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Texte transmis par l'auteure
POUR UN USAGE ANARCHISTE DU PRAGMATISME I :
Théorie
de la connaissance pragmatiste et Anarchisme
L’objectif de ce texte est de se demander dans un contexte
post-moderne de « fin des certitudes » et de remise
en cause des « grandes idéologies », s’il
y a une philosophie qui puisse nous servir de cadre de réflexion
fructueux pour développer une pensée anarchiste. Il
nous semble que la philosophie pragmatiste peut nous fournir ce
paradigme philosophique.
Anarchie, c’est, étymologiquement, ce qui est sans
principe au sens de ce qui est sans commandement, sans hiérarchie,
sans autorité. De là, deux conceptions opposées
de la notion d’anarchie. Une première conception assimile
l’anarchie au désordre, dans la mesure où une
société sans principe de commandement serait vouée
au désordre. Une autre conception, qui est celle de l’anarchisme
, considère au contraire que le plus haut degrés d’ordre
est atteint quand la société se passe du principe
d’autorité pour son organisation. On peut donc constater,
de manière générale, que ce dont l’anarchisme
fait la critique, c’est le principe d’autorité
. L’autorité peut être définie comme le
pouvoir de se faire obéir. On peut par exemple remarquer
qu’au XIX ème siècle, les auteurs anarchistes
s’opposent aux communistes autoritaires. Par conséquent,
la critique anarchiste ne se limite pas à une critique de
l’Etat, mais inclut la critique de toute relation de pouvoir
fondée sur le principe d’autorité et en particulier
la critique de toute recherche d’un fondement transcendant
de l’autorité tel que Dieu.
Or si l’anarchisme essaie de penser sur le plan politique,
une société sans principe d’autorité
et sans fondement transcendant, il semble par conséquent
que l’anarchisme présuppose implicitement un cadre
philosophique général qui soit en accord avec ses
options. Le pragmatisme, nous paraît justement être
le paradigme philosophique qui est en accord avec les présupposés
philosophiques de l’anarchisme.
Le pragmatisme, au sens strict, désigne un courant de la
philosophie américaine divisé en deux sous courants
: le pragmatisme classique (dont les principaux représentants
sont Pierce, James et Dewey) et le neo-pragmatisme ( principalement
incarné par Putnam, Rorty et Shusterman). Mais, on peut considérer
que le pragmatisme au sens large incarne une position structurelle
de la philosophie. En effet, W.James, dans Le Pragmatisme, Ch.II,
écrit que le pragmatisme n’est qu’ « un
mot nouveau pour désigner d’anciennes manières
de penser ». Il semble que l’on puisse voir par exemple
dans ce qui nous est parvenu de la pensée de Protagoras ,
dans la pensée de Nietzsche ou de M.Foucault , des éléments
de pensée pragmatiste .
Le pragmatisme se caractérise par un refus de toute démarche
de recherche d’un principe premier, d’un fondement.
En effet, toute recherche d’un fondement suppose l’accès
à une transcendance, à un point de vue de Dieu qu’il
nous est impossible d’atteindre : nous ne pouvons pas sortir
du monde.
De manière très générale, comment peut-on
définir le pragmatisme ? Le pragmatiste est celui qui affirme
que la vérité est ce qui est utile pour nous conserver
en vie. Le pragmatisme est donc un courant philosophique qui remet
en cause la conception traditionnelle d’une vérité
transcendante que l’homme recherche de manière désintéressée
et auquel il se soumet parce que c’est la vérité.
Parce qu’il refuse toute démarche de fondement transcendant,
le pragmatisme se caractérise par une méthode que
l’on peut définir comme « l’expérience
combinée de tout le monde » par opposition à
la méthode de l’autorité qui au lieu d’expérimenter
cherche à fonder a priori la connaissance.
Par conséquent, de par ses présupposés remettant
en cause tout « arché » dans le domaine politique,
l’anarchisme impliquerait le pragmatisme comme paradigme philosophique.
Il s’agit donc alors de se demander comment le pragmatisme
permet de développer de manière cohérente l’anarchisme.
Le problème qui se pose est donc de savoir comment on peut
penser de manière cohérente la réalité
et la société sans faire appel à un principe
premier, à un fondement. La notion de cohérence a
un double sens, c’est à la fois la cohérence
logique du raisonnement et la cohérence physique qui fait
que différents éléments tiennent ensemble comme
dans le cas de la société.
L’enjeu d’une telle réflexion est de montrer
que le pragmatisme permet à la fois de développer
une anarchie négative , c’est à dire une critique
de l’organisation sociale autoritaire, et une anarchie positive,
c’est à dire une alternative à cette société.
La démarche adoptée ne peut être dans une perspective
pragmatiste de chercher à saisir l’essence du pragmatisme
et de l’anarchisme, mais à partir des diverses théories
pragmatistes et anarchistes que nous propose l’histoire de
la philosophie, de construire une théorie pragmatiste et
anarchiste qui puisse fonctionner.
I- Théorie de la connaissance
II-
Nous allons tout d’abord essayer de montrer les liens qui
peuvent exister entre la théorie de la connaissance pragmatiste
et l’anarchisme. En effet, il s’agit de doter l’anarchisme
d’une théorie de la connaissance relativiste mais cohérente.
L’importance d’une telle démarche est double.
D’une part, tout discours d’analyse de la société,
tout discours politique présuppose implicitement une théorie
de la connaissance qui soutient sa validité. D’autre
part, de faire reposer l’anarchisme sur une théorie
de la connaissance qui évite le dogmatiste scientiste tel
qu’il peut s’exprimer par exemple dans la théorie
de Marx ou même de Kropotkine et d’éviter l’incohérence
dont peuvent souffrir certaines théories relativistes s’appuyant
par exemple sur les théories de la connaissance de Nietzsche,
de Foucault ou de Feyerabend.
A- Relativisme et anti-fondationalisme
B-
1- Relativisme
2-
Pour le philosophe Protagoras, «L’homme est la mesure
de toutes choses, de celles qui sont pour ce qu’elles sont,
et de celles qui ne sont pas pour ce qu’elles ne sont pas.»
Dans ce célèbre aphorisme, commenté aussi bien
par Platon que par Aristote, Protagoras énonce la relativité
de la connaissance à la sensation de l’individu singulier.
«Telles t’apparaissent les choses, telles elles sont
pour toi. Telles m’apparaissent les choses, telles elles sont
pour moi ». Protagoras soutient un relativisme à partir
d’un sensualisme matérialiste dans le cadre d’une
conception de la nature de type héraclitéenne.
Mais comme le montre Nietzsche, il ne s’agit pas de réduire
la connaissance à une simple appréhension passive
par les sens d’une réalité mouvante. L’être
vivant construit la réalité qui l’entoure à
partir de ses propres valeurs vitales. A partir de son point de
vue vital, c’est à dire de sa perspective , il constitue
son monde vécu (Umwelt ). Par conséquent, ce que montre
Nietzsche, c’est que l’évaluation, les valeurs,
sont des faits vitaux, qui ne sont pas propre à l’homme,
mais commun à tous les êtres vivants : « L’ensemble
du monde organique est un enchaînement même d’êtres
entourés de petits univers qu’ils se sont crées
» . Or la réalité est toujours construite à
partir de cette perspective vitale ou interprétation : «
Nos valeurs sont des interprétations introduites par nous
dans les choses » . Par conséquent, ce que nous appelons
la réalité est toujours relative à un point
de vue vital singulier ou perspective. Ce que nous connaissons ce
n’est pas la réalité, mais un monde, c’est
à dire la réalité telle qu’elle est appréhendée
du point de vue d’un centre de valeurs vitales.
Les pragmatistes américains qualifient leur pragmatisme
d’humanisme naturaliste. Il ne faut cependant pas confondre
l’humanisme pragmatique avec l’humanisme chrétien
par exemple. Il ne s’agit pas de défendre une place
éminente de l’homme au sein de la nature, mais d’une
remise en cause de l’existence de valeurs transcendantes et
d’un fondement transcendant, tel que Dieu, de la connaissance,
du fait de la relativité de toute connaissance au point de
vue d’un individu singulier. Comme l’explique R.Rorty,
dans L’espoir au lieu du savoir, le pragmatisme ne considère
pas qu’il y a une différence de nature entre les hommes
et les animaux, mais une continuité. Les pragmatistes sont
des Darwiniens et des naturalistes .
Si Rorty qualifie, par exemple, le pragmatisme d’humanisme,
c’est seulement parce que les pragmatismes considèrent
comme métaphysique tout point de vue désincarné
qui prétend saisir la réalité en soi. Parler
en soi du point de vue de l’animal ou de l’objet, est
une position métaphysique qui suppose que nous puissions
sortir de nous même, or notre discours est toujours relatif
à nous même. Lorsque nous parlons du point de vue de
l’animal ou de l’objet, c’est toujours notre point
de vue singulier sur l’animal et l’objet, nous ne sommes
pas en mesure d’énoncer, à sa place, le point
de vue de l’animal.
Donc premier élément, d’un point de vue pragmatiste,
il apparaît tout d’abord que toute réalité
est relative au point de vue singulier qui est adopté sur
la réalité et nous n’avons accès, par
l’intermédiaire du langage, qu’à des points
de vue humains. Il s’agit là d’un premier point
commun avec l’anarchisme. En effet, cela signifie qu’il
ne peut y avoir de fondement a priori de la connaissance qui permettrait
d’imposer à l’individu singulier une conception
de la réalité présentée comme absolue
et qui en réalité n’est qu’un instrument
idéologique de justification du rapport d’autorité
existant dans la société.
2- Le refus d’un point de vue fondationaliste
Le refus du point de vue de Dieu est une position qui caractérise
les pragmatistes. De manière générale notre
position d’être immanent au monde, fait qu’il
nous est impossible d’adopter un point de vue transcendant
sur le monde.
Le refus pragmatiste de la démarche fondationaliste, s’appuie
sur l’historicité. Le retour du pragmatisme contre
la philosophie analytique, est interprété outre-atlantique
comme un retour de Hegel contre Kant. Les pragmatistes se définissent
comme Hegel comme des monistes historicistes, mais ils refusent
l’absolu hégélien. J.Dewey définissait
son évolution historique comme « l’évolution
de l’absolu vers l’expérimentalisme ».
H.Putnam dans Raison, Vérité et Histoire essaie
de montrer comment nos conceptions de la rationalité sont
fonctions de nos cadres conceptuels. D’une part, parce que
comme l’a montré Wittgenstein, l’application
d’une règle de rationalité est relative au jeu
de langage dans lequel on se trouve, à un usage. Il n’y
a donc pas de rationalité a priori, la raison n’est
pas une faculté . D’autre part, parce que nos cadres
conceptuels organisent la réalité relativement à
des valeurs, qui sont présupposées par le langage
qui est l’expression d’une certaine organisation sociale,
valeurs qui ont elles même une origine vitale comme nous l’avons
vu. Il n’est donc pas possible de comparer nos énoncés
à la réalité, une telle comparaison supposerait
de sortir du langage. Or cela n’est pas possible parce que
le langage joue un rôle transcendantal dans notre appréhension
du monde. Les langues indo-européennes organisent ainsi le
monde en distinguant matière et êtres vivants, en distinguant
animaux et hommes, hommes et femmes. A travers ces dualismes, s’exprime
à la fois la métaphysique occidentale, mais aussi
par exemple l’organisation hétero-normative de notre
société. Ainsi une phrase aussi apparemment aussi
neutre que « Le chat est sur le paillasson », comme
le montre Putnam, présuppose donc les valeurs implicites,
reflétant l’organisation sociale, que contient le langage
et qui nous fait distinguer par exemple entre artefact et être
vivant. Par conséquent, en fonction d’une organisation
sociale inégalitaire et autoritaire, le langage exprime les
valeurs des groupes dominants, d’où l’importance
de la guerre sémantique que peuvent mener les dominés
pour imposer leur description du monde : par exemple, la remise
en cause du dualisme homme/femme, dans lequel la notion d’homme
est dominante, telle qu’elle est effectuée par les
théories queers, au profit d’une multiplicité
des identités.
Mais il se pose un problème, si toute connaissance est relative
à un point de vue singulier qui s’exprime à
travers les catégories d’une langue particulière
et que par conséquent il n’est pas possible de fonder
absolument la connaissance, ne sombrons nous pas dans un relativisme
auto-réfutant : « Toute vérité est relative
». Cet énoncé comporte une double incohérence.
D’une part si tous les énoncés sont relatifs,
mon énoncé admet l’énoncé inverse
selon lequel tous les énoncés ne sont pas relatifs.
D’autre part, la notion d’une vérité relative
est incohérente, dans la mesure où si une vérité
est relative, c’est qu’elle peut être fausse et
que dans ce cas là elle n’est pas une vérité.
Cette question qui est une question de théorie de la connaissance
a bien un enjeu pratique qui est celui de savoir si on peut se passer
de toute notion d’ « arché » c’est
à dire de fondement, dans le domaine aussi bien de la connaissance
que politique, sans conduire à une incohérence de
fait de la société.
B- Une conception non-transcendante de la vérité
: une vérité humaine
Pour les pragmatistes, nos interrogations partent toujours de quelque
chose, il n’y a pas de remise en cause radicale possible,
contrairement à la démarche cartésienne, de
tout ce que nous savions auparavant. Par conséquent, lorsque
nous nous interrogeons sur la vérité, nous le faisons
à partir du langage. Or le langage présuppose la vie
en société, qui présuppose elle-même
l’existence de la nature, dans notre conception implicite
du monde. Par conséquent qu’est-ce que la vérité
pour un pragmatiste ? La vérité est une notion qui
appartient au langage. Elle est une notion qui est apparue comme
une nécessité de la vie en société.
Face à la contradiction des opinions, les hommes ont eu besoin
de se référer à une notion qui caractérise
le point de vue dans lequel les controverses seraient tranchées
radicalement car il dirait la réalité en soi. Nietzsche,
dans Vérité et Mensonge au sens extra-moral, a bien
compris que la vérité est un produit de la vie en
société et du langage, et qu’il n’y a
pas de sens à parler de vérité en dehors de
ce contexte. La vérité est un caractère inaliénable
d’une proposition. Donc parler de vérité n’a
de sens que dans le contexte d’êtres qui sont capables
de communiquer entre eux. En effet, toute critique du critère
de la vérité engage celui qui l’énonce
dans une discussion sur la validité de ce critère.
Donc la question de la définition de l’homme ne se
pose pas, la question de la vérité étant immanente
au langage, elle ne se pose que pour des êtres qui ont un
tel concept et qui sont capables de communiquer entre eux. C’est
bien pourquoi, il s’agit d’un humanisme dans un cadre
naturaliste.
A partir de cette élucidation de la notion de vérité,
la vérité est donc une notion sociale, par conséquent
la vérité ne peut être que le produit d’un
consensus. Or là aussi, il faut faire attention de ne pas
confondre le consensus et la majorité. Le consensus, comme
le définit Habermas dans Vérité et Justification,
est ce qui ne peut être réfuté par personne.
Il est néanmoins vraisemblable que la vérité
définie comme consensus dans ce sens là correspond
à une place vide dans le discours. En effet, il faudrait
que tous les hommes qui vivent en même temps puissent s’accorder.
Mais un outre, il est toujours possible que quelqu’un, par
la suite, par un argument expérimental ou logique, puisse
venir remettre en cause ce consensus. L’a priori étant
rejeté, ce consensus n’a donc pas le sens d’un
consensus de droit, mais de fait : il présuppose donc de
construire un universel concret et non pas formel. « Communiquer,
partager, participer sont les seules façons d’universaliser
la loi » . La démarche pragmatiste est donc une démarche
faillibiliste.
Par conséquent, il faut distinguer, comme le font un certain
nombre d’auteur pragmatiste, entre vérité et
justification. En effet, si Rorty considère qu’il faut
se passer de la notion de vérité ( il semble que face
à la difficulté de tenir de manière cohérente
une telle position, il ait atténué sa position récemment),
un pragmatiste comme Putnam distingue entre vérité
et justification. Il y a donc la réalité en soi qui
existe par elle-même, mais dont la connaissance suppose une
position métaphysique. Il y a la vérité qui
correspond à cette place vide où le consensus et la
réalité correspondent. Par conséquent, le pragmatisme
ne nie pas forcement la correspondance de la vérité
à la réalité, mais il incère aussi bien
la conception correspondantiste que la conception cohérentiste
dans une conception plus large à la fois naturaliste et sociale
de la vérité. Enfin, il y a la justification: plus
un énoncé résiste à la discussion argumentée
de tous, plus il est justifié.
Cependant, quant on dit de quelqu’un qu’il avait raison
contre tous, on oublie que la phrase est au passé. On ne
détient jamais la « vérité » seul,
le moment où on reconnaît qu’il a raison c’est
le moment où ce point de vue est devenu dominant. La vérité
et la justification sont des notions sociales. Dire qu’on
considère qu’il a maintenant raison, c’est bien
reconnaître que son point de vue est considéré
comme le plus justifié actuellement. Mais là où
il ne faut pas commettre d’erreur, c’est en confondant
la vérité et la justification : car soit on absolutise
ce qui ne sont que des justifications, soit on fait de la vérité
quelque chose de relatif.
Il faut ajouter une deuxième conclusion que nous aurons
l’occasion de développer plus loin. Si comme le soutiennent
les pragmatistes, la vérité est une valeur (elle est
quelque chose qui est désiré pour son utilité),
si en outre notre discours inclut toujours des valeurs comme le
montre Putnam (valeurs qui ont une origine naturelle comme le montre
Nietzsche), s’il faut distinguer vérité et justification
comme le font Putnam et Habermas, alors plus nos faits seront justifiés,
plus nos valeurs seront justifiées. Car tout fait présuppose
des valeurs et toute valeur présuppose des faits. Comme le
montre H.Putnam, dans Raison, Vérité et Histoire,
pour soutenir les valeurs des nazis, il faut accepter des faits
tout à fait contestables qui leurs servent d’arguments
: il y a des races supérieures, il existe un complot juif
mondial…
Nous avons donc cherché à établir comment
on pouvait soutenir une conception de la connaissance qui ne soit
pas absolue, c’est à dire en définitive théologique,
mais qui soit en même temps cohérente en évitant
de rabattre la vérité sur la justification comme l’ont
fait Nietzsche ou Foucault.
Nous allons maintenant chercher à montrer comment dans le
pragmatisme, la théorie est toujours pensée à
partir de la pratique, comment il n’y a pas de sens à
séparer les deux dans une démarche pragmatiste : il
s’agit d’ailleurs d’un des dualismes fondamentaux
que le pragmatisme essaie de remettre en cause. C’est dans
ce refus de séparer théorie et pratique que l’on
trouve là aussi un ferment commun avec l’anarchisme,
dans le refus de séparer activité intellectuelle et
activité manuelle, la pensée et l’action, une
telle séparation conduit à réserver l’activité
intellectuelle uniquement à des experts.
C- Le primat de la pratique
La démarche pragmatiste est définie, au sens strict
du terme la première fois par Pierce dans un article qui
s’intitule Comment rendre nos idées claires : «
nous avons reconnu que la pensée est excitée à
l’action par l’irritation du doute, et cesse quand on
atteint la croyance : produire la croyance est donc la seule fonction
de la pensée ». Mais qu’est ce que la croyance,
s’agit-il ici de la croyance religieuse pour Pierce ? «
Qu’est ce que donc que la croyance ? La croyance est quelque
chose dont nous avons connaissance ; puis elle apaise l’irritation
du doute ; enfin elle implique l’établissement dans
notre esprit d’une règle de conduite ou pour parler
plus brièvement d’une habitude. » La croyance
est simplement ce qui fixe une habitude, en fait pour les pragmatistes,
il n’y a pas de différence de nature entre foi, opinion
et savoir : il s’agit dans les trois cas de croyances car
elles ne peuvent pas être fondées. Par conséquent,
il n’y a pas de différence de nature entre la foi religieuse
et le savoir scientifique. Cette position, on la trouve aussi chez
Nietzsche qui fait remarquer dans Le Gai Savoir : « la brave
croyance en la science, le préjugé favorable dont
elle bénéficie et qui domine nos Etats ( autrefois,
c’était même l’Eglise) ».
Néanmoins, Pierce distingue trois méthodes pour fixer
la croyance : 1) la méthode de la ténacité
: il s’agit de se persuader de ce qui nous fait plaisir 2)
la méthode de l’autorité : c’est celle
utilisée par les églises ou les pouvoirs politiques
autoritaires, les chefs, par exemple, elle renvoie à l’argument
d’autorité 3) la méthode scientifique (ou pragmatiste)
: elle postule qu’il y a des réalités indépendantes
aux idées que l’on peut en avoir et que, par l’expérience
et le raisonnement, les hommes peuvent arriver à une seule
et même conclusion. Ce qui différencie donc la méthode
scientifique de la première méthode, c’est qu’elle
cherche à établir un consensus, mais contrairement
à la méthode autoritaire, cette recherche de consensus
n’est pas faite par le moyen de la violence ou par une position
sociale, mais par l’argumentation et l’expérimentation.
Il s’agit d’un point important : Spinoza dans le Traité
de l’autorité politique prend soin de distinguer la
paix qui découle du consentement rationnel et celle qui découle
de la terreur, de même il existe des consensus apparents car
ils ne découlent pas d’une discussion argumentée,
mais du pouvoir de l’autorité ( si d’ailleurs
l’autorité parvenait à mettre en place un consentement
total ou consensus, par la manipulation, il n’y aurait plus
en toute logique de résistance). En fait, il est très
certainement impossible de mettre en place une situation dépourvue
totalement de rapport de violence (il ne s’agit pas seulement
de violence physique, mais aussi de violence morale), mais il y
a des situations intégrant plus ou moins de violence.
On peut se demander si le pragmatisme par la notion de méthode
ne tombe pas sous le coup de l’anarchisme épistémologique
de Feyerabend, qui est une sorte de pragmatisme radical ou de relativisme,
pour qui « il n’y a pas de méthode en science,
tout est bon du moment que cela marche ». L’anarchisme
épistémologique de Feyerabend le conduit, au nom du
pluralisme et d’une société libre, à
mettre sur le même plan le darwinisme et le créationnisme,
l’astronomie et l’astrologie. Si d’un point de
vue pragmatique, on peut s’accorder avec le fait qu’il
n’y a pas de méthode a priori, on peut néanmoins
remarquer que Feyerabend s’auto-refute et suppose une méthode
implicitement : la méthode pragmatiste de l’argumentation
et de l’expérimentation. En effet, en soutenant que
toute les méthodes sont valables, il le fait au nom du pluralisme,
il exclut donc implicitement les méthodes qui refusent le
pluralisme. Dit autrement, les méthodes autoritaires considèrent
que seule leur méthode est valable, par conséquent
admettre ces méthodes, c’est contredire le principe
selon lequel il n’y a pas de méthode. Par conséquent,
la méthode autoritaire est implicitement récusée
par le principe de Feyerabend. Le créationnisme ne peut être
mis sur le même plan que le darwinisme car si le darwinisme
accepte d’être récusé par l’expérimentation
et l’argumentation, par contre le créationnisme en
reposant, sur l’autorité, le refuse.
Comme le montre W.James dans la Ch.II du Pragmatisme, le pragmatisme
consiste à interpréter les interminables controverses
philosophiques du point de vue de leurs conséquences pratiques.
Si une voiture me fonce dessus et qu’en me fiant aux apparences,
je saute pour l’éviter et que j’ai la vie sauve
alors on peut dire que cette croyance est plus justifiée
qu’une autre. Le pragmatisme est une théorie de la
connaissance qui découle de la pratique : il n’y a
pas de sens pour un pragmatiste à séparer théorie
et pratique, pratique et justification . « Posséder
des idées vraies, nous dit James, c’est posséder
de puissants instruments pour l’action ». Qu’est
ce qu’une idée pour un pragmatiste ? Les pragmatistes,
comme le rappelle Cometti son livre Le philosophe et la poule de
Kircher, ne sont pas des philosophes de l’intériorité,
l’intériorité est un mythe : une idée
est une action. Ou comme le montre Wittgenstein, ce sont les pratiques
de discours qui constituent la pensée et l’intériorité,
il n’y pas de pensée avant le langage. Le pragmatisme
est une ontologie pluraliste de l’action ou de la relation
(appelée transaction chez J.Dewey). Les discours sont eux
même des actes, des pratiques. Il ne s’agit pas de représenter
la réalité, il n’y a pas d’esprit qui
soit le miroir de la réalité, mais uniquement des
instruments utiles pour l’action. Dire d’une vérité
qu’elle correspond à la réalité ne signifie
donc pas dire qu’elle la représente.
Rechercher la vérité pour la vérité
de manière désintéressée pour un pragmatiste
relève du pur idéalisme, nous recherchons la vérité
parce que nous y avons un intérêt vital : la vérité
est utile pour l’action. La notion de vérité
est un produit humain, comme tout produit vital, elle a une utilité.
Il nous est utile d’avoir des croyances en accord avec la
réalité car nous sommes une partie de cette réalité.
Par conséquent, l’hypothèse selon laquelle ce
qui pourrait nous être utile serait le faux est absurde car
c’est précisément ce qui est utile que nous
appelons vrai. Donc ce qui est utile, c’est ce qui est vrai
car la notion de vraie elle-même est un produit de nos besoins.
Comme l’énonce C.Tiercelin : « une croyance est
utile si et seulement si elle est vraie et de même elle est
vraie si et seulement si elle est utile » .
De la même manière, nous devons noter, comme nous
l’avons fait remarquer avec Putnam sur les valeurs, que par
conséquent le vrai, le bon ou le juste sont liés et
que donc de même le bon et le juste sont ce qui nous est utile.
Comme l’écrit W.James : « le vrai consiste simplement
en ce qui est avantageux pour notre pensée, le juste simplement
dans ce qui est avantageux pour notre conduite (…) pour des
raisons définies et susceptibles d’être spécifiées
».
J.Dewey, dans Reconstruction en Philosophie, nous fournit une bonne
analyse de la méthode d’action pragmatique. La méthode
pragmatique n’est pas propre à l’homme, elle
est commune à tous les être vivants. « L’organisme
agit en accord avec sa propre structure sur son environnement…Les
changements produits par l’environnement réagissent
sur l’organisme et ses activités ». C’est
ce que Dewey appelle l’expérience. L’empirisme
pragmatiste s’oppose à l’idée rationaliste
d’a priori, mais il se distingue de l’empirisme classique
en insistant sur la dimension active de l’organisme vivant
dans sa relation avec le milieu. « La connaissance fait partie
du processus par lequel la vie persiste et croit ». Ce qui
différencie l’expérience humaine et l’expérience
animal, c’est le rôle du langage et donc de la culture
qui est apparue du fait de l’évolution des espèces.
Ce qui fait qu’il n’y a pas que l’expérimentation
qui intervient, mais aussi la discussion argumentée. Dans
le cas des hommes, l’expérience et le langage sont
sans cesse entremêlés.
Si on imagine qu’un homme se trouve devant une rivière
(situation) qu’il veut traverser (problème), il va
commencer par observer son environnement, il voit une planche de
bois, il élabore une hypothèse, il va l’expérimenter
en mettant la planche entre les deux rives, s’il parvient
à traverser, son hypothèse sera justifiée (assertabilité
garantie) relativement à la situation. Cet ensemble constitue
ce que Dewey appelle la logique ou théorie de l’enquête.
« L’enquête est la transformation contrôlée
ou dirigée d’une situation indéterminée
en une situation qui est si déterminée en ses distinctions
et relations constitutives qu’elle convertit les éléments
de la situation en un tout unifié ». Il s’agit
donc du passage d’une situation de doute à une situation
où la croyance est fixée.
Cette interdépendance de la théorie et de la pratique
est là aussi un point commun que partage le pragmatisme avec
l’anarchisme puisque c’est un thème que l’on
retrouve par exemple chez Bakounine ou Proudhon. A propos de Proudhon,
J.Bancal a pu parler d’un pragmatisme travailliste. «
L’idée, avec ses catégories naît de l’action
et doit revenir à l’action […] Cela signifie
que toute connaissance […] est sortie du travail et doit servir
d’instrument au travail » . Proudhon défend une
conception pragmatiste du travail : le travail est une action, le
travail en tant qu’action est ce qui détermine l’apparition
des idées et les idées n’ont elles-mêmes
de valeurs qu’en tant qu’instrument pour l’action.
La connaissance n’est pas contemplative, elle a son origine
dans le travail. Nous constatons par-là, que le pragmatisme
tout comme l’anarchisme remet en cause la dualité entre
théorie et pratique dont nous verrons qu’elle a une
origine dans l’existence même de classes sociales.
Nous avons donc cherché à montrer que le pragmatisme
nous permettait de nous appuyer sur une théorie de la connaissance
qui soit cohérente et qui soit en accord avec les principes
de l’anarchisme.
Il s’agit maintenant de nous demander comment le pragmatisme
nous permet de penser une politique anarchiste à partir d’un
naturalisme méthodologique, d’une hypothèse
naturaliste qui puisse être soumise à l’expérimentation,
de montrer quel peut être l’impact de la théorie
de la connaissance pragmatiste pour repenser l’anarchisme.
POUR UN USAGE ANARCHISTE DU PRAGMATISME II :
L’action politique anarchiste dans le cadre du naturalisme
pragmatiste
II- Un naturalisme continuiste
Il s’agit dans la deuxième partie de cet article de
montrer quelles hypothèses d’action politique anarchiste
on peut élaborer à partir d’une théorie
de la connaissance pragmatiste. Il s’agit en particulier de
penser un socialisme libertaire débarrassé de ses
présupposés scientistes, et en particulier de ceux
qui impliquent une philosophie téléologique de l’histoire,
qui n’est en réalité qu’une laïcisation
de la providence divine.
Une telle démarche nous amène donc à nous
interroger sur l’articulation entre connaissance et éthique,
entre connaissance et justice, contrairement à la démarche
marxiste. Elle nous amène à essayer de repenser l’analyse
structurelle de la société afin de pouvoir articuler
de manière cohérente la question de la lutte des classes
aux nouvelles revendications (anti-sexisme, écologisme…).
Elle nous amène à articuler une sociologie structurale
permettant une analyse critique de la société à
une psychologie sociale permettant de penser la transformation sociale.
Elle nous amène enfin à essayer de repenser l’action
révolutionnaire et le concept de révolution en essayant
de le débarrasser de ses éléments liés
à une philosophie de l’histoire déterministe.
L’enjeu est d’essayer de montrer comment on peut essayer
de repenser les notions issues des théories politiques du
XIXème siècle ( révolution, lutte des classes,
collectivisme…) en les débarrassant de leurs présupposés
scientistes.
A- De la nature à l’individu
B-
Pour les pragmatistes, il n’y a pas de différence entre
apparence et essence. Rorty, dans L’espoir au lieu du savoir,
considère que l’une des caractéristiques du
pragmatisme est de refuser les dualismes métaphysiques et
en particulier celui de l’essence et de l’apparence,
et de refuser les notions de substance ou d’essence. Les pragmatistes
se caractérisent par le fait qu’ils adoptent une ontologie
héraclitéenne, une ontologie du flux. L’importance
politique de refuser une ontologie essentialiste, dans le cadre
d’une théorie naturaliste qui refuse toute transcendance,
se comprend par le refus de considérer qu’il existe
un ordre fixe et immuable auxquels les hommes devraient se soumettre
et à laquelle la notion de nature pourrait servir de justification.
Or une telle ontologie à une conséquence aussi sur
leur conception de la nature humaine. Il existe certes une nature
propre à chaque individu singulier, mais celle-ci n’est
pas fixe. La nature de chaque être humain est pensée
comme un processus d’individuation : la culture est en continuité
avec la nature, et l’individualité est le résultat
d’un processus social et d’une pratique de soi. Par
conséquent, on constate que pour les pragmatistes, la connaissance
est relative non seulement parce qu’elle est relative à
un individu singulier, mais aussi parce que la réalité
est en constant changement : le sujet connaissant est donc lui-même
en constant changement parce qu’il est lui-même une
partie d’un tout qui ne cesse de changer.
Il s’agit là aussi d’un point commun avec les
penseurs anarchistes, comme le souligne Kropotkine, l’anarchisme
présuppose une philosophie naturaliste. En effet, il n’y
a rien de transcendant à la nature, ni un Dieu qui pose des
obligations morales, ni un ordre social que les hommes doivent respecter.
Le naturalisme anarchiste conduit les penseurs anarchistes à
considérer que les individus suivent les lois immanentes
de leur nature. La difficulté d’une position naturaliste
classique est de savoir comment identifier ces lois de la nature
et donc ne pas être conduit un dogmatiste scientiste qui en
réalité ne ferait que projeter de manière illusoire
nos préjugés sur la nature. Dewey, comme Kropotkine,
considèrent dans un cadre Darwinien, que la moralité,
entendue comme instinct social, est une conséquence de la
sélection naturelle, mais à la différence de
Kropotkine, Dewey insiste sur le caractère expérimental
de la détermination des règles de cette éthique
naturaliste.
L’autre conséquence du naturalisme, c’est qu’il
conduit à remettre en question la tradition chrétienne
d’un dualisme entre l’homme et la nature dans lequel
l’homme occupe une place de « maître et possesseur
de la nature ». La philosophie deweysienne repose sur la remise
en cause des dualismes de la philosophie occidentale et en particulier
le dualisme entre l’homme et la nature. L’homme fait
partie de la nature, la culture se trouve en continuité avec
la nature. Par conséquent, une telle remise en question,
de la domination de l’homme sur d’une part la nature
et d’autre part les animaux, implique les éléments
d’une position écologiste.
Mais le pragmatisme remet aussi en cause la dualité de la
société et de l’individu. En effet, l’individu
n’existe pas en dehors de la société, l’individuation
est elle-même d’ailleurs un processus social. «
L’individualité d’un point de vue social et moral,
est le résultat d’un processus » . C’est
ici là aussi un point commun avec des penseurs anarchistes
tel que Proudhon et Bakounine. Puisque pour ces penseurs, c’est
par la société que l’homme réalise le
plus pleinement son individualité comme l’atteste leur
définition de la liberté. Comme l’écrit
Proudhon, dans Les confessions d’un révolutionnaire,
« l’homme le plus libre est celui qui a le plus de relation
avec ses semblables ».
Mais si l’individu n’existe pas à l’état
de nature, pour autant pour le pragmatisme aussi bien que l’anarchisme,
c’est de l’individu que part toute éthique. Puisque
tout discours, toute action s’exprime toujours à travers
un individu singulier.
B-La question de l’épanouissement individuel
La question de l’art de vivre connaît un renouvellement
particulier chez les neo-pragmatistes sous l’impulsion de
M.Foucault. La notion d’art de vivre est prise dans le sens
à la fois de technique de soi et d’esthétique
de l’existence, de faire de son existence une œuvre d’art.
Cet intérêt pour l’art de vivre, c’est
à dire l’éthique, rejoint là aussi l’anarchisme.
En effet, ce qui est premier dans l’anarchisme c’est
l’individu et le point de vue qui est adopté sur l’individu
n’est pas celui d’une morale obligatoire, mais d’une
morale « sans obligations ni sanctions » c’est
à dire d’une éthique . Nous allons plus particulièrement
étudier la notion d’art de vivre telle qu’elle
est analysée par R.Shusterman dans Vivre la philosophie.
L’expérience esthétique est en effet une expérience
qui fait partie des processus intégrant de la vie. Dans l’esthétique
pragmatique, l’art à une fonction vitale. Si l’esthétique
est choisie comme paradigme de l’existence, c’est qu’elle
constitue pour les neo-pragmatistes, dans la lignée de Nietzsche
et de Dewey, l’expérience la plus intense et unifiante
que puisse faire un être vivant. Etant donné son caractère
vital, l’art de vivre pragmatiste passe par un souci du corps.
Son caractère vital implique aussi que dans l’art de
vivre pragmatiste « la croissance comme telle est la fin ».
Il s’agit donc d’une esthétique de la création
de soi, de la transformation de soi par soi par des techniques somatiques
qui supposent que le moi est en devenir . Mais le caractère
particulier, de l’art de vivre, inspiré par Dewey et
développé par Shusterman, porte sur le problème
suivant : la plupart des arts de vivre, qui sont développés
dans l’antiquité ou ceux de Nietzsche et Foucault,
ont en réalité un caractère aristocratique,
ils n’ont de sens que dans une logique de distinction. J.Dewey
montre que cette exigence de nouveauté radicale et donc de
distinction dans l’art est une conséquence du régime
capitaliste. Nous nous trouvons donc devant une contradiction :
d’une part, le moi a un caractère fortement social
et d’autre part l’esthétique qui est développée
dans la société capitaliste est une esthétique
de la différence radicale. L’intérêt de
Shusterman est de penser l’esthétique et donc l’art
de vivre non pas comme la réalisation d’une singularité
en contradiction avec l’existence sociale, mais de penser
que le caractère social du moi fait qu’il ne peut réaliser
son épanouissement que dans son engagement social. Or comme
le souligne Dewey, ce n’est pas dans une société
autoritaire, mais dans une société démocratique
que chaque individu peut vivre l’expérience la plus
riche. Donc plus une société est démocratique,
plus elle permet un épanouissement plus grand de l’individu.
Par conséquent, d’une part toute esthétique
de soi suppose la transformation de la société de
manière à rendre possible la réalisation de
son moi, mais d’autre part, il ne peut s’agir d’une
esthétique aristocratique de la transgression comme critère
de distinction (comme celle de Sade par exemple), mais au contraire
d’une éthique démocratique. Il y a certes une
multiplicité d’arts de vivre possibles, mais du fait
caractère social de l’homme, rechercher un art de vivre
qui se définisse par la transgression de toute vie sociale
est absurde.
Mais si par conséquent, l’épanouissement individuel
suppose la transformation de la société, il est par
conséquent nécessaire de comprendre quelle forme peut
prendre l’anarchisme dans le cadre d’une conception
philosophique pragmatiste.
C- L’action politique
Le pragmatisme contient les ferments d’une théorie
à la fois de critique et d’alternative aux sociétés
organisées selon la méthode d’autorité,
méthode qui induit des rapports de domination: autorité
économique des possédants sur les travailleurs et
du paternalisme étatique sur la société civile,
autorité politique des gouvernants et des experts sur les
gouvernés, des intellectuels sur les manuels, des hommes
sur les femmes…Or cette théorie, contrairement à
celle de Marx ou de Kropotkine, ne repose pas sur une philosophie
de l’histoire et un scientisme sous jacent, mais sur un faillibilisme
et un expérimentalisme qui la rend adaptable aux évolutions
historiques des revendications.
Le pragmatisme repose sur une équation simple : savoir c’est
pouvoir . Avoir de la connaissance, nous donne un pouvoir. Le Gorgias
de Platon le soulignait déjà à propos de la
rhétorique : la maîtrise technique de la rhétorique
donne un pouvoir politique sur les autres citoyens. Le pragmatisme
inclut donc une théorie du pouvoir.
a- Méthode autoritaire et méthode pragmatiste
b-
Tout d’abord, elle permet de distinguer entre méthode
autoritaire et méthode pragmatique. Cette distinction, permet
de faire une distinction, au sein des notions de pouvoir, de vérité,
de démocratie, de raison et d’universel : une distinction
entre un usage de justification de l’ordre social préexistant
et un usage émancipateur de ces notions. Il ne s’agit
donc pas de rejeter en bloc ces notions au risque de ne plus pouvoir
penser de manière cohérente ou de s’enfermer
dans une critique qui ne permet plus de penser l’alternative.
On peut en effet distinguer d’une part une conception, ayant
un rôle de justification de l’ordre social préexistant,
qui fait apparaître ces notions comme instituées a
priori, et une autre conception qui les fait apparaître comme
constituées, construites historiquement par des pratiques.
D’autre part, on peut distinguer entre une constitution du
contenu de ces notions dans le cadre d’une société
organisée de manière autoritaire et la constitution
de ces notions par le consentement de tous que suppose la théorie
de la vérité pragmatiste.
Moins un énoncé est justifié, c’est
à dire moins il découle du consentement argumenté
de tous, plus il est un objet possible de contestation. En effet,
là où il y a consentement, il n’y a pas contestation
de la part de ceux qui consentent tant que dure le consentement.
Ce dont le pragmatisme permet de faire la critique, c’est
la critique des rationalités, des formes de savoirs-pouvoirs,
qui tout en pouvant d’ailleurs sembler en apparence s’appuyer
sur la méthode scientifique ou se présenter comme
des régimes démocratiques, sont en fait le produit
de la méthode autoritaire et non du consentement issu de
la discussion argumentée de tous. Ce que le pragmatisme permet
de remettre en cause, ce sont les relations de pouvoir qui découlent
en réalité, non d’une discussion argumentée
et d’un consentement, mais de la méthode d’autorité
c’est à dire d’un pouvoir qui découle
d’une place sociale et non d’une compétence .
Mais c’est la capacité à ne pas être réfuté
ou une capacité à pouvoir faire quelque chose que
les autres ne savent pas faire qui détermine la compétence;
sachant qu’en matière politique, contrairement à
la science, le primat de l’éthique fait que personne
ne peut prétendre être compétent à la
place de quelqu’un d’autre pour juger de son épanouissement
personnel. Cela ne signifie pas que la démocratie, qui exige
la participation directe de tous, soit une démocratie de
l’incompétence. Au contraire, comme le montre l’affirmation
du primat de la pratique, ce n’est qu’en participant
que l’on peut acquérir un savoir politique, par conséquent,
c’est la démocratie représentative elle-même
qui entretient une forme d’incompétence politique.
Dans les faits, il est difficile de distinguer absolument la méthode
autoritaire et la méthode pragmatique (ou démocratique),
il y a une continuité : les régimes autoritaires,
organisés de haut en bas, essaient de donner l’impression
qu’ils s’appuient sur le débat argumenter, même
dans une société organisée de bas en haut,
selon la méthode pragmatiste ou démocratique, il est
certainement impossible qu’un débat argumenté
soit totalement exempte de rapports de violence. Il n’y a
pas de société parfaite, excluant tout rapport de
violence, de conflit, mais cela signifie a contrario qu’il
n’y a aucune société qui puisse se considérer
à l’abri de toute critique. Les justifications que
se sent contraint de donner tout pouvoir de sa force, repose justement
sur la puissance que constitue le consentement. Mais il faut remarquer
qu’il faut distinguer par exemple entre le consentement obtenu
par la propagande et celui obtenu par la discussion argumentée.
S’il existe une ambivalence de termes comme démocratie,
universel, consensus, cela provient de ce qu’ils renvoient
à des aspirations fondamentales de l’existence sociale.
Mais du fait de la fonction même de ces termes, les autorités
les revendiquent pour justifier leur autorité.
c- Les dualismes sociaux
d-
Mais cette opposition entre méthode autoritaire et méthode
pragmatique, qui permet de distinguer entre un pouvoir social et
un pouvoir qui est issu du consentement argumenté de tous,
est induite par une structuration sociale.
La technique est un phénomène naturel qui existe
aussi bien chez l’homme que chez l’animal. Mais le développement
pris par la technique dans l’espèce humaine est ce
qui amène à introduire un dualisme entre l’homme
et la nature, l’homme et les autres animaux. C’est en
ce sens que Bergson explique dans L’évolution créatrice
que l’homme pourrait être qualifié d’homo
faber.
Or la technique est ambivalente, comme l’a très bien
vu Habermas, dans La science et la technique comme idéologie,
: d’un côté elle est ce qui permet à l’homme
de s’affranchir des contraintes naturelles, elle a un rôle
émancipateur ; mais d’un autre côté la
technique est ce qui a rendu possible la mise en place des inégalités
sociales : le dualisme homme/femme s’établit sur la
division sociale entre chasseur et cueilleur, la distinction travailleur/oisif
dérive de l’existence d’une caste guerrière-
rendue possible par l’invention des techniques métallurgiques-
qui établie sa domination sur les agriculteurs.
Dewey montre dans Reconstruction en Philosophie que la méthode
autoritaire tire son origine d’une organisation sociale où
des individus ont un pouvoir institutionnel sur d’autres,
d’une société hiérarchisée. Dans
ces sociétés, ce sont les prêtres, les chefs
institués par la tradition qui la perpétuent. Cette
division politique et intellectuelle se double d’une division
économique : ceux qui détiennent les places de prestige
sont ceux qui ne travaillent pas. Par conséquent, cette division
entre une philosophie idéaliste qui reproduit dans sa philosophie
les dualismes sociaux ( ex : un esprit séparé et supérieur
au corps car les intellectuels aristocrates sont supérieurs
aux travailleurs manuels) et pensée pragmatiste renvoie à
une structure sociale où un des éléments de
ces dualités sociales est dominé par rapport à
l’autre c’est à dire qu’il subit son autorité.
Pour des raisons liées au développement des techniques
et par conséquent à l’adoption par la science
de méthodes issue de l’empirisme technique, à
la Renaissance, la méthode pragmatique d’abord en science
, puis par la suite en politique connaît un essor.
Mais il faut bien comprendre qu’un développement complet
de la méthode pragmatiste, comme le montre Dewey, dans Démocratie
et Education, présuppose l’abolition des classes sociales
et de tous les dualismes sociaux : gouvernant/gouverné, exploiteur/exploité,
oisif/travailleur, intellectuel/manuel, nature/culture, homme/femme
….Il ne s’agit donc pas de limiter la critique sociale
aux inégalités sociales qui sous tendent les divisions
de classe, mais à tous les dualismes sociaux. Les luttes
sociales ne se limitent donc pas dans cette théorie à
la lutte des classes, mais incluent les luttes anti-sexistes, les
luttes écologistes… Tant que ces dualismes sociaux
se maintiennent, il ne peut y avoir de méthode pragmatique
étendue à toute la société et donc de
véritable décision démocratique puisque des
effets sociaux de pouvoir invalident le débat démocratique.
La théorie de l’enquête s’applique au
domaine social. Or il faut bien concevoir que pour un pragmatiste
tout énoncé intègre toujours des valeurs, il
est toujours en un certain sens idéologique, il est toujours
une justification. Parce que le phénomène d’évaluation
est un phénomène idiosyncrasique à l’origine,
il est toujours relatif à une perspective individuelle, c’est
pourquoi la démocratie pragmatique n’est pas une démocratie
de la majorité, mais une démocratie du consensus .
C’est pourquoi la démocratie pragmatiste, telle que
la pense Dewey, est du côté de l’expérimentation
des formes de démocratie radicale remettant en cause les
dualismes sociaux contre les formes de démocratie qui sont
en réalité soit des oligarchies ( autorité
d’une minorité sur la majorité), soit autorité
de la majorité sur la minorité. Cette expérimentation
politique par les publics sont ce qui leur permet d’acquérir
un savoir, donc d’acquérir du pouvoir c’est à
dire une plus grande puissance d’agir.
Cette conception de la démocratie comme majorité
opposée à une démocratie du consensus , on
la retrouve aussi chez Proudhon à travers la notion de Raison
Publique (ou collective). « Tout vote implique un débat
contradictoire […] La vraie méthode consiste […]
2° A chercher l’idée supérieure, synthèse
ou formule, dans laquelle les deux propositions contraires se balancent,
et trouvent leur satisfaction, puis à faire voter sur cette
synthèse, qui, exprimant le rapport des opinions contraire,
sera naturellement plus près de la vérité »
. Proudhon a critiqué à de nombreuses reprise la démocratie
comme tyrannie de la majorité. Or les réflexions de
Proudhon sur ce qu’il appelle la raison publique rejoignent
celles d’auteur contemporain comme Serge Moscovici dans Dissensions
et Consensus : le consensus loin d’éliminer le conflit
le suppose car le consensus se distingue du vote arithmétique
et du compromis au rabais, il est un dépassement des opinions
individuelles par le débat. Un vrai consensus est une synthèse.
Par conséquent, ce qui fait que la démocratie électorale
ou le sondage sont critiquables, c’est qu’ils reposent
sur la simple addition des opinions et non sur la formation d’une
véritable opinion collective ou publique par le débat
argumenté.
c-Une théorie de l’espace public
Revendiquer la remise en cause des dualismes sociaux, c’est
donc exiger une véritable démocratie et exiger une
véritable démocratie suppose de remettre en cause
les dualismes sociaux. La démocratie n’est donc pas
seulement une forme de régime, mais c’est aussi une
certaine forme d’organisation sociale. Il n’y a donc
pas de séparation entre le politique et le social, mais une
continuité. Face à un problème, il se forme
ce que J.Dewey, dans Le public et ses problèmes, appelle
un public. Un public est un groupe d’individus qui agissent
en portant un problème dans l’espace public. Le public
chez Dewey n’est pas seulement produit, mais il est actif,
il est un vecteur de transformation social. En outre, les publics
sont multiples et ne peuvent être rendus par l’opposition
simpliste entre bourgeois et prolétaire : ils incluent les
luttes de classes qui oppose une classe à une autre, les
luttes écologistes dans lesquels les intérêts
de tous sont menacés, les luttes anti-sexistes ( luttes des
femmes ou des homosexuels par exemples) où des individus
appartenant à des classes différentes peuvent avoir
des intérêts communs. Un même individu peut appartenir
à plusieurs public.
Afin de résoudre le problème auxquels ils sont confrontés,
les publics expérimentent. Cette expérimentation n’est
pas seulement politique, mais aussi sociale. Dans sa dimension politique,
il s’agit de remettre en cause le principe d’autorité
dans les décisions et d’expérimenter une prise
de décision par tous. Dans sa dimension sociale, il s’agit
de redéfinir les limites entre le public et le privé
: service public, collectivisation, possession privée, protection
de la vie privée…La propriété n’est
pas la conséquence de lois naturelles, elle est un phénomène
social. Mais il ne s’agit pas d’appliquer telle ou telle
idéologie collectiviste ou communiste comme un dogme, mais
de l’expérimenter. C’est ainsi que les collectivisations
durant les années trente en Espagne ont maintenu la petite
propriété, plutôt que d’exterminer comme
les bolcheviques les petits propriétaires terriens. Mais
ces tentatives de réorganisation selon la méthode
démocratique de la société sont certes limitées
par l’organisation autoritaire de la société.
En effet, si ceux qui occupent les positions inférieures
dans l’organisation sociale cherchent à remettre en
cause son organisation, ceux qui occupent les places supérieures
cherchent à la maintenir. S’il est impossible que des
moyens autoritaires mènent à une société
démocratique, néanmoins il est fort probable que la
répression d’une expérimentation démocratique
suscite une réaction violente .
d- L’action révolutionnaire
e-
La remise en cause des classes sociales n’est pas liée
à une philosophie de l’histoire, en particulier une
philosophie de l’histoire qui considère que «
l’histoire avance (inéluctablement) par le mauvais
coté » c’est à dire par la violence, mais
à ce que l’absence de consensus rationnel et les conditions
matérielles créent la possibilité aléatoire
d’une contestation démocratique. Par conséquent,
si les méthodes sont en partie liées aux circonstances,
il n’en reste pas moins que tant que les méthodes de
transformations utilisées sont autoritaires, il ne peut y
avoir mise en place d’une société non-autoritaire.
