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REGARDS SUR L'IMMIGRATION
1. L'utilitarisme migratoire en question (Par Alain Morice)
2. Les droits des étrangers et des migrants (Par Cercle migration et libertés)
3. Le soft-apartheid helvétique (Par Dario Lopreno)


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Décembre 2002
Objet : [zpajol] TR: [ATTAC] INFO 385 - REGARDS SUR L'IMMIGRATION

Objet : [ATTAC] INFO 385 - REGARDS SUR L'IMMIGRATION
COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°385) Vendredi 06 Décembre 2002

1. L'utilitarisme migratoire en question (Par Alain Morice)
Le modèle actuel (français), qui est devenu peu à peu le modèle de toute l'UE, consiste, d'un côté, à importer de manière opportuniste des travailleurs. Notons qu'«importer» a une connotation à la fois pragmatique (au coup par coup) et utilitariste (par rapport à des besoins économiques, réels ou supposés). Et, de l'autre côté, à pratiquer une gestion sélective et même parfois eugéniste et raciste de cette immigration; ce qui oblige à l'application de deux principes, au moins dans le cas français: privilégier d'une part l'installation durable des immigrés considérés comme les plus proches de nous culturellement - le mot «racialement» était utilisé avant la guerre -, et donc supposés les plus assimilables; a contrario, donner le caractère le plus provisoire et le plus précaire possible à l'immigration des gens dont on dit qu'ils ne parviendront jamais à s'adapter à la population française.

2. Les droits des étrangers et des migrants (Par Cercle migration et libertés)
La garantie du respect des droits des migrants doit être renforcée dans le droit international. Nous ne pouvons accepter que le droit international soit subordonné au droit des affaires et réglé par l' Organisation Mondiale du Commerce. Accepter que les migrants soient considérés comme des marchandises c'est accepter un pas de plus dans la marchandisation de l'espèce humaine.

3. Le soft-apartheid helvétique (Par Dario Lopreno)
Si cette situation terrorise certains xénophobes angoissés à l'idée de perdre « notre » identité, c'est à nous d'essayer de gagner cette bataille et de montrer combien la notion d'identité nationale est et a toujours été une redoutable arme purement idéologique dans les mains de l'Etat des privilégiés.


1- L'utilitarisme migratoire en question
Par Alain Morice. Anthropologue, chargé de recherches au Centre national de recherche scientifique (CNRS, Paris).

Ce texte est la transcription d'une conférence donnée à Fribourg et organisée, entre autres, par le collectif des sans-papiers
Je vais surtout m'appuyer sur le cas français, parce c'est celui que je connais le mieux et que la France est un très vieux pays d'immigration, pratiquement le premier pays d'immigration dans l'histoire de l'industrialisation européenne. En outre, nous avons le «privilège» d'être le pays qui sert de phare à l'Union européenne en matière de politique répressive et xénophobe. Bien que la Suisse ne fasse pas partie de l'UE, elle est concernée par les évolutions actuelles en matière de «politique migratoire», entre guillemets, puisque j'expliquerai en quoi il ne s'agit pas de «politique».

Je vais aborder surtout la question du travailcar elle occupe une place centrale dans la vie des gens et dans les motifs de migrations.
En général, le travail est l'élément structurant de la personne qui migre.
Parallèlement, je vais faire un rappel historique de ce qui s'est passé en France. Sans se pencher sur l'Histoire, on ne comprendrait pas ce qui se passe aujourd'hui. On ne comprendrait pas que ces mêmes questions ont déjà été posées presque dans les mêmes termes en ce qui concerne la xénophobie, le racisme, la fermeture des frontières, les lois discriminatoires sur le travail, etc. Tout cela existe depuis longtemps. La déréglementation actuelle et le développement de l'emploi illégal sont une production historique, sur laquelle je proposerai l'hypothèse que l'immigration a été instrumentalisée.

Enfin, j'aimerais consacrer du temps à une question qui est toujours plus présente dans la presse et les discours des politiciens, à savoir la question du retour sélectif à une immigration. On commence à reparler d'un déficit au niveau de la main-d'oeuvre - surtout celle qu'on n'a pas envie de très bien traiter - et on revient donc sur une stratégie que j'appelle le cynisme ou l'utilitarisme migratoire.
«Importation», «gestion sélective» et asile

Je pars de la doctrine française en matière d'importation d'étrangers et de gestion des étrangers en France. D'une part, on importe des gens en fonction des besoins qualitatifs ou quantitatifs - supposés ou réels dans les anticipations - et qui sont généralement liés au marché du travail. Donc un besoin en matière de producteurs, de bras; et, si l'on prend aussi les familles, c'est dans un but de paix sociale.
D'autre part, on vise à les intégrer (à l'époque coloniale, on disait plutôt «assimiler») à la société d'accueil, en l'occurrence la société française. Nous avons donc deux volets: primo, contrôle des flux migratoires par l'introduction de gens en fonction des besoins, et secundo, assimilation de ces gens que l'on a accueillis.

Je précise tout de suite que ce programme théorique ne fonctionne pas ou fonctionne très mal; ensuite, qu'il est très largement motivé par des considérations idéologiques et devenues électorales depuis les années 80; enfin, qu'il est fréquemment contraire à l'esprit, sinon à la lettre des droits humains. A ce sujet, il est un peu abusif de parler de «politique migratoire» au sens noble que je me fais de la politique, à savoir un plan concerté, respectueux des gens, avec des objectifs clairs et justes, dénué de cynisme. Je pense qu'il s'agit de tout, sauf de «politique».
Le modèle actuel (français), qui est devenu peu à peu le modèle de toute l'UE, consiste, d'un côté, à importer de manière opportuniste des travailleurs. Notons qu'«importer» a une connotation à la fois pragmatique (au coup par coup) et utilitariste (par rapport à des besoins économiques, réels ou supposés). Et, de l'autre côté, à pratiquer une gestion sélective et même parfois eugéniste et raciste de cette immigration; ce qui oblige à l'application de deux principes, au moins dans le cas français: privilégier d'une part l'installation durable des immigrés considérés comme les plus proches de nous culturellement - le mot «racialement» était utilisé avant la guerre -, et donc supposés les plus assimilables; a contrario, donner le caractère le plus provisoire et le plus précaire possible à l'immigration des gens dont on dit qu'ils ne parviendront jamais à s'adapter à la population française. Là, naturellement, les premiers qui sont visés dans le cas français sont les arabo-musulmans.

Là où cela devient problématique, c'est que nous sommes dans une situation - conjoncture - qui est devenue extrêmement différente de l'époque où cette pseudo-politique, telle que je l'ai résumée, a été définie. Maintenant, la principale solution qui reste aux personnes désirant immigrer, c'est la solution de l'asile, c'est-à-dire se présenter comme réfugiées. La demande d'asile devient vecteur de la migration. Nous sommes donc devant une chose que les xénophobes ont beaucoup de mal à gérer: la demande d'asile peut être légitime, et en même temps, les objectifs d'assimiler - ou non - certaines personnes ne correspondent plus, aux yeux des gouvernants, à ces populations qui demandent l'asile. Nous sommes donc, sans surprise, confrontés à un système qui ne fonctionne pas bien.
Histoires d'une demande d'importation

Maintenant, je vais passer au rappel historique, car il faut bien comprendre que la situation actuelle n'est pas tombée du ciel. En France, nous avons eu trois guerres qui se sont pratiquement soldées par la même chose: une saignée des populations masculines en âge de travailler, à une époque où la force laborieuse était peu féminisée.
Ce fut le cas en 1871, 1918 et 1945. Dans les trois cas, il y a eu par conséquent, ensuite, une demande d'importation de populations extérieures pour remettre en route l'industrie et la natalité. Voici, aussi brièvement que possible, quelques données concernant le siècle que nous venons de quitter.

Dès 1924, le patronat crée la «Société générale d'immigration» - étatisée, elle deviendra plus tard l'Office national d'immigration -, une société patronale chargée du recrutement, du transport et de la répartition de la main-d'oeuvre. A cette époque-là, ça concernait surtout l'industrie lourde et minière. Tous les secteurs de forte croissance ont été des secteurs de forte absorption de main-d'oeuvre immigrée. Par exemple, de 1921 à 1931, il arrive plus d'un million de personnes déclarées, 2 millions avec les familles, et sans doute encore le double avec l'immigration clandestine, qui était considérable. En 1931, les immigrés représentaient 42% des effectifs dans les mines et 38% dans la métallurgie.
Il faut aussi préciser qu'à cette époque-là, la règle était la privation des droits administratifs et sociaux: interdiction de se syndicaliser, incapacité électorale, déclaration obligatoire à la préfecture de police de tous les déplacements professionnels et domiciliaires. C'était un peu la continuation du livret de l'ouvrier de Napoléon 1er, sauf qu'ici ça ne s'appliquait qu'aux immigrés, dépourvus de tout droit.

Après 1945, on est pratiquement à nouveau dans le même schéma: la nation doit faire face en même temps à des impératifs économiques (reconstruction) et démographiques (fécondité). Mais entre-temps, la France s'est dotée, par l'ordonnance du 2 novembre 1945, d'une législation sur l'entrée et le séjour des étrangers, qui instituait, entre autres, le double titre de séjour et de travail, source constante de situations kafkaïennes (pour avoir l'un, il fallait avoir l'autre).

