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Origine : http://www.barbier-rd.nom.fr/implicationtransverParadigm.htm
J'ai commencé à me former en Analyse Institutionnelle
au début des années 1970. A l'époque, ma formation
pluridisciplinaire en sciences sociales résultait de mon
passage par la Faculté de Droit et de Sciences Economiques
de Paris, par l'Institut des Sciences Sociales du Travail et par
le Département de Sociologie de l'Université de Paris
VIII. Etudiant de doctorat dans l'équipe de Jean-Daniel Reynaud
(sociologie du travail) puis de Jean-Claude Passeron (sociologie
de l'éducation) , j'étais plutôt enclin à
ne reconnaître comme légitime qu'une formation sociologique
digne du "Métier de sociologue"(1). Je ne regrette
pas ce passage obligé par une certaine tradition épistémologique
et méthodologique en sciences sociales, mais j'en connais
désormais les limites, principalement pour toute investigation
clinique à dominante existentielle. L'Analyse Institutionnelle
se situe dans le courant épistémologique qui, à
partir de la fin des années 1960, a commencé à
contester la pesanteur de l'ordre établi en Sciences Sociales.
J'ai pu montrer récemment l'imbrication du champ du social
et de la constitution des sciences de la société depuis
la fin du XIXe siècle jusqu'à nos jours (2).Après
une phase d'assistanat, les sciences sociales et le travail social
se sont professionnalisés durant la période 1929-1970.
Puis à partir de la fin des années 1960, on assiste
à une poussée d'idéologisation radicale dans
laquelle est venue s'inscrire l'Analyse Institutionnelle, mais dans
une certaine mesure seulement. En effet, L'Analyse Institutionnelle
n'a pas suivi le flux des dogmatismes, petits ou grands, très
à la mode pendant la décennie 1970, en particulier
l'impérialisme du Marxisme structuraliste d'Althusser.
En fin de compte plus libertaire que marxiste, l'Analyse Institutionnelle
a refusé de construire un système théorique
encaserné dans la mythologie marxiste. Sa force est aussi
sa faiblesse car les différents protagonistes de l'Analyse
Institutionnelle se sont plutôt comportés en individualistes
parfois susceptibles et n'ont pas toujours su réussir à
s'unir pour présenter une théorie et une méthodologie
suffisamment rigoureuses pour être, malgré tout, reconnues
par la Cité savante. Dans l'article historique précité,
je soulignais que nous étions au commencement d'une phase
d'autorisation dans les années 1980. Période qui correspond
à l'effritement des dogmatismes idéologiques, au questionnement
épistémologique des sciences les plus reconnues, à
la reconnaissance d'un jeu nécessaire avec nos symboles,
nos mythes et notre imaginaire irréductible, à l'évidence
du caractère planétaire d'une crise fondamentalement
écologique. Ouverture à un "Nouvel Age"
(3) , à une "troisième vague"(4) , à
une "nouvelle alliance"(5) pour les "enfants du Verseau"(6)
que nous sommes devenus sans nous en apercevoir. Cette période
historique correspond sur le plan des moeurs et des processus de
recherche à une reconnaissance de la valeur de la personne
en tant que telle et à l'affirmation de ses facultés
à devenir "son propre auteur". On peut se chagriner
ou s'interroger sur le sens de cet "air du temps", il
n'en constitue pas moins une ligne de force de notre imaginaire
social.
Pour ma part, la compréhension des concepts d'"implication"
et de "transversalité" dégagés par
l'Analyse Institutionnelle, devait nécessairement aboutir
à cette dérive épistémologique qui remet
en question l'Analyse Institutionnelle elle-même, dans la
mesure ou elle tendrait à se fermer sur des concepts, des
procédures et des méthodologies de recherche à
dominante trop sociologique. Une compréhension de l'être
humain et des groupes dans leur complexité, doit intégrer
nécessairement une écoute scientifique à dominante
phénoménologique; une écoute philosophique
sur le sens de la vie en rapport avec des référentiels
appartenant aux diverses traditions spirituelles de l'Humanité
et une écoute poétique qui laisse jouer le retentissement
créateur en situation et relie la personne à un champ
symbolique qui le structure: c'est ce que je nomme l'Approche Transversale
avec sa méthodologie spécifique de créaction(7)
DE L'IMPLICATION A LA TRANSVERSALITE.
Au cours du Colloque organisé par l'Association des Enseignants
et des Chercheurs en Sciences de l'Education à Paris, en
1983, et portant sur les rapports entre les Sciences anthropo-sociales
et les sciences de l'éducation, certains intervenants n'ont
pas manqué de critiquer la polysémie du terme "implication"
(8) Il est vrai que cette notion reste encore à définir.
Mais, après tout, est-elle réellement plus floue que
celle de "charme" employée en physique nucléaire?
L'implication a-t-elle moins de pertinence que ces "quarks"
plus théoriques que repérables? Quand je suis devant
un groupe emporté par sa passion du moment, je sais bien
que j'y suis "impliqué" positivement ou négativement,
en tant que chercheur ou animateur et ma maîtrise du "transfert"
et du "contre-transfert" ne m'empêche aucunement
d'être plus ou moins bouleversé par les réactions
en chaîne qui s'y développent. D'emblée trois
modes d'implication s'imposent à moi dans un groupe :
- Je peux être impliqué par le regard, le comportement,
l'action d'autrui sans l'avoir nécessairement voulu. Je suis
impliqué simplement parce que j'appartiens à cette
unité humaine du moment. Je fais partie du "système"
relationnel et je ne peux m'en abstraire que par une attitude de
type schizophrénique. Reconnaîtra-t-on, enfin, qu'une
telle attitude est au fondement même de la scientificité
habituelle en sciences humaine? Gaston Bachelard, si prudent à
l'égard de l'intuition, de l'analogie et de la phantasmatique
dans la science, reconnaissait, à propos des sciences de
l'homme, que "la sympathie est le fond de la méthode".Nos
épistémologues contemporains qui s'appuient tant sur
l'auteur de "la psychanalyse du feu" devraient méditer
sur l'ampleur de cette petite phrase du célèbre philosophe
des sciences. Etre impliqué, c'est être "jeté-là"
dans la relation humaine, et dans le Monde, qu'on le veuille ou
non. En tant qu'être humain, je suis directement concerné,
certes par les agissements des membres de ma famille, mais également
par ceux, plus anonymes, des puissants qui nous gouvernent, souvent,
par delà les mers. Que l'Union Carbide laisse échapper
un gaz mortel pour cause de petits profits en Inde et c'est la mort
et la maladie pour d'innombrables malheureux. Du micro au macro-système
vivant, chaque élément y est impliqué, c'est-à-dire
à la fois relié inéluctablement et influencé
par les autres éléments du système. La prise
de conscience écologique est la seule qui correspond à
la grandeur tragique de notre temps. Mais il ne peut s'agir que
d'une écologie politique, supposant une sensibilité
d'un nouveau type. (9)
L'Analyse Institutionnelle, en débusquant la façon
dont nous sommes impliqués par et dans "l'Etat-inconscient"(10)
au coeur même de notre vie quotidienne, contribue à
l'émergence de cette nouvelle sensibilité, si développée
déjà en Allemagne (11) - Un autre mode de la notion
d'implication correspond au fait de s'impliquer. Je ne suis pas
seulement un être "jeté-là" dans le
monde et les autres. Je suis également capable d'être
lucide sur ma position sociale et m'y impliquer plus ou moins totalement,
dans une perspective créative de moi-même et de mes
rapports aux autres. Je m'implique en refusant d'être ce que
d'aucuns voudraient que je sois pour favoriser leurs privilèges.
Je m'implique en acceptant de prendre un risque bouleversant mon
ordre établi, mon "institué", parce que
cette implication m'apparaît comme étant un élément
d'un système de valeurs supérieur à celui qui
me rassure pour le moment. Je donne ici une connotation "existentialiste"
au fait de s'impliquer. Il s'agit bien d'un choix libre en dernière
instance, qui suppose ma responsabilité et mon engagement.
Je ne nie pas pour autant les ressorts inconscients de la décision,
qui restent sans cesse à explorer, mais dont on ne verra
jamais la fin. Cette lucidité sur la dimension inconsciente
de l'implication est nécessaire pour reconnaître la
parole contestataire de l'autre, toujours susceptible de mettre
à jour une face cachée de moi-même. L'Analyse
Institutionnelle montre à quel point les institutions contemporaines
ne permettent pas une véritable implication du sujet. Les
institutions canalisent les tentatives d'implication et les retraduisent
en fonction de leur logique propre, aidées par une kyrielle
d'agents homogénéisés et homogénéisant
à l'intérieur du système institué dans
la méconnaissance de leur véritable fonction (12)
Les firmes multinationales les plus cotées d'un point de
vue technologique sont peut-être celles qui poussent le plus
loin cette violence symbolique en utilisant l'économie libidinale
de leurs agents ( demande d'amour, angoisse de morcellement, pulsions
archaïques sadomasochistes, etc) dans un processus de renforcement
du pouvoir de domination.(13) Dans ce cas le sujet qui s'implique
peut-être aussi bien l'individu le plus adapté que
celui dont la parole et les actes deviennent les "analyseurs"
les plus puissants et les plus dangereux pour l'institution.
