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CHOIX DU THÈME
Première étape : inviter les élèves
eux-mêmes à proposer des questions à débattre.
Préciser (au préalable) quelques critères du
choix. Pour être vivante, authentique et efficace, la discussion
doit : intéresser le plus grand nombre; concerner spécifiquement
les 15-16 ans (en soulevant un problème intemporel lié
ou pas à l'adolescence ou un problème conjoncturel
lié à l'actualité); se nourrir d'une controverse
réelle.
Au besoin, suggérer quelques exemples en donnant connaissance
des thèmes choisis par les élèves des années
précédentes. Exemples : " Pour ou contre la légalisation
des drogues douces ? "; " Pour ou contre l'abaissement
de l'âge de l'autorité pénale ? "; "
Pour ou contre le choix du sexe de son enfant ? ".
Tour de classe : chacun propose oralement un thème de son
choix. Établir ainsi une première liste. Premier tour
: chacun opte (par bulletin écrit et secret) pour trois thèmes
de la liste, ce qui permet de sélectionner les trois sujets
les plus cités. Un deuxième vote (toujours écrit
et secret) désigne le thème qui sera débattu
et, en cas de dysfonctionnement (par exemple, majorité écrasante,
minorité trop faible) procure en réserve deux thèmes
de remplacement.
MISE AU POINT DE L'ÉNONCÉ
D'abord convaincre la classe de la mise au point d'un énoncé
nuancé et non équivoque. Chacun rédige sa propre
proposition d'énoncé. Puis chacun lit sa proposition,
écoute les autres, note celles qui lui semblent les plus
pertinentes. Recherche collégiale : inviter les élèves
à relever les nuances qui paraissent au service de l'énoncé
le plus précis et le plus objectif (par rapport au questionnement
ciblé), leur faire expliciter les raisons pour lesquelles
seront écartés les énoncés ambigus,
partisans, imprécis ou restrictifs, affiner les deux ou trois
formulations les plus opératoires. Faire ensuite procéder
au vote à main levée en explicitant trois options
possibles : POUR, CONTRE, ABSTENTION. Proclamer le résultat,
puis proposer de l'affiner par un second vote, qui a pour but de
mettre à l'aise les indécis, les modérés
ou les plus nuancés. Ce second vote a surtout pour but de
dé s’enliser le débat du poids de l'abstentionnisme.
Cette position-refuge est renforcée par la crainte du dévoilement
de soi liée à la transparence du mode de scrutin (la
main levée et la disposition en carré des bancs exposent
au regard) et au fait qu'au début de l'année, les
élèves ne se connaissent pas encore (un groupe de
morale est constitué d'élèves de classes différentes
qui s'amalgament souvent pour la première fois), et ils ne
se sentent pas encore protégés par le dispositif sécurisant
de confrontation réglementée qui va peu à peu
être mis en place, et dont la finalité (à long
terme) est de rendre effective une relative liberté d'opinion,
de parvenir à une pratique égalitaire de l'échange,
d'exclure toute forme de pression, donc de désinhiber (autant
que possible) la prise de parole. C'est alors le moment de préciser
les règles de base qui vont présider au dispositif
et rendre le débat démocratique.
LE DISPOSITIF DE DISCUSSION
1. La parole doit être demandée et il faut attendre
de la recevoir et non la prendre : l'attente est mise à profit
pour affiner la pensée et sa formulation (c'est cette discipline
fondamentale qui est la plus dure à acquérir : il
faut parfois toute l'année pour l'inculquer à certains!).
2. Il est interdit et stigmatisé d'interrompre celui qui
a la parole.
3. Toute forme de pression, de perturbation, d'agression, de dérision
est proscrite (au nom de la rigueur) et, si nécessaire, désamorcée
(d'autorité ou par l'humour).
4. Toute opinion - quelle qu'elle soit - est prise en compte, tenue
pour respectable et pratiquement respectée.
