"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google

Le métro parisien fait trembler la société de (sur)consommation
Le soutien aux 62 personnes réprimées pour des actions antipub


Origine : http://lecollectifdes62.free.fr/modules.php?name=News&file=article&sid=30

Texte de Soutien - Signé par personnalités
Posted on 10 mars 2004
Le métro parisien fait trembler la société de (sur)consommation

Depuis quelques mois, des barbouilleurs d’affiches défraient la chronique en s’en prenant à la trop sacralisée publicité. Ce mercredi 10 mars à 16h a lieu le procès de 62 d’entre eux, choisis parmi les personnes verbalisées ou ayant subi un contrôle d’identité lors de ces actions. La RATP et Métrobus, sa régie publicitaire, leur réclament un million d’euros pour dégradations. Ces 62 personnes assignées en justice ont, avec des centaines d’autres « désobéissants », contribué à lancer un débat de société légitime que nous soutenons pleinement.

Les actions antipub

Les 17 octobre, 7 novembre, 28 novembre et 19 décembre 2003, des actions antipublicitaires se sont déroulées dans le métro: barbouillage d’affiches, collage d’affiches sur les publicités, distribution de tracts, sans aucune dégradation du mobilier ou du matériel.

Dans un cadre de désobéissance civile et d’action non-violente, assumée et joyeuse, des personnes venues de tous horizons – précaires, intermittents, étudiants, chômeurs, professions de la fonction publique – ont répondu spontanément à un appel anonyme relayé notamment par le site Stopub et quelques médias, qui plaidaient en faveur d’un combat contre la marchandisation des personnes et des esprits, contre la privatisation des espaces publics et pour l’obtention d’espaces non-marchands. Ces actions éphémères, recouvrant des espaces consacrés en permanence à des messages commerciaux souvent sexistes, violents ou manipulateurs, ont connu un grand succès, des milliers de personnes y ayant participé dans une bonne humeur généralement partagée par tous les usagers présents.

Si les deux premières actions n’ont fait l’objet d’aucune répression policière alors que les lieux de rendez-vous, à l’extérieur de quelques grandes stations du métro, étaient connus à l’avance, l’action du 28 novembre a donné lieu à une impressionnante mobilisation des forces de l’ordre, plusieurs dizaines de cars de CRS et des centaines d’agents attendaient les militants. Le 19 décembre, la stratégie des barbouilleurs fut celle d’un déploiement plus diffus, par petits groupes, directement sur les quais. Enfin, le 28 février dernier, un appel national fut lancé, qui connut encore une mobilisation massive, et des milliers d’affiches publicitaires furent barbouillées dans toute la France. Cette dernière action s’est clairement déroulée sous le signe de la solidarité avec les 62 assignés en justice. Il faut signaler que 18 personnes furent arrêtées à Lyon et sont aujourd’hui également poursuivies.

Face à l’ampleur du phénomène, les médias ont bien relayé les actions, qui se sont avérées très photo- et télégéniques. Les « antipubs » se sont largement exprimés, mais les publicitaires ont aussitôt répliqué en recourant aux instances judiciaires pour étouffer toute manifestation d’agacement.

Le(s) procès

En effet, à la mi-janvier, Métrobus et la RATP elle-même ont conjointement assigné à jour fixe – ce 10 mars – 62 personnes au Tribunal de grande instance de Paris. Elles réclament, à cet échantillon prélevé sur l’ensemble des personnes ayant agi lors de ces soirées d’action, de payer l’ensemble des frais occasionnés, qu’elles évaluent à un million d’euros.

La stratégie de Métrobus et de la RATP est claire : stopper net ce mouvement d’expression populaire en agitant la menace financière. Au-delà des procès-verbaux, qu’encourt naturellement toute personne qui se livre à un acte de désobéissance civile, ce procès consiste en réalité à substituer au dialogue que réclamaient ces intervenants un rapport de force dans lequel la justice est réduite à l’état d’instrument. En réclamant une somme exorbitante à un nombre limité d’individus, la RATP montre qu’elle souhaite mettre à genoux des citoyens qu’elle prend pour des adversaires, et non faire réellement appel à la justice. Pour faire face à la très lourde menace qui pèse sur eux, les 62 personnes poursuivies se sont rassemblées au sein d’un collectif de soutien pour récolter des fonds.

Mais le procès sera aussi le lieu d’un débat public sur le matraquage publicitaire et ses conséquences : une pression physique et psychologique subie à longueur d’année, sous couvert de retombées financières douteuses et d’une idéologie perverse de la consommation et de la croissance à tout prix. Il sera déterminant quant à la possibilité pour les citoyens de lutter contre les abus de la publicité. Car en dehors de ces actes, les possibilités de recours légal sont extrêmement réduites et en général totalement inefficaces, aucun dialogue avec la RATP n’ayant été possible avant ces journées d’action.