En effet, la thèse qui soutient l’hétérogénéité
des fins et des moyens commet une erreur par rapport à la
relation continue qu’entretiennent les moyens et les fins,
les moyens produisent leurs propres fins. Cela implique donc que
tout ordre social est toujours contestable au nom d’une plus
grande demande de démocratie, mais que cette revendication
plus grande de démocratie ne peut parvenir à ses fins
que par des méthodes non-autoritaires. Ce refus d’utiliser
des moyens autoritaires pour arriver à ses fins est ce qui
distinguent les anarchistes des marxistes.
La conception de la révolution telle qu’elle s’est
imposée sous l’influence de Marx est tributaire d’une
philosophie de l’histoire selon laquelle le moteur du changement
social est la lutte des classes, la révolution étant
un processus violent de destruction de l’ordre social préexistant.
Dewey reconnaît l’existence de la lutte des classes,
mais il répond à Trotski à propos de Leur morale
et la notre que cela ne signifie pas quelle soit forcément
le moteur de l’histoire. En outre, il ne faut pas oublier
que la révolution telle que la conçoit Marx et Lénine
consiste à s’emparer de l’appareil d’Etat
qui est l’instrument de la classe dominante et qui doit donc
devenir l’instrument du prolétariat. Or Proudhon et
Kropotkine ont chacun à leur manière fait une critique
de la théorie de la révolution de Marx. Tous les deux
ont montré qu’il ne s’agissait pas d’éliminer
physiquement une classe sociale, mais de remettre en cause un système
social.
Or cette remise en cause des dualités sociales et de l’organisation
autoritaire de la société passe d’une part par
des luttes et d’autre part la mise en place d’alternative.
Les luttes, que mènent ceux qui sont dominés dans
le système social, supposent une organisation non-autoritaire
(démocratie radicale) et des méthodes non-autoritaires
mais pas forcément légale ( cela peut être la
désobéissance civique). En effet, une réelle
remise en cause de l’ordre social ne peut consister à
remplacer une forme d’autorité par une autre et implique
donc la rupture radicale avec les méthodes autoritaires.
C’est là ce qui distingue les mouvements démocratiques,
et l’anarchisme en particulier, des autres mouvements de contestation
de l’ordre établis (par exemples fascistes), et qui
les rendent légitimes (dans la mesure où dans la conception
pragmatiste, contrairement à l’amoralisme scientiste
marxiste et en accord avec le souci éthique de l’anarchisme,
les règles qui sont valables pour le domaine cognitif, sont
aussi valable pour le domaine éthique puisqu’il n’y
a pas de dichotomie stricte entre fait et valeur).
Mais, il ne s’agit pas de croire qu’il suffit de se
concentrer sur la lutte contre le système et que la société
nouvelle sortira d’elle-même de la destruction de l’ancienne
société. Il s’agit de sortir quelque peut de
la mystique de la destruction et de la violence rédemptrice
qui hante par certains aspects le mouvement anarchiste alors même
que l’une des particularités du mouvement anarchiste,
par rapport au marxisme-léniniste, est de ne pas avoir forcement
identifié révolution et violence, et d’avoir
su développer au cours de son histoire des pratiques d’action
politique non-violente. La révolution présuppose l’expérimentation
d’alternatives à la société capitaliste
et à l’Etat. Chaque époque génère
ses modes de résistance et ses alternatives, et il n’est
jamais possible de savoir a priori qu’elles vont être
leur extension. Il ne s’agit pas d’attendre que la Révolution
ait eu lieu pour vivre en anarchiste car il ne peut y avoir de véritable
révolution, c’est à dire de remise en cause
des structures fondamentales de la société, que par
l’expérimentation de structures alternatives sur le
long terme. D’un coté, il existe des groupes d’individus
qui désirent conserver leur position de domination et d’un
autre côté il faudra bien faire une société
aussi avec eux, à moins d’envisager de tous les exterminer,
eux et leur soutien. Il s’agit donc avant tout de bâtir
une société non-autoritaire en se réappropriant
collectivement et en auto-gérant nous même les outils
de production et les services, de l’étendre et de la
défendre.
Si on résume ce que peut être l’apport du pragmatisme
en matière de philosophie politique anarchiste : il permet
d’élaborer une critique des dualismes sociaux, qui
ne se limite pas à la lutte des classes, et une théorie
critique de l’autorité.
Il nous permet d’élaborer ce que peut être une
action politique sans philosophie de l’histoire. Tant qu’il
n’y a pas un consensus reposant sur le débat argumenté
de tous, il risque toujours d’y avoir des résistances.
Mais la mise en place d’une société radicalement
démocratique ne peut avoir lieu que par des méthodes
non-autoritaires. Ces méthodes consistent en la mise en place
d’expérimentation par des publics remettant en cause
: la ligne de partage entre privé et public, les dualismes
sociaux orientés selon un rapport de domination, le principe
autoritaire d’organisation. Ces méthodes ne pouvant
être qu’en rupture radicale avec la méthode autoritaire,
elle le sont par conséquent aussi avec l’Etat : il
ne s’agit pas forcement de se concentrer sur la destruction
réactive de l’Etat, mais d’agir en rupture avec
lui. Or c’est cette capacité aussi bien dans la lutte
que dans la mise en place d’alternative qui fait la spécificité
de la méthode d’action anarchiste. L’expérimentation
collective, incluant le débat argumenté de tous, est
la méthode de transformation sociale qui correspond à
la méthode non-autoritaire. Mais la participation, pour qu’elle
soit au maximum débarrassée de ses rapports de violence,
présuppose la remise en cause des dualismes sociaux entre
les participants à l’expérimentation. D’un
coté ne peut pas être admis quelqu’un qui a plus
de pouvoir social que les autres, mais d’un autre côté
nul ne peut être contraint à participer à l’expérimentation.
Néanmoins, toute tentative extérieure de s’opposer
à la mise en place d’une expérimentation démocratique
radicale conduit légitiment, comme l’affirme Dewey
à propos de la guerre d’Espagne, à une défense
et une lutte contre les tenants de l’autorité qui s’y
oppose.
L’intérêt du pragmatisme, nous semble-t-il,
est de constituer à partir d’une conception de la vérité,
qui remet en cause le dualisme entre théorie et pratique,
une critique et une alternative aux sociétés autoritaires
en proposant une théorie de l’action politique qui
découle de cette théorie de la vérité.
Si la vérité est le produit d’un consensus rationnel
et si tout énoncé de fait inclut des énoncés
de valeur, alors il ne peut y avoir d’action politique juste
que non-autoritaire. Mais comment est alors déterminer la
justice sociale sans faire appel à une transcendance ? Plus
une organisation sociale est le produit d’une expérimentation
collective incluant le débat argumenté du plus grand
nombre, plus elle est justifiée à la fois au sens
cognitif et de rendre juste ( dans la mesure où la dimension
factuelle et évaluative n’est jamais séparée
dans la pragmatisme). Le refus commun au pragmatisme et à
l’anarchisme de l’hétéronomie de l’autorité
souligne l’affirmation d’une revendication commune d’autonomie
tant individuelle que sociale.
Irène Pereira
Bibliographie :
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1869), Edition numérisée sur le site Bibliolib, http://bibliolib.free.fr/article.php3?id_article=7
Bakounine M., Dieu et l’Etat, Ed. Mille et une nuits, 2000
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Dewey J., Œuvres philosophiques. I Reconstruction en philosophie,
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Publication de l’université de Pau : L.Farrago.Scheer,
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