« Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple :
on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.
- L’essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin
de se souvenir. »
L'un des buts de l'analyse consiste en ce que l'analysant découvre
ou redécouvre en lui des sentiments que l'angoisse excessive de séparation
et de perte d'objet a pu l'empêcher d'acquérir ou lui faire perdre sentiment
d'autonomie et de liberté psychique, force et continuité intérieures,
confiance en soi et envers autrui, capacité d'aimer et d'être aimé,
bref, un ensemble complexe de sentiments qui caractérisent ce qu'on
appelle maturité psychique, que D. W. Winnicott (1958) a résumé si bien
lorsqu'il parle d'acquérir une capacité d' «être seul en présence de
quelqu'un ».
Pour D. W. Winnicott, il existe deux formes de solitude au cours du
développement, une forme primitive à un stade d'immaturité et une forme
plus élaborée «Etre seul en présence de quelqu'un est un fait qui peut
intervenir à un stade très primitif, au moment où l'immaturité du moi
est compensée de façon naturelle par le support du moi offert par la
mère. Puis vient le temps où l'individu intériorise cette mère, support
du moi, et devient ainsi capable d'être seul sans recourir à tout moment
à la mère ou au symbole maternel».
Contrastant avec les vécus d'angoisse, cette capacité de vivre la
solitude comme un ressourcement, en relation avec soi-même et avec autrui,
apparaît lorsque la présence de l'objet absent est intériorisée. Ce
processus progressif d'intériorisation constitue le résultat spécifique
de l'élaboration des expériences répétées de séparations suivies de
retrouvailles. Au cours du développement infantile, de même qu'au cours
du processus psychanalytique, les séparations successives d'avec la
personne importante entraînent la crainte renouvelée que la perte du
bon objet dans la réalité extérieure n'entraîne la perte des bons objets
internes.
La menace de cette perte réveille les angoisses caractéristiques de
la position dépressive infantile, selon M. Klein, avec les affects de
tristesse et de deuil pour les objets externes et internes qui les accompagnent.
Seules des expériences positives sont susceptibles de contrebalancer
ces croyances internes que l'objet est perdu, à cause des fantasmes
de destruction.
Au cours du processus psychanalytique, la succession des expériences
de séparation suivies de retrouvailles entraîne un travail du deuil
qui sera surmonté grâce à l'épreuve de la réalité, qui confirme que
les fantasmes de destruction ne sont pas réalisés et renforce la confiance
dans les bons objets internes et externes. L'établissement d'un bon
objet à l'intérieur du moi marque alors l'acquisition d'une « force
du moi » devenue suffisante pour tolérer l'absence de l'objet, sans
angoisse excessive, ce qui permettra ultérieurement de surmonter la
tristesse face aux inévitables pertes rencontrées dans la réalité extérieure.
L'apparition de ce sentiment intérieur a été décrite par Freud, par
exemple chez le petit garçon qui avait peur dans l'obscurité et se dit
soulagé d'entendre la voix de sa tante : «du moment que quelqu'un parle,
il fait clair». Plus tard, lorsque Freud examinera les conditions d'apaisement
de l'angoisse en 1926, il notera que les expériences répétées de satisfaction
rassurent l'enfant, apaisent son angoisse et développent chez lui un
investissement «nostalgique» de la mère, gage d'un sentiment interne
de sécurité.
Selon lui, c'est de la capacité à faire le deuil des objets perdus
que dépend la capacité d'investir de nouveaux objets et de leur accorder
toute leur valeur: «La valeur de la passagéreté, dit Freud, est une
valeur de rareté dans le temps. La limitation dans la possibilité de
la jouissance en augmente le prix ».
Dans la cure psychanalytique, une évolution analogue s'installe peu
à peu, et nous pouvons observer chez l'analysant les effets de l'intériorisation
progressive de la présence de l'analyste sur la structure du moi et
des relations d'objet. Ces changements correspondent à l'installation
de l'objet bon - ce qui ne veut pas dire idéalisé - dans le monde interne
sous une forme symbolique et d'une identification à celui-ci, qui s'accompagne
d'une véritable réorganisation de la vie psychique dans ses rapports
avec la réalité interne et externe.
Suivant les terminologies, on parle d'acquisition de la constance
de l'objet (A. Freud, M. Mahler), d'internalisation précoce, de capacité
d' «être seul en présence de quelqu'un», ou d'intégration de la vie
psychique.
L'introjection du bon objet, fondement de l'intégration
De multiples facteurs contribuent à l'intégration et à rendre tolérable
le sentiment de solitude. L'analyse des défenses et des relations d'objet
dans les fantasmes et dans la réalité permet à l'analysant de mieux
différencier la réalité externe et la réalité interne de l'objet, et
entraîne une diminution de la tendance à projeter de manière à ce qu'il
soit davantage en contact avec la réalité psychique. Parmi les facteurs
d'intégration, les facteurs affectifs comme la synthèse de l'amour et
de la haine jouent un rôle décisif.
C'est ce qui fait la différence entre « une solitude qui ressource
» et une « solitude qui détruit », pour reprendre une expression
de F. Dolto (1985). M. Klein considère en effet que l'intégration s'installe
avec la résolution de l'ambivalence amour-haine qui apparaît dans la
position dépressive, et qu'elle est entièrement fondée sur l'introjection
du bon objet. Une intégration satisfaisante a pour effet d'atténuer
la haine par l'amour et de réduire la violence des pulsions destructrices.
Dans son essai «Se sentir seul», M. Klein (1959) considère que le
sentiment de solitude dérive de la nostalgie d'avoir souffert d'une
perte irréparable, celle d'avoir perdu irrémédiablement le bonheur de
la relation primitive avec sa mère. Ce sentiment de solitude, basé sur
la position paranoïde-schizoïde, s'atténue au fur et à mesure que la
position dépressive s'installe et que l'intégration psychique se renforce.
Mais il est impossible d'atteindre une intégration complète et permanente,
et un sentiment de solitude douloureux peut à tout moment resurgir,
lorsqu'on perd confiance dans la bonne partie du soi. Parmi les facteurs
internes et externes qui rendent tolérable le sentiment de solitude,
M. Klein pense que la force du moi vient de la sécurité consécutive
à l'intériorisation du bon objet: «Un moi fort résiste mieux au morcellement,
peut atteindre plus facilement un degré d'intégration et établir une
bonne relation avec l'objet originel».
L'identification au bon objet atténue également la sévérité du surmoi,
et, lorsque s'installe une relation heureuse avec l'objet originel,
les conditions sont remplies pour donner et recevoir de l'amour. Pour
M. Klein, la solitude, si elle est véritablement vécue, stimule l'instauration
des relations d'objet. Transfert, partie psychotique et partie non psychotique
de la personnalité.
Tout au long de ce travail, j'ai tenté de souligner que les conflits
spécifiques liés à la séparation et à la perte d'objet sont d'une nature
différente des conflits névrotiques qui sont d'ordre symbolique. C'est
l'importance du rôle joué par les défenses primitives face à ce type
d'angoisse qui donne à la notion d'intégration de la vie psychique toute
sa valeur et permet de rendre compte du degré de cohésion du moi qui
peut être plus ou moins perturbé, suivant la psychopathologie.
