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Origine : http://critique.ovh.org/0404/article04.html
Résumé:
Penser le projet de développement local, c'est dès
lors envisager la rencontre entre les projets individuels et le
projet des institutions. Car le projet est une dialectique sans
cesse recréée entre Organisation (fermé, épuré)
et Institution (praxis). Il est marqué par des temporalités
différentes, toujours à prendre en compte. A l'espace
homogène des plans d'aménagement s'opposent les espaces
pluriels des pays et des territoires. Ainsi, construire une initiative
de développement local et l'évaluer, c'est mettre
en pratique, et la sociologie en est ici l'agent, un processus d'éducation
(au sens d' e ducere: faire sortir) collective à la complexité,
en travaillant à la fois les niveaux de sens, les fonctions
sociales, le fonds culturel, la communication, l'interaction, l'ambivalence.
Dans ce processus, le sociologue conquiert, en même temps
qu'il s'autorise à le faire, le droit à évoquer
la parole sociale, non pour la convoquer ni la révoquer mais
pour en faire une instance toujours placée en contrepoint
de l'action.
Le développement local entre conformité et
ouverture.
Entre conformité (celle-là même qui lui serait
conférée par son statut universitaire, le plus souvent
sans examen de sa réelle compétence à traiter
le sujet imposé[1]) et ouverture (celle qui advient dans
le jeu des interactions et des conflits suscités par l'objet
de la recherche, le sociologue inter vient, est impliqué
souvent plus qu'il ne s'implique, met en évidence et donc
en oeuvre des stratégies de recherche et d'action lesquelles
se transforment pour les premières en praxis et pour les
secondes en pratiques, celles ci alimentant sans cesse celles-là.
Nous sommes bien loin, dans les travaux du développement
local, de procédures de distanciation qui n'ont souvent pour
effet que de tendre sans jamais d'ailleurs y réussir, à
réifier une réalité perçue comme mouvante,
interactive, dynamique, elle-même productrice de résistances
des publics concernés, si ce n'est génératrice
de conflits lorsque le refoulé social fait irruption sous
les effets conjugués de l'analyse et de l'intervention.
En termes d'outils liés à l'intervention sociologique,
ceci nous amène à reconsidérer la fonction
de l'Evaluation[2] critique, première démarche incontournable
des pratiques de la recherche en Sciences anthroposociales appliquées
à notre objet, le développement local, car c'est souvent
en ces termes que nous est passée la première commande
de terrain[3]. S'il appartient à chacun de tenter de "s'autoriser
à devenir soi-même son propre auteur" (Ardoino,
1977), la mission de l'Evaluation comme processus (à distinguer
du contrôle social qui n'est certes l'affaire ni de l'intervenant
social ni du sociologue mais doit être légitimement
réservée à l'Administrateur du ou des territoire(s)
sera de favoriser le développement personnel, politique et
social, de telle manière que chacun assume le plein exercice
de ses droits compte tenu du respect des obligations que la solidarité
sociale lui impose.
Il s'agira, en somme, et les champs d'application en sont multiples
(bilan, conseil, éducation, recherche, animation, formation
d'adultes, développement économique, social, culturel,
touristique...) quand on s'exerce à relire le sens des politiques,
des travaux, des programmes, d'accéder à la reconnaissance
des liens sociaux interindividuels, de l'interdépendance,
en même temps qu'à la faculté d'autorisation
par l'éveil de la conscience critique et celle de la maturation
psychologique et relationnelle des individus, dans leur appropriation
des mécanismes de décision économiques et politiques,
leur réelle insertion sociale comme leur intégration
culturelle.
Nous pouvons rapporter cela:
* à une réflexion sur la Culture à la fois
permise aux individus par des comportements adaptatifs d'une variété
infinie et qui introduit une nouvelle dimension dans la réalité
sociale lorsque nous découvrons "au creux des apparences"
(Maffesoli, 1990), des schèmes opératifs et structurels,
* aux méthodologies de l'analyse institutionnelle en travaillant
à l'autre niveau inconscient, celui du social, quand les
individus ont fait le projet de se diriger eux-mêmes et deviennent
autonomes parce qu'ils sont amenés à mettre en cause
la Société totale. C'est la fonction critique de la
sociologie que de permettre, dans sa production de connaissances,
une telle abréaction.
Au service de cette finalité, il s'agit en particulier de
mettre en place des dispositifs facilitant un travail à partir
des données de l'Imaginaire. Le recueil et la mise à
jour de ces productions par le moyen des méthodes biographiques,
des journaux institutionnels, voire la "transanalyse"
(Lapassade, 1970) témoignent du sens que peuvent prendre,
à les rapprocher et à les confronter, des récits
de vie qui se trouvent parler de choses vécues au niveau
le plus archaïque. C'est en ce sens que Jacques Ardoino, notamment
comme Gilbert Durand et Michel Maffesoli, réclame des chercheurs
en sciences humaines et sociales une culture du doute, une "méthodologie
de la suspicion" (soit sus picere: regarder en dessous) une
capacité à saisir ce qui n'est pas donné immédiatement.
Pour faciliter ce travail, un certain nombre de procédures
doivent être employées qui sont autant de moyens, pour
nous incontournables, d'extériorisation des productions de
l'Imaginaire:
* observation participante,
* recherche action,
* sociodrames et techniques sociométriques,
* méthode de cas, récits de vie,
* journaux institutionnels,
* conduites de réunions in situ avec les acteurs concernés,
* exploration de la littérature grise, de la presse locale
sur la longue durée,
* inventaire des finalités exprimées par les groupes
sociaux en recherche active présents sur le terrain au travers
de leur production écrite, parlée, vidéo, filmée,
chantée, voire dansée... de leur expression spontanée
ou provoquée.
Il s'agit donc, à travers des objets intermédiaires
de permettre aux chercheurs de trouver une expression symbolique,
d'interagir avec la société étudiée.
Les groupes sociaux constituent de fait pour tous une sorte de "sas
Imaginaire-Réel" (René Barbier[4]).
Ceci passe, bien évidemment par un recueil systématique
des données produites et leur analyse avant interprétation,
les deux phases devant être systématiquement séparées.
Au service d'une telle ambition, nous préconisons à
nos étudiants, chercheurs et/ou praticiens en recherche,
de recourir à la mise en oeuvre de méthodologies prenant
en compte la totalité des savoirs et vécus sociaux,
soit de reproduire méthodologiquement pour les saisir théoriquement
(c'est la condition contingente à une production réelle
de ce type) les données inhérentes au trajet anthropologique,
concept de méthode développé par Gilbert Durand.
Nous faisons ainsi appel, par construction, à des regards
croisés[5]:
a) côté synchronique:
* l'ethnométhodologie, ou repérage des contextes
de l'indexicalité des groupes sur lesquels porte la recherche
et/ou l'action de développement,
* la culturanalyse d'Edgar Morin, méthode de traitement
de la complexité,
b) côté diachronique:
* l'histoire, la mythologie et l'ethnographie locales,
* l'analyse symbolique, ou anthropologie de l'Imaginaire,
* l'analyse institutionnelle ou socianalyse.
Ce qui permet de prendre en compte, nous l'expérimentons
depuis 26 ans, tous les niveaux de complexité sociale et
culturelle des pratiques du développement local.
Ces regards sont ainsi, nécessairement, confrontés
à l'analyse de l'implication des acteurs eux-mêmes
et notamment de celle du sociologue.
Si nous nous en tenions à une visée praxéologique
(nécessaire mais non suffisante), l'évaluation prendrait
nécessairement les formes du contrôle, elle se développerait
alors dans l'orbe du schéma fins/moyens, par application
de préceptes et de moyens qui leur seraient subordonnés
en partant d'un point de vue extérieur et général,
vérification des procédures et de leur conformité
plus que l'émergence progressive du sens. C'est ce que font
le plus souvent, d'un côté les administrateurs et de
l'autre les producteurs de statistiques sociales ou économiques.
Dans notre champ, à l'inverse, l'activité humaine
doit être reconnue comme la résultante de processus
au croisement des impératifs bio-psychiques et des intimations
du milieu naturel et socioculturel. Elle doit donc être prise
en compte dans la complexité de ce qui constitue, dans une
perspective dynamique, le trajet anthropologique, et dans une perspective
dialectique, la praxis.