- Enfin, troisième mode de la notion d'implication: Impliquer
autrui par ma parole, mon action, mon comportement. Face dialectique
complémentaire du premier mode "être impliqué".
Je ne suis impliqué que parce que quelqu'un, ou une situation,
"m'implique". De même, je ne peux m'impliquer sans
immédiatement "impliquer" autrui: "Chaque
rencontre nous disloque et nous recompose" écrit le
poète Hugo von Hofmanstalh. Si, existentiellement, l'"implication
est tout ce qui nous rattache à la vie"(J.Ardoino) ,
alors on peut dire, avec le poète hongrois Attila Jozsef
"J'ai vécu, et ce mal a fait plus d'un mort". La
lucidité consiste peut-être à mieux savoir à
quel point on ne cesse d'impliquer l'autre dans nos histoires de
vie. Combien de Gouvernants sont capables d'une telle attitude?
L'Analyse Institutionnelle aura à faire un travail soutenu
pour permettre aux groupes-objets de sortir d'une implication non-consciente
du fait d'autrui. Le groupe-sujet sera celui qui, analysant les
trois modes de l'implication, saura les articuler en situation dans
une visée de plus grande autonomie.
A partir de ces trois modes, l'implication comporte trois dimensions
(psycho-affective, structuro-groupale et historico-existentielle)
(14) , elles-mêmes soumises à la "transversalité"
de trois plans de l'imaginaire (pulsionnel, social et sacral) (15).
LA TRANSVERSALITE DE L'IMAGINAIRE
La notion de transversalité a été empruntée
par les institutionnalistes à Félix Guattari et à
la psychothérapie institutionnelle(16). La plupart du temps
les gens vivent dans la méconnaissance de leur coefficient
de transversalité. A côté des relations "verticales"
et hiérarchiques usuelles dans les grandes organisations,
on reconnaît parfois les relations "horizontales"
entre personnes de même statut social. Mais les rapports qui
brouillent les cartes ainsi légitimées.Ceux qui opèrent
un mélange "contre nature" sont en général
éludés ou considérés comme dangereux.
Ainsi dans un hôpital psychiatrique lorsqu'on organise des
réunions de personnes aux statuts différents dans
une perspective de communauté thérapeutique. En pédagogie
institutionnelle, l'assemblée du groupe-classe dans laquelle
le professeur tente d'être un membre du groupe parmi les élèves,
pour toutes les décisions collectives, permet l'émergence
des facteurs de transversalité. A fortiori, en socianalyse
interne, lorsque tout un établissement s'exprime en assemblée
générale du personnel. Cette notion est fondamentale
dans tout processus de formation. Partons d'un exemple: soit un
groupe de stagiaires dans un stage de communications et de relations
humaines.
On appellera "transversalité" la multiplicité
opaque des différences personnelles et sociales institutionnalisées
qui renvoient, pour chacun, à des références
et des appartenances variées et non-dites explicitement,
mais prégnantes dans la situation, (ce que J. ARDOINO nomme
"traversalités") (17). Différences hommes/femmes
; jeunes/vieux ; étrangers/nationaux; ouvriers/bourgeois
; croyants/non-croyants ; mariés/célibataires ; avec
enfants/sans enfants ; militants/apolitiques etc. Cet ensemble de
différences, liées à des références
et des appartenances sociales et culturelles multiples, agit comme
un ensemble de rapports de sens dans lequel "baigne" le
groupe en question d'une manière imaginaire. Imaginaire en
tant que non-conscient (méconnaissance instituée)
; imaginaire en tant que subconscient (censure, répression)
; imaginaire en tant qu'inconscient (refoulement).
L'Analyse Institutionnelle tentera l'élucidation principalement
de la transversalité socio-politique, instituée et
instituante, liée à l'emprise de l'Imaginaire Social
de la société considérée dans l'institution
étudiée. Les socio-psychanalystes dans la ligne de
Gérard Mendel seront plus sensibles à la transversalité
libidinale ou s'expriment les pulsions oedipiennes et archaïques
des individus dans un processus de psychologisation du Politique
(18). L'Approche Transversale que je défends y ajoutera l'importance
d'une reconnaissance de la "transversalité de l'imaginaire
sacral" qui s'appuie sur le fait que l'homme est non-séparable
de l'ensemble de l'univers naturel et cosmique qu'il se représente
toujours à travers ses symboles et ses mythes, ses arts,
sa poésie et ses spiritualités religieuses.
LA TRANSVERSALITE DE L'IMAGINAIRE PULSIONNEL.
Un groupe de personnes comme ce groupe de stagiaires dont je parlais
précédemment, est d'abord un champ de désirs
qui s'affrontent, se confrontent, se frustrent, se réalisent,
selon la logique de l'inconscient. Le désir, lié à
l'énergie biologique du sujet et au jeu de son imagination
devant le manque, l'impossibilité de réaliser complètement
ce désir dans la situation, suscite un univers fantasmatique
qui recouvre les autres, pour le meilleur et pour le pire. Désir
de vie d'abord et surtout. Mouvement interne qui cherche à
s'extérioriser, d'attraction, de structuration, de complexification,
d'hétérogénéisation différentielle
mais aussi, de non-séparabilité, d'unification au
système vivant et, peut-être même, au système
cosmique dans son intégralité. Toute la force de "l'instituant"
se trouve là, et c'est à cet endroit que le psychosociologue
institutionnaliste doit revenir pour percer son occultation par
les pouvoirs établis dans l'organisation.
Evidemment la logique inconsciente du désir proprement sexuel,
au sens freudien du terme, y a sa place essentielle et la psychanalyse
représente une théorie très importante de compréhension
partielle du mode de fonctionnement du sujet humain. Faut-il, pour
autant suivre Freud, dans sa radicalité à propos de
la "pulsion de mort" ? Le travail silencieux de la pulsion
de mort est-il le dernier mot de l'histoire humaine ? Le retour
à l'inerte, à l'inorganique, est-il inscrit d'une
manière indélébile au coeur de la psyché
au point d'en être le moteur central ? Beaucoup de cas psycho-pathologiques
nous invitent à suivre cette théorie. Mais est-elle
généralisable à tout être humain ? On
sait que l'histoire personnelle tragique de Freud se mêle
à sa conviction théorique (19) et on peut se demander
s'il n'a pas suivi une pente théorique qui correspondait
à la fois aux connaissances de son temps et à sa complexité
personnelle. Je ne crois pas que l'on puisse trancher ce débat
qui est, en dernière instance, une croyance très personnelle
à expérimenter soi-même dans les épreuves
de la vie. Je me refuse en tout cas à enseigner dogmatiquement
sur ce sujet et je rappelle aux étudiants qu'Erich Fromm
a écrit, avec beaucoup de nuances, un ouvrage qui tente de
décrire l'anatomie de la destructivité humaine à
partir de l'anthropologie (20) Néanmoins, je pense comme
Stanislav Grof et la psychologie transpersonnelle (21) que la question
de la mort et de la finitude est une prise de conscience inéluctable
pour tout être humain digne de ce nom.
Sans cette conscience existentiellement vécue, le sens de
la vie ne saurait être trouvée. Pour moi "la pulsion
de mort" signifie que dans un groupe, comme en moi-même,
je rencontrerai toujours une tendance à la répulsion,
à la simplification, à la réduction de la complexité,
à la déstructuration, à la déstructivité
au delà de l'agressivité. Cette destructivité
peut me conduire à ne plus rien vouloir, à ne plus
désirer vivre. Mais son influence est relative. Elle est
intrinsèquement reliée au champ de relations sociales
positives et négatives qui me constituent:"Pour que
la mort soit juste, il faut que la vie soit juste" écrivait
Nazim Hikmet du fond de sa prison. Le jeu des pulsions conduit à
la phantasmatisation des rapports humains qui correspondent à
tout une gamme de sensations et de sentiments: joie, peur, colère,
rêverie, envie, admiration. Mais aussi à la mise en
oeuvre des mécanismes de défense: projection, sublimation,
déplacement, refoulement, isolation, formation réactionnelle,
retournement contre soi-même, régression, annulation
rétroactive, inhibition, rétraction, négations,
intellectualisation, identification à l'agresseur. A retenir,
trois types principaux: projection, introjection et identification.
Un exemple d'affect en oeuvre dans la communication: la Peur.
- d'être jugé, de me voir à travers l'autre.
- d'être changé, remis en question.
- d'être dominé, incompris.
- d'être déçu, mal aimé.
- d'être utilisé, manipulé.
- d'être séduit puis abandonné.
- de l'indiscrétion, d'être "violé"
dans son intimité.
- d'être dévoré.
- de s'exhiber.
- d'avoir mal et de faire mal...
LA TRANSVERSALITE INSTITUTIONNELLE
Pour la comprendre, il faut pouvoir changer de système de
repérage. La transversalité institutionnelle suppose
un décentrage par rapport à l'individu. Désormais,
ce qui influence le comportement provient du champ historico-social.
Toute société, dans son mouvement historique (historicité)
, se crée tout en engendrant un Imaginaire social, c'est-à-dire
un ensemble de significations imaginaires sociales :
- significations ou éléments sémiotiques comportant
du sens.
- imaginaires, c'est-à-dire non-conscients des acteurs sociaux.
- sociales : qui s'imposent à tous les membres de la société
indépendamment d'eux et engendrées par le système
macro-social en tant que tel. L'imaginaire social est donc le concept
de référence pour comprendre la transversalité
institutionnelle. L'imaginaire social est avant tout :
- une totalité en acte, toujours inachevée.
- régi par un principe de non-conscience de la part de ceux
qui le subissent tout en le créant et en le reproduisant.
- insondable et magmatique, c'est-à-dire inépuisable,
dynamique, inextricable. Seuls des éléments de cohérence
peuvent être dégagés, mais ils ne reflètent
qu'une partie de l'imaginaire social. Irréductible à
une quelconque "explication totalisante" (du genre de
celle d'Emmanuel Todd à propos des relations entre les structures
familiales et les structures des idéologies politiques) (22)
- aliénant et créateur: l'imaginaire social comporte
une dimension de leurre permanent, un miroir aux alouettes, mais
en même temps, une dimension créatrice, un "principe
espérance" (Ernst Bloch) qui permet de faire des projets
d'avenir et, ainsi de contribuer à construire la société
future.
- l'imaginaire social englobe les idéologies. Toute idéologie
n'est qu'une forme rationalisée et apparente (ou susceptible
de l'être) de l'iceberg imaginaire social dont la plus grande
partie demeure inconnue.
L'imaginaire social se structure, partiellement, sous la forme
symbolique d'Institutions. Avec Cornélius Castoriadis, le
penseur de l'imaginaire social, nous appelons "institution"
un réseau symbolique, socialement sanctionné, ou se
combinent, en relations et en proportions variables, une composante
fonctionnelle-réelle et une composante imaginaire (23). La
composante fonctionnelle-réelle s'appuie sur une base organisationnelle.
Les grandes "Organisations" du social exercent leur emprise
en imposant à tous un champ institutionnel découlant
de l'imaginaire social de la société considérée.
Par exemple:
Institutions: Education Mariage Militance Religion
Organisations: Ecoles Famille Syndicats Eglises
Universités couples partis sectes.
Il y a toujours un élément de "réalité"
à la base de la composante fonctionnelle-réelle de
l'institution. C'est le "il faut être réaliste"
et le "il ne faut pas rêver!" des hommes de pouvoir.
Mais on oublie trop souvent que cette composante est doublée
par la composante imaginaire, à la fois leurrante et créatrice.
Les Organisations et les groupes vont être porteurs (producteurs/reproducteurs)
d' "institutions", souvent de manière implicite.
Si l'organisation de type X (dans la typologie de l'américain
Douglas Mac Gregor) (24) renforce plutôt l'imaginaire social
leurrant, conformiste et reproducteur de normes inchangées,
l'organisation de type Y, au contraire, s'appuie sur la part créatrice,
"instituante", de l'imaginaire social par son ouverture
et sa confiance dans les potentialités novatrices de l'être
humain. Encore faut-il se garder de toute envie manichéenne
(le bon = l'instituant;le mauvais = l'institué) Cet "instituant"
se manifeste toujours pour le meilleur et pour le pire : La Bourgeoisie,
le Bolchevisme, le Nazisme, le Fascisme ont été, dès
le départ, des formes contestataires et minoritaires apparemment
"instituantes" par rapport au régime politique
et social en place. On sait ce qu'ils sont devenus par la suite.
TRANSVERSALITE ET SACRALITE
L'Analyse Institutionnelle ne prend pas en compte cet aspect de
la transversalité, ou plutôt la réduit le plus
souvent à une dimension socio-politique. Pourtant on ne peut
maintenant exclure la transversalité sacrale sans méconnaître
une dimension importante de la complexité humaine. Les études
cliniques de Stanislav Grof (25) en psychothérapie LSD, démontrent
sans ambiguïté le fondement transpersonnel de la psyché,
à un certain niveau de profondeur. L'être humain est,
avant tout, un être "relié" (religieux).
Il est relié à lui-même, aux autres, à
la nature et au cosmos. On ne saurait en faire un être "séparable"
sans le détruire. Ce que le phénoménologue
des religions nous montre, comme Mircea Eliade par exemple, c'est
justement ce sens de la reliance qui existe dans des cultures très
différentes selon des schèmes semblables. L'être
humain se "représente" le monde dans lequel il
vit, a vécu, vivra. Il n'arrête pas de donner des symboles
et des mythes en héritage à ses enfants, comme lui-même
en a reáu de ses parents. L'angoisse qui saisit un participant
dans un groupe ne saurait être systématiquement réduit
à un problème oedipien ou archaïque. Le questionnement
métaphysique n'est pas du ressort de la psychanalyse ou de
la sociologie. C'est l'artiste, le poète, et le philosophe
qui peuvent, parfois, pénétrer le sens intime d'une
vie brisée. Le sens du sacré, c'est avant tout celui
du Sans-Fond , du Sans-Fin et du Sans-Nom.
Sens de l'incompréhensible à partager.
Sens du bouleversement radical , du Chaos primordial qui m'effraie
et me ravit.
Ouverture à la démesure dionysiaque et à l'équilibre
apollinien.
Repérage de l'infini imperceptible dans le fini ridicule.
Acceptation de l'étrangeté de moi à moi-même,
de l'autre à moi, de moi au monde.
Sens de la relation d'inconnu.
Intuition inébranlable de la non-séparabilité
de ce qui est, par delà toutes ses formes éclatées
en apparence.
Perception d'un temps instantané, sans commencement ni fin,
au coeur du temps chronologique, socialisé.
Compréhension non-intellectuelle de l'affectivité
humaine et de ses racines primordiales dans l'ordre de la nature.
Sens de la solitude dans la foule et de la multitude chez l'ermite.
Regard lucide sur l'effroyable dans l'innocence et sur l'amour
dans l'injustice la plus criante.
Tel est le sens du sacré, à la fois Mysterium fascinans
et Mysterium tremundum comme dit Rudolf Otto (26). Cette transversalité
de l'imaginaire sacral, qui ne l'a pas rencontrée un jour
ou l'autre, dans les groupes lors d'une animation, et que faire
d'elle, lorsqu'elle se manifeste ? Je suis pour la reconnaître
dans toute son ampleur et lui donner le statut ontologique qu'elle
mérite dans le groupe, sans chercher à la réduire
par des interprétations arbitraires et scientistes, fussent-elles
"institutionnalistes".
Peut-on réellement faire de la clinique aujourd'hui sans
cette ouverture essentielle ? Le développement de démarches
psychothérapeutiques à dimension symboliques et imaginatives
comme la Psycho-synthèse de Roberto Assagioli (27) ou de
la Gestalt thérapie de F.S.Perls (28) , atteste à
mon sens de l'importance de cette réflexion. En d'autres
termes, peut-on faire de l'analyse institutionnelle pure et dure
sans, en fin de compte, se restreindre dans la compréhension
de la complexité humaine, sans toujours tenter de la réduire
de manière ou d'une autre ? Ne vaudrait-il pas mieux prendre
le meilleur de l'analyse institutionnelle (sa préoccupation
du socio-politique institué et instituant dans les moindres
faits de la vie quotidienne) et l'intégrer dans un corpus
théorique flottant, dynamique, incertain et inachevé.
Par là on considérerait peut-être vraiment cet
"infini turbulent" (H. Michaux) qui a pris un jour, la
forme étrange d'un homo sapiens qui est aussi, comme le soutient
justement Edgar Morin, un homo demens.
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dans l'idée du divin et sa relation avec le rationnel, Paris,
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27) FERRUCCI Oietro, La psycho-synthèse, Paris, éditions
Retz, 1982
28) PERLS F.S., Rêves et existence en Gestalt thérapie,
Paris, Epi, 1972 et Marie PETIT, La Gestalt, thérapie de
l'ici et maintenant, Paris, ESF, 1984
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