Ce texte est toujours en vigueur malgré une trentaine de refontes, dont les plus célèbres sont les lois Pasqua I et II, Debré et Chevènement. Sa fonction est de rappeler à l'étranger qu'il y a un statut des étrangers, c'est-à-dire qu'il y a un droit des étrangers, et que celui-ci n'est pas le droit commun des citoyens nationaux.
Le statut de cette loi, qu'elle soit appliquée ou pas, est de rappeler sa précarité juridique à l'étranger. Pendant les «30 glorieuses» (en fait peu glorieuses), période de croissance, 1945-74, la loi était peu utilisée. Les étrangers étaient recrutés sur place. On les faisait venir en France. Les recruteurs regardaient la dentition, la taille des biceps, etc. et mettaient des tampons sur les papiers, voire sur les corps; ensuite les «bons à immigrer» passaient par l'Office national de l'immigration.

Dans l'ouvrage La mémoire confisquée. Les mineurs marocains dans le Nord de la France (Ed. Septentrion, Lille, 1999), on trouve le témoignage d'émigrés qui se souviennent d'un ancien militaire chargé de les sélectionner: il fallait avoir entre 20 et 30 ans, une bonne vue, une aptitude physique et morale au travail à la mine, un corps sain, pas de maladie contagieuse ni de précédents avec la police. Le recruteur Mora examine dents et muscles, comme dans un album de Tintin. Enfin, «s'il t'affiche un cachet vert sur la poitrine, cela signifie que tu es accepté; un cachet rouge signifie que tu es refusé». Nous retrouverons cela dans les préoccupations sélectives actuelles.
Parallèlement, il y avait un afflux considérable d'immigrés clandestins. Tout le monde le savait. On parlait alors d'immigration «sauvage» - avec les relents racistes que ce mot contient - ou «clandestine», mais pas encore de «sans-papiers». Comme le contrat de travail et le titre de séjour étaient distincts, on amenait l'immigré à la préfecture, et s'il y avait un emploi, il était régularisé dans les 48 heures. La loi était là comme une épée de Damoclès, mais fonctionnait peu dans la réalité.

Il s'agissait de jeunes, célibataires, certains avec de la famille au pays - la famille ne venait pas en France -, qui logeaient dans les fameux foyers Sonacotra, logements précaires conçus pour des adultes isolés. Ils travaillaient plutôt dans l'industrie lourde et le bâtiment-travaux publics (BTP), mais aussi dans le nettoyage urbain.
Une phrase toute faite était déjà utilisée à l'époque: «Ce sont les immigrés qui font le boulot que les Français ne veulent pas faire.» Or ce n'est pas ça: c'étaient les employeurs qui ne voulaient pas de Français, mais qui voulaient des immigrés, car ils jugeaient qu'ainsi il y avait plus de possibilités de pratiquer la surexploitation. Se faire embaucher en tant que Français dans les usines Renault ou Citroën, dans les années 60-70 était quasi impossible.

Il existait enfin une sorte d'illusion partagée par tous les acteurs - les immigrés et les pouvoirs publics: l'illusion de l'espoir du retour, cette notion de «l'oiseau de passage» comme l'a dit un célèbre sociologue américain. Vingt ou trente ans après, ces gens sont toujours là, la famille a été fondée et ils sont complètement enracinés en France. Le moteur de l'immigration, ça a été cette espèce d'illusion du retour qui ne s'est pratiquement jamais vérifiée. Il n'existe en général pas d'immigration dans le monde sans peuplement: il n'y a aucun cas structurel d'immigration avec retour. L'exemple que je cite souvent, c'est Brasilia au Brésil: lors de la construction de la capitale du Brésil, au cours des années 60, les gens ont tous cru que les bâtisseurs, venant du Nordeste très pauvre, allaient repartir une fois le travail terminé. Ils sont restés et autour de Brasilia - 1 million d'habitants très exactement d'après le «plan pilote» initial - se sont constituées des cités satellites, comptant aujourd'hui plusieurs millions d'habitants. Mais on pourrait aussi citer le cas de la Suisse, qui s'est aperçue que les étrangers avaient une fâcheuse tendance à s'installer, et qui a cherché, en mars 1994, à exclure les étrangers du «troisième cercle» du travail saisonnier.

Le tournant de 1972-1974
En France, dès 1972, puis en 1974 avec le «choc pétrolier» [récession généralisée dans les pays de l'OCDE], on voit apparaître les premières mesures contre l'immigration. A cette date, l'arrêt total, provisoire, de toute immigration de travail est prononcé, ce qui se révélera illusoire. Apparaît alors la notion de sans-papiers, c'est-à-dire des gens qui tout à coup s'aperçoivent qu'ils ne sont plus désirables et qui, par conséquent, commencent à être pourchassés, situation relativement nouvelle. C'est aussi l'époque des premières grèves de la faim - significativement, la première, fin 1972, qui fera reculer les autorités, est celle d'un étranger dont les titres n'avaient pas été renouvelés pour cause d'activité politique.

Il y a aussi eu progressivement un changement radical qui se manifestera au début des années 80: l'irruption de l'immigration sur le plan idéologique et électoral, qui jusque-là était traitée sur le plan administratif. En 1974 encore, à l'occasion de la première présentation de Le Pen à l'élection présidentielle, l'immigration n'était pas présente dans son discours ou dans son programme. Au fur et à mesure de ce changement, ça devient une affaire de démagogie, une affaire de dresser les gens contre une population qui sert de bouc émissaire. C'est nouveau, bien que cela ait eu lieu dans le passé aussi. La nouveauté réside dans un fait: cela va devenir un thème incontournable de la propagande politicienne de la représentation nationale, alors que sur le plan local la question du «seuil de tolérance» à l'égard des étrangers a commencé à être agitée dès le début des années 70.

Au niveau du dispositif législatif, tout se durcit peu à peu. On introduit en 1975 la notion d'«opposabilité de la situation de l'emploi»: lorsqu'un employeur veut employer un étranger et lui obtenir un titre de séjour, il lui faut d'abord commencer par prouver qu'aucun national ou qu'aucun résident étranger en règle ne pourrait o ccuper ce poste de travail. En 1977, intervient la circulaire dite «du million» (de centimes) qui incite les étrangers à repartir moyennant en contrepartie une aide de 10000 FF [quelque 2500 francs suisses]. Ce sera un fiasco: quelques dizaines d'étrangers seulement repartiront.
Il y a également un durcissement sur le plan pénal.
Malgré tout, c'est l'époque où la question sociale est telle que le gouvernement de Raymond Barre [il a été premier ministre et ministre de l'Economie et des Finances du 25 août 1975 au 31 mars 1978, puis premier ministre du 3 avril 1978 au 13 mai 1981] est obligé de pratiquer le regroupement familial. Et c'est là aussi la naissance des problèmes que nous rencontrons à présent en France, qui sont en fait les problèmes rencontrés par ceux et celles qu'on appelle de la «2e génération». C'est-à-dire des enfants qui sont nés en France, qui sont souvent de nationalité française par acquisition à la majorité, et qui maintenant sont l'objet d'un assez grand nombre de discriminations racistes, sur le plan scolaire, des loisirs, de l'embauche, du logement, à cause de l'origine de leurs parents. Parallèlement, avec les restructurations dans l'industrie et dans l'économie, l'immigration a été instrumentalisée dans le sens d'expérimentations de nouvelles formes de mise au travail qui vont progressivement s'étendre à l'ensemble de la population.

Flexibilisation et instabilité: l'immigration comme «laboratoire»
La période actuelle s'est annoncée par l'introduction plus systématique du néo­libéralisme et du monétarisme avec le plan du ministre de l'Economie Jacques Delors, en 1983 [sous la présidence de François Mitterrand]: l'heure est aux gains de productivité, aux regroupements d'entreprises, à la désinflation compétitive, à la limitation des déficits publics, à la déréglementation des salaires et des prix, etc. Au profit de la stabilité monétaire, la question du plein emploi passe désormais au second plan, à tel point qu'on peut croire que le chômage devient un mode de gestion de la force de travail.
C'est ainsi une nouvelle période où l'on voit cette instrumentalisation de l'immigration à l'oeuvre avec, particulièrement, la multiplication de tous les contrats précaires, c'est-à-dire les formes d'embauche auxquelles on suppose que l'immigration, et en particulier les sans-papiers, va se prêter de bon gré. La notion d'emploi à vie est désormais considérée comme complètement réactionnaire: flexibilisation et instabilité sont à l'ordre du jour.

Quand on commence à licencier massivement au début des années 80, les immigré·e·s sont les premiers à absorber le choc du chômage. Par exemple, dans l'automobile, ils encaisseront à eux seuls plus de 42% de la suppression des emplois. Même phénomène dans le BTP. Au niveau national, on estime qu'ils représentent 12% des pertes d'emplois par an après 1983, pour un total de plus d'un demi-million de salariés entre 1975 et 1990.
Parallèlement, le travail des immigrés prendra peu à peu toutes les caractéristiques de la main-d'oeuvre telle que le patronat commence à la désirer. Le cas du BTP est éclairant: développement de la sous-traitance et de toutes les formes d'externalisation, hausse vertigineuse du travail temporaire, croissance du travail dissimulé (dit abusivement «clandestin») et de toutes les formes du salariat déguisé en travail «indépendant». Sur le plan général, la mobilité intersectorielle s'accélère, les restructurations se traduisent par un mouvement de la main-d'oeuvre des grandes vers les petites unités, de l'industrie vers le secteur des services, de la grosse entreprise vers le sous-traitant, et de l'emploi déclaré vers l'emploi plus ou moins informel. De par la position particulière des étrangers dans le pays, l'immigration a donc joué un rôle expérimental dans ce processus.

