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L’analyse institutionnelle
Par paris 8 , mardi 21 février 2006à 20:59
Catégorie : Master Sciences de l'Education
Un petit texte, bonne lecture ! l' autogestion pédagogique ?

Origine http://paris8.mabulle.com/index.php/2006/02/21/36497-lanalyse-institutionnelle


L’analyse institutionnelle s’est instituée comme microsociologie en 1965, lorsque Georges Lapassade a publié la première édition de Groupe, organisation, institution . Depuis, G. Lapassade et ses disciples ont toujours pratiqué la microsociologie sous différentes appellations . Cependant, cette pratique de la psychosociologie des groupes et des institutions s’est doublée, assez souvent, chez les institutionnalistes d’une autre forme de recherche. Ainsi, G. Lapassade a pratiqué l’ethnologie exotique des phénomènes de transe, autre forme de la microsociologie. René Lourau, s’inscrivant dans le prolongement des recherches d’Henri Lefebvre sur l’organisation politique et l’Etat , a développé une forme macrosociologique de l’analyse institutionnelle . Gérard Althabe a développé une anthropologie . Remi Hess, une exploration du bal et des formes de socialités autour de la danse sociale . Patrice Ville a mené de front une pratique de l’intervention socianalytique en entreprise, et le développement de l’autogestion pédagogique à l’université. Antoine Savoye développe une approche historique de la sociologie , Lucette Colin pratique la psychanalyse. Christine Delory-Momberger pratique l’histoire de vie . Michel Authier utilise l’informatique pour développer les arbres de connaissance. Gaby Weigand concilie le management et la philosophie, Robert Marty la sémiotique et l’analyse institutionnelle, Gérard Chalut-Natal le travail social et la formation, Cristian Varela la formation et l’intervention, Lucia Osorio la psychologie et les pratiques préventives de santé dans les favella, etc. Il faut insister sur ce fait que l’institutionnaliste n’est jamais seulement un psychosociologue des groupes, des organisations et des institutions, mais parallèlement, et toujours : ou un ethnologue, ou un sociologue, ou un anthropologue, ou un historien, voire un artiste (danse, musique, peinture), un philosophe ou un économiste. Certains ont même l’art de développer une transversalité disciplinaire assez variée. L’analyse institutionnelle se nourrit donc du croisement de la microsociologie avec l’anthropologie, la sociologie, l’histoire, la philosophie, les arts…

Un enseignement essentiel du travail de terrain de l’institutionnaliste, c’est de constater qu’il est impliqué dans son terrain, au point qu’il est un des constructeurs de ce terrain. Comme tout observateur participant, l’institutionnaliste construit le terrain qu’il étudie. Ainsi, le néo-tarentisme italien qu’étudie G. Lapassade, et dont il est l’un des acteurs, est produit par les microsociologues et les artistes qui sont à la fois observateurs et auteurs du phénomène. Autre exemple, avec la Macumba, dans le candomblé de Bahia, les grandes prêtresses mettent sur leurs hôtels des livres d’ethnologie du candomblé. Ainsi, les observateurs ont-ils été les producteurs du candomblé. Pierre Verger en est un exemple. Il est ethnologue, et en même temps païdesantos. De même Nina Rodriguez qui produisait l’objet qu’il observait. C’est la vérité pour tout anthropologue, même s’il croit à l’objectivité de son travail. L’ethnologue se regarde faire l’ethnologie. Il n’y a pas de terrain objectif, avec un observateur au regard innocent. L’observateur est dans son terrain. Le regard de l’anthropologue est producteur du terrain qu’il regarde. Cette théorie de l’implication ethnologique a tout naturellement été transposée dans la posture institutionnaliste dans les groupes, les organisations et les institutions.

G. Lapassade a regroupé sous le terme de Microsociologies, un certain nombre de pratiques institutionnalistes, visant à faire l’analyse des groupes, des organisations et des institutions. Pour comprendre l’intérêt de cette bi- ou multi-valence de l’institutionnaliste, on peut s’intéresser au travail sur les établissements scolaires qui fut constant depuis 40 ans. Dans sa confrontation à l’ethnographie de l’école, sur le terrain des établissements d’éducation, sur la vie scolaire, sur la culture des jeunes, G. Lapassade confronte la tradition française des socianalystes aux apports de Peter Woods, Hugues Mehan et son ethnographie constitutive, ainsi qu’à l’ethnométhodologie de Garfinkel et Cicourel . G. Lapassade a fait du terrain avec P. Boumard et R. Hess . Mais il a travaillé, aussi, dans un collège voisin de l’université de Paris 8. Au bout d’un an de démarche psychosociologique et ethnographique, il est passé de l’observation de phénomènes scolaires, l’abandon des études ou l’absentéisme , à l’étude de la culture des jeunes présente au collège, mais qui déborde largement l’établissement. Il a alors étudié la culture hip hop, le graph, les graphitis et la break dance, phénomènes qui permettaient de revenir sur le terrain des établissements avec une posture nouvelle .

Cette expérience de G. Lapassade de double implication (la culture des jeunes et l’ethnographie exotique), peut être rapproché de l’itinéraire de R. Hess qui a fait travailler l’école du point de vue de l’analyse institutionnelle, tout en explorant le thème des danses sociales ou de celui de Patrice Ville qui développe une pratique de consultant socianalyste à EDF depuis 25 ans, tout en gérant des dispositifs d’autogestion pédagogique, ou encore de Lucette Colin qui intervient comme consultante dans les organismes interculturels tout en gardant son ancrage de psychanalyste, etc. S’agit-il, chez les institutionnalistes, d’une dissociation mal maîtrisée, ou plutôt d’une manière d’être dans la culture et dans l’organisation ?

Elliot Jaques avait déjà fait la théorie instituante de cette posture. On retrouve ce dédoublement également chez Gérard Althabe. Dans Ailleurs, ici, l’anthropologue étudie la tromba, et ensuite il fait du terrain en France, dans des quartiers, des écoles, des entreprises. Le mouvement de sa recherche va de l’ailleurs à l’ici.

L’analyse institutionnelle a foi au changement institutionnel. Par exemple, à la question “ peut-on changer l’école ? ”, les institutionnalistes répondent qu’ils ont cru que, par l’autogestion pédagogique, ils allaient changer l’institution. Mais ce mouvement n’a pas donné tous les fruits que l’on en attendait. Pourtant, les institutionnalistes s’intéressent toujours à ce thème. Actuellement, G. Lapassade visite le lycée autogéré. Il en suit l’analyse interne. Sans faire appel à des consultants, les acteurs font l’analyse de leur établissement scolaire. Au début de l’analyse institutionnelle, l’analyse interne était pratiquée dans les hôpitaux psychiatriques. Les médecins voulaient faire l’analyse de l’établissement sans faire appel à des consultants. L’idée s’est développée que pour soigner les malades, il fallait soigner l’institution de soin. Cette analyse interne est pratiquée dans les années 1950 par la psychothérapie institutionnelle et dans les années 1960 par la pédagogie institutionnelle. Quand on parle de pédagogie institutionnelle, on pense surtout au dispositif de l’autogestion pédagogique. Mais ce dispositif ne fonctionnerait pas, s’il n’y avait pas une autoanalyse permanente du fonctionnement de cette autogestion. De ce point de vue, la démarche de Raymond Fonvieille était un phare, un point fort de l’autogestion pédagogique .

A l’université, un des points forts de notre terrain, c’est une systématisation de l’appartenance de l’analyse institutionnelle aux sciences de l’éducation de l’université de Paris 8. Quand G. Lapassade a dirigé le département, il a organisé le département de manière à ce que le mardi toute la journée, on fasse 5 enseignements de 3 heures sur l’analyse institutionnelle, l’autogestion pédagogique, etc. La plupart des collègues (R. Lourau, R. Hess, P. Ville, A. Savoye), venaient naturellement le mardi, et ils ont accepté l’idée de coordonner leurs enseignements. Le projet était de construire une journée continue. C’était en 1986. Cela a bien marché, cependant l’équipe enseignante a rencontré un problème : les étudiants demandaient de faire des travaux pratiques.

À ce moment-là, les institutionnalistes pensaient que le seul dispositif de travail de terrain de l’analyse institutionnelle était la socianalyse, analyse institutionnelle en situation d’intervention à la demande d’un client. Il fallait donc trouver pour tous les étudiants (une centaine) des clients de la socianalyse . Des interventions se développèrent, mais c’était impossible de coordonner les interventions à autant d’étudiants. À l’époque, la socianalyse était le grand rite d’initiation de l’analyse institutionnelle. Aujourd’hui, c’est un rite parmi d’autres. L’ethnographie est aussi importante. Croire au monopole du rite de la socianalyse fut une erreur, mais une erreur constitutive de cette école. L’analyse institutionnelle, c’était faire du terrain à la demande d’un client. Aujourd’hui, on peut faire de l’ethnologie. Ce fut un chemin difficile. L’analyse institutionnelle n’a plus un seul dispositif de référence. L’analyse interne est une autre possibilité. La socianalyse comme analyse institutionnelle en situation d’intervention fut une mythologie qu’il faut déconstruire. Aujourd’hui, la voie royale, c’est l’analyse institutionnelle faite par les agents eux-mêmes. Il faut aider les chefs d’établissement (et les acteurs) à se construire des outils pour analyser l’école. Cette analyse interne existe déjà au lycée autogéré, par exemple
.

Une expérience intéressante se développe à l’école de la police de Buenos Aires (Argentine). La direction en a été confiée, depuis peu, à un institutionnaliste argentin, Cristian Verela, qui a recruté une équipe argentine d’amis de R. Lourau pour conduire le changement de cap que souhaite l’Etat argentin, suite au changement politique récent. La mission : rendre la police démocratique. Pendant longtemps, la police argentine était restée un état dans l’Etat, gardant des ethnométhodes acquises à l’époque de la dictature. Comment opérer le changement de l’organisation ? Comment faire pour que les acteurs changent leurs ethnométhodes ? L’analyse interne se développe à Buenos Aires sur un collectif de 2000 personnes (voir entretien).

On voit que l’analyse institutionnelle est passée par deux phases :

* -une période où l’intervention était le modèle unique de l’analyse. Cette phase s’est essoufflée. Cela pourrait s’interpréter comment un manque de commande, ou comme un manque d’intervenants pour répondre aux commandes. Cette question de l’intervenant qui cherche son client fait penser à Kafka, quand, dans Le château, au pied du village, les paysans disent à K. qu’ils n’ont pas besoin d’arpenteur. K vit comme un cloporte sous le bureau de l’instituteur. Il est là. Il ne sert à rien, sinon à écrire Le château (ce qui n’est pas rien !). Pour faire l’analyse, on n’a pas besoin d’arpenteur.

* -une période où les acteurs décident de prendre en compte eux-mêmes le processus d’analyse (analyse interne). C’est la genèse de l’autogestion pédagogique, qui est encore dans sa phase expérimentale. G. Lapassade a inventé le mot d’autogestion pédagogique, parce que dans les T-Groups de Bethel, il y avait quelque chose qui allait vers l’autogestion. Dans ces groupes, la théorie de la non directivité pouvait, à la limite, déboucher sur l’autogestion. Mais, en fait, on n’y arrivait jamais. Le moniteur, en dernière instance, était directif. G. Lapassade a donc posé la question : “ Mais pourquoi un moniteur ? ” Ce sont les gens eux-mêmes qui doivent faire la nouvelle recherche-action. P. Boumard, dans Les savants de l’intérieur, a montré que les pédagogues savent qu’ils peuvent être leurs propres analystes . On a peu développé le dispositif de l’analyse interne. La pratique du journal peut être considérée comme le dispositif de l’analyse interne. Ce dispositif est aussi noble que celui de la socianalyse.

Cependant, dans les chantiers d’analyse interne importants, à un moment donné se pose la question de faire appel à des intervenants extérieurs, pour éclairer certaines situations de blocage. On se trouve alors dans une sorte de dépassement dialectique de la contradiction, entre analyse interne et analyse externe. L’intervention surviendrait dans un processus d’analyse interne.

