|
Amour libre
Dans le Monde Libertaire n°1194 (24 février - 2 mars
2000) Cathy Ytak évoque dans une note de lecture la publication
« L'Amour Libre - points de vue masculins » parue chez
« La Question Sociale ». Comme elle l'écrit,
le débat est ouvert et ne demande qu'à être
enrichi.
L'amour libre est un des chevaux de bataille des anarchistes parce
qu'il fait voler en éclats les fondements sur lesquels repose
notre société judéo chrétienne et laïque.
Nul besoin d'une bénédiction religieuse ou d'une codification
légale (mariage, pacs…) pour mener une vie commune.
Deux êtres s'apprécient et décident de faire
un bout de chemin ensemble. L'amour libre se suffit à lui-même
dès lors que, sans nuire à personne, il contribue
à notre bonheur et à notre épanouissement personnel.
Il n'a nullement besoin de l'excuse de la procréation -idiotie
encore très vivante dans certaines franges de la société
- car il se veut sensuel, et encore moins de la lecture du code
civil qui confère un semblant de moralité à
un acte de vil marchandage destiné à maintenir la
propriété : propriété des corps, des
biens, des descendants.
Dans cette société codifiée à outrance,
titillée par le besoin obnubilant de légiférer
à tour de bras et contrôler ainsi mieux la vie sociale,
pour peu qu'on le veuille, on arrive aujourd'hui plus facilement
à vivre en union libre sans s'attirer les foudres du législateur
ou du moralisateur. Le concubinage est entré dans les mœurs
et perd progressivement son aspect condamnable et/ou revendicatif.
On commence tout doucement (et encore !) à tolérer
l'existence de couples de même sexe. Mais les choses sont
loin d'être aussi simples qu'elles paraissent de prime abord.
Quant à l'amour libre, c'est encore une autre affaire !
De l'amour et de l'économie…
Sortons un peu de notre cercle restreint de gens convaincus et regardons
autour de nous. Que voyons-nous ? des individus qui ne sont pas
forcément heureux dans leur vie pour des raisons multiples.
Les conversations tournent invariablement autour du travail et du
sexe. Et dans les deux domaines les choses ne sont pas roses ! contraintes
économiques et misère sexuelle sont plus étroitement
liées qu'on le suppose. Combien de couples vivent côte
à côte parce qu'une séparation conduirait à
une catastrophe économique et à la faillite complète
des individus ? Cet aspect est d'autant plus criant chez des générations
de femmes, acculées bon gré mal gré à
des tâches domestiques et des emplois sous payés. Parfois,
les deux partenaires se retrouvent dans une même situation
de précarité, alors que devient l'épanouissement
individuel lorsqu'il faut sans arrêt faire face à «
l'alimentaire » ? Il a fier allure l'amour libre quand les
têtes à tête finissent en engueulade car il n'y
a plus rien pour faire bouillir la marmite et moins que rien pour
nourrir la passion et les rêves ! Car l'être humain
ne vit pas seulement d'amour et d'eau fraîche !
De l'amour et des préjugés…
Quand un(e) individu(e) vit seul (choix ou contrainte) des rumeurs
circulent parfois sur son compte : la jeunesse se pare d'une aura
de liberté alors que le vieux garçon ou la vieille
fille s'expose aux moqueries. La femme divorcée, quand elle
a à charge les enfants devient une sorte de mère-courage
; quand elle reprend sa liberté sans gosses, c'est une «
traînée » ou une « émancipée
» selon les milieux. L'homme divorcé n'est pas mieux
loti. La tartufferie sexuelle a encore de beaux jours devant elle.
Et ne parlons pas des couples homosexuels que l'on considère
bien souvent encore comme des déviants. Le sexe et les affaires
de sexe tiennent une place importante dans la vie de l'individu.
Et c'est normal car il s'agit là d'un avatar de notre condition
animale. Les choses se compliquent pour nous dès le moment
où nous laissons tomber le côté purement reproductif
et où nous apprenons à nous apprécier les un(e)s
les autres. Tout serait bien simple si nos affaires sentimentales
ne suivaient le même chemin que celui de la propriété
: l'accaparation, voire la confiscation d'un(e) individu au profit
d'un(e) autre. Et nous voici confronté(e)s à cette
question cruciale : quels sont mes droits sur l'autre et quels sont
ses devoirs envers moi ? Inutile de vouloir construire un système,
énoncer des lois, édicter des sentences car tout ceci
est contraire à l'amour, c'est-à-dire l'attirance
physique, intellectuelle ou plastique d'un être vers un autre,
attirance qui n'obéit à aucune règle.
Vers l'amour libre.
Emile Armand dont il est question dans la brochure évoquée
ci-dessus est connu pour ses positions anarchistes individualistes
et ses théories sur la camaraderie amoureuse. Il dit entre
autres « …par amour libre, j'entends l'entière
possibilité pour une ou un camarade, d'en aimer un, une ou
plusieurs autres simultanément (synchroniquement) selon que
l'y pousse ou l'y incite son déterminisme particulier ».