Triple rôle de l'immigration

Si l'on reprend l'ensemble de ces périodes pour voir ce qui se cache derrière cette périodisation, on peut dire avec divers chercheurs - voir notamment les travaux de Claude-Valentin Marie - qui ont étudié la question que ce rôle spécifique de l'immigration est triple.
Le premier, c'est ce qu'on pourrait appeler la «disponibilité sociale». On entend par là ce qu'attendent les employeurs: une plus grande mobilité, une plus grande adaptabilité aux postes de travail, pas de tradition politique ou syndicale, de faibles exigences salariales et, en matière de conditions de vie et de travail, une situation de dépendance salariale (jusqu'à la servitude pour dettes), la fluidité des conditions de
recrutement, et une plus grande vulnérabilité vis-à-vis des pouvoirs publics.

Le deuxième rôle de l'immigration, c'est celui d'«amortisseur de crise» dont j'ai déjà parlé. Les immigrés sont les premiers embauchés en cas de reprises sectorielles ou nationales, et les premiers licenciés en cas de crise [récession].

Le troisième rôle de l'immigration, c'est celui d'«amortisseur social». Cela revient au rôle d'expérimentation et au fait que sur le plan social, les employeurs et l'Etat trouvent avantage au fait que l'immigration soit souvent très structurée sur un plan communautaire: à partir de réseaux dans lesquels la police ou la régulation sociale et politique se fait d'elle-même, avec des mécanismes de pouvoirs complexes qui font qu'effectivement ça porte plutôt les personnes à la docilité et à une absence de réactions trop fortes, par rapport à l'individualisme exacerbé de la société occidentale en général. Cela va favoriser également toute une série de d'éléments, notamment le dumping social et les infractions généralisées au Code du travail, qui petit à petit concerneront des fractions plus étendues de la population laborieuse. Ce qu'on a fait pendant toute une période avec les immigrés, maintenant on le fait avec les femmes, les enfants et les enfants d'immigrés en situation régulière ou naturalisés. On saura que le premier maillon de la chaîne est celui des sans-papiers, qui sont mis d'emblée hors droit.

Mécanismes de la mise au travail illégal
Il faut se pencher sur le sens d'un constat significatif: les secteurs gourmands en main-d'oeuvre immigrée, en général, sont également les secteurs qui sont gourmands en main-d'oeuvre immigrée sans papiers.
Parmi ces secteurs, en France comme dans d'autres pays européens, on trouve le BTP, les récoltes dans l'agriculture, la confection (la France est une place mondiale du prêt-à-porter), l'hôtellerie et la restauration, le secteur des services en général (dont le nettoyage, la surveillance et la distribution ambulante de prospectus), le travail domestique.

Ces secteurs se caractérisent fréquemment par: des rythmes saisonniers et des conditions variables; une très forte sensibilité à la conjoncture économique; des besoins surtout en main-d'oeuvre non qualifiée; des traditions ethniques en matière d'embauche comme c'est le cas pour la confection; un caractère familial et paternaliste des relations de travail calquées sur le modèle familial; des traditions en matière de négation du droit du travail, et une capacité de corrompre les dépositaires de l'autorité publique, ce qui débouche sur des habitudes en matière de chantage à l'emploi et de non-respect du Code du travail. D'ailleurs, un des arguments forts du BTP et de la confection, où notoirement des quantités importantes d'argent circulent frauduleusement, est que si la loi était respectée, les entreprises n'auraient plus qu'à fermer et à jeter leurs employés à la rue. Même scénario dans l'agriculture.

On peut maintenant s'attarder sur cette superposition assez étonnante entre les secteurs qui sont donc variables, archaïques ou peu réglementés, et les secteurs du travail illégal. Quels sont les mécanismes de la mise au travail illégal?
En France, depuis une loi de mars 1997, la notion de «travail clandestin», à cause de ses ambiguïtés, a disparu du vocabulaire juridique français. Elle a été remplacée par la notion de «dissimulation». A présent, dans le Code du travail français, il y a deux articles qui nous donnent une première infraction qui s'appelle «activité dissimulée», qui est le fait de ne pas se déclarer en tant qu'entrepreneur; et une deuxième qui s'appelle «dissimulation d'emploi» qui est le fait de ne pas déclarer ses employés.

Mais il y a un amalgame qui revient fréquemment. Il consiste à mélanger les gens qui sont «clandestins» du point de vue du séjour - c'est-à-dire qui n'ont pas de papiers - et ceux qui seraient «clandestins» au niveau du travail, si cette notion avait un sens. La notion de «travailleurs clandestins» en France n'a aucun sens juridique parce que, au contraire, chez nous, le Code du travail protège les personnes qui sont employées illégalement. Elles sont considérées par le Code du travail comme des victimes et non pas comme des travailleurs clandestins. Même en cas de rupture de la relation de travail, elles ont droit aux indemnités comme si elles étaient déclarées. Le terme «travail clandestin» n'existe plus, on parle de travail non déclaré ou d'emploi illégal.
Cet amalgame a fait beaucoup de tort au mouvement des sans-papiers parce que les gens faisaient la confusion entre prétendus «travailleurs clandestins» et ceux qui étaient entrés clandestinement.
Ce sont deux choses complètement différentes, si ce n'est qu'un employeur n'a pas le droit d'embaucher quelqu'un qui ne possède pas de papiers.

Les ressorts du mécanisme de la mise au travail illégal sont les suivants: officiellement on ferme les frontières. Mais tout le monde sait que la fermeture des frontières est impossible, que c'est un mensonge et que les frontières sont des passoires. Les flux ne diminuent pas, simplement l'entrée sur le territoire devient plus difficile et plus coûteuse. La personne qui est candidate - et qui maintenant vient de plus loin, comme du Sri Lanka ou de la Chine par exemple - paie de plus en plus cher et se met de plus en plus en dépendance à l'égard de tous les groupes concernés, qui ont tendance à se constituer en réseaux que certains qualifient de «mafieux», à savoir les passeurs, les fabricants de faux papiers, les logeurs et les employeurs.

Il y a donc une situation de dépendance, et éventuellement une situation d'endettement. Par conséquent, à la limite, la personne va rentrer dans un processus typique de servitude pour dettes: elle va donc finir par travailler uniquement pour rembourser sa dette. La loi Chevènement [Jean-Pierre Chevènement a été ministre de l'Intérieur du gouvernement Jospin du 4 juin 1997 au 29 août 2000], qui a considérablement durci les conditions d'entrée en 1998 en France, a permis le doublement du prix du voyage entre la France et la Chine, à savoir environ 120000 FF [un peu moins de 30000 francs suisses]. C'est la mise en place d'un dispositif fondé sur la dette, y compris la dette morale. C'est aussi, éventuellement, le point de départ de bagarres ethniques entre demandeurs d'asile d'origines différentes.

L'agriculture: clandestinité, volatilité des flux et déni d'existence juridique
Prenons l'exemple de l'agriculture: l'agriculture s'articule de très près à d'autres formes du travail précaire, et notamment au travail saisonnier. Entre parenthèses, les statistiques sur l'emploi illégal ne veulent pas dire grand-chose parce que, par exemple, un employeur peut déclarer deux heures de travail payé, alors que son employé en fait dix. Le problème n'est donc pas seulement la quantité de travailleurs non déclarés, mais aussi la quantité de travail clandestin de personnes employées légalement.
L'agriculture s'articule sans contradiction avec le travail saisonnier. A propos des émeutes racistes en Andalousie à la suite d'un crime commis par un Marocain, un chercheur de l'Institut national de recherche agronomique (INRA) en France a expliqué: «L'immigration clandestine joue un rôle complémentaire de l'immigration officielle.

L'exploitant doit disposer d'un volant supplémentaire d'ouvriers pour faire face aux aléas et ces ouvriers doivent pouvoir être engagés et renvoyés selon les besoins. L'immigration clandestine apporte cette superfluidité indispensable et constitue également un moyen de pression sur les immigrés officiels.» (Forum civique européen, F-04300 Limans, 11.12.2001)
Cette citation est intéressante car elle va beaucoup plus loin encore que le mécanisme que j'ai mentionné avant: c'est l'intégration de l'immigré clandestin à l'économie comme nécessité, mais c'est aussi une transformation de l'économie qui va fonctionner en fonction de l'anticipation de la clandestinité.
Plus loin, il est aussi question dans ce texte de la formation d'un véritable apartheid sur place. C'est-à-dire qu'il y a une espèce de ségrégation raciale qui se crée et qui double le cas des réserves marocaines: non seulement le Maroc constitue une réserve de main-d'oeuvre dans laquelle on peut puiser assez facilement par l'intermédiaire des passeurs, mais encore il y a également des réserves sur place dans lesquelles les employeurs des serres vont puiser en fonction d'une demande qui devient actuellement une demande quotidienne.
Le mécanisme est ici le suivant: vous avez une division du travail qui se fait au niveau européen, pour les pays du Nord c'est la viande, le lait et les céréales, pour les pays du pourtour méditerranéen (Espagne, Italie, Grèce) ce sont les légumes et les fruits cultivés sous serre, où règnent des conditions de travail épouvantables.

La France est le pays le plus développé du monde au niveau des supermarchés et c'est la France également qui est le premier commanditaire de l'Espagne pour ce qui a trait aux fruits et légumes.
Les gens passent leurs ordres, par exemple, à deux heures du matin au moment des Halles [lieu de courtage - Rungis], et il faut que les légumes soient arrivés le soir ou le lendemain tôt. Voyons le résultat: aujourd'hui, moi, exploitant agricole, j'aurai besoin de 20 travailleurs marocains pour récolter mes fraises, demain j'en aurai besoin de 50, après-demain de 100. et le lendemain de 0. Par conséquent, vous avez ce phénomène d'accordéon: la réserve est créée sur place et ça, en plus, c'est créateur de racisme, bien évidemment, car un peuple qu'on exploite de cette façon est un peuple qu'on offre au mépris des habitants. C'est effectivement ce qui se passe en Europe, pas seulement en Andalousie.

Tout cela, c'est la soumission à la grande distribution et aux donneurs d'ouvrage. On observe, dans le même genre, des phénomènes qui se développent, notamment en France ou en Grande-Bretagne, par exemple dans la cueillette de fruits et légumes avec le système du «gang-master», c'est-à-dire du chef d'équipe - qu'on appelait avant le patron ou le «marchandeur» - qui constitue une équipe dans son environnement. Par exemple, un homme monte une équipe parmi ses compatriotes et se responsabilise pour louer son travail et celui de ses compatriotes; et il va ensuite répartir l'argent. D'un point de vue disciplinaire c'est excellent parce que cela repose sur des ressorts communautaires où en général la discipline est librement consentie.

L'efficacité fonctionne à partir d'un déni d'existence juridique, et ce y compris pour les travailleurs plus ou moins déclarés, car en Andalousie, par exemple, il y a des restrictions qui empêchent les travailleurs de se stabiliser et de faire venir leur famille. Il y a dans ce cas une absence d'existence juridique: le sans-papiers est toujours entravé par ces difficultés.
N'avoir pas d'existence juridique signifie n'avoir pas de recours possible contre les employeurs en mobilisant la loi. Et surtout, c'est un mécanisme subjectif: il y a une espèce d'inversion idéologique de la responsabilité ou de la domination et une espèce de gratitude à l'égard de l'employeur, de celui qui fait souffrir.

A partir de l'absence de statut juridique du sans-papier, celui-ci tend à devenir reconnaissant envers son employeur, son logeur ou son passeur. Par analogie, voici ce que j'ai pu constater dans le BTP au Brésil, avec le système des «gatos». Le «gato» (le chat), comme recruteur, chef d'équipe et interlocuteur du donneur d'ouvrage, est celui qui domine et qui exploite au premier degré, mais il est souvent considéré comme le protecteur, quoique ce soit une illusion. C'est la finesse du mécanisme: faire voir les choses pour ce qu'elles ne sont pas. L'ultime ressort de ce phénomène du point de vue subjectif, c'est la peur et la menace. Autrement dit, la loi xénophobe qui interdit aux étrangers d'entrer est une aubaine pour tout un ensemble de secteurs économiques, même si, évidemment, ce ne sont pas les sans-papiers qui font tourner l'économie globale du pays.

Un rapport dominant/dominé
Revenons sur l'idée d'une instrumentalisation de l'immigration qui a donc maintenant une portée un peu plus importante. Cette instrumentalisation est parfois présentée positivement, et cela m'a personnellement toujours un petit peu gêné. On entend beaucoup de personnes qui tiennent un discours très généreux, qui affirment que l'immigration est utile à notre société, qu'on manque de reconnaissance à l'égard des immigrés parce qu'ils sont un apport. On parle également de richesse venant du brassage culturel, dans le respect des différences, etc.
Je trouve ce discours parfois extrêmement hypocrite ou au moins inconscient des réalités. S'il y a une utilité, elle est pour le Capital. Le reste, ça n'existe pas, l'utilité culturelle ça ne veut rien dire, ça ne passe pas nécessairement par l'immigration de travail exploité, et tous les échanges sont bien sûr culturellement utiles, donc cela ne vaut pas la peine d'en parler.
En même temps, on a un autre élément de cet utilitarisme qui consiste à dire que celui qui reste chez nous doit respecter les lois du pays, ses coutumes, et ne pas abuser. La Suisse est un peu pionnière dans cette question de respect de l'esprit national, qui est apparue déjà dans les années 20. Il y a tout un débat là-dessus: est-ce qu'un étranger doit ou non s'intégrer au point de perdre sa personnalité? Les règles sont un peu faussées dans le sens où nous sommes dans un rapport dominant-dominé et non pas dans un rapport entre égaux. Par conséquent, on ne peut pas raisonner sainement sur le fameux débat «le communautarisme contre le républicanisme à la française». Demander une pure et simple «assimilation», dans la tradition du colonialisme français, c'est aussi oublier qu'une nation n'est pas fixée une fois pour toutes, sauf si elle se donne comme définition d'elle-même une hostilité de principe à tout ce qui est étranger. Ce débat est certes délicat et difficile, mais il faut voir que du paternalisme à la xénophobie, il n'y a qu'un pas.

Par ailleurs, un peu comme chez vous en Suisse, cette espèce de méfiance permanente envers les étrangers se traduit par une multiplication des titres de séjour à caractères statutaire et juridique différents au fur à mesure que l'on avance dans le temps. La notion de «résident de plein droit» - c'est-à-dire en France avec une carte de séjour de 10 ans (comme le titre de 5 ans chez vous) - est remise en cause et maintenant, pour des raisons d'ordre public notamment, des titres de séjour ne sont parfois plus renouvelés. En outre, il importe de savoir que jusqu'à maintenant, les régularisations faites en France l'ont presque toujours été avec un titre d'un an, donc précaire - la loi prévoit un titre de 10 ans après le troisième renouvellement, mais l'étranger a intérêt, dans l'intervalle, à éviter tout incident.

Sélection, xénophobie, racisme et assimilation
Passons à la question de la sélection et du racisme en matière de politique d'immigration. La question de la sélectivité est au coeur des nouvelles politiques stratégiques européennes en matière de reprise de l'immigration. Ce qu'un de mes collègues belges appelle le «racisme européen», c'est-à-dire cette espèce de préférence pour les étrangers issus de l'UE par rapport aux autres, est fondé sur un discours extrêmement ambigu à l'égard des immigrés. La formule est la suivante: «On a besoin de vous, mais si on pouvait se passer de vous, ça serait quand même beaucoup mieux.» L'économie française, à la fois, en a besoin, et s'en méfie. Mais la dialectique entre le besoin et la méfiance est quand même une contradiction.

En France, on avait autrefois plutôt une préférence pour les gens catholiques: alors on allait les chercher du côté de la Pologne, de la Belgique ou de l'Italie, ce qui n'a pas empêché beaucoup de ra­cisme.
Et puis on a mobilisé la science démographique avec des grands pionniers comme Alfred Sauvy [1898-1990] et Georges Mauco [1899-1988].
Mauco a tenté, entre les deux guerres, de démontrer que certaines personnes étaient moins assimilables que d'autres. Il a proposé un classement qui rappelle un peu celui qu'on trouvait dans la presse suisse il y a quelques années, entre les migrants «haut de gamme» et les migrants «bas de gamme». En 1937, à partir d'un sondage auprès de 17000 salariés de l'industrie automobile, il les classe par nationalité selon l'opinion des employeurs en fonction d'un certain nombre de critères: tenue, obéissance, aptitude à travailler, rapidité, etc. Cela donnait des classements de 1 à 10 où on voyait que, pour l'aspect physique, les employeurs notaient par exemple les Belges 10/10, tandis que les Arabes avaient 1,2/10; pour la «mentalité» les Belges avaient 6,8 et les Arabes 2,8; pour la discipline le rapport était le même. En conclusion, nous avions, selon Mauco, deux catégories d'étrangers: une catégorie d'étrangers «désirables» et une catégorie d'étrangers qui ne sont pas particulièrement désirables. Parmi ceux qui étaient à peu près désirables, nous avions les «Nordiques», qui devaient constituer 50% des personnes que l'on devait importer, les «Méditerranéens proches» (30%), et les Slaves (). Petite curiosité: les Suisses faisaient partie des Nordiques; je ne savais pas que la Suisse était au Nord de l'Europe, mais Mauco, lui, le savait. Le critère est évidemment raciste. Quand on parle des pays du Nord et du Sud maintenant, l'Australie est un pays du Nord, alors.

Concernant les réfugiés, Mauco invente aussi une hiérarchie, qui met les «Slaves» en tête. Mais, parmi la catégorie des «non désirables» et «non assimilables», on compte entre autres les Arméniens et les Juifs.
Tout tourne autour de la question de l'assimilation. Ces choses ne sont aujourd'hui pas dites dans les mêmes termes, mais si vous dépouillez un peu la presse et les discours des politiciens, on n'en est pas si loin.
Alfred Sauvy, de son côté, démographe internationalement connu, a repris l'idée de l'impossibilité d'assimiler les Nord-Africains; pour les Algériens, ça a évidemment été son cauchemar, puisqu'ils étaient dans un département français et par conséquent de nationalité française. Quand il y a eu les accords d'Evian (1962), ils ont continué à bénéficier de l'accord de libre circulation. On retrouve un peu dans tout cela la théorie des trois cercles, qui a sévi pendant pas mal de temps en Suisse.

A la Libération, le général de Gaulle - qui dirige le gouvernement provisoire de la République française (GPRF) - fait cette déclaration devant l'Assemblée consultative provisoire: «Il faut appeler à la vie les 12 millions de beaux bébés qu'il faut à la France en dix ans, et introduire au cours des prochaines années avec méthode et intelligence de bons éléments de l'immigration dans la collectivité.» Vous avez là la synthèse complète de l'eugénisme: les «beaux et bons bébés» et «avec méthode et intelligence» les «bons éléments». A ce moment, entre en vigueur l'ordonnance du 2 novembre 1945, citée précédemment, qui est donc la loi sur les étrangers. Dans cette loi, ce n'est pas le point de vue de Mauco qui a gagné. G. Mauco voulait une loi raciale: que la loi définisse quels étaient les «bons» et les «mauvais» immigrés du point de vue de leur origine. C'est le point de vue républicain qui a prévalu - même si la loi n'est pas bonne -, à savoir que l'entrée et le séjour relèvent du droit commun, que cela ne concerne pas l'origine des gens. Il n'y a rien de raciste dans l'ordonnance de 1945: c'est un ensemble de mesures qui encadrent l'entrée et le séjour des étrangers, sans hiérarchie entre les origines. Le point de vue de Mauco, là, a été battu en brèche. Mais le général de Gaulle crée le Haut Commissariat à la population et il nomme secrétaire général. Georges Mauco en personne, qui restera en poste jusqu'en 1970. C'est dire que derrière les querelles de façade entre les politiciens, on voit quand même que ce qui domine, c'est l'accord en matière de xénophobie et de racisme.

Un combat unifié: libre circulation, droit du travail et antiracisme
Pour conclure, de manière générale, nous sommes actuellement dans une conjoncture où l'immigration commence à se faire toujours plus sous couvert d'asile. En tenant compte que les occasions (guerres, famines.) de flux migratoires basés sur l'asile se multiplient, et que c'est souvent le seul créneau d'immigration qui reste aux gens, il est logique qu'ils aient tendance à l'utiliser. Au regard d'autres législations internationales, qui ont été fabriquées successivement pour les Russes après la révolution d'Octobre, pour les Juifs avec la persécution nazie, puis également pour les victimes de la guerre froide après la Seconde Guerre mondiale, on peut supposer que la législation internationale (notamment la Convention de Genève) est un peu périmée. Autrement dit, elle ne correspond pas aux réalités d'aujourd'hui. Au niveau européen, en matière d'asile, les doctrines sont en train de se chercher.

Elles sont en train de se chercher dans deux directions: dans le sens d'un besoin face à une démographie vieillissante en raison du déficit de renouvellement de la natalité des populations indigènes; et dans le sens d'un besoin sectoriel nouveau, par exemple dans l'agriculture sous serres ou dans l'informatique.
Donc on en arrive à des discours qui commencent à prôner de plus en plus clairement une ouverture raisonnée mais sélective des frontières, c'est-à-dire qu'on va retrouver toute cette histoire de racisme.
En France, ça a commencé dès 1995 avec un rapport intitulé «La France dans vingt ans», rapport qui disait: «D'ici cinq ans nous allons avoir besoin d'immigration à nouveau.» Il y a eu la petite bombe du rapport de l'ONU l'an passé, disant que l'Europe allait avoir besoin de 70 millions d'immigrés d'ici les cinquante prochaines années. Il y a eu la fameuse déclaration du patronat, notamment français, sur le thème «il faut renouveler notre stock de main-d'oeuvre étrangère». On se retrouve dans la problématique des bons et des mauvais immigrés: à nouveau, les pays vont essayer de se mettre d'accord sur des choses qui ne vont pas marcher, parce que c'est impossible. Et de gérer de façon de plus en plus déréglementée le travail au noir, qui lui-même n'est que le point de départ de la déréglementation. A la limite, le travail au noir n'existera plus lorsqu'il n'y aura plus de Code du travail!

D'une part, on recherchera une main-d'oeuvre non qualifiée extrêmement mo­bile, «en accordéon» selon les besoins instantanés de l'économie.
Et d'autre part, une main-d'oeuvre ultraqualifiée, c'est la fameuse «fuite des cerveaux» qui indigne certains tiers-mondistes incapables de voir là les effets d'une stratégie d'exploitation néocoloniale bien concertée: ce ne sont pas les cerveaux qui «fuient», ce sont les pays qui sont désormais traités comme un élevage de cerveaux, où l'on puise selon les besoins. Mais dans les deux cas, de plus en plus se développe l'idée de gérer l'immigration par des «contrats à durée de chantier»: on fait venir des salariés, qu'il s'agisse d'informaticiens ou de saisonniers agricoles, pour une durée déterminée, et ensuite on leur demande de repartir. Mais les gens ne repartent pas, l'Histoire nous l'a appris.
Ainsi, ce qui est évident, c'est qu'on va vers les mêmes errements - errements dus à une conception qui ramène l'homme à une marchandise.
Mais l'Histoire ne se répète pas. Ce qu'on voit se profiler, c'est une accentuation de la tension raciste de gestion de cette main-d'oeuvre, parce que là on va définir un nouveau système de devoirs qui consiste à dire aux gens: «Vous avez accepté, vous allez jouer la règle du jeu; sinon vous repartez.» Ceux-ci, et c'est normal, vont trouver cela absolument injuste et ne repartiront pas. Et par conséquent, on va avoir des tensions qui vont devenir encore plus dangereuses que ce que nous avons connu jusqu'à présent.

Ce type de débats, on le trouve aux Etats-Unis depuis longtemps. Il y a par exemple le «modèle Virginie» qui sélectionne les gens selon leur appartenance religieuse; et le «modèle Massachusetts» qui sélectionne les gens par leurs compétences. A l'intérieur des pays riches industrialisés, nous sommes en face de tout un débat - y compris de la part des dirigeants de l'UE - pour savoir comment «reprendre» l'immigration à l'heure actuelle.
Quant à ma position, compte tenu que les partisans d'une ouverture des frontières se sont souvent fait traiter de complices du néolibéralisme, compte tenu de ce que, de façon de plus en plus manifeste, le néolibéralisme s'alimente au contraire de la précarisation des travailleurs consécutive à la fermeture des frontières, je crois qu'on doit énoncer ceci, en partant des observations précédentes: le combat pour la libre circulation des hommes est inséparable d'un combat simultané pour le respect du droit du travail et contre la déréglementation, ainsi que du combat contre toute forme de racisme.
Sans cette position globale, il n'y a aucun sens à revendiquer l'ouverture des frontières. Il faut ajouter enfin que cet ensemble de luttes n'aura désormais de sens qu'à l'échelle européenne.


2- Les droits des étrangers et des migrants
Par Cercle migration et libertés


L'aptitude du mouvement social et citoyen à prendre en charge, au niveau local, national, européen, mondial, l'ensemble des questions de la période est la condition de son développement. Il se doit de prendre en compte les questions majeures liées aux inégalités sociales et aux discriminations ; aux inégalités entre le Nord et le Sud, aux rapports de domination, aux guerres et aux conflits ; au respect des droits des générations futures et à la préservation des écosystèmes ; aux dénis des libertés individuelles et collectives et des droits démocratiques.
Nous voulons par cette déclaration attirer l'attention sur la question centrale et trop souvent négligée, des étrangers et des migrations.
Nous ne le faisons pas seulement pour défendre les droits particulièrement contestés des étrangers et des migrants ; nous le faisons surtout parce que ces droits s'inscrivent dans l'ensemble des droits et que leur remise en cause se traduira par une atteinte à tous les droits et aux droits de tous. Nous le faisons aussi parce que le mouvement social et citoyen doit démontrer sa capacité à assumer un rôle historique, à prendre en charge la société dans toutes ses dimensions, y compris sa dimension mondiale.
L'échelle européenne est une échelle pertinente pour poser cette question. Elle est déjà, pour les pays européens, celle de la définition des politiques publiques en matière d'immigration, celle de la concertation et de la prééminence d'un espace judiciaire européen.

Dans la situation actuelle, les gouvernements se confortent les uns les autres pour accentuer une approche régressive et répressive des droits des étrangers et des migrants. Pourtant, la dimension européenne offre des possibilités. La diversité culturelle est une des conditions de l'identité européenne ; les migrations et la conquête des droits des migrants font partie de l'histoire de l'Europe et de son identité. Le mouvement social et citoyen européen qui se construit, à partir des mouvements locaux et nationaux, doit s' approprier cette question, s'en saisir de manière positive et offensive.

