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Note de lecture sur livre
“ Bienvenue en France, six mois d’enquête clandestine dans la zone d’attente de Roissy ”
d’Anne de Loisy

Ce livre est un témoignage sur la façon dont la France traite les personnes qui sont mises en zone d’attente à l’aéroport de Roissy. Ces personnes peuvent appartenir à deux catégories : les personnes en transit ou les personnes qui souhaitent trouver refuge chez nous.

§ Les zones d’attente de Roissy sont des centres d’enfermement, qui ne disent pas leur nom.

§ Ce sont des lieux où les personnes enfermées sont considérées comme des personnes sans droits.

§ Les personnes, qui ont en charge l’aide de ces humains, ne peuvent pas ou n’ont pas le droit de témoigner sur les violences qui sont exercées dans ces espaces contrôlés par la police. L’isolement entre les fonctions et les pressions sur les hiérarchies des organismes en charge de cette aide permette à la loi du silence de fonctionner au profit de la police

§ Des enfants et des mineurs/eures sont maintenus dans les zones d’attente au mépris des conventions internationales que la France a signé. Il arrive assez fréquemment que des enfants y soient détenus sans contacts avec l’un de leurs parents ou d’autres membres de leur famille.

§ Des enfants et des mineurs/eures sont expulsés/es d’où ils et elles viennent sans prise en considération des risques encourus pour eux et elles.

§ La séparation des familles au sein des zones d’attente est une pratique courante. Elle fait partie de l’arsenal de harcèlement moral pratiqué par la police.

§ L’accès aux conditions d’hygiène une difficulté récurrente, ceci accentue la fatigue des personnes. Les personnes affaiblies résistent plus difficilement à la police.

§ Très souvent les étrangers/ères ne peuvent pas récupérer leurs bagages. Ceci a plusieurs causes ou conséquences, selon le point de vue choisi :

- Les personnes ne peuvent se changer ou revêtir des vêtements chauds s’ils ou elles en ont besoin.

- Ces bagages contiennent souvent des documents importants nécessaires aux démarches administratives pour l’entrée et le séjour, pour la demande d’asile ou pour la suite du voyage. Ceci permet à la police de pratiquer des abus de pouvoirs sans que les personnes puissent se défendre et prouver quoi que ce soit.

- Si les personnes sont expulsées ou renvoyées, elles sont plus faciles à contraindre si elles n’ont aucun bagage, ce qui constitue un avantage important pour la police.

§ L’accès au téléphone est rendu difficile par le nombre trop restreint de cartes téléphone mis à disposition des personnes retenues et par les difficultés de change. La raison de ces difficultés est simple : ceci limite les possibilités pour se défendre ou contacter qui il faut pour se faire aider de l’extérieur ; ce qui profite indéniablement à la police.

§ Très souvent la police confisque les papiers des personnes, y compris les documents internes à la zone d’attente, les papiers officiels délivrés par l’État français. Ceci rend très difficile la compréhension des procédures en cours et contribue au sentiment de panique que ressentent les personnes.

§ Les conventions internationales et le droit français prévoient que les personnes ne parlant pas français puissent bénéficier d’interprètes. Cette disposition est assez peu appliquée. Il arrive que cette possibilité soit mise en œuvre par téléphone. La plupart du temps les personnes, bloquées en zone d’attente et ne parlant pas français, ne comprennent pas ce qui leur arrive ni les procédures dans lesquelles elles sont impliquées. C’est un facteur de stress évident qui donne un avantage certain à la police.

§ L’accès à la nourriture est limité à des horaires bien précis, tant pis pour les personnes qui arrivent trop tard ou qui sont au tribunal. Priver de nourriture est un bon moyen de diminuer la puissance des humains et d’augmenter la supériorité physique et psychique de la police.

§ Se procurer des cigarettes ou des serviettes hygiéniques est très difficile. Il est impossible de cantiner, comme c’est le cas dans les prisons “ normales ”. Aucun distributeur de boissons ou de nourriture au sein des zones d’attentes Les obstacles aux opérations de la vie quotidienne font partie du harcèlement et des privations, dont sont victimes les personnes enfermées dans les zones d’attente de Roissy. L’inconfort contribue au malaise des personnes et par voie de conséquence renforce la puissance de la police.

§ Le repos n’est pas facile en zone d’attente. Au stress du à la situation, s’ajoute le stress entretenu par les appels stridents des hauts parleurs, y compris la nuit. Les personnes sont réveillées régulièrement à 3 heures du matin pour être disponibles pour 7 heures du matin. La privation de sommeil est considérée comme une torture par certains organismes humanitaires. A Roissy, c’est quotidien.

§ La peur est permanente et les intimidations policières de tous ordres entretiennent cette peur.

§ Les règles de droit les plus élémentaires sont bafouées à Roissy.

§ Les abus de pouvoir de la police sont aussi courant que les violences. Ces violences sont physiques et psychologiques.

§ Les insultes et le racisme sont une banalité, cela fait partie du langage de base de la police.

§ Les violences sexuelles existent, mais elles sont très difficiles à prouver et à rendre publiques. Les policiers auteurs de ces violences sexuelles sont quasiment intouchables, quoiqu’en dise les politiques lorsqu’un scandale éclate.

§ Les personnes en charge de l’aide humanitaire ne sont pas toutes compétentes. La formation au droit des étrangers n’existe pas pour les membres de la Croix Rouge.

L’objectif est le renvoi rapide d’un maximum de personnes au moindre coût. Selon les textes européens en vigueur, les compagnies aériennes ont en charge de ramener à leur point de départ les personnes, si elles ont transporté des personnes « non admises ». Un système d’amendes est utilisé pour pénaliser les compagnies aériennes « fautives ». Ceci limite l’autonomie des commandant/es de bords quant au refus des personnes expulsées et à la dénonciation des méthodes employées.
Il faut que cet objectif de renvoi massif soit réalisé en silence et sans images. Rien ne doit transpercer sur les moyens utilisés par la police française. Même si des personnes aident les personnes maintenues en zone d’attente et essaient de témoigner de cet état de fait, la Croix rouge et l’Omi servent de caution humanitaire au fascisme policier. Les personnes qui dénoncent ces faits peuvent être poursuivies comme le sont les passager/ères qui s’interposent entre la police et les personnes expulsables.
La seule chose à laquelle veille la police et ses auxiliaires, c’est qu’il y ai le moins de suicides possible. Les grèves de la faim sont nombreuses. Les rebellions existent et là la police cogne dur. Comme dans les cités, les provocations sont érigées en système et si on répond la brutalité policière se déchaîne.

Pour lutter contre les violences répétées, pour que cesse le harcèlement psychologique, les chantages pratiqués à Roissy, pour que des personnes arrivant en France ne soient plus brisées physiquement et psychologiquement, pour que les zones d’attente de Roissy ne soient plus synonymes de cauchemar, Anne de Loisy propose plusieurs solutions :

§ Surveiller la police ;

§ Traiter les humains comme tel et non comme des statistiques ou des infra-humains que l’on peut violenter sans encombre ;

§ Autoriser les personnes soignantes à témoigner des violences subies ;

§ Former les personnes en charge de l’aide aux étrangers/ères au droit et procédures en vigueur ;

§ Informer les étrangers/ères de leurs droits et des moyens des exercer ;

§ Autoriser les avocats/es à faire leur travail sans entraves dans ces zones d’attente ;

§ Permettre l’accès de ces zones aux personnes qualifiées pour aider les mineurs/eures et donc appliquer les conventions internationales que la France a signé ;

§ Faire en sorte que toutes ces dispositions soient étendues aux zones internationales, zones où seule la police peut entrer ;

§ etc …

Au final, tout ceci reviendrait à faire en sorte que les droits fondamentaux des personnes soient respectés. Ce qui impliquerait ici de limiter les droits de la police. On retrouve ici la position de Maurice Rajfus, qui milite depuis longtemps pour un contrôle démocratique de la police. De mon point de vue, ces changements ne peuvent pas être envisagés tant que la xénophobie d’État aura cours. La xénophobie au pouvoir est maintenant ancienne. Elle est appliquée aussi bien par les gouvernements de gauche que ceux de droite. En la matière, c’est Le Pen qui mène la danse. La préférence nationale est déjà appliquée pour le droit au travail. Aux frontières, c’est le fascisme policier qui a cours.

“ Bienvenue en France ” est donc un titre ironique. Ce livre heurte de plein fouet la bonne conscience française sur la “ patrie des droits de l’homme ”. L’auteure nous montre que notre pays est celui de la brutalité policière et des mauvais traitements. “ Personne n’est illégal ! ”, “ No Border ! ”, ou « Solidarité internationale ! » Disons-nous dans nos mots d’ordre, ici c’est le contraire, tout le monde est suspect et coupable a priori, l’exclusion et la ségrégation fonctionnent à plein régime. La frontière un espace, où seule la force policière règne. La forteresse Europe est liée par nature à la souffrance. Il ne peut en être autrement, c’est la fonction même de cette forteresse. Le but de la fermeture des frontières est bien d’exclure des personnes et de bloquer l’entrée de certains humains. A mon avis, refuser cette souffrance, c’est refuser cette forteresse, vu les désordres de la situation mondiale.

Act’Up a raison de dire que Le Pen a gagné. Les fascistes n’ont pas besoin d’adhérer au FN, ils peuvent exercer librement leur racisme et leur violence dans la police. Pour que la bonne conscience continue, on cache le fascisme policier qui œuvre à la frontière à Roissy et ailleurs. Nous sommes bien dans la biopolitique xénophobe, une version bouchère de la gestion des corps et des esprits. Dans les zones internationales et les zones d’attente situées à Roissy le sexisme, le racisme, la xénophobie peuvent s’exercer ouvertement, c’est devenu une banalité. La hiérarchie de la police couvre et les ministres fanfaronnent en réduisant les humains à des chiffres. La Croix rouge et l’Omi sont des cautions de toutes ces violences étatiques et complices du fascisme policier, même si un certain nombre des personnes de ces institutions essaient de rester humaines avec les étrangers/ères. Plus les politiques demandent d’augmenter le nombre des reconduites ou de fermer les frontières, plus la violence contre les étrangers/ères aux frontières augmente.

Anne de Loisy a choisi de ne pas être complice et de rendre public tout cela en prenant des risques. Même si elle estime qu’il soit possible de gérer tout cela avec humanité de façon propre, ce que je pense être impossible, nous devons saluer son engagement. Le débat de fond porte sur la différence entre ce qui est légal et ce qui est légitime. Anne de Loisy propose que la police dispose du matériel et de la formation qui permette de contrôler de façon certaine les faux papiers. Cette mesure peut conduire à légitimer le contrôle biométrique. De plus, la gestion des populations restera xénophobe et violente, si la politique, que nous nommons « forteresse Europe », continue. La seule solution, la plus humaine et la moins coûteuse, de mon point de vue, c’est l’ouverture des frontières et la lutte pour la répartition égalitaire des richesses et ici et partout.

Maintenant, si on me parle de la France “ pays des droits de l’homme ” je n’accepterai de poursuivre la discussion qu’une fois que la personne aura lu ce livre.
Rester humains c’était l’objectif de nombreuses personnes dans les camps de concentration. Aujourd’hui Anne de Loisy nous y aide, je la remercie.

Philippe Coutant, 2 Mars 2005


Note de lecture parue dans le numéro 21 de la Revue "Les >temps maudits", revue éditée par la CNT Vignoles