En effet, les conflits liés à la séparation et à la perte d'objet
opposent le moi à la réalité aussi bien externe qu'interne vécue comme
intolérable, et le moi se défend contre ce type de conflit non seulement
par le refoulement, mais aussi par le déni. Le déni de la réalité interne
et externe entraîne, comme l'a montré Freud, un clivage au sein même
du moi : celui-ci se divise en une partie qui nie la réalité et une
partie qui l'accepte.
Du fait que ce type de conflit affecte la structure même du moi, sa
résolution passe par des voies autres que la levée du refoulement qui
caractérise la résolution des conflits névrotiques. C'est également
ce que souligne M. Klein (1959) lorsqu'elle insiste sur le rôle du clivage
nécessaire à la sécurité du nourrisson, mais qui peut devenir par la
suite un facteur de fragmentation du moi et d'insécurité, si la tendance
à l'intégration est insuffisante.
Si nous revenons au processus psychanalytique, d'une manière très
schématique et pour simplifier, nous pouvons dire que la résolution
des conflits impliquant un déni et un clivage du moi entraîne deux démarches
dans l'une, à travers l'analyse du transfert, il s'agit de diminuer
les clivages, de lever le déni et d'analyser l'ambivalence amour-haine
de manière à diminuer le morcellement psychique et à améliorer la cohésion
du moi ; dans l'autre démarche, une fois que les clivages ont été réduits
et que le moi a acquis une meilleure communication entre ses diverses
parties, nous pouvons aborder l'analyse de ces conflits sous l'angle
du refoulement et de leur signification symbolique.
Cependant, dans la clinique, la situation est infiniment plus complexe
et d'autant plus difficile à appréhender que les deux modes de fonctionnement
psychique se juxtaposent dans des proportions qui varient sans cesse
l'une par rapport à l'autre en effet, déni et clivage prédominent dans
une partie du moi plus ou moins importante, tandis que le refoulement
prédomine dans l'autre partie du moi. Cette structure psychique particulière
de la personnalité, qui répond au conflit par un clivage du moi, a donné
lieu au développement du concept de partie psychotique et de partie
non psychotique de la personnalité (W. R. Bion, 1957). Ce concept permet
de comprendre ce type de conflit intrapsychique et de l'interpréter
lorsqu'il se reproduit dans la relation de transfert avec l'analyste.
Au cours du processus psychanalytique, la partie psychotique ainsi
que la partie non psychotique deviennent l'enjeu des projections et
des introjections incessantes qui marquent les mouvements du transfert.
Les interprétations symboliques des fantasmes transférentiels permettent
de toucher simultanément les deux niveaux du fonctionnement psychique,
et de réduire aussi bien le déni et le clivage que de lever le refoulement.
La notion de « double transfert » impliquant la coexistence d'un transfert
« narcissique » et d'un transfert « névrotique » et celle d'un processus
psychanalytique vu sous l'angle de la diminution de la forteresse de
la défense maniaque apportent un éclairage valable qui nous permet de
prendre en compte dans le transfert le clivage et le déni d'une part,
et le refoulement d'autre part, de manière à développer les tendances
intégratives du moi et un « retour du dénié».
A mon avis, ces changements structuraux sont à repérer et à interpréter
aussi bien par rapport à l'évolution du processus psychanalytique dans
son ensemble que par rapport aux modifications rapides et instantanées
que nous observons au cours de la séance.
Un exemple de sentiment d'intégration
J'aimerais faire sentir ce mouvement d'intégration en laissant parler
une analysante en fin d'analyse, qui l'exprime fort bien avec des mots
très simples [mes réflexions intérieures personnelles sont entre crochets]:
« Longtemps, me dit-elle, j'ai pensé que mes difficultés étaient la
faute de ma mère ou de mon père.
Maintenant, lorsque j'en prends conscience et que j'accepte d'y être
pour quelque chose, c'est plus dur, mais je peux porter un autre regard
sur les événements et sur moi-même, et je peux mieux me connaître, mieux
interpréter, mieux comprendre... » [La diminution de la projection au
profit d'un retour sur soi amène un sentiment de responsabilité personnel
certes douloureux, mais qui améliore les relations avec la réalité interne
et externe].
« ... Je vais essayer de trouver des forces qui sont en moi, poursuit-elle,
et si j'ai des défaillances, je vais dire que c'est moi et que ce n'est
pas la faute des autres, parce qu'on ne peut pas changer comme on voudrait
son environnement. Jusqu'à présent j'ai toujours voulu que mon environnement
soit autre, en me disant que là était la clé.
Mais je découvre que ma façon de comprendre la réalité, c'est le résultat
de ma perception, mes perceptions m'appartiennent, je suis le résultat
de ces conflits intérieurs, je ne suis pas manipulée, mes luttes m'appartiennent
et ce n'est pas l'environnement qui l'induit en moi. Comme cela, c'est
plus facile aussi, c'est comme si j'étais mieux armée... [le renoncement
à l'omnipotence, paradoxalement, augmente l'efficacité: en effet, on
ne règle plus les conflits en s'imaginant que tout est possible, mais
en se fondant sur une discrimination entre ce qui est possible et ce
qui ne l'est pas, discrimination qui vient avec la conscience accrue
de nos propres limites].
« ... Ce qui m'étonne, dit l'analysante, c'est que vous puissiez me
donner une image positive de moi, alors que je suis impitoyable envers
moi-même : c'est comme si vous me protégiez de moi-même, et vous m'amenez
lentement à me percevoir autrement, ça se fait parce que vous le faites
graduellement, quand j'y arrive, je suis prête à l'accepter, vos interprétations
me renvoient une image bonne de moi qui me surprend.
J'estime que j'ai de la chance, ça pourrait se passer différemment,
la personne avec qui l'on jette un autre regard sur soi-même est importante.
Du travail que nous faisons ici va dépendre tout le reste : qui je serai
plus tard, ma façon de réagir, d'interpréter. Je vais garder tout ça
à l'intérieur de moi.
Quand vous me donnez une image bonne de moi-même, je me sens plus
pleine, je me sens apte à assumer de prendre des responsabilités pour
ce qui se passe, de mieux me gérer, et de ne pas toujours projeter à
l'extérieur ce qui ne va pas, je peux grandir et mieux gérer mon monde
intérieur... » [on voit comment l'intégration est liée à l'introjection
d'un objet bon, non idéalisé, auquel on s'identifie, ce qui renforce
la confiance en soi et autrui, en atténuant la violence des pulsions
destructrices et autodestructrices].
« ... Mes craintes n'ont cependant pas disparu, ajoute-t-elle : quand
il y a une interruption, j'ai encore peur de ne plus être capable d'y
faire face, de dégringoler, de ne plus trouver suffisamment de force
en moi et de lucidité, ce n'est pas facile d'être lucide... » [rappelons-le,
le but de l'analyse n'est pas de faire disparaître complètement l'angoisse,
ce qui serait la réalisation d'un souhait tout-puissant et maniaque,
mais d'acquérir une capacité accrue de contenir l'angoisse, la douleur
psychique et le sentiment de solitude].