Cette première contribution est plus directement marquée par les réalités de la société française ; c'est de cette situation que nous partons. Nous versons cette contribution pour que, dans l'année qui vient, du Forum Social Européen de Florence à celui de Paris et Saint-Denis, à partir des différentes situations et propositions, nous puissions construire ensemble une position commune sur la question des droits des migrants et des résidents étrangers dans la perspective de l'égalité des droits de tous, de leur garantie et de leur approfondissement.
Le traitement désastreux de la question des étrangers et des migrants explique, en partie, l'échec de la gauche.
Nous sommes dans une période contradictoire. Une période marquée par la montée du populisme et des références de l'extrême droite, mais aussi une période de renforcement du mouvement social et citoyen.

Cette contradiction n'est pas seulement française, elle est aussi européenne et mondiale. Pour la caractériser, nous voulons citer cette proposition de Gramsci qui avançait, entre les deux guerres mondiales, dans une période analogue : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair obscur, surgissent les monstres »
Dans ces périodes, la situation des couches sociales les plus exposées est significative de la nature profonde des sociétés dans lesquelles nous vivons. Les migrants occupent aujourd'hui, dans l'imaginaire des sociétés mondialisées, la place des « classes laborieuses, classes dangereuses », réservée, il y a quelques décennies, au prolétariat.
Sur cette question s'opposent de manière radicale, d'une part, ceux qui pensent que le progrès social et démocratique implique la protection contre l'étranger et, d'autre part, ceux qui estiment qu'un progrès social et démocratique construit sur l'exclusion a peu de chances d'être durable.

Nous pensons que l'échec de la gauche est lié au traitement désastreux de la question des étrangers et de l'immigration. La situation a été de ce point de vue très proche dans l'ensemble des pays européens gouvernés par des alliances dirigées par des partis sociaux-démocrates. En France, il y a certes plusieurs raisons combinées qui expliquent la perte de crédibilité du projet de la gauche plurielle et le divorce avec l'électorat populaire. La rigidité par rapport aux sans-papiers a été, pour certains, une rupture morale.
La difficulté à comprendre l'exaspération des exclus et à leur assurer un égal accès aux droits a approfondi cette rupture. La dérive des mesures sociales les plus prometteuses vers les couches moyennes a dérouté de larges secteurs des couches populaires. L'incapacité à échapper à la surenchère dans la montée des dérives sécuritaires et nationalistes pendant la campagne a dérouté de larges secteurs de la population, particulièrement de la jeunesse.

Les droits des migrants et des étrangers sont doublement remis en cause, par les inégalités sociales et les discriminations, et par la domination du Sud par le Nord ; ceci met en danger l'ensemble des droits.
Une société solidaire implique la lutte contre toutes les discriminations ; particulièrement le racisme, la xénophobie et celles qui reposent sur le genre. En France par exemple, nous ne pouvons accepter la représentation idiote qui voudrait que « tous les français sont racistes ». Pas plus qu'on ne peut imaginer une idéalisation dans laquelle « les français ne sont en aucun cas racistes ». Nous savons que le racisme et la xénophobie jouent le rôle de « valeurs » constitutives de larges secteurs de la société française ; et que ces comportements sont ancrés dans un passé colonial qui se perpétue dans la nostalgie d'une France dominatrice. Mais nous savons aussi qu'une large partie de la société française n'a jamais hésité à marquer son refus du racisme et même à manifester son anti-racisme. C'est par une action continue qu'on peut faire reculer le racisme et la xénophobie dans la société française à condition de refuser tout suivisme par rapport aux offensives de l'extrême droite et de développer nos luttes à partir des valeurs de liberté et d'égalité.

L'insécurité est réelle dans les sociétés contemporaines. Cette insécurité résulte de la remise en cause des statuts sociaux par la précarisation, des solidarités et des identités par la modernité, de la paix par les conflits. Répondre à la demande de sécurité par une idéologie sécuritaire et par un Etat autoritaire et répressif, c'est entrer dans une surenchère qui profitera, en dernière instance à l' extrême droite. Accepter de faire des étrangers et des migrants les boucs émissaires de cette situation est dangereux et illusoire ; comme ils ne sont ni la cause ni la solution à cette situation, leur stigmatisation ne fera qu'augmenter les craintes et entraînera toute la société dans une spirale régressive. Accepter l'idée que l'Europe est en guerre contre les migrants et qu'il est normal, qu'à ses frontières, des centaines de personnes trouvent la mort, conduira à accréditer la conception d'une Europe forteresse, fermée et indifférente à l'évolution d'un monde dont elle est aussi responsable.

Les migrants font partie du peuple ; tous ceux qui habitent le même territoire, qui y travaillent et qui y vivent, y compris les étrangers. Nier leur appartenance se traduirait assez vite par la négation de toute la diversité qui constitue la richesse de toute culture et s'oppose à la logique de la purification ethnique. Ce serait surtout affaiblir le camp de tous ceux qui ont intérêt à changer ensemble la société. Avec l'élargissement du système-monde, la citoyenneté prend de nouvelles formes. La citoyenneté de résidence est une de ces formes. La mondialisation n'annule pas les identités nationales et les solidarités communautaires, elle n'annule pas non plus les frontières mais elle en modifie l'acceptation. Les solidarités s'appuient sur la diversité culturelle et les inscrivent dans une unité, celle d'un avenir commun librement assumé.
La mise au ban des migrants et des étrangers fait partie d'une politique de précarisation généralisée. Cette précarisation se traduit par les licenciements et le chômage, la marginalisation des empois stables, la remise en cause des statuts sociaux et des systèmes de protection sociale. La négation des droits pour une partie de la population fragilise l'ensemble. Progressivement, les droits des catégories successives sont remis en cause. Les femmes qui sont de plus en plus au centre des restructurations de l'immigration, et qui sont soumises à des conditions spécifiques d'oppression et de domination, subissent particulièrement la dégradation de cette situation. Aucune politique reposant sur la division et l'exclusion ne peut assurer un progrès social et démocratique ; elle se traduit toujours par une exclusion en chaîne.

La précarisation généralisée est le résultat recherché des politiques de libéralisation menée dans le cadre de la mondialisation. Cette mondialisation, dans son cours actuel, repose sur deux fondements : les inégalités sociales et les discriminations ; les inégalités entre pays et la domination du Sud par le Nord. Les migrants sont au cour de ces deux questions. La négation des droits des migrants trouve aujourd 'hui sa source dans la domination du Sud par le Nord, dans les discriminations et dans la faiblesse du mouvement de défense solidaire.
Les droits des migrants et des étrangers occupent une place stratégique dans un projet d'émancipation sociale et démocratique.
Nous rappelons ici les cinq principes de base et quelques propositions immédiates.

La liberté de circulation et d'établissement fait partie des droits fondamentaux. Le reconnaître est un préalable et l'indication d'un objectif. Cette reconnaissance ne revient pas à décréter l'ouverture immédiate et incontrôlée des frontières, car comme toute liberté, la liberté de circulation et d'établissement doit être aménagée et organisée. Mais, les difficultés à mettre en ouvre un droit n'autorise en aucun cas à accepter la négation de ce droit. D'autant que le risque d'une invasion massive fait partie de ces fausses évidences soigneusement entretenues ; rappelons que l'essentiel des flux migratoires va de pays du Sud vers d'autres pays du Sud et n'oublions pas que l'ouverture des frontières à l'occasion de l'adhésion à l' Europe s'est traduite par un large retour des émigrés dans toute l' Europe du Sud.
Des dispositifs d'accueil et d'insertion devraient être créés impliquant non seulement les autorités gouvernementales, mais surtout de façon plus directe les collectivités locales, les organisations syndicales et les associations, acteurs décisifs en la matière. Ces dispositifs n'auraient aucun caractère obligatoire, mais les candidats à l'installation seraient encouragés à s'y inscrire par différentes mesures incitatives favorisant l'accès à l'apprentissage de la langue, au logement, à l'école et à l'emploi. Ainsi serait enfin élaborée une politique nationale d'hospitalité portée, non par les seuls pouvoirs publics, mais par la société dans son ensemble. Dans l'immédiat nous proposons de supprimer les visas d'entrée de court séjour en Europe ; de créer un droit de recours suspensif pour toutes les décisions administratives entraînant un refus de séjour ; d'admettre la légitimité des opérations de régularisation fondées sur le respect des droits la personne et le refus de zones de non-droit ; d'inscrire le droit d'établissement en Europe pour les ressortissants de la zone ACP dans les accords de coopération.

La lutte contre les inégalités et les discriminations doit être le fondement des politiques publiques. Les inégalités sont structurées par les discriminations ; la lutte contre les inégalités passe donc par la lutte contre les discriminations. Les migrants et les étrangers sont une des fractions de la population les plus exposées ; le respect de leurs droits fait partie intégrante de la lutte pour le respect des droits de tous. La lutte contre les discriminations, qui passe par le respect des droits fondamentaux et la garantie d'égalité d'accès, doit être le fondement des politiques publiques. Nous avons tous pu vérifier que toute atteinte à l'accès des étrangers aux services publics n'est qu'une première étape pour restreindre l'accès de tous aux services et subordonner cet accès à des mécanismes de marché discriminatoires en fonction de revenus. Dans l'immédiat, nous proposons de substituer le principe de l'égalité des droits à celui du maintien de l'ordre public dans les législations concernant les étrangers ; d'annuler la double peine ; de lier la lutte contre le travail clandestin aux politiques de l'emploi, à la garantie des droits des personnes et au respect du droit du travail.

La citoyenneté de résidence est aujourd'hui le fondement démocratique de nos sociétés. Elle préserve le rapport entre citoyenneté et territoire mis à mal par la mondialisation. Elle fonde les libertés démocratiques de chaque personne par rapport à l'imposition des appartenances communautaristes. Plusieurs évolutions vont dans ce sens, l'évolution du droit de la nationalité avec une reconnaissance plus grande donnée au droit du sol, du droit de vote dans l'Union Européenne, les élections prud'homales, les essais de démocratie participative, etc. Cette progression des pratiques démocratiques se heurte aux nationalismes crispés sur des conceptions rétrogrades. Le défi de la période à venir est dans l'élargissement et l' approfondissement démocratiques par l'articulation des formes représentatives et participatives à tous les niveaux, ceux de l' entreprise, du local, du national, des grandes régions et particulièrement de l'Europe, du mondial. La place des migrants et des étrangers est un révélateur de cette évolution. Dans l'immédiat, nous proposons de confirmer le fondement de la nationalité sur le droit du sol ; de garantir l'égalité des droits à tous les résidents ; d'ouvrir les emplois réservés et de rejeter les préférences nationales ou européennes ; d'étendre la citoyenneté européenne à tous les résidents ; d'assurer l'égal accès des résidents à toutes les instances participatives et représentatives.

La solidarité internationale est une des principales valeurs de référence par rapport au cours dominant de la mondialisation. Il faut rappeler le rôle historique des flux migratoires, et des migrants en tant qu'acteurs déterminants, dans le développement des sociétés d' origine et des sociétés d'accueil. Rappeler aussi que les flux migratoires sous leurs différentes formes (migrations économiques, demandeurs d'asile, diasporas, exode des cerveaux et assistance technique, etc.) structurent l'espace mondial et représentent l'un des aspects de la mondialisation. Rappeler enfin le rapport entre émigration et développement ; il est impossible de réfléchir au développement et au système mondial en dehors des flux migratoires ; l 'immigration est au cour du développement. Les modalités de coopération mises en place par les migrants renouvellent la coopération. Les migrants sont un vecteur stratégique et privilégié de la sensibilisation des sociétés européennes, et de la solidarité internationale, en France, en Europe et dans les pays d'origine. S' appuyer sur la richesse et la diversité des habitants et des citoyen, c'est ancrer la coopération dans la réalité des quartiers, des communes et des régions, c'est construire un niveau supérieur d' identité et d'unité, c'est ouvrir la France et l'Europe au monde. Dans l'immédiat, nous proposons de défendre la liberté d'association et d' expression comme un des fondements de la coopération ; de reconnaître les migrants comme des acteurs essentiels de coopération ; que chaque accord de coopération comporte des volets sur la liberté de circulation, les conditions de la liberté d'établissement et les conditions de formation et de qualification.

La garantie du respect des droits des migrants doit être renforcée dans le droit international. Nous ne pouvons accepter que le droit international soit subordonné au droit des affaires et réglé par l' Organisation Mondiale du Commerce. Accepter que les migrants soient considérés comme des marchandises c'est accepter un pas de plus dans la marchandisation de l'espèce humaine. Dans l'immédiat, nous devons exiger que le gouvernement français, les autres gouvernements européens et l'Union Européenne, ratifient la « Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille » approuvée le 18 décembre 1990 par l'Assemblée générale des Nations Unies, signée par seulement 26 pays, et d'ailleurs uniquement des pays du Sud ; elle pourrait donner de véritables garanties aux migrants sur le plan international.

Nous proposons aussi une Conférence Internationale organisée par les Nations Unies pour discuter des flux migratoires et de la garantie des droits des migrants, de la liberté de circulation, de l'égalité des droits entre les résidents et des droits des réfugiés dans les règlements des conflits. Une première étape, associant les différents secteurs de l'opinion, et notamment les migrants, peut être mise en ouvre dans l'Union Européenne.


3- Le soft-apartheid helvétique
Par Dario Lopreno


La politique des étrangers en Suisse consiste en un réel soft-apartheid qui se fonde sur la diversité des permis de travail - plus précisément des 8 permis de travail différents auxquels s' ajoutent un certain nombre de sous-catégories ainsi que les clandestins - divisant les travailleurs en autant de groupes correspondant à des durées de séjour différentes, à des droits sociaux différents, à des droits professionnels différents, à des différences au niveau du regroupement familial, à des différences en matière de scolarisation des enfants, à des droits fiscaux différents, etc. Cela concerne 1'527'000 étrangers, clandestins non compris (ces derniers étant entre « 150'000 » et « quelques centaines de milliers » selon les sources), soit le 21.3% de la population de la Suisse, ce qui, malgré les apparences, n'est pas un pourcentage élevé, compte tenu de la difficulté de se naturaliser.

Quant au domaine de l'asile, en 2000, il compte 98'480 personnes (soit le 1.5% de la population), dont 32'114 admissions provisoires (qui ne sont pas comptées dans le domaine de l'asile en France, par exemple, ce qui réduirait le domaine de l'asile à 0.9% de la population de la Suisse). Parmi ces 98480 personnes, 27'500 sont en recours dont 90% vont être déboutées et renvoyées, selon les statistiques de la Commission fédérale de recours en matière d'asile.

L'unification des politiques de l'asile et de l'immigration par la répression des clandestins
Sur les points essentiels de la nouvelle Loi sur les étrangers , les auteurs du projet de LEtr sont en parfaite convergence avec la politique de l'Union européenne qui considère qu'il faut « pour les domaines distincts, mais étroitement liés, de l'asile et des migrations, élaborer une politique européenne commune » . Ils font ainsi de l'asile et de l'immigration un seul domaine de facto et une seule politique, tout en laissant exister deux champs juridiques séparés (asile et immigration), afin de respecter formellement la Convention de Genève et de préserver une vitrine humanitaire.
La fusion de ces deux politiques s'opère par le volet commun de la clandestinité. En effet, tout repose ici sur une intersection entre les deux domaines : d'un côté, les requérants d'asile, avant d'être tels, sont des sans-papiers (clandestins) et, d'un autre côté, les immigrants extra-communautaires - à l'exception des quelques autorisés - et les illégaux de l'Union Européenne (UE) sont des clandestins. Dans la pratique, cette politique signifie le triomphe des discours contre les clandestins qui abuseraient de notre économie en tant que réfugiés économiques, en tant que migrants économiques ou en tant que migrants cachés sous les traits du demandeur d'asile .

Tout cela explique pourquoi la LEtr, comme les réglementations européennes, s'attaque très durement aux frontières aériennes, les aéroports étant les seules zones frontières qui peuvent pratiquement être bouclées à l'égard des « illégaux ». La LEtr reprend ici l'accord de Trevi de 1982, signé entre les principaux Etats de l'UE, ainsi que la Convention d'application de l'accord de Schengen, de 1990, qui imposent une lourde pénalisation financière des compagnies aériennes ayant laissé venir un voyageur en situation irrégulière. Si la mesure est effectivement appliquée, cela contraindra les employés des agences de voyages et des compagnies aériennes, en Suisse comme à l'étranger, à exercer des contrôles policiers au moment de la vente des billets, faute de quoi la compagnie devra payer jusqu'à 30'000 Francs par cas avec la nouvelle LEtr . En clair, cela permettra de barrer les frontières aériennes aux requérants d'asile.

Toujours sur la question des clandestins, la LEtr autorise la communication de données à des Etats étrangers ou à des organisations internationales « pour lutter contre les actes punissables commis dans le domaine des étrangers ». Or Europol, la super-police européenne dotée par ailleurs d'une immunité totale similaire à celle des diplomates et donc très peu contrôlable y compris du point de vue de ses collaborations avec des polices extra-UE, est une organisation internationale, comme l'est du reste aussi la police Interpol.
Evidemment, en ce qui concerne la transmission de données à des Etats tiers, cette disposition est accompagnée de la formule d'usage, se voulant rassurante mais strictement incontrôlable, « sauf si la personne est menacée dans l'Etat en question ».
La chasse aux clandestins en collaboration avec l'UE est tellement développée, que la LEtr instituerait des mesures de détention contre les clandestins pris par des sbires helvétiques en flagrant délit de sortie de Suisse avec tentative d'entrée illégale sur le territoire national d'un Etat voisin (sic !). Cette chasse est renforcée par la multitude d'accords « de réadmission » (d'expulsion), conclus par la Suisse avec 20 pays dont 18 européens, y compris tous les pays limitrophes .

La chasse aux clandestins est parachevée enfin par la Loi sur les mesures de contraintes du milieu des années '90, qui permet d' emprisonner un illégal, un requérant d'asile ou une personne en instance d'expulsion s'il refuse de collaborer avec les autorités, s' il enfreint les lois auxquelles il est soumis, s'il est soupçonné de vouloir se soustraire à son refoulement (détention administrative). La détention devrait être de 3 mois, prolongeable jusqu'à 9 mois voire 12. Les abus dans ce domaine ont été légion dès l'entrée en vigueur de la loi . Il y a presque deux ans ces abus ont coûté la vie à un Palestinien tué, à Zurich, au cours de son expulsion par la police, « pieds et poings liés, la tête recouverte d'un casque de moto, un sparadrap sur la bouche » . Dernièrement, ces bus ont coûté la vie à un requérant d'asile nigérian en Valais, au cours de son expulsion également par la police.

Ces privations de liberté sans qu'il y ait eu nécessairement condamnation préalable, sont doublées par la nouvelle Ordonnance sur l 'exploitation des centres d'enregistrements des requérants d'asile (CERA), prochainement en vigueur, officialisant leur statut de centres civils non carcéraux fonctionnant comme des centres carcéraux sans qu' il n'y ait eu quelque délit que ce soit (à moins que le dépôt d'une demande d'asile ne soit un délit. ce que la loi ne dit pas).
Ce vaste dispositif répressif est peaufiné par le projet de mise en place de régimes punitifs (restrictions d'assistance financière) ou même de centres de semi-enfermement punitif (restriction d'assistance financière et de liberté), simplement pour « mauvaise conduite » des requérants d'asile à l'assistance. Cela a été proposé par Argovie au Parlement fédéral (le Conseil des Etats s'est exprimé favorablement deux fois) et ont été appliquées notamment à Bienne, à Berne et à Zurich.

Enfin ce train de mesures de privations de liberté sans délit préalable est complété par des propositions de restriction du droit de recours des requérants d'asile et d'accélération des expulsions vers des pays dits « tiers », mesures réclamées par des députés radicaux aux Etats en été 2000. En même temps, les mêmes députés radicaux du même Conseil des Etats demandaient et obtenaient que les ingénieurs étrangers formés en Suisse et les étrangers ayant terminé un doctorat en Suisse obtiennent, sur simple demande, un permis d'établissement à la fin de leurs études...
La tentative de rendre la Suisse « moins attractive » pour les réfugiés

Depuis 1990 a été introduit le système du « compte de sûreté » pour les requérants d'asile. Il consiste en un prélèvement obligatoire d' une taxe de 10% sur tout salaire de requérant qui travaille, versée sur un compte dit de sûreté, pour couvrir les frais de renvoi de la personne concernée le cas échéant. En 1998, il y avait 53'000 comptes de ce type, pour un capital de 250 millions de Francs. Berne reconnaissait que des comptes pour un montant de 14 millions de Francs, appartenant à quelque 17'000 requérants, étaient alors sans propriétaire, chiffre qui ne peut qu'avoir augmenté depuis. De plus, selon la même enquête de l'Office fédéral des réfugiés qui prouve son incapacité à gérer ce type de pratique légale arbitraire, des dizaines de millions de Francs ont été détournés de ces fonds par des employeurs.

Depuis 2000, le travail n'est accessible aux requérants que selon une politique au mérite : seul a le droit de travailler celui qui, par sa conduite (sur le plan strictement disciplinaire et de la collaboration avec les autorités), mérite d'obtenir un emploi. Les autres sont, officiellement, condamnés à l'inactivité. qui leur sera de toute façon reprochée ensuite, le but étant clairement de les « mettre » à charge de l'assistance afin d'en faire des indésirables. Concrètement, cela signifie non seulement des relations, entre le requérant et l' assistante sociale, répressives et humiliantes, mais aussi un encouragement au travail clandestin. qui sera durement puni par une pénalité sur l'assistance, ce qui évidemment poussera le requérant à travailler d'avantage clandestinement, etc.

Enfin, l'un des éléments les plus graves de ce dispositif de rejet est le fait que, depuis plusieurs années, l'assistance sociale garantie aux requérants d'asile est devenue largement inférieure à celle des Suisses et des résidents. A l'heure actuelle cette infériorité se chiffre à 60% pour une personne seule et à 52% pour 5 personnes dont 3 enfants, et cela pour le canton de Genève qui, malgré la dureté de ses autorités , n'est pas le pire à cet égard. A cela s'ajoute la multiplication du nombre de « dossiers » par assistante sociale, qui devient tellement hallucinant que cette dernière ne peut que gérer l' état de fait sans aucun moyen de pouvoir l'améliorer.

Parallèlement à cela, le nouveau système en place commet des actes pseudo-humanitaires spectaculaires, afin de gommer sa barbarie. C'est, par exemple, le cas de certaines opérations d'envergure comme l'« Action humanitaire 2000 », par laquelle 13'000 demandeurs d'asile et étrangers non expulsables peuvent obtenir le droit de rester en Suisse. Or non seulement il s'agit de personnes non expulsables, mais en outre il est clair que cette action « humanitaire » est un simple cache-sexe de la violence de la politique d'asile et de clandestins.
En effet, la diminution des requérants admis en Suisse et l'expulsion des Kosovars ont été bien plus importantes, quantitativement, que l' apport total de l'action « humanitaire » en question.

Pour la libre circulation totale des personnes
Il est indispensable de sortir du carcan idéologique que la droite a réussi à imposer à toutes les oppositions politiques en s'attaquant à la politique d'immigration et à la politique d'asile de manière répétée, en faisant admettre très largement des fantasmes xénophobes que sont : - le requérant d'asile criminel; l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, censée défendre les intérêts des requérants et réfugiés, a même intitulé ainsi une triste étude sur la question , - le salarié-concurrent-étranger ou le clandestin coupable de dumping, fantasmes occupant trop souvent les esprits des syndicalistes et les articles de leurs journaux, - l'efficacité de la politique de régulation des flux migratoires, régulation à laquelle croient la gauche, le mouvement syndical et bien des ouvres d'entraide, dans la mesure où ils ne remettent pas en cause les deux piliers du soft-apartheid helvétique : les différents permis pour étrangers et l'Ordonnance limitant la main-d'ouvre étrangère.

Contre cette politique, il est nécessaire de défendre l'idée un logement décent, un salaire décent, une autorisation d'établissement, le droit de vote et le droit à l'assistance pour quiconque travaille en Suisse, quel que soit son taux d'occupation, droit à octroyer après une très brève période de séjour dans le pays. En même temps, nous devons lutter pour la légalisation immédiate de tous les sans-papiers.
Nous savons que cette revendication n'est pas un but en soi. Nous savons que les légalisations des sans-papiers en Italie, en France, en Espagne ou en Belgique n'ont rien résolu sur le plan politique. D'une part, leurs normes étaient à chaque fois tellement restrictives, qu' elles étaient inaccessibles à une masse de personnes concernées. D' autre part, à peine appliquées, des nouveaux sans-papiers sont générés. C'est exactement pour cela qu'une campagne pour la légalisation des sans-papiers doit non seulement demander des normes de procédure claires et larges, mais elle doit aussi s'appuyer sur la revendication plus générale mentionnée ci-dessus.

La conséquence de ces prises de position est la défense des principes du droit à la libre circulation des personnes sans restriction et son
corollaire l'ouverture des frontières, en tant que droits démocratiques fondamentaux. A l'unanimité, la droite et la social-démocratie helvétiques ont, à raison, condamné les dictatures staliniennes qui empêchaient la pratique de ce droit fondamental.
Pourtant elles l'ont nié et le nient aux étrangers de Suisse, à l' époque comme aujourd'hui. La « libre circulation » de la LEtr et des bilatérales avec l'UE n'est pas un respect du droit démocratique à la liberté de déplacement. Ce n'est qu'un privilège accordé soit au riche (machine à sous pour le fisc), soit au très qualifié ou à celui qui a été coopté par un employeur (tous deux machines à sous pour le patronat) pour se faire attribuer un poste de travail, un logement, une plus ou moins grande autosuffisance financière et pour se voir contraint de s'assimiler, de singer le Suisse.

Tant que les banques suisses restent grand ouvertes à tout capital immigrant (à la fin des années '90, 30% de l'argent placé sur un compte en banque dans le monde est dans une banque suisse, selon la revue zurichoise Bilanz), nous ne pouvons accepter la moindre limitation à l'immigration. Et si un jour la Suisse n'était plus la caverne d'Ali Baba de la planète, alors la question ne se poserait toujours pas de savoir s'il faut ou non accepter « la misère du monde entier » en Suisse. Car, comme l'écrit la revue Esprit, « dans toute société, seule une faible minorité d'individus choisit le déracinement pour un profit hypothétique, même dans le cas où le différentiel de niveau de vie est considérable. Seules les situations où la survie est elle-même en jeu, les cas de famines graves ou de guerre civile, peuvent provoquer de véritables exodes » . Or, ces situations ne devraient-elles pas être réglées sur le plan de l'aide internationale massive sans intérêt financier ni militaire ?
Il est, par ailleurs, clair aujourd'hui que les pays riches ont un besoin important d'immigration, s'ils veulent maintenir leur population à un niveau d'âge humainement raisonnable, à moins d' envoyer tout le monde au travail jusqu'à la mort. Si cette situation terrorise certains xénophobes angoissés à l'idée de perdre « notre » identité, c'est à nous d'essayer de gagner cette bataille et de montrer combien la notion d'identité nationale est et a toujours été une redoutable arme purement idéologique dans les mains de l'Etat des privilégiés.


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