistes contemporains qui prétendent s'attaquer à
l'autonomie de l'art ne font, finalement, que la renforcer -- on
reconnaîtra ici la thèse que Peter Bürger a soutenue
dans Theorie der Avantgarde (Francfort : Suhrkamp, 1974).
Puis, en avançant dans la lecture de l'ouvrage, un doute
nous saisit.
Même si l'auteur n'est pas familier avec la création
contemporaine, son livre est bien documenté et ne tombe jamais
dans la généralisation abusive.
Rainer Rochlitz ne peut se confondre avec un Jean Clair ou un Jean-Philippe
Domecq, il condamne d'ailleurs cette critique radicale de l'art
contemporain : «La dénonciation pure et simple de l'art
contemporain comme supercherie est impuissante» (p. 64).
Mais qu'est-ce qui fait courir Rochlitz, pourrait-on dès
lors se demander.
La réponse tient en une seule formule : la «rationalité
esthétique».
À l'heure où le «n'importe quoi» règne
en maître et où tout jugement de valeur a définitivement
disparu de la scène artistique, Rochlitz souhaite réhabiliter
la dimension normative de l'oeuvre d'art.
La rationalité esthétique nous permet de caractériser
les oeuvres d'art et d'évaluer leur réussite, c'est-à-dire
la justesse avec laquelle elles articulent la subjectivité
du créateur et la compréhension universelle qu'elles
prétendent atteindre (toute oeuvre, comme l'a démontré
Kant, a la prétention d'intéresser sinon de plaire
au plus grand nombre).
C'est dans ce passage du singulier à l'universel, dans cette
«publication de l'intime» (p. 103) comme le dit joliment
Rochlitz, que se joue la validité de l'oeuvre d'art.
Sans cette cohérence, la création ne peut faire l'objet
d'une justification rationnelle et perd son statut d'oeuvre d'art
: «une prétendue oeuvre d'art dont la qualité
artistique ne peut être justifiée par aucune bonne
'raison' n'en est pas une» (p. 91).
On aura compris que la rationalité esthétique, selon
Rochlitz, fait cruellement défaut à l'art contemporain.
Reprenant un constat déjà établi par Raymonde
Moulin et Yves Michaud, Rochlitz déplore la logique tautologique
qui gouverne actuellement aux destinées de l'art : tel artiste
expose car il est jugé important et il est jugé important
car il expose.
C'est précisément pour cacher ce déficit du
jugement de valeur que le monde de l'art opère, selon notre
auteur, un glissement aux conséquences dévastatrices
: le contenu politique de l'oeuvre se substitue peu à peu
à sa cohérence interne et tient lieu de critère
de validité esthétique («le fait d'être
'politiquement juste' suffit pour légitimer une oeuvre d'art»,
p. 193).
La subvention va désormais à la subversion, dernier
rempart avant le vide.
Cette absence totale de légitimation esthétique a
un effet désastreux sur le grand public qui se désolidarise
de plus en plus d'un art qu'il ne comprend pas («le public
a l'impression d'être la dupe de l'art contemporain»,
p. 187).
Pour enrayer cette situation, Rochlitz propose donc de rétablir
au plus vite une rationalité esthétique qui permette
aux médiateurs culturels (critiques, directeurs d'institutions
muséales… de mettre à jour la cohérence
et la validité interne de la création et de justifier
ainsi la pertinence de leur choix auprès du public.
Malgré une argumentation très nuancée, le principal
problème de l'ouvrage de Rochlitz est son incapacité
à penser la médiation art-politique.
La distinction qu'il établit entre les «avant-gardes
purement formelles» et les «avant-gardes artistiques
à motivation politique» (p. 193) n'est que le symptôme
du partage abyssal qui existe selon lui, entre l'art et la politique.
L'idée qu'une oeuvre d'art puisse être à la
fois politiquement critique et esthétiquement valide ne semble
jamais l'effleurer.
C'est ainsi qu'il déclare au sujet de l'oeuvre d'art : «Plus
son message politique est univoque, moins ses caractéristiques
artistiques sont irremplaçables.
Plus l'oeuvre, au contraire, élabore son propre univers formel
et compositionnel, sa technique et sa matière, moins il sera
facile d'en déduire une intention politique claire»
(p. 199).
C'est, entre autres, ce refus de penser la médiation art-politique
qui lui permet de justifier le non-sens d'un art subversif subventionné.
Une autre faiblesse sur laquelle repose cette thèse (due
peut-être à la trop longue fréquentation de
Walter Benjamin, auquel Rochlitz a consacré un précédent
essai) est le fait de considérer qu'un art politique est
forcément «subversif», que son but est un bouleversement
de l'ordre social au profit d'un monde totalement renouvelé.
Or nous savons que le mouvement de «retour au musée»
des artistes à la fin des années 1960 s'accompagne
d'un abandon des visées subversives et utopiques, mais ne
signifie d'aucune manière un renoncement à la contestation
politique.
Tout au contraire.
En réintégrant l'institution muséale, la critique
a perdu en radicalité, mais il y a fort à parier qu'elle
a gagné en efficacité.
Les artistes abandonnent la fonction révolutionnaire et utopique
de l'art car ils ont compris, comme le dira par la suite Michel
Foucault, que «la résistance n'est jamais en position
d'extériorité par rapport au pouvoir» (Michel
Foucault, La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p.
126).
Les artistes, en retournant au musée, adoptent ce que certains
ont appelé «une nouvelle attitude critique» (René
Payant, Vedute, Laval : Trois, p. 353).
Ils s'installent dans l'institution, épousent ses mécanismes
de légitimation afin de les faire travailler contre eux-mêmes,
en les exposant (Daniel Buren, Hans Haacke), en les retournant (Michael
Asher) ou en les parodiant (Marcel Broodthaers).
En déplaçant la critique sur l'institution ces artistes
s'attaquent directement à la prétendue neutralité
du musée et à son corollaire l'autonomie de l'art.
Ce faisant ils remettent en cause les fondements mêmes d'une
modernité qui suppose une séparation radicale entre
l'art, la politique et la science.
Rainer Rochlitz rétorquerait que les institutions artistiques
récupèrent à leur tour cette critique qui leur
permet de masquer la vacuité sur laquelle reposent leurs
choix esthétiques.
Mais comment expliquer alors qu'en 1971, un des plus grands musées
d'art moderne au monde, le Guggenheim Museum de New York, rejette
tour à tour une oeuvre de Hans Haacke (Shapolsky et al. Manhattan
Real Estate Holdings, a Real-Time Social System, as of May 1, 1971)
et de Daniel Buren (à l'occasion de la VIe Exposition Internationale
du Guggenheim).
Cette liste des refus et des rejets ne fera que s'agrandir dans
les années suivantes jusqu'aux récentes affaires Robert
Mapplethorpe et Andres Serrano, sans parler des menaces qui pèsent
actuellement sur le National Endowment for the Arts, principale
source de subventions publiques pour les artistes américains.
Mais de ça, Rochlitz ne parle pas.
Jean-Philippe Uzel
Origine : http://media.macm.org/vt/vt-8370.htm
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