5. L'opinion minoritaire est protégée à tout
prix (l'originalité de bon aloi et le non-conformisme sont
encouragés).
6. L'écoute effective est valorisée.
7. Le professeur ne prend jamais parti et ne révèle
son opinion qu'après la fin des travaux.
8. Il doit limiter son action au quadruple rôle de modérateur
(il donne la parole, empêche l'interruption, assure l'équité),
de facilitateur (il aide à la formulation dans le plus strict
respect de la pensée de l'élève), de reformulateur
(il réexprime en termes clairs et corrects l'intervention
jusqu'à complète satisfaction de l'intervenant dont
l'approbation est sollicitée), et de gardien des règles
du dispositif.
De nouveau, faire procéder au vote à main levée,
mais cette fois en proposant quatre positions possibles, dont deux
atténuées : POUR, PLUTÔT POUR, PLUTÔT
CONTRE, CONTRE. En contrepartie, il devient possible d'exclure l'abstention.
Analyser le vote et la géographie humaine de la confrontation
: mise en place de la majorité et de la minorité.
Puis, donner brièvement la parole pour permettre aux élèves
d'exprimer " à chaud " leurs réactions au
moment où apparaît enfin avec netteté comment
se profilent les tendances confrontées dans ce débat.
En cas de disproportion excessive et dommageable à l'intérêt
même de la confrontation, suggérer à la classe
de passer au thème classé en second.
LES ARGUMENTS EN PRÉSENCE
Légitimer la priorité de la majorité dans
la prise de parole : il s'agit non de faire prédominer le
grand nombre, mais d'accorder l'avantage au petit nombre de parler
en second lieu, donc en connaissance des arguments de la partie
adverse. Donner la parole à tous les tenants de l'opinion
majoritaire (en limitant la prise de parole à un seul argument
non encore exprimé). Chaque argument est exprimé par
l'élève, puis soumis à un travail oral de recomposition
: donc (avec l'aide du professeur) au besoin précisé
dans son contenu, affiné dans sa forme, développé
dans son champ d'application, renforcé ou nuancé dans
son impact, bref rendu plus convaincant. Ce travail en duo est très
important dans la relation pédagogique à venir : l'élève
doit sentir que le professeur se met vraiment à son service
et n'a d'autre but que de le conforter dans l'expression de sa pensée,
dont il contribue à améliorer la formulation et la
qualité argumentative. À ce point de vue, le rôle
de facilitateur est essentiel. Il impose à l'enseignant une
abnégation optimale : il ne devient crédible comme
arbitre reconnu du dispositif de discussion que s'il se met en toute
équité au service de chacun, avec la même équanimité
dans le traitement des idées (y compris les plus provocatrices
et les plus outrancières) et la même efficacité
dans le perfectionnement logico-formel de leur expression. L'attitude
idéale est donc la neutralité envers tous et la sympathie
envers chacun.
Une fois le travail de reformulation achevé et le résultat
entériné par l'intervenant, l'argument est acté,
dicté au cahier, explicitement attribué à son
auteur. Procéder de la sorte en faisant autant de tours de
classe que nécessaires jusqu'à épuisement des
arguments de la partie majoritaire.
Casser ensuite la logique sectaire de l'appartenance clanique à
son groupe d'opinion et proposer aux membres de la minorité
de prendre la parole au service de l'opinion majoritaire pour le
cas " où ils auraient pu concevoir, justement en qualité
d'opposants, un argument qui aurait échappé aux tenants
de l'opinion ". Moment capital où commence à
être substituée une finalité dialogique à
la logique compétitive, où la controverse devient
donc dialogue. C'est ici qu'aux plus perspicaces ou aux plus réceptifs
peut être suggérée l'idée que le but
de la conversation n'est peut-être plus " d'avoir raison
", mais de mûrir son opinion (cela crée un processus
d'émulation réciproque). Procéder avec ces
nouveaux intervenants comme précédemment, avec la
même sympathie, mais en plus avec de la considération
pour l'esprit d'ouverture dont témoigne le geste posé.
Une fois la recherche achevé e, faire relire tous les arguments
par leurs auteurs, et faire apprécier l'ampleur et la diversité
de l'ensemble de l'argumentaire ainsi rassemblé.
Même dispositif avec finale inversée : proposer la
parole aux tenants de l'opinion majoritaire et solliciter leur collaboration.
Faire relire et apprécier l'argumentaire mis au point.
Si nécessaire (c'est-à-dire si la pression compétitive
ne peut être apaisé e autrement), permettre une reprise
de parole aux deux camps en toute équité (selon le
même dispositif), en insistant sur l'idée fondatrice
que l'essentiel n'est plus d'avoir raison. Donc faire formuler,
affiner, puis acter les contre-arguments de la position majoritaire,
puis les contre-arguments de la position minoritaire.
ANALYSE DES FACTEURS DÉTERMINANTS
L'analyse des facteurs déterminants d'une idée, d'une
opinion ou d'un jugement a pour but d'en déceler l'origine
et d'en expliquer la genèse, puis d'en vérifier la
pertinence ou d'en apprécier la validité. Un facteur
déterminant est un des éléments constitutifs
du contexte - extérieur ou intérieur, passé
ou présent - qui a généré l'orientation
de l'opinion analysée. Contrairement à l'argument,
le facteur déterminant n'a pas pour fonction de fonder une
opinion, mais d'éclairer sa genèse et donc de se faire
instrument de doute ou d'enquête à son égard.
Illustrons cette distinction par un exemple.
Opinion: Je suis pour la légalisation du cannabis.
Arguments :
* C'est moins nocif que le tabac qui est une drogue licite.
* Légaliser mettrait fin à la clandestinité
et aux dangers/inconvénients qu'elle implique.
* Légaliser éradiquerait le marché noir, les
trafics et une bonne part de la délinquance.
* La légalisation - en supprimant le plaisir de la transgression
- ferait reculer la consommation.
* Etc.
Facteurs :
* Je suis moi-même consommateur.
* La dope coûterait moins cher au marché libre.
* Mon père est contre.
* Les jeunes, en général, sont pour.
* Tous mes copains fument.
* Ça fait râler les adultes.
* Etc.
Facteurs déterminants de la position majoritaire : donner
la parole à tous les tenants de l'opinion majoritaire en
leur demandant de découvrir le facteur (et de prendre conscience
du contexte) qui est à l'origine de leur opinion. Procéder
selon le même dispositif que dans l'analyse des arguments.
Différence notoire : ici, aucune collaboration ne peut être
sollicitée chez les opposants. Si possible, faire apparaître
l'importance du contexte circonstanciel immédiat : dans quelle
mesure n'a-t-on pas été influencé sous le regard
des autres, par la classe, par le cours, la présence du professeur,
sensible aux arguments, à la sincérité, au
ton de la voix, au leadership de certains, indisposés voire
irrités par certains propos, certaines attitudes chez d'autres,
etc. Une fois la recherche achevée, faire relire l'ensemble
des essais d'investigation, en faire apprécier la diversité,
et souligner l'acuité de certaines analyses.
Même disposition pour les facteurs déterminants de
la position minoritaire.
Les conclusions personnelles appartiennent à chacun. L'aboutissement
(provisoire) de ce travail critique collectif sera exprimé
de façon personnelle dans un essai de synthèse :
Titre : " Sur le(s) chemin(s) de mon opinion seconde. "
1. Quelle était mon opinion première ?
2. Que m'a apporté la confrontation des arguments ?
3. Que m'a apporté l'analyse des facteurs déterminants
en général en ce qui concerne mon opinion en particulier ?
4. Quelle est mon opinion seconde ?
5. Quelles conclusions je tire de cette expérience ?
De mon opinion première à mon opinion seconde, quels
chemins ai-je parcourus ?
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