« ... Quand j'ai un vide intérieur, continue l'analysante, j'ai aussi
réalisé que j'ai un comportement qu'on a peut-être induit dans mon enfance,
mais maintenant c'est moi-même qui l'induis : je sens alors que je m'identifie
à ma mère de mon enfance... » [une meilleure distinction commence à
s'établir entre passé et présent : le passé n'est plus la répétition
agie d'événements inconscients vécus dans l'enfance, le passé devient
souvenir et le présent nous appartient].
« ... Je m'aperçois que je m étais identifiée à mon insu à ma mère,
dit-elle encore, je croyais l'avoir expulsée et m'en être débarrassée,
et voilà que je découvre que je m'étais identifiée à elle, que les angoisses
que j'avais étaient aussi les siennes, que ma peur de la solitude était
aussi la sienne, elle se sentait exclue et moi aussi je me sentais exclue...
»
[1' « identification » dont l'analysante parle correspond
plutôt à une introjection, c'est-à-dire à l'intériorisation d'un objet
avec lequel elle s'était confondue, dans une partie clivée du moi, (ici,
elle s'était confondue avec sa mère « j'étais ma mère »); la diminution
des projections en faveur d'une intériorisation accrue va amener progressivement
une meilleure différenciation entre le moi et l'objet, ce qui va permettre
l'établissement d'identifications introjectives postoedipiennes, caractéristiques
de l'élaboration du conflit oedipien]. Et l'analysante de conclure cette
séance, après un silence : ... J'aimerais vraiment redevenir moi-même...
Pour rendre compte de la qualité des changements qui marquent les
mouvements d'intégration de la vie psychique, tels qu'on peut en percevoir
des aspects chez cette analysante, et dans le but de mettre en évidence
le nouvel équilibre qui s'installe dans les relations entre le moi et
les objets, j'ai introduit la notion de « portance» que je vais discuter
à présent.
De l'angoisse de séparation à la portance
Avec les progrès de l'analyse, comme nous l'avons vu, les manifestations
de l'angoisse de séparation diminuent en intensité et en fréquence parce
que la qualité de la relation transférentielle évolue et se modifie.
Parmi les multiples facettes des sentiments nouveaux qui naissent de
ces transformations, j'aimerais mettre en évidence une qualité de portance
de l'objet intériorisé, qu'on peut observer chez les analysants qui
parviennent à ce stade d'intégration et d'équilibre psychique que tous,
cependant, n'atteignent pas.
Cette sensation de portance est perçue aussi bien par l'analysant
que par l'analyste comme un gain d'autonomie par rapport à la dépendance,
et comme une affirmation de l'identité de l'analysant qui se sent devenir
vraiment lui-même, ce qui augure favorablement de la perspective de
terminaison de l'analyse.
Par cette qualité de portance de l'objet intériorisé, j'aimerais désigner
le sentiment de l'analysant éprouvant la sensation agréable qu'il parvient
à «voler de ses propres ailes » parce qu'il ressent qu'il a acquis une
capacité d'autosustentation le rendant indépendant de l'objet dont il
avait jusque-là besoin pour « être porté ».
C'est une sensation nouvelle et complexe, ou se mêlent de la joie
et un peu de frayeur, accompagnée du sentiment d'être enfin soi-même,
de savoir qu'on peut se diriger tout en connaissant ses limites dans
le temps et l'espace, et d'y percevoir les allées et venues de l'objet
sans angoisse excessive.
Une certaine jubilation découle du caractère nouveau et agréable de
cette impression de pouvoir « se porter soi-même » au lieu de dépendre
de l'objet, sensation qui apparaît également dans des rêves particuliers
d'envol ou de vol, de qualité intégrative, comme nous le verrons plus
loin.
Cependant cette jubilation n'est pas sans ombre, elle est associée
à de la tristesse, car elle implique la prise de conscience que notre
vie et celle de l'objet ont un début et une fin, la perception de notre
propre mort ainsi que du caractère éphémère de l'objet, et que la relation
avec l'analyste aura également une fin. La portance, à mon sens, n'a
donc rien d'omnipotent, ni de maniaque.
Ce sentiment de parvenir à « voler de ses propres ailes » paraît simple
et, lorsqu'il est perçu par l'analysant ou par l'analyste, il tend à
être ressenti comme allant de soi. Cependant, comme tous les processus
vitaux qui mènent à un fonctionnement satisfaisant, on le perçoit au
moment où on le découvre, puis on n'y prend plus garde.
La portance marque l'aboutissement de processus lents, infiniment
complexes et difficilement saisissables, et fait partie de cette catégorie
d'émois si familiers et pourtant si peu connus, ce dont témoignait Freud
en parlant de «l'affect, cet inconnu ». Décrire un affect est aussi
difficile que décrire une impression sensorielle musicale ou visuelle.
Cette hypothèse concernant l'acquisition progressive en cours d'analyse
d'un sentiment de portance m'est venue à la suite d'observations diverses.
J'ai pu constater, comme chaque psychanalyste, que les interruptions
de la rencontre analysant-analyste qui se répètent jour après jour,
semaine après semaine ou durant les vacances, tout comme la fin de l'analyse,
sont ressenties comme autant de « lâchers » de l'analysant par l'analyste,
avec une double signification.
D'un côté ces lâchers peuvent être éprouvés avec angoisse et ressentis
comme autant d'abandons - et représentés sous forme de rêves de chute
vertigineuse - d'un autre côté ces lâchers peuvent être ressentis comme
des expériences signifiant que l'analyste compte sur l'autonomie de
l'analysant, et attend que l'analysant trouve en lui-même les ressources
dont il pense que seul l'analyste dispose.
J'avais une analysante qui réagissait très vivement aux séparations
par des manifestations de désespoir, de rage ou par des symptômes somatiques
bruyants. Mais fréquemment au cours de la séance précédant une interruption
il lui arrivait d'interrompre ses protestations pour m'exprimer le sentiment
qu'elle savait aussi qu'elle pouvait compter sur elle-même et ses propres
moyens pour faire face à l'angoisse durant mon absence.
Cette analysante exprimait là toute une gamme d'affects liés à la
position dépressive, élaborant sa culpabilité inconsciente et éprouvant
de la gratitude et un souhait de me réparer après ses attaques envers
moi. Cependant je pense que mon analysante ressentait quelque chose
de plus : la quitter ne signifiait pas seulement la laisser tomber,
mais aussi lui faire confiance et la laisser « voler de ses propres
ailes ».
Il est important de le souligner dans les interprétations, car on
a souvent trop tendance à interpréter dans le sens de la défense - la
crainte que l'analyste ne laisse choir l'analysant - et pas assez dans
le sens du sentiment positif qui est acquis à travers l'expérience.
Lorsque l'analysant perçoit la possibilité de prendre son indépendance,
il est parfois retenu par la crainte que son élan ne soit ressenti comme
s'il abandonnait l'analyste.
Il risque alors éventuellement de faire une confusion entre l'indépendance
par rapport à l'objet et l'indifférence envers lui. Il est précieux
que l'analyste lui fasse sentir que prendre son envol ne veut pas dire
se passer de l'objet. L'analysant garde bien une relation avec l'objet,
mais d'une autre qualité : la liberté qu'il accorde à l'autre devient
gage de confiance et condition de l'amour d'objet.
L'analyste de son côté peut éprouver des résistances à accepter l'autonomie
de son analysant, pourtant il est souvent nécessaire qu'il exprime à
travers ses interprétations le caractère positif de ce mouvement vers
l'indépendance.