L’analyse institutionnelle a développé tout un appareil conceptuel pour rendre compte de son exploration à la fois théorique et pratique. Dans la première période, on a mis en avant les concepts d’instituant, institué, institutionnalisation, d’analyseur, d’implication, d’autogestion, de transversalité, de groupe sujet, etc . Plus récemment, l’analyse institutionnelle s’est donnée comme concept la dissociation , la transduction ; elle a réinvesti la théorie des moments , l’interculturel .

Depuis 2002, une revue interculturelle et planétaire d’analyse institutionnelle, Les irrAiductibles, a été créée. Cette revue, dont la moitié des contributions viennent de l’étranger, a publié 3000 pages dans ses 8 premiers numéros. Parmi les thèmes abordés : analyse institutionnelle et politique (n°1, 2002), la pratique du journal (n°3, 2003), les dispositifs (n° 6 et 7, 2004 et 2005), la sociologie du sport (n°4, 2004), normes et déviance (n°8, 2005), l’analyse interne (n°9, 2005, à paraître). Cette revue, éditée par l’université de Paris 8, montre la vitalité de l’analyse institutionnelle aujourd’hui, et sa capacité à se renouveler sur le plan conceptuel.



* G. Lapassade, Groupe, organisation, institution, 5° éd., Paris, Anthropos, 2005.

* G. Lapassade, Microsociologies, Paris, Anthropos, 1996.

* H. Lefebvre, De l’Etat, Paris, 10/18, 4 tomes, 1976-78.

* R. Lourau, L’analyse institutionnelle, Paris, Minuit, 1970, et surtout L’Etat inconscient, Paris, Minuit, 1978.

* Gérard Althabe, Remi Hess, Ailleurs, ici, Paris, L’Harmattan, 2005.

* R. Hess, La valse, Paris, Métailié, 2003 ou Le tango, 2° éd. Paris, Presses universitaires de France, 1999.

* A. Savoye, Les débuts de la sociologie empirique, Paris, Méridiens Klincksieck, 1994.

* Christine Delory-Momberger, Les histoires de vie, de l’invention de soi au projet de formation, Paris, Anthropos, 2° éd., 2004. Ou encore : Histoire de vie et recherche biographique en éducation, Paris, Anthropos, 2005.

* G. Lapassade, L’ethnosociologie, Paris, Méridiens Klincksieck, 1990.

* P. Boumard, R. Hess, G. Lapassade, L’université en transe, Paris, Syros, 1987.

* G. Lapassade, Microsociologie de la vie scolaire, Paris, Anthropos, 2000.

* G. Lapassade, Le rap, Loris Talmart, 5° éd. 2003.

* Le mouvement institutionnaliste prépare à ce sujet un colloque de 6 jours au mois de juin 2005. On y aborde cette question de l’analyse interne, qui sera aussi le sujet du n°9 des irrAIductibles, qui sortira à ce moment-là.

* Voir les ouvrages de Raymond Fonvieille sur cette question, notamment : L’aventure du mouvement Freinet, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989, et Naissance de l’autogestion pédagogique, Paris, Anthropos, 1998.

* Sur cette période, voir Anne Vancraeÿenest, in R. Hess et A. Savoye, Perspectives de l’analyse institutionnelle, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988.

* P. Boumard, Les savants de l’intérieur, Paris, Armand Colin, 1988.

* Sur le journal comme outil d’analyse interne : R. Hess, Le lycée au jour le jour, ethnographie d’un établissement d’éducation, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989 ; G. Lapassade, Le journal de la réfome des DEUG (1984), inédit à paraître.

* Remi Hess, Centre et périphérie, 2° éd., Paris, 2001.

* G. Lapassade, La découverte de la dissociation, Paris, Loris Talmart, 1998.

* R. Lourau, Implication, transduction, Paris, Anthropos, 1997.

* Christine Delory-Momberger, R. Hess, Le sens de l’histoire, moments d’une biographie, Paris, Anthropos, 2001. R. Hess, H. de Luze, Le moment de la création, Paris, Anthropos, 2001. R. Hess, La théorie des moments, à paraître, et Le journal des moments, Paris, Presses universitaires de Sainte-Gemme, tome 1, 2005.

* Jacques Demorgon, Critique de l’interculturel, Paris, Anthropos, 2005.