Le dépassement de cette opposition théorique pour
nous seulement apparente réside sans doute dans les capacités
de mise en tension d'impératifs complémentaires obéissant
aux lois de la raison et à celles de l'Imaginaire. Elle réalise,
de fait, dans des proportions jamais définitives, l'ambition
toujours située dans l'inachèvement de la nécessaire
gestion des contradictoires, de la tension des opposés. Car,
le terrain nous l'apprend souvent à nos dépens, les
processus du développement local relèvent et d'une
lecture explicative et dans le même temps (principe de non
séparabilité), d'une herméneutique sociale.
Ainsi, côté praxis humaniste, les praticiens de l'empowerment,
tendent à vérifier si les méthodologies mises
en oeuvre sont pertinentes dans leur effort à soutenir les
personnes et groupes concernés (disempowered) dans leur démarche
pour acquérir le pouvoir, soit avec le milieu et non pas
pour lui. Les procédures dans leur linéarité
y sont parfaitement établies, presque chronométrées,
et leur implication dans l'action collective testée du point
de vue de la participation à divers niveaux dans les initiatives
de développement. Celles-ci sont référées
alors à la capacité des individus à acquérir
attitudes et techniques bénéficiant à tous
et en retour à eux-mêmes.
Dans cette optique, très pratiquée en Amérique
du Nord, le radicalisme philosophique n'est pas loin qui visait
à la satisfaction maximale des besoins individuels pour faire
société par un processus accumulatif. C'est ce qu'on
a appelé la doctrine utilitariste.
On évalue ici la capacité des personnes à
passer d'intérêts personnels à un contrôle
des ressources collectives et l'approche basée sur l'empowerment
consiste à soutenir et stimuler leur progression pour qu'elles
puissent exercer leurs droits et prendre leurs responsabilités.
Cela doit être un but explicite identifié pour chaque
projet de développement local: dépasser l'autonomie
individuelle pour aller vers la solidarité.
Dans une visée radicalement différente, Castoriadis
posait la nécessité de "requérir de nouvelles
créations imaginaires, soit des créations mettant
au coeur de la vie humaine des significations autres que l'expansion
de la production et de la consommation, qui poserait des objectifs
de vie différents[6]".
Le développement local dont l'initiative survient dans des
processus de crise (coupure au sens de Morin[7]) ne peut qu'être
le temps d'émergence de ce type de réflexion collective.
Jacques Ardoino[8] insiste pour sa part sur la capacité
que nous avons d'articuler, dans les dispositifs de recherche et
d'intervention, le contrôle et l'évaluation proprement
dits.
Au premier chef, l'analyse des situations comme indicateurs déterminés
par des critères (on le voit dans la procédure de
l'empowerment) retenus et supposant des paradigmes (ici celui de
la participation), d'où découlent les procédures.
Ces analyses souvent réduites à des schèmes
utilitaires de fonctionnement, partent du point de vue prédominant
des sujets. Elles postulent leur incontournable capacité
à mettre en oeuvre une rationalité agissante dans
un système moyens/fins orienté vers l'expansion. Les
références spatiales qui les dominent semblent en
témoigner lorsqu'elles pensent le développement local
en termes d'explication par un processus abstrait de démonstrations
logiquement effectuées à partir de données
objectives en vertu de nécessités causales matérielles
ou formelles basées sur une adéquation à des
structures ou modèles. Elles renvoient à une définition
très ethnocentrique du développement comme déroulement
de concepts à partir d'un donné techno-scientifique
préexistant. C'est celle qui a prévalu à la
période de la décolonisation vis à vis des
peuples dits sous-développés, réflexion qui
s'est surtout construite à partir d'une expérience
limitée, celle des pays occidentaux, et d'un type de société,
la société industrielle.
Curieusement elle semble dominer les discours et intimations de
nombre de responsables du développement local.
Sans nier la pertinence de ces analyses et leur utilité
opératoire, nous remarquerons simplement que la définition
même du développement y est d'emblée convoquée
dans une dimension spatiale et semble donner la primauté
à l'instance organisationnelle, ce qui est d'ailleurs induit
par la définition même du concept, la notion de projet
venant en quelque sorte en surdéterminer la visée.
Dans un second temps, indissociable du premier et à conduire
en parallèle, il nous faut considérer les visions
du monde sous jacentes à la base des démarches du
développement local, quand elles contribuent à affiner
et élaborer les critères de la première procédure.
Pour nous, et, c'est au moins aussi important, la notion de développement
ne peut en effet être entièrement réduite à
son préfixe de, et l'idée de sviluppo italienne, -
qui en rend bien compte et signifie aussi enrouler, enchevêtrer,-
fait référence de fait à la pensée complexe,
à l'implication, aux impératifs de l'intervention
prise entre diverses données contradictoires, au caractère
aléatoire de leur survenue quand s'y trouvent englués
les acteurs du développement. Leur reconnaissance est sans
doute la propédeutique indispensable à toute politique
du développement, et particulièrement local puisque
le local est justement le lieu de l'émergence et de l'expression
du particulier. Il est siège de toutes les ambiguïtés,
de toutes les contradictions, lieu de rencontre de l'imprécis,
du provisoire, de l'irréductible. Par principe sociologique,
si les populations que nous observons pour travailler avec elles
depuis plus de vingt cinq ans sur des questions de développement
local et culturel, semblent s'installer dans des attitudes loin
de s'inscrire dans la dynamique du progrès, c'est sans doute
parce qu'elles répugnent à se sentir liées
à ces schèmes héroïco-mécanistes
aujourd'hui marque de la plupart des projets de développement
ordonnés à une certaine idéologie du projet.
Celle-ci, en effet, n'a souvent pour résultat que de placer
les acteurs dans des situations de double contrainte (double bind
au sens de Palo Alto): le "développez-vous" comme
injonction paradoxale.
Contre le conformisme généralisé, les politiques
ne sont pas des créations de la raison instrumentale, mais
de l'imaginaire social dans leurs significations à découvrir
avec des outils appropriés. Elles se partagent en effet entre
deux types de patrons modèles:
* ceux qui relèvent de l'instituant, lequel secrète
de nouvelles lois, de nouvelles institutions,
* ceux qui relèvent de l'institué, lorsqu'il est
figé en lois, règlements administratifs, institutions
établies.
Ceci ne pouvait, pour Castoriadis, s'établir qu'au prix
d'un programme dont feraient bien de s'inspirer nos modernes "développeurs"
(on voit comment ce terme à la mode dans les cabinets d'audits
et les ministères révèle un parti pris d'imposition
implicite).
L'initiative de développement local ne peut s'établir
que "dans la réappropriation du pouvoir par la collectivité,
l'abolition de la bureaucratie, la décentralisation la plus
extrême des décisions, la souveraineté des consommateurs,
l'autogouvernement des producteurs[9]".
Penser le projet de développement local, c'est donc envisager
la rencontre entre les projets individuels et le projet des institutions,
entre le libidinal et le projet de société (au sens
de PRO - JET social), il mobilise le relationnel comme visée
(PRO - JET idéologique) et le groupal/communautaire comme
finalité (PRO - JET idéal et idéel).
Car le projet ne peut que résulter que d'une dialectique
sans cesse recréée entre Organisation (fermé,
épuré) et Institution (praxis). Il est marqué
par des temporalités différentes, toujours à
prendre en compte. Au Temps irréversible (Temps unifié)
s'oppose le Temps biologique (Temps diversifié) aux Modèles
mécanistes, les Modèles biologiques. A l'espace homogène
des plans d'aménagement s'opposent les espaces pluriels des
pays et des territoires.
Ainsi construire une initiative de développement local et
l'évaluer, c'est mettre en pratique, et la sociologie en
est ici l'agent, un processus d'éducation (au sens d'e ducere:
faire sortir de) collective à la complexité, en travaillant
à la fois les niveaux de sens, les fonctions sociales, le
fonds culturel, la communication, l'interaction, l'ambivalence.
Dans ce processus le sociologue conquiert, en même temps
qu'il s'autorise à le faire, le droit à évoquer
la parole sociale, non pour la convoquer ni la révoquer mais
pour en faire une instance toujours placée en contrepoint
de l'action.
Penser l'interaction théorie/pratique.
L'interaction était, rappelons-le, pour G H Mead[10], un
nouveau paradigme: tout système social, écrivait-il,
n'existe que parce qu'il entretient des interactions avec d'autres
systèmes lesquels s'interpénètrent dans un
système. Connaître une société, c'est
ainsi connaître ses systèmes d'interactions incluant
une durée qui peut les modifier. Il définissait donc
le milieu social comme l'ensemble de tous les objets tel qu'une
modification de leurs attributs affecte tout le système ainsi
que les objets dont les attributs sont modifiés par le comportement
du système, systèmes et sous-systèmes échangeant
par relations verticales et horizontales. D'où l'usage heuristique
de procédures croisées diachroniques et synchroniques.
Composant avec ces deux logiques, le projet de développement
local se situe à leur croisement. Il doit composer, négocier,
s'adapter car dans un système social, les conséquences
ne sont pas tant déterminées par les conditions initiales
que par la nature du processus. C'est la structure qui est déterminante.
Les paramètres du système l'emportent sur les conditions
initiales.
Constituer un système en développement, c'est réaliser
l'intégration de ses membres pour parvenir à une meilleure
adaptation à l'environnement, c'est favoriser l'adaptation
par les acteurs car ils connaissent eux seuls les variations auxquelles
ils sont confrontés. C'est encore révéler le
contexte comme signifiant.
Il en va de même des projets de développement, chaque
groupe social jouant sa propre stratégie, son propre jeu,
pour développer son influence, son territoire. La stratégie
du développement consiste, là où l'organigramme
du modèle exogène prévoit des rapports techniques,
à instaurer des relations, des possibilités des choix
pour les partenaires engagés, et surtout à reconnaître
relations de pouvoir et modèles sous-jacents.
Cette réflexion ne peut faire l'économie du concept
d'institution, lequel désigne "un dispositif de transformation
interne ou produit de la société instituante"
(Georges Lapassade[11]). L'Institution est à la fois:
un système de règles, une chose,
un fait social,
un objet imaginaire, un système de défense contre
l'angoisse.
L'institution traverse tous les niveaux d'une formation sociale
déterminée, elle est un carrefour des instances économiques,
politiques, idéologiques qui fondent la structure sociale.
Elle manifeste l'inconscient politique. Nous sommes ignorants de
nos propres institutions, et l'Etat (au sens large, y compris les
communautés européennes) est le lieu de tous les refoulements.
Reconnaître cette instance, c'est, on en conviendra, mettre
au jour les pratiques du développement local dans leur dimension
cachée.
En effet, pour qu'un système se maintienne, l'illusion,
la méconnaissance institutionnelle sont nécessaires.
La théorie institutionnelle étudie donc la lutte incessante
partout présente dans les champs du développement
local entre normes instituées et imaginaire social créateur,
les systèmes concernés utilisant en effet l'outil
développement local pour pourvoir à leur transformation
(ex reconversion d'un bassin de mono production).
L'analyse de l'Institution du développement local est donc
celle de la réalité, de la base cachée du système,
d'une nouvelle division entre les hommes. Entre imposition, fait
de l'institué social, et proposition, elle cherche une voie
de mise en tension des opposés articulée sur les catégories
du sensible, du vivant, du quotidien, elle est facteur de mobilisation.
Le projet de développement local doit à notre sens
se penser dans ces termes là et ne peut pas faire l'économie
de l'implication du praticien chercheur en recherche-action (voir
en annexe notre entretien avec Orazio Maria Valastro).
Il doit se vivre et s'instruire paradoxalement et contradictoirement
dans le situationnel, l'historique et le territorial sans se masquer
les grands impératifs économiques.
C'est à cette seule condition que l'initiative de développement
local peut entrer en existence, hors de tout dessein préformé
qui consacrerait sa ruine à peine ébauché.
Dans le domaine du développement local, la recherche-action
peut avoir deux effets:
* tendre à apporter une contribution aux préoccupations
pratiques de personnes se trouvant en situation problématique
(que devient le développement local? comment faire pour qu'il
survive en tant que pratique socioculturelle et en tant que mode
d'interrogation?). C'est la phase de reconnaissance des oppositions,
des conflits, des particularités qui sont repérées
sur le terrain par les agents,
* participer à poser une réflexion sociale par une
collaboration qui les relie selon un schéma éthique
mutuellement acceptable et accepté par tous les partenaires,
c'est la phase de synthèse, où les consensus, questionnés
par les agents particuliers, débouchent sur la négociation,
la contractualisation, l'affirmation des singularités de
ce qui fera le propre et l'originalité de l'initiative de
développement local.
A cet endroit, les reconnaissances mythiques ne sont certes pas
négligeables, fournissant aux uns et aux autres une base
de travail commun, c'est le partage du savoir que l'on se reconnaît
commun qui libère lorsqu'il est mis directement en rapport
avec le champ social, c'est la recherche et la découverte
d'instances fondatrices, de mythes communautaires qui refondent
le lien social.
Entre le multiple des projets individuels, toujours à reconnaître
comme force de propositions, et l'univocité des déterminants
externes imposant une logique identitaire, le sociologue est alors
dans sa pratique d'intervention - dont on aura compris qu'elle est
loin d'être univoque - et dans sa production, facteur incontournable
et toujours nécessaire de mobilisation.
Paraphrasant Emile Durkheim, lequel aux moments fondateur de la
sociologie, appelait notre discipline à se doter d'une culture
spécifique, nous pouvons estimer que la sociologie du développement
local ne gagnera rien à se référer à
des modèles qui seraient étrangers à son champ
et à ses pratiques, lesquelles sont justement celles de l'intervention.
Mode d'investigation d'un donné complexe, et en constantes
mutations, elle ne peut se constituer que dans un parti pris d'herméneutique
sociale et dans une instrumentation nécessairement multiréférentielle
et concrète.
Comme dispositif de production de connaissances, la sociologie
d'intervention, dans sa transversalité, participera ainsi
à la construction et à l'intelligence du social.
Georges Bertin
Notes:
1.- On a vu ainsi dernièrement des astrophysiciens intervenir
avec aplomb dans le champ de la théorie sociologique!
2.- Au sens de mise en évidence de la valeur.
3.- Cf nos travaux d'évaluation pour les Plans d'Aménagement
Ruraux et Chartes intercommunales en Basse Normandie entre 1979
et 1992, éd. Orne Animation.
4.- Barbier René, La recherche action dans l'institution
éducative, Paris, Gauthier Villars, 1977.
5.- Cf Bertin Georges, L'imaginaire dans les pratiques d'animation
socioculturelle, l'exemple de la fête locale, Thèse
de doctorat sous la direction de Jacques Ardoino, Université
de Paris 8, 1989, où nous avons procédé à
une tel traitement systématique de l'information recueillie
au terme d'une dizaine d'années de recherche action dans
le bocage normand (350 entretiens de groupe, 10 ans d'analyse de
la presse). Voire aussi: Bertin Georges (dir) Apparitions, disparitions,
Desclée de Brouwer, 1999.
6.- Castoriadis Cornélius, in le Monde diplomatique, 08 1997.
7.- Morin Edgar, Sociologie Paris, Fayard, 1984.
8.- Ardoino Jacques et Berger Guy, D'une évaluation en miettes
à une évaluation en actes, le cas des universités,
Paris, Matrice Andsha, 1989, p.19sq
9.- Castoriadis Cornélius, Fait et à faire, Le Seuil,
1997.
10.- Mead G. L'esprit, le Soi, la Société, PUF, 1948.
11.- Lapassade Georges, Groupes, organisations, institutions, Paris,
Gauthier Villars, 1970.
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Développement local et intervention sociale (direction),
Desclée de Brouwer,
Druides, les maîtres du temps, (avec Paul Verdier), Dervy
Livres.
Notice:
Bertin, Georges. "Intervention, développement local
et sociologie.",
Esprit critique, vol.04 no.04, Avril 2002, consulté sur
Internet:
http://www.espritcritique.org
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