Une seconde voie m'a conduit à postuler une qualité de portance. En
effet, j'ai observé son insuffisance dans de nombreuses conditions psychopathologiques
ainsi que son effondrement dans les états dépressifs lorsque l'individu
semble avoir perdu cette faculté d'autosustentation et éprouve un besoin
de dépendance accru envers les objets externes aussi bien qu'envers
les objets internes.
Je pense qu'un certain nombre de symptômes décrits comme effondrement
du moi caractéristiques de la dépression relèvent de l'effondrement
de la portance, elle-même liée à la perte des qualités portantes de
l'objet intériorisé : c'est ainsi que je comprends le symptôme d'inhibition,
le manque dit « de volonté », c'est-à-dire l'incapacité du dépressif
de se mettre en mouvement et de prendre une direction, faute de savoir
qui il est et ce qu'il souhaite pour lui, sentiment que l'expression
«je suis à ramasser à la petite cuiller » rend si bien.
A côté du morcellement psychique lié au clivage et au démantèlement
du ciment liant les pensées, le sentiment de perte du moi entraîné par
la perte de l'objet a pour conséquence la disparition du sentiment d'être
maintenu, porté au-dessus des crêtes et des creux, et l'apparition du
sentiment d'être repris par la vague.
En décrivant l'inhibition du mélancolique en 1917, Freud avait exprimé
cet affaissement du moi caractéristique de la dépression, utilisant
différents qualificatifs : les uns soulignent le rabaissement moral
correspondant à l'autodévalorisation et à l'autocritique (er erniedrigt
sich, traduit actuellement par « autorabaissement », tandis que d'autres
mettent à mon avis davantage en évidence l'effondrement du moi, sa «chute»
de haut en bas et son appauvrissement (eine ausserordentliche Herabsetzung
seines Ichgefühls, eine grossartige Ichverarmung, traduit actuellement
plus précisément par « un abaissement extraordinaire de son sentiment
du moi ».
Les termes choisis par Freud dans sa propre langue rendent avec éloquence
le mouvement d'affaissement du moi si difficile à traduire en français.
Je pense quant à moi qu'on peut différencier à juste titre des nuances
dans le rabaissement du moi, l'une correspondant à la perte de la portance,
telle que j'essaye de la dégager, l'autre au rabaissement moral correspondant
au sadisme du surmoi retourné contre le moi.
Chez le dépressif, l'attaque envers l'objet aussi bien externe qu'interne
a pour effet de détruire les qualités portantes de l'objet bon, qui
se trouve dénié et désinvesti de cette fonction appartenant à la qualité
bienveillante du surmoi postoedipien. Le manque d'autosustentation consécutif
à la perte de la portance entraîne une régression à une dépendance infantile
envers des objets substitutifs. Dans la cure analytique, le dépressif
éprouve plus que tout autre la nécessité de vivre l'expérience de la
portance de l'analyste afin de récupérer sa propre capacité d'autosustentation
et de l'intérioriser.
Quel que soit le degré d'évolution ou la psychopathologie de l'analysant,
celui-ci se trouve confronté au va-et-vient des séparations et des rencontres
qui se reproduisent avec régularité et constance au cours de la cure
psychanalytique. C'est ainsi que l'analysant peut intérioriser peu à
peu la présence de l'analyste, sur le modèle de l'expérience de l'enfant
qui intériorise la fiabilité de la présence maternelle à travers la
répétition de sa disparition suivie de sa réapparition (Freud, 1 926d)
ou dans le jeu de la bobine ou du miroir représentant la mère (Freud,
1920g). La qualité de portance s'acquiert à travers un processus analogue
d'intériorisation lié à la capacité portante de l'analyste, à sa fiabilité
exprimée entre autres par la fiabilité du cadre analytique.
Les interruptions de fin de séance, de fin de semaine ou des vacances
à condition qu'elles interviennent à l'intérieur d'un cadre stable et
continu - sont fréquemment l'occasion pour l'analysant de vivre ces
expériences de pouvoir « se porter » par lui-même et de partager le
plaisir de cette découverte avec l'analyste.
Je vais maintenant tenter de préciser ce qu'est pour moi l'affect
de portance, tel qu'il peut apparaître dans la relation avec l'analysant,
lorsque celui-ci parvient à ce stade d'intégration - ce qui n'est pas
toujours le cas, - et examiner ses significations à partir de divers
points de vue.
Le résultat d’un équilibre dynamique
A mon sens, la portance est le résultat d'un équilibre dynamique,
sans cesse remanié, jamais définitivement trouvé. Je ne conçois pas
la portance comme un équilibre statique, tel le support d'une fondation,
par exemple.
On pourrait penser que la personne qui parvient à acquérir une capacité
de tolérer les angoisses de séparation se sente sûre d'elle, parce qu'elle
est devenue stable et solide. Tout au contraire, je conçois qu'une personne
acquiert dans la portance un équilibre psychique dynamique, et non seulement
domine le mouvement, mais joue avec le mouvement, comme le surfer tire
son élan de la vague.
Nous pouvons nous interroger sur les facteurs qui procurent ce sens
de l'équilibre dynamique qui crée ce sentiment de portance. Je crois
que pour une grande part c'est la désidéalisation de l'objet et le renoncement
à l'omnipotence qui créent les conditions favorables à une mobilité
de la vie psychique qui permet à l'analysant de trouver sa portance
: ce dernier prend alors conscience de son instabilité dans un monde
interne et externe foncièrement mouvant, et réalise sa vulnérabilité
et la nécessité de compter sur sa propre fiabilité, et pas uniquement
sur celle d'autrui.
Comme nous l'avons vu dans l'exemple clinique précédent, l'analysante
ne trouve sa portance qu'à partir du moment où elle renonce à l'omnipotence
parce qu'elle reconnaît ses limites, ce qui lui permet de mieux discerner
ce qui est possible de ce qui ne l'est pas, et de devenir ainsi plus
efficiente.
Dans son travail Le vertige et la relation d'objet, D. Quinodoz (1990)
a bien montré comment chaque forme de vertige et l'équilibre qui lui
correspond se situent à l'intersection de l'immuable et du changeant
: la personne qui n'a plus le vertige trouve sa sécurité, non dans le
statique ou l'immuable, mais dans la capacité de jouer avec le mouvement
qui résulte de la désidéalisation et du renoncement à l'omnipotence.
Le symptôme de vertige, par contre, apparaît dans l'immobilité et
l'instantané figé par le fantasme d'omnipotence.
La recherche d'un équilibre dynamique dure tant que dure la vie, car
cet équilibre n'est jamais définitivement acquis, il demande une attention
de tous les instants pour «sentir» le mouvement, de manière à effectuer
aussitôt les «corrections d'assiette» nécessaires et rattraper au fur
et à mesure un équilibre dont nous avons conscience qu'il est sans cesse
menacé, parce que toujours changeant.
L'omnipotence, c'est l'antiportance, car elle est source d'arrêt-sur-l'image
et non de mouvement, tirant sa fixité de l'idéalisation. De ce point
de vue, je pense que l'omnipotence - qui appartient à la défense maniaque
va dans le sens de la pulsion de mort, tandis que la portance va dans
le sens de la pulsion de vie.
Devenir soi-même et responsable de soi
A mon sens, la portance est aussi l'expression d'une prise de conscience
de la responsabilité personnelle: «Je me sens apte à assumer de prendre
des responsabilités, de mieux me gérer... de ne pas toujours projeter
à l'extérieur ce qui ne va pas », me disait l'analysante citée précédemment.
Ce sentiment de responsabilité personnelle vient en premier lieu du
sentiment de devenir propriétaire de soi-même, impression d'unité correspondant
au retour dans le moi des parties jusque-là dispersées « hors du moi
» dans des objets, et confondues avec ceux-ci.
La projection des parties du moi exacerbée dans la lutte contre l'angoisse
de séparation et de perte d'objet - entraîne non seulement un appauvrissement
du moi, mais aussi une dépendance inconsciente envers les objets externes
qui donne l'impression au sujet d'être «manipulé » par autrui, alors
qu'il l'est par lui-même dans une relation narcissique inconsciente,
à travers le fantasme d'identification projective.
Le renversement de la tendance à projeter au profit de la tendance
inverse à intérioriser - très perceptible dans l'exemple ci-dessus -
correspond à un véritable « renversement de la vapeur » dans le
fonctionnement de la vie psychique «Longtemps j'ai pensé que mes difficultés
étaient la faute de ma mère ou de mon père, ou d'une autre personne,
disait l'analysante.
Maintenant, lorsque j'en prends conscience et que j'accepte d'y être
pour quelque chose, c'est plus dur, mais je peux porter un autre regard
sur les événements et sur moi-même». La récupération par le moi des
parties jusque-là clivées et projetées renforce le sentiment d'intégration
et d'appartenance à soi-même, et nous verrons plus loin comment ce mouvement
de rassemblement du moi s'exprime dans des rêves significatifs.
Se sentir responsable de soi modifie également la nature de la dépendance
envers autrui, et, selon moi, la portance implique un lien de dépendance
« mature », pour reprendre la terminologie de W. R. D. Fairbairn (1941),
qui, je le rappelle, oppose dépendance « mature » et dépendance « infantile
», cette dernière étant basée sur l'incorporation, l'identification
primaire et le narcissisme.
Il n'est pas inutile de redire ici que l'autonomie ou l'indépendance
caractérisant la dépendance « mature » et la portance ne signifient
pas que l'on se passe de l'objet - ce qui serait rester dans la dualité
paranoïde- schizoïde du coller/fuir l'objet - mais qu'on reconnaît à
soi-même et à l'objet une liberté d'aller et venir.
Bayle (1989), dans sa communication « Discontinuité et portance
», part de la notion de portance au sens oedipien, telle que je l'ai
définie, mais distingue des formes élémentaires de dépendances envers
l'objet qu'il nomme aussi portance. Il avance l'idée que le dépressif
ne manque pas de portance et que « le dépressif ne manque pas » et que
«l'objet narcissique de l'hypocondrie offre un partenaire tout à fait
stable ».
Je suis d'accord de distinguer divers niveaux de dépendance, mais
je réserve le terme de portance pour qualifier ce mouvement d'intégration
qui permet une liberté dans l'interdépendance à un niveau élaboré de
relation, et garder le terme de dépendance pour des formes moins évoluées.
Cette discussion sur les niveaux de dépendance nous force à reconnaître
que notre vocabulaire psychanalytique est bien pauvre sur ce point,
puisque nous ne disposons que d'un seul terme - celui de dépendance
- pour décrire des formes si diverses de liens avec les objets.
L'identification introjective a un objet bon et contenant
La portance, c'est également ressentir que notre appareil psychique
est identifié à un objet bon et à sa capacité contenante. Je rappelle
ici, pour éviter un malentendu, qu'un objet « bon » n'est
pas un objet «idéalisé » et qu'en particulier un objet bon supporte
les critiques.
L'identification à un objet bon n'est possible qu'à travers le relâchement
des défenses contre la séparation et la perte d'objet, or l'une des
plus importantes de ces défenses est précisément l'identification à
un objet idéalisé et tout-puissant.
Lorsque, avec l'évolution et la synthèse de l'amour et la haine dans
l'ambivalence envers l'objet ressenti comme total, un objet bon peut
être instauré dans le moi, un sentiment de sécurité s'installe, qui
devient par la suite le noyau d'un moi ayant acquis unité et force,
grâce à la confiance investie dans les bonnes parties de soi. Cette
identification introjective à un objet bon n'a donc rien d'omnipotent,
ce n'est pas se sentir dieu, mais au contraire de parvenir à quelque
chose de bon en soi, qui donne un soutien.
On peut en plus considérer que, dans la portance, une identification
introjective à un objet contenant, au sens de Bion, s'ajoute à l'identification
introjective à un objet bon. La notion de relation contenant-contenu
a apporté une extension importante à la notion de holding de D. W. Winnicott.
Nous avons vu que le concept de holding avait été introduit par lui
pour rendre compte du rôle de la mère et des «soins maternels» dans
le développement de la première année de la vie, et qui correspond à
une sorte de soutien.
A. Brousselle (1989), qui s'est intéressé au problème de l'assise
spatio-temporelle de l'identité, a bien perçu que la portance s'inscrivait
dans une «continuité évolutive du « porter » dans l'après-holding,
mais sans se situer précisément à un niveau génétique ». Il la placerait
à un carrefour, c'est-à-dire à un lieu privilégié de condensation.
Je pense ici que la notion de relation contenant-contenu développée
par W. R. Bion apporte à la fois l'idée d'une continuité évolutive (l'idée
d'un développement diachronique dans la durée) et celle d'un fonctionnement
psychique à un moment donné (fonctionnement synchronique).
Cette notion nous permet aussi d'élargir la compréhension des phénomènes
relationnels avec une théorie qui englobe non seulement les premières
relations mère-enfant mais également les relations d'objet, et qu'en
plus elle englobe aussi une théorie de la pensée. W. R. Bion utilise
pour cela la notion de « capacité de rêverie », de préférence à la notion
winnicottienne de soins maternels ou d'aire d'illusion, parce qu'il
cherche à atteindre d'autres niveaux et d'autres interactions, comme
la pré-conception et la conception, l'inné et l'expérience, le fantasme
et la réalité, la frustration et la satisfaction, le passage du processus
primaire au processus secondaire, tout cela prenant racine dans le plus
primitif pour aller au plus évolué. Il cherche à comprendre comment
se constitue l'autonomie de la pensée.
De même que pour les identifications introjectives, le bon fonctionnement
de la relation contenant-contenu entre la mère et l'enfant permet à
ce dernier d'intérioriser les bonnes expériences et d'établir des identifications
introjectives à un «couple heureux » formé par une mère dont la fonction
contenante constitue le réceptacle dynamique des émotions de l'enfant
(contenu).
J'ai trouvé dans l'article « Déni et connaissance » de Cl. Athanassiou
(1986) une application intéressante des idées de Bion sur l'attention
qui se rapproche de mon idée de portance. L'auteur souligne le rôle
joué par «l'attention que "porte" la mère au bébé qui est très concrètement
vécue par lui comme un "porter" qui, le tenant physiquement à travers
cet acte psychique, lui assure son existence et la confirme». Selon
cet auteur «tout lâcher de la mère est vécu par le bébé comme une chute
qui supprime son existence».
La perte de l'attention de la mère envers le bébé peut avoir pour
conséquence que le bébé se détourne de sa mère et lui retire son attention
dans le but omnipotent de dénier l'existence de celle-ci. Selon Cl.
Athanassiou, le bébé laisse alors tomber l' «objet vrai » - sa
mère - de sorte que celle-ci reste méconnue de l'enfant.
Le bébé peut alors chercher un « faux objet» qui joue le rôle de fétiche
et de substitut de la mère. « Ainsi les liens de connaissance peuvent
être démantelés au profit d'autres liens : ceux d'une « anti-connaissance
» (- C, selon Bion), dont la présence, tel un fétiche, n'est là que
pour détourner l'attention et dénier enfin que derrière une absence
se cache une autre présence ».
Les vues développées par Cl. Athanassiou à partir de W. R. Bion sur
le rôle de l'attention dans la relation précoce mère-enfant contribuent
à mon avis à éclairer le fait que ce sont les analysants qui réagissent
le plus vivement aux discontinuités de la rencontre analytique qui sont
en même temps ceux qui opposent le déni le plus massif à l'existence
de l'angoisse de séparation, car cela revient à reconnaître l'existence
de l'analyste et de la relation avec lui.
On peut en effet penser que ces analysants vivent les interruptions
comme autant de pertes de l'attention de l'analyste, à laquelle ils
répondent par un retrait de leur attention vis-à-vis de celui-ci, tentant
ainsi de supprimer l'existence de l'analyste par un déni omnipotent.
La discontinuité est vécue par eux comme une menace directe dans leur
propre existence et leur survie. A l'opposé les analysants qui ont acquis
une confiance en la fiabilité de l'analyste ont intégré un sentiment
de continuité intérieure et reconnaissent l'importance de l'analyste.
On observe alors ce qui peut paraître un paradoxe : c'est lorsque
l'analysant éprouve la sensation agréable d'être lui-même qu'il sent
davantage l'importance de l'objet et accepte mieux de dépendre dans
une certaine mesure de l'analyste.
En résumé, si l'on applique les vues de Bion à la portance, on peut
dire que ce qui permet à l'analysant de tolérer l'angoisse - en particulier
l'angoisse de séparation - c'est qu'il parvient grâce à l'expérience
vécue dans la relation analytique non seulement à réintrojecter l'angoisse
modifiée par la « capacité de rêverie » de l'analyste (contenu), mais
aussi à introjecter le contenant, c'est-à-dire la fonction contenante
de l'analyste qui peut contenir et penser, de telle sorte que par identification
l'analysant puisse à son tour contenir et penser. C'est là un pas essentiel
pour supporter l'angoisse, et devenir capable de la supporter seul en
devenant autonome par rapport à l'analyste.
La portance, l'espace et le temps
C'est la combinaison de la perception du temps, lorsqu'elle s'ajoute
à celle de l'espace, qui permet l'émergence du sentiment de portance
: la notion du temps donne à l'individu le moyen de composer non seulement
avec l'espace, mais avec la durée afin de créer un équilibre dynamique
dans les relations objectales.
Freud a souligné le rôle joué par l'apparition de la notion de temps
- attribut du sens de la réalité - comme un progrès dans le développement
de la capacité du moi de faire face à l'angoisse : Si la situation traumatique
peut se transformer en situation de danger moins menaçante, c'est que
le moi devient capable d' « anticiper », de « prévoir », d' « attendre
», de « se remémorer » (Freud, 1926d).
Je voudrais préciser que le sentiment de portance n'est pas dans mon
esprit l'opposé direct de l'angoisse de séparation, et qu'on ne peut
considérer simplement la portance comme le positif et l'angoisse de
séparation comme sa contrepartie négative. Ce serait une vue réductrice.
Pour moi la de portance est la synthèse et l'aboutissement de processus
complexes d'intégration, qui ont concouru à créer un espace psychique
temporo-spatial de relation, espace de nature fondamentalement différente
de l'espace où règne l'angoisse de séparation.
C'est la création de cet espace radicalement différent qui permet
à la portance d'apparaître et de fonctionner de manière satisfaisante,
à mon avis. Les forces pulsionnelles qui prévalent au niveau de l'angoisse
de séparation entraînent l'analysant à « coller »concrètement au creux
et aux crêtes des vagues de l'absence et de la présence de l'analyste.
Par contre, les forces pulsionnelles qui prévalent au niveau de la
portance permettent à l'analysant de « décoller» des creux et des crêtes
de la relation transférentielle, et de vivre la rencontre analytique
dans un autre espace, obéissant à d'autres forces de sustentation. Retrouverait-on
ici, sous cette forme, l'opposition entre pulsion de mort et pulsion
de vie?
En physique, on définit la portance comme une force qui s exerce perpendiculairement
à la direction de la vitesse et permet à une masse d'être soutenue.
Je rappelle que la vitesse introduit la notion de déplacement (espace)
dans le temps (m/s), et que la vitesse acquise sur la surface de l'eau,
par exemple, permet au surf de glisser, au bateau de déjauger, modifiant
radicalement son rapport avec l'élément liquide.
C'est une sensation analogue que connaît l'enfant qui lâche la main
pour marcher seul, ou lâche le bord de l'eau pour se mettre à nager.
En utilisant ce terme de portance par analogie, je voudrais souligner
la possibilité pour l'analysant d'acquérir une stabilité propre par
rapport à l'objet, prenant appui mais sans peser sur lui: que l'objet
s'éloigne ou se rapproche, le sujet a acquis un sentiment d'exister
dans un lieu et dans un temps, et une sensation d'autosustentation qui
le rend à la fois partenaire et autonome, sans éprouver des angoisses
de chute ou d'effondrement caractéristiques des états de dépendance
précoces.
Le sujet ne perd pas sa relation à l'objet, pas plus que le surf ne
quitte l'eau, mais le rapport change de qualité et obéit à de nouveaux
jeux de forces. M. Tomassini (1989) a fait remarquer que le terme de
portance, qui vient du latin portare, a deux acceptions. C'est d'abord
un terme propre à la technique de construction qui indique la capacité
maximale pour une structure (voûte, fondation, etc.) de supporter une
charge.
Dans sa seconde acception, celle à laquelle je me suis référé plus
haut, la portance correspond à la force verticale sustentatrice propre
à l'aérodynamique et à l'hydrodynamique.
Si j'ai souhaité définir la portance en termes dynamiques plutôt que
statiques, la remarque de M. Tomassini n'en est pas moins utile parce
qu'elle met en relief deux aspects complémentaires de la notion de portance,
lorsqu'on l'applique par analogie à la psychanalyse : un aspect dynamique
qui soulignerait la capacité du moi de se soutenir lui-même indépendamment
de l'objet, et un aspect structural qui marquerait la capacité du moi
de tolérer l'angoisse de séparation sans se cliver.
Comme je l'ai mentionné plus haut, cette notion de portance me paraît
s 'inscrire naturellement dans une vision psychanalytique de l'espace
et du temps. Cet espace n'est pas l'espace réel, mais celui de la représentation
intériorisée de l'espace temporo-spatial. C'est aussi celui de la quadri-dimensionnalité
de l'espace psychique décrit par D. Meltzer (1975), notion qui apparaît
dans le psychisme après les stades de bi-dimensionnalité - liée à l'identification
adhésive - et de tri-dimensionnalité - liée à l'identification projective
qui a besoin de concevoir un « dedans » de l'objet pour y pénétrer.
Meltzer souligne également que la quadri-dimensionnalité permet l'avènement
d'un nouveau type d'identification, décrit par Freud et désigné ultérieurement
(bien que Freud n'ait pas créé ce terme) sous le terme d'identification
introjective. Dans ce mode d'identification, le sujet laisse libre l'objet
dans le temps en reconnaissant la différence des générations, et le
laisse libre d'aller et venir dans l'espace, car il renonce à le posséder
et à faire un avec lui. Dans un contexte de situation oedipienne, le
sujet peut alors devenir lui-même et considérer l'objet tel qu'il est.
Dimensionnalité et triangulation oedipienne
Il existe à mon avis un rapport étroit entre d'une part l'intériorisation
de la portance, l'acquisition du sentiment d'identité et celui d'autonomie,
et d'autre part la formation d'un espace psychique de relations d'objet
qui s'installe avec le complexe d’œdipe en permettant sa résolution.
En effet, il me semble que la résolution du complexe d’œdipe peut
s'effectuer à condition que la situation dans sa totalité et les objets
qui y sont impliqués apparaissent avec netteté et précision dans l'espace
temporo-spatial, de la même manière que s'effectue à partir d'une image
floue la mise au point de la netteté: la perception des objets distincts
du moi ainsi que celle de la différence des sexes et des générations
permettent le déclenchement et la mise en route des processus de deuil
qui conditionnent notre identité et la constitution des identifications
introjectives postoedipiennes.
Cela fait partie de l'acquisition du « sens de la réalité». La portance
apparaît à mon avis au moment où l'objet est intériorisé de manière
symbolique et me semble un attribut de la confiance envers les bons
objets. C'est pourquoi la portance appartient, selon moi, aux niveaux
évolués d'intégration.
Pour préciser ma pensée, je crois important de distinguer la portance
d'autres concepts approchants que leurs auteurs situent dans une relation
dyadique. C'est en particulier le cas des concepts de « holding» de
D. W. Winnicott, ou de « défaut fondamental » de M. Balint, que leurs
auteurs ont conçu explicitement dans une relation entre deux personnes,
l'enfant et sa mère, à l'exclusion du père.
Tout en souscrivant à bien des hypothèses winnicottiennes, A. Green
affirme cependant et répète avec netteté la précocité de l'espace de
la triangulation. Il soulignait en 1979, par exemple, que l'objet interne,
«dans la mesure où il est un bon objet, peut être utilisé comme objet
consolateur, apaisant, "objet porteur" au sens du holding de Winnicott
» dans l'unité mère-enfant.
Mais le père est déjà présent avant même que l'enfant ne prenne conscience
du tiers qu'est le père : « L'enfant devient l'objet de l'objet dans
la relation d'illusion de l'unité mère-enfant. Jusqu'au jour où cette
illusion fait place à la désillusion créée par la prise de conscience
du tiers qu'est le père. Celui-ci a, depuis toujours, déjà été. Mais
il n'a été présent qu'in absentia, dans le psychisme de la mère».
Personnellement je conçois la portance comme fonctionnant dans un
contexte de relation à trois personnes ou triangulaire, que celle-ci
soit déjà esquissée dans l’œdipe précoce avec des objets partiels ou
pleinement développée dans l’œdipe avec des objets totaux.
Je pense que la qualité de portance s'établit dès les premières relations
d'objet et dépend très tôt, et même dès le départ, de la relation que
la mère entretient dans son fantasme avec le père, car le rôle du père
apparaît à mon avis beaucoup plus tôt par ce biais qu'on ne l'a admis
pendant longtemps. De nombreux analystes ont souligné - et soulignent
actuellement - le besoin de la mère de se sentir elle-même dans une
relation contenant-contenu avec le père pour accomplir sa fonction maternelle,
les deux parents et l'enfant formant la base sur laquelle pourront se
développer les fantasmes d'une scène primitive avec de bons objets.
Rêve, portance et contre-transfert
Freud parle de rêves typiques où l'on vole, plane, tombe ou nage dans
L’interprétation des rêves. Les rêves où l'on vole, plane ou nage sont
le plus souvent agréables, dit-il, tandis que les rêves de chute sont
plutôt angoissants. Tous ces rêves ont trait à des impressions d'enfance.
« Quel est l'oncle qui n'a pas fait voler un enfant, le transportant
à bras tendus et courant à travers la pièce.»
Freud relève que les enfants poussent des cris de joie et demandent
inlassablement qu'on recommence. «Des années après, ils répéteront cela
dans le rêve, mais ils oublient les mains qui les ont portés, de sorte
qu'ils voleront et tomberont librement. » Freud déclare manquer de matériel
pour expliquer ces rêves, mais il remarque que ces rêves renfermant
des sensations tactiles et de mouvement « sont évoqués dès qu'il y a
nécessité psychologique de les utiliser.»
Ces rêves de vol ou d'envol sont à interpréter en fonction du contexte,
car ils peuvent avoir des significations très diverses. Ils renferment
fréquemment des fantasmes sexuels de caractère omnipotent ou maniaque,
mais ils peuvent aussi prendre une signification de portance et exprimer
le plaisir mêlé d'effroi qui accompagne le sentiment de pouvoir voler
de ses propres ailes.
Dans ce cas, je pense très important que l'analyste puisse formuler
une interprétation positive de l'intériorisation de la portance. En
effet, l'effroi qui accompagne le plaisir correspond à l'inquiétude
légitime de l'analysant de lâcher l'agrippement à l'objet pour se lancer
dans une expérience nouvelle.
Dans la mesure où prendre son envol serait assimilé à se désintéresser
de l'objet, l'analysant pourrait se sentir coupable vis-à-vis de l'analyste.
Cette culpabilité inconsciente de l'analysant pourrait entraver l'essor
de sa fonction portante et le maintiendrait dans sa situation de dépendance
et de fusion avec l'objet.
J'ai personnellement fréquemment observé l'apparition de ces rêves
typiques de vol ou d'envol dans les moments particuliers de l'analyse
qui correspondent à des phases d'intégration de la sensation de portance
et à la prise de conscience agréable du sentiment d'être soi-même et
de ressentir qu'on peut « voler de ses propres ailes».
J'aimerais illustrer cela par une séquence clinique qui se situe au
cours d'une période où une analysante, jusque-là très dépendante, découvre
ses possibilités de penser par elle-même, processus dont les différentes
étapes sont apparues successivement dans des rêves. Il s'agit d'une
analysante qui ne parvenait pas à savoir ce qu'elle souhaitait pour
elle-même et faisait tout son possible pour savoir ce que les autres
feraient ou penseraient à sa place.
Dans le transfert, elle cherchait avant tout à coller à moi et à mes
pensées plutôt qu'à communiquer : elle utilisait dans ce but toutes
les ruses et me tendait des pièges pour savoir ce que je penserais,
dirais ou ferais si j'étais elle. Les interruptions, surtout au début
de l'analyse, étaient ressenties comme autant d'arrachements et ce mode
de dépendance entravait considérablement son existence.
Après un long travail analytique, cette analysante amorça un tournant
important et je constatai qu'elle se mettait à penser par elle-même
et que sa capacité créatrice se mettait en route. J'eus le sentiment
qu'elle était en train d'acquérir un sentiment d'identité et qu'elle
pouvait mieux compter sur elle, ce que je désigne comme une intériorisation
de la qualité portante de l'objet.
Dans un premier rêve elle était agrippée à la paroi d'un immeuble
élevé qui était ancien et qu'on allait démolir. Elle devait se décider
à lâcher prise, car elle ne pouvait plus ni rester collée au mur, ni
pénétrer à l'intérieur. Elle s'aperçut soudain qu'un gardien résidait
à l'intérieur qu'elle avait cru vide, celui-ci l'aida à descendre sans
dommage.
Après ce rêve qui illustrait sa tendance transférentielle à coller
dans un espace à deux dimensions (identification adhésive), puis sa
découverte d'un espace comportant un dedans et un dehors ou à trois
dimensions (identification projective), l'analysante fit un nouveau
rêve dans lequel elle avait blessé un oiseau qui ne pouvait s'envoler.
Pour des raisons que je ne peux développer, ce rêve était en relation
avec sa haine pour son frère et la culpabilité qui en découlait, retournée
contre elle-même sous forme d'autopunition l'empêchant de «voler de
ses propres ailes», constituait l'élément agressif entravant la création
d'un espace symbolique.
L'interprétation de ses pulsions libidinales et agressives amena un
changement dans ses sentiments envers ses objets et l'installation d'une
confiance qui se traduisit également en rêve : cette fois-ci elle était
assise sur un télésiège, un homme était à côté d'elle, chacun avait
sa place. Malgré la hauteur elle n'avait pas le vertige et se sentait
confortable.
Une carte de géographie était posée sur ses genoux et elle pouvait
savoir où elle se trouvait et dans quelle direction se diriger. A mon
sens ce rêve n'était pas un rêve de toute-puissance car, dans ses associations,
la présence du câble soulignait l'aspect de dépendance reconnue et acceptée,
utilisé pour une plus grande liberté.
Je pense que parmi les rêves typiques de ces moments d'intégration
de la portance on peut aussi considérer les rêves de départ, de vol
ou d'envol dans lesquels il est question d'emporter des bagages avec
soi. A mon sens le sentiment d'identité né de l'intégration et celui
de portance qui l'accompagne résultent du rassemblement des aspects
essentiels du moi et de leur réorganisation continuelle dans un moi
unifié, ou plutôt en recherche incessante d'unification.
Tant que des éléments essentiels au moi restent clivés et confondus
avec des objets dans lesquels ils sont projetés, un déséquilibre du
moi persiste. Au cours de l'analyse nous pouvons sentir qu'un équilibre
du moi s'établit lorsque l'analysant retrouve des aspects cruciaux de
lui-même, les emporte avec lui et les fait siens, en même temps qu'il
devient capable de se détacher d'aspects importants de lui-même restés
liés aux objets .
Il y a donc à la fois Récupération d'aspects essentiels du moi auparavant
«perdus», en particulier par clivage et projection (dans des objets
externes, des objets internes ou des parties du corps prises comme objet),
réorganisation incessante de ces aspects retrouvés du moi en un moi
unifié, et acceptation de renoncer à tout emmener avec soi.
Ce travail d'élaboration et de deuil apparaît souvent dans des rêves
où il est question de prendre un train ou un avion et de faire un tri
entre les bagages indispensables qu'on emmène et ceux auxquels on renonce.
Dans ces cas le train ou l'avion peuvent représenter un moi capable
de contenir (contenant), tandis que les bagages représentent les parties
dispersées du moi qui doivent être triées : les unes sont abandonnées
(deuil des parties perdues du self), les autres - estimées indispensables
- sont emmenées avec soi (contenu).
Le matériel fantasmatique de ce type de rêves nous donne des indications
précieuses sur la signification inconsciente de ce qui est indispensable
au moi et de ce qui le lie à ses objets. Quant au contexte du rêve (associations,
moment de la cure, etc.), il nous permet d'apprécier la qualité du rêve
(omnipotence, intégration, etc.) et d'orienter nos interprétations :
en effet, lorsque par exemple un analysant rêve qu'il n'arrive pas à
emmener certains bagages, cela peut vouloir dire qu'il ne parvient pas
à renoncer à certaines parties de lui-même restées attachées à ses objets
et que, dans ce cas, les sentiments d'intégration, d'identité et de
portance manquent.
Ce type de rêve nous donne souvent des indications sur les aspects
cachés du moi restés attachés aux objets, constituant des « soudures
narcissiques » inconscientes difficiles à détecter autrement, empêchant
l'intégration et la portance.
Je voudrais terminer en signalant un type de rêve particulier, dont
le contenu souvent effrayant peut être ressenti par l'analysant - et
aussi par l'analyste - comme l'expression d'un retour en arrière, et
non d'un pas en avant qui signe un mouvement d'intégration. J'ai appelé
ce type de rêve «des rêves qui tournent la page» pour marquer que l'interprétation
devrait en souligner le côté positif.
En effet, lorsqu'on tient compte de la totalité de la situation de
transfert, on comprend que le contenu effrayant correspond à des fantasmes
jusque-là agis et non représentables, qui deviennent représentés dans
le rêve à partir du moment où l'analysant en a pris conscience, ne les
agit plus et les intègre dans sa vie psychique. Par exemple, un analysant
peut rêver qu'il va partir en train ou en avion, et qu'il se trouve
dans la situation extrêmement angoissante de ne pas arriver à emporter
ses bagages avec lui.
L'analysant peut être très effrayé par le contenu régressif du rêve
(l'impression qu'il ne peut pas partir), et être surpris de faire un
rêve aussi angoissant au moment où il manifeste dans son existence des
preuves d'autonomie : « Je n'arrive pas à partir, se demande-t-il
avec inquiétude, en suis-je encore là ?»
L'analysant peut transmettre son angoisse, et si l'analyste n'est
pas suffisamment attentif au contexte de la cure, il risque de croire
à une régression et d'interpréter uniquement l'aspect régressif du rêve,
en cédant au danger de la contre-identification projective. C'est la
totalité de la situation analytique - rêve, associations, moment du
transfert, mouvement dans la séance, etc. - qui permet à l'analyste
de situer le rêve, et de savoir s'il s'agit d'un mouvement de régression
ou d'intégration. Il me semble essentiel que, lorsqu'un analysant apporte
un rêve à contenu régressif angoissant au moment d'un progrès, l'analyste
le repère et l'interprète dans le sens positif, non seulement pour éviter
une régression, mais pour souligner le mouvement d'intégration psychique
en cours, le rêveur parvenant à se représenter des aspects de lui-même
jusque-là non intégrés, parce qu'irreprésentables.
Bien que l'acquisition d'un sentiment de portance ne soit jamais définitive,
elle n'en est pas moins l'indice que l'analysant, ayant apprivoisé la
solitude, est devenu capable de se séparer de l'analyste avec un sentiment
d'unité et d'identité personnelle retrouvée.