Mais attention, admettre le principe de liberté en amour
n'est pas nécessairement de faire de la promiscuité
une règle. Ce n'est pas non plus condamner les liaisons durables,
ni fournir des excuses à ceux et celles qui satisfont des
caprices sans lendemain et sans se soucier des conséquences
de leurs agissements. Il est clair que lorsque nous parlons d'amour
libre il s'agit finalement d'aborder les liens intimes et étroits
que soutend une vie en commun et d'essayer d'analyser les contradictions
et les difficultés qui peuvent en surgir.
Vivre à deux ou à plusieurs, c'est incontestablement
accepter d'aliéner une part de soi, de sa propre liberté.
C'est le propre de toute vie collective. Quand les sentiments s'en
mêlent, l'affaire se complique. Nous sommes anarchistes mais
n'en sommes pas moins exposés aux passions. Nous revendiquons
l'égalité parfaite de la femme et de l'homme ; nous
revendiquons hautement pour tous, comme pour nous- mêmes,
le droit d'aimer qui nous plaît, selon le mode qui nous convient,
de nous accorder sans cesse, de nous appartenir, sans autre condition
que la réciprocité du désir, sans autre obligation
que d'assumer les dégâts que notre conduite pourrait
causer dans l'existence d'autrui.
De la complexité des sentiments…
En matière d'amour, et plus particulièrement en amour
libre, la jalousie est un obstacle difficile à surmonter.
E. Armand considère que « le jaloux est un type humain
en voie de régression » et que ce spécimen «
retardataire » se rencontre y compris dans les milieux anarchistes.
Il n'a pas pour habitude d'y aller par quatre chemins ! Pour lui,
la jalousie n'est pas une fatalité car elle relève
des mêmes préjugés que la foi, le chauvinisme
ou le capitalisme. La jalousie revêt trois formes :
La jalousie propriétaire, aspect de la domination de l'humain
sur son semblable, la jalousie sens elle, le sentiment de frustration
issu de la suppression des rapports sensuels qui unit l'un à
l'autre et enfin la jalousie sentimentale, la forme la plus grave
car elle peut conduire l'individu(e) qui ne se sent plus aimé(e)
à la mort.
Il est évident que la première définition n'intéresse
pas les anarchistes. Par contre ils s'exposent aux deux autres variantes.
Sébastien Faure considère dans son livre « La
Douleur Universelle » la jalousie comme « un sentiment
purement artificiel qui dérive de circonstances suppressibles,
éliminable lui-même ». Quant à E. Armand,
il voit dans « l'abondance d'offres, de demandes, d'occasions
» le remède à la jalousie. Il nomme cela «
le communisme sexuel volontaire » ou « Tous à
toutes, toutes à tous », selon une formule empruntée
à Platon ! Contrairement à C. Ytak, je pense qu'Armand
s'était bien relu !
Loin de moi aussi l'idée de faire de la fidélité
la panacée ! Ce serait aller à l'encontre des passions.
Mais la fidélité mérite pourtant qu'on s'y
attarde. On parle de constance dans les affections, d'exactitude
à remplir ses engagements. Dans ces deux cas au moins, il
s'agit d'une qualité précieuse et non d'un préjugé.
Elle rejoint quelque part le respect de la parole donnée
qui est la condition indispensable de l'harmonie dans une société
libre.
En guise de conclusion.
L'amour libre est souvent abordé à travers des conférences
sur le thème de la contraception et jamais de plein fouet
comme un sujet à part entière. Nous n'avons pas pour
habitude dans nos réunions de débattre de l'amour
libre. Nous clamons de beaux (et nécessaires) slogans sur
la liberté de disposer de son corps, la gratuité de
la contraception et de l'avortement, sur l'égalité
économique et sociale, nous nous élevons contre les
dogmatismes mais nous restons frileux pour parler de nos vies intimes.
Serions-nous pudibonds ? Serions-nous blindés dans nos convictions,
loin du romantisme, de la séduction, de la passion ? Je me
garde bien de vouloir faire ici le panégyrique de nos habitudes
sexuelles ou de me lancer dans une autocritique dont on sait ce
à quoi elle aboutit !
Nous savons tous et toutes que l'égalité économique
et sociale est indispensable, mais insuffisante. Une société
se construit avant tout avec des individu(e)s et pour que l'édifice
social tienne debout et soit une source de bonheur, les gens doivent
être heureux. Nous devons tous réfléchir au
sens de ce bonheur et commencer dès maintenant à prolonger
les luttes économiques par un comportement moral qui assure,
garantit et pérennise l'épanouissement libre et entier
de chacun(e). Cette morale anarchiste, sans obligation ni sanction,
est autant nécessaire. L'amour libre en est un des jalons.
Mais il nous reste du chemin à parcourir !
Martine-Lina RIESELFELD
AMOUR LIBRE … JUSQU'OU ?
Origine, le site En-Dehors : http://membres.lycos.fr/endehors/page37.html
|