Le procès déterminera donc si les actions directement opérées contre les panneaux sont tolérées de fait ou pas, éventuellement au prix de contraventions minimes, ce qui reviendrait presque au même. C’est déjà largement le cas pour l’affichage électoral ; on a du mal à imaginer que cela ne puisse pas l’être pour l’affichage commercial.

Le débat qui entourera le procès pourrait surtout être l’occasion de redéfinir, en lien avec les pouvoirs publics, une place aux modérateurs de la publicité : que l’on sorte de la situation actuelle absurde, où même une association agréée pour la protection des paysages comme Paysages de France est obligée d’attaquer l’État pour faire appliquer la loi. Aujourd’hui, les publicitaires prétendent s’autodiscipliner par l’entremise du « Bureau de vérification de la publicité » (BVP). Celui-ci est en réalité une association officieuse de publicitaires dont l’objectif est d’éviter l’application d’un contrôle réglementaire aux messages publicitaires : ses « recommandations » sont sans cesse transgressées par ceux-là même qui les établissent, en toute impunité.

Ainsi ce procès est-il l’occasion de mettre en évidence le caractère problématique du contenu des publicités. Génératrices de frustrations et de violences, elles vantent une surconsommation de quelques-uns qui a pour prix l’indigence des autres ; une pollution et un gaspillage indécents dans le contexte d’une crise écologique dont les effets actuels ne sont que les prémices; un appauvrissement de l’esprit enfin, dont les effets sur la politique ne sont plus à démontrer.

Pour la garantie d’un espace public

Ces messages prennent place dans un environnement hautement contrôlé, qui assure, par une dense couverture vidéo, la sécurité non seulement des usagers, mais aussi des précieuses affiches. Il semble nécessaire de rendre possible l’expression d’un droit de réponse qui limite les effets d’une propagande orchestrée par un nombre limité de puissants lobbies avec la complicité des gardiens de l’espace public.

Dans 1984, Orwell appelle « doublepensée » la faculté qu’a le pouvoir de soutenir simultanément deux croyances contradictoires. Partie prenante du procès, la RATP assure que le maintien d’intérêts privés dans l’espace public fait partie de sa mission d’animation de cet espace public. Sans y être tenue légalement, elle rembourse aux annonceurs l’intégralité de campagnes d’affichages qui n’ont été généralement empêchées que quelques heures, et attaque des usagers comme de dangereux factieux pour dissimuler le fait qu’elle les considère généralement – voir le site web de Metrobus – comme des « cibles ».

Orwell appelle également « novlangue » la réduction des subtilités de la langue organisée par le pouvoir afin qu’une éventuelle contestation ne puisse même plus être formulée. Le discours publicitaire normalise aujourd’hui toutes les expressions publiques et contribue à l’affaiblissement du pouvoir des citoyens et des politiques. « La liste la plus importante, c’est celle de vos courses », pouvait-on ainsi lire sur les affiches d’un supermarché en ligne au moment des élections municipales 2001.

Face à ces problèmes fondamentaux, on oppose le plus souvent l’idée que la publicité aurait un intérêt pour la collectivité. La RATP et Métrobus présentent sa contribution financière comme déterminante pour le financement des transports en commun. En réalité, ce vernis de respectabilité est bien mince : la part de la publicité dans le budget de la RATP représente moins de 2% des recettes (environ 65 millions d’euros sur 3 700 millions de recettes totales). On est loin de la soi-disant manne indispensable qui justifierait qu’on sacrifie la liberté d’expression, la quiétude et l’environnement psychologique des voyageurs. Sans compter que la publicité se paye, c’est un impôt indirect comparable, par son assiette et même son montant, à la TVA : il est invisible, élevé, et frappe surtout les revenus les plus faibles. La prétendue gratuité de ce mode de financement n’est qu’un autre exemple de la doublepensée de la RATP.

Ce procès a donc un enjeu sociétal qui dépasse largement le sort des 62 intéressés. Il révèle surtout qu’il est aujourd’hui beaucoup plus dangereux pour un citoyen d’entamer modestement des intérêts privés, que pour une personne publique d’instrumentaliser largement le bien de tous.


SIGNATAIRES
• Jean Bricmont (Physicien)
• Le SCALP-REFLEX
• Dominique Noguez: écrivain
• Dominique Saumet: Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France
• Albert Salon: président du FFI-France (Forum francophone international)
• J-C Mikhailoff: élu du 11è. secrétaire gén. du parti radical de gauche
• Isabelle Stengers: philosophe, Bruxelles
• François Vaillant: philosophe
• Bernard Ginisty: ancien directeur de témoignage chrétien
• Pierre et Huguette Cordelier: syndicalistes/ Sud Education
• Chantal Montellier (dessinatrice BD)
• Yves Frémion: conseiller régional, ancien député européen
• Claude Got: professeur de santé publique
• le magazine l'Ecologiste
Origine : http://lecollectifdes62.free.fr/modules.php?name=News&file=article&sid=30