"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Le Monde comme il va Emission n°6 (novembre 2007)
Le discours de Sarkozy à Dakar
Patsy

Le Monde comme il va Emission n°6 (novembre 2007)

Hebdo libertaire d’actualité politique et sociale, nationale et internationale

Alternantes FM 98.1 Mgh (Nantes) / 91 Mgh (Campbon)**

Alternantes FM 19 rