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Argumentaire en faveur des groupes féministes non-mixtes

Origine : http://www.feminismeradical.com/groupes.htm

Argumentaire en faveur des groupes féministes non-mixtes

L’oppression

L’oppression des femmes par les hommes est une réalité difficilement contestable aujourd’hui. L’oppression, selon le Petit Robert, constitue une soumission à une autorité excessive et injuste. Cette autorité sera ici considérée comme une position relative de pouvoir, de coercition et de possibilité de décision et d’influence, par un groupe sur un autre, ou d’un individu sur un autre (Guérin 1999). L’oppression des femmes est donc manifeste du fait qu’elles n’occupent presque aucune position de décision dans la société, autant au niveau politique (dans les différents gouvernements) qu’économique (la très grande majorité des postes de cadres des entreprises sont tenus par des hommes), que familiale. De plus, les hommes possèdent la quasi-totalité des pouvoirs de décision dans les médias, les écoles et les universités et beaucoup d’autres lieux de diffusions idéologiques, pouvant ainsi dicter (ou du moins influencer) les conduites de genre « socialement correctes ». Dans le quotidien, il est difficile d’éviter de voir l’oppression permanente sur les prostituées, les femmes battues, les femmes violées, les femmes tout court (Cyprine 2003, Les Sorcières)... Le confinement des femmes à des espaces fermés le soir et la nuit, celles-ci ayant peur de marcher dans les rues, et aux travaux domestiques le jour, constitue un autre exemple du quotidien opprimé des femmes. Aussi, l’appropriation du corps de la femme par les hommes confère à ceux-ci une autorité absolue (Guillaumin 1978). Par rapport aux attitudes, par exemple, il est également plus difficile pour les femmes de se faire entendre dans un débat, les hommes (qui y sont souvent majoritaires) ne portant pas la même valeur aux dires des femmes (Lips 2001).

L’autodétermination

Cet abus de pouvoir par les hommes empêche les femmes d’être autodéterminées. En effet, l’autorité masculine dicte aux femmes comment elles doivent se comporter, dans la rue, dans un bar, dans les médias, dans le privé, etc., par les moyens d’oppression qui viennent d’être présentés, et bien d’autres. La situation sociale actuelle donne aux hommes cette autorité, qu’ils prennent trop souvent sans se questionner. Cette autorité masculine est l’antonyme direct de l’autodétermination des femmes. Cette autodétermination représente simplement la capacité de se définir soi-même, comme groupe, et de pouvoir vivre selon cette définition; elle est nécessaire pour le bien-être des femmes (et des hommes) et pour le progrès de nos sociétés. L’autodétermination est effectivement associée à un bien-être accru des individus, à un plus fort sentiment de communauté et elle entraîne plusieurs conséquences sociales extrêmement positives (Dalton 2001). De plus, la possibilité d’autodétermination des groupes, sociétés ou communautés est fondamentalement un droit. Théoriquement, l’autodétermination des femmes est souhaitée parce qu’elles ne l’ont jamais été historiquement. Des décision féminines sont donc attendues : que veulent les femmes, quelle société souhaitent-elles et que veulent-elles faire des rôles sexuels et de la condition féminine...

L’oppression, qui empêche l’autodétermination, est donc intolérable, et elle doit être éliminée. Mais comment s’y prendre ? Si l’on admet qu’il n’est pas possible de tuer tous les hommes, ou que les femmes forment une société géographiquement séparée des hommes (qui sont collectivement les responsables de cette oppression) que pouvons-nous faire ? La réponse se trouve en fait dans la question. Les hommes, par leurs actions quotidiennes, sont les moteurs de l’oppresion; ils doivent donc changer radicalement leurs comportements. Si les hommes cèdent leurs positions d’autorité, s’ils arrêtent d’opprimer les femmes dans leur quotidien et d’imposer leurs visions dans toutes les sphères de la vie, l’autodétermination des femmes sera vraisemblablement devenue favorisée et presque complétée. Nous verrons plus loin que cette vision, malgré qu’elle semble extrêmement phalocentriste, n’exclue pas du tout les femmes du processus...

Mais si les femmes veulent être autodéterminées, et que ce sont les hommes qui doivent changer leurs comportements, une contradiction semble émerger. Avant tout, il est nécessaire que les hommes soient en accord avec le principe que les femmes sont opprimées par les hommes, et qu’ils comprennent et appuient leurs désirs d’autodétermination. Ensuite seulement, les hommes doivent changer leurs comportements en fonction de ce que le groupe opprimé (les femmes) considère comme opprimant. Mais est-ce que les femmes se sont positionnées sur ce qu’elles veulent changer ? Les courants féministes étant très nombreux, est-il possible de connaître LA position « des femmes » ? Ceci n’est malheureusement pas encore fait. Ainsi, il est donc possible pour les hommes (idéalement en collaboration avec des groupes féministes) de redéfinir eux-même la « masculinité », ses avantages et ses inconvénients, ainsi que de discuter sur les rôles sexuels actuels, afin de modifier le plus rapidement possible les comportements opprimants du quotidien envers les femmes. Ces redéfinitions doivent cependant demeurer flexibles, car il est extrêmement important qu’elles ne soient pas en désaccord ou en contradiction avec ce qu’avancent présentement les féministes, et ce qu’elles avanceront plus tard, car cela minerait directement leur autodétermination. Des décision unilatérales, comme le font actuellement plusieurs groupes masculinistes, n'auraient comme seul effet que de renforcer l’oppression exercée et l’autorité des hommes. Les hommes sont déjà autodéterminés.

Les femmes doivent donc définir leurs positions avant que les hommes ne puissent changer définitivement leurs comportements. Afin de rendre cela davantage concret, nous pourrions, par exemple, imaginer une « majorité des femmes du Québec » souscrivant à une plate-forme de revendications formulée par certaines d’entre elles, lors d’un referendum. Il serait possible de considérer beaucoup d’autres scénarios, mais prenons celui-ci en exemple. Alors, comment serait-il possible de réunir la majorité des femmes du Québec à voter sur une telle plate-forme ? Il est malheureusement assez clair que le féminisme n’est pas « à la mode » de nos jours, mais l’idée n’est toutefois pas complètement farfelue. La première étape est certainement de sensibiliser ou d’éduquer les femmes à l’oppression qu’elles vivent, car il peut être extrêmement difficile de réaliser ce phénomène lorsqu’on y est plongée, surtout lorsque les mécanismes du patriarcat afin de diviser les femmes et de les mettre elles-mêmes à dos des féministes sont si efficaces. Cette sensibilisation ne pourrait qu’amener un désir de changement. Une autre manière intéressante pour amener les femmes à s’impliquer dans cette redéfinition est de créer une solidarité entre les femmes. Cette solidarité pourrait certainement en attirer plusieurs à s’impliquer pour leur cause, et nous en bénéficierions tous. C’est ici qu’entre en scène les groupes de femmes non-mixtes.

Les groupes non-mixtes

En effet, les groupes de femmes non-mixtes permettent à plusieurs femmes de s’exprimer et de partager sur la situation qu’elles vivent, en toute confiance. Le simple fait de se retrouver entre elles permet donc le développement d’un sentiment d’appartenance et de solidarité (O’Leary 1982). Mais il est naturellement possible de créer une solidarité féminine sans la présence de groupes non-mixtes. Devant la permanente contestation qui existe par rapport à l’existence de ces groupes, cet argument n’est pas suffisant pour « justifier » leur présence.

Cette contestation prend plusieurs formes. Le plus simple argument réfère évidemment à l’exclusion des hommes, qui est considérée comme « sexiste » ou « discriminatoire ». Une façon plus posée d’amener cet argument est que le principal visé du changement souhaité (l’homme) ne peut s’exprimer aux rencontres du groupe de femme. Cette façon de voir les choses est plutôt simplificatrice. En effet, ces gens semblent ne pas comprendre que la relation d’autorité et d’influence se maintient même dans un cadre féministe. La simple présence d’hommes dans un groupe de femmes limitent leurs possibilités d’ouverture et de liberté d’expression, parce que certaines craignent des jugements de valeurs, l’oppression vécue depuis la naissance laissant des marques dont certaines femmes ne peuvent pas se libérer facilement. Justement, des groupes non-mixtes peuvent entre autres permettrent aux femmes de se libérer de ces marques. D’autres femmes ont peur qu’un des hommes présents soit un autre Marc Lépine. La présence d’un membre de la classe opprimante peut de plus créer de profonds malaises, et nuire significativement à la création d’une solidarité entre femmes. L’énergie qui se dégage des rencontres non-mixtes est également clairement nouvelle et rafraîchissante, offrant des possibilités créatrices à ces groupes (Lupien 2003).

De toutes façons, ces groupes ont pour fonction de déterminer la position des femmes sur la situation actuelle. La position des femmes, et non des hommes, ou de la société. Puisque leur objectif est d’atteindre l’autodétermination, les femmes ont la légitimité absolue de définir leurs désirs librement, en tant que groupe opprimé. Aucun homme ne saurait leur enlever ce droit sans perpétuer l’oppression.

Mais si l’homme qui veut s’impliquer dans le groupe partage leurs idées est pro-féministe et souhaite seulement les aider, et non s’imposer, pourquoi ne pourrait-il pas participer ? Simplement pour les mêmes raisons que pour tout homme ! En effet, il peut toujours incommoder des femmes du groupe par sa présence. De plus, aucun être humain ne peut se réclamer d’une asocialisation complète. Un homme est toujours influencé par la société, autant féministe qu’il peut se proclamer. L’on ne peut pas se libérer complètement des influences que l’environnement a eu sur nous, elle est omniprésente. Il y a toujours une possibilité de perpétuer les oppressions du patriarcat, ne serait-ce qu’inconsciemment.

Mais alors, cela ne signifie-t-il pas que le changement social des rôles sexuels est impossible ? Non, c’est simplement que ces changements ne peuvent vraisemblablement pas se faire à l’intérieur d’une seule génération. Tout le travail qu’une génération peut faire sur ses comportements limitera la transmission des comportements non-désirés à la nouvelle génération. Celle-ci travaillera encore au changement, et transmettra encore de meilleurs comportements, et ainsi de suite. Il serait futile d’essayer de changer des valeurs et des moeurs d’un jour à l’autre. Tant que les oppressions existeront, les groupes travaillant à leur autodétermination auront leurs raisons d’être.

Certains se demandent également qu’elle est la valeur symbolique de ces groupes. En effet, lorsqu’ils prônent une certaine indifférenciation sexuelle ou un traitement égal des femmes et des hommes, ces groupes semblent dans les faits à l’encontre même de ce qu’ils demandent. Un groupe de femmes interdit aux hommes, qui demande qu’il n’y plus de différence entre hommes et femmes, semble effectivement en profonde contradiction, mais ce n’est qu’en surface. Avant tout, clarifions que tous les groupes ne veulent pas une indifférenciation sexuelle. Qu’ils décident eux-mêmes s’ils veulent le faire! Mais parlons de ceux qui le font déjà, ou qui prônent moins radicalement un simple traitement des sexes équitable. On leur reproche de se regrouper d’une manière non-égalitaire ? Eh bien, le souhait le plus cher de ces groupes de femme est qu’ils n’aient plus de raisons d’être ! En effet, ceux-ci n’aspirent qu’à la fin de l’oppression. Idéalement parlant, lorsqu’il n’y aura plus d’autorité masculine, ces groupes pourront se dissocier. Ils ne sont donc là, théoriquement, que temporairement.

Cette analyse est particulièrement basée sur des arguments anarcho-féministes. Les notions d’autodétermination et d’autorité sont intéressantes à regarder avec les lunettes libertaires, et justifient théoriquement très bien les groupes féministes non-mixtes (Baillargeon 2001, de Sève 1985). Il est par contre tout aussi pertinent de vérifier la pertinence des groupes non-mixtes avec une vision marxiste. En effet, en considérant les hommes comme la classe opprimante, et les femmes comme la classe opprimée, l’existence d’une organisation féminine est simplement nécessaire dans une logique de lutte. L’infiltration masculine à l’intérieur de l’organisation serait une pure absurdité : un peu comme une présence patronale dans une organisation syndicale...

Conclusion

Puisque l’oppression des femmes par les hommes est un phénomène généralement admis, et que cette oppression empêche l’autodérmination des femmes, nous nous retrouvons devant la nécessité de changer les choses, du moins si l’on considère l’autodétermination comme essentielle au bien-être d’un groupe. Puisque l’autodétermination des femmes est l’objectif de ce changement, ce dernier doit être, par définition, énoncé par les femmes. La justification des groupes non-mixtes (non pas qu’ils doivent « avoir une justification », mais si cela permet de changer certaines idées répandues...) est selon moi aussi directe que cela.

L’organisation en groupe mixte, qui est privilégiée par plusieurs groupes féministes aujourd’hui, n’est pas nécessairement néfaste au mouvement. Le souci d’ouvrir la porte à toutes les personnes qui souhaitent aider les femmes, l’intérêt dans ce que les hommes ont à dire et les débats d’idées peuvent être des facettes très intéressantes des groupes mixtes. Cela permet également de rehausser l’image des féministes auprès de la population, ces groupes n’inspirant pas des sentiments de défense aussi forts (ces féministes sont plus difficelement associable au male-bashing). Mais je crois que l’existence conjointe des deux types de groupes est intéressante. Elle offre des avenues de créations différentes et augmentent les probabilités d’amener les femmes à s’impliquer dans le mouvement, chacune pouvant trouver un groupe qui convient à ses opinions. J’espère seulement que ces femmes sont conscientes de l’influence que peuvent exercer les hommes sur elles, et qu’elles n’ont pas besoin de diluer leurs revendications pour leur plaire...

Les volontés du patriarcat de nuire à l’organisation féminine sont depuis longtemps véhiculées partout, rendant ainsi l’existence des groupes non-mixtes très controversées. Ces femmes perdent beaucoup de temps et d’énergie à défendre leurs positions. Les gens qui les contestent devraient systématiquement se questionner sur leurs raisons de le faire. Je crois fermement que, pour l’avoir expérimenté moi-même, des désirs inconscients de garder le pouvoir, de limiter les sphères de la vie où le contrôle nous échappe peuvent nous amener à rager contre les groupes non-mixtes. Ce sont sensiblement les mêmes raisons qui amènent les gens jaloux à fouiner dans les affaires de leur conjointE, à surveiller constamment leurs faits et gestes : garder le contrôle (Deci 1995). Certainement que la situation est a priori frustrante pour des hommes pro-féministes, de se trouver soi-disant écartés de la lutte, mais la situation est toute autre. La logique amène à respecter le désir d’autodétermination des femmes, et de toutes façons, ces hommes peuvent mettre toutes leurs énergies à appuyer ces femmes. Les hommes qui se sentent écartés de la lutte s’en sont écartés eux-mêmes.


Bibliographie

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Dalton, J., Elias M. et Wandersman A. (2001). Community psychology : linking individuals and communities. Belmont CA : Wadsworth/Thompson Learning, 488 p.

Deci, E.L. et Flaste R. (1995). Why We Do What We Do : Understanding Self-Motivation. Toronto : Penguin Books, 230 p.

Guérin, D. (1999). Ni Dieu ni Maître, anthologie de l’anarchisme. Paris : La Découverte et Syros, deux tomes.

Guillaumin, C. (1978). Pratique du pouvoir et idée de Nature : L’appropriation des femmes. Questions féministes, No 2 (fév.), 5-30.

Lips, H.M. (2001). Sex and Gender : an introduction. Mountain View, CA : Mayfield Publishing Company, 553 p.

Lupien, A. et Arseneault, M.-N. (2003). Rebelles Féministes. Montréal : Collectif Les Lucioles, vidéo, 30 min.

O’Leary, V. et Toupin L. (1982). Québécoises deboutte ! : « Nous nous définisson comme esclaves de esclaves... ». Montréal : Éditions du remue-ménage, tome 1, 65-67.

Rézeau d’Alternative Féministe (2003). Quels outils pour les luttes féministes ? : Réflexion sur la non-mixité. 2 p., disponible sur RezoFeministe01.html

De Sève, M. (1985). Pour un féminisme libertaire. Montréal : Boréal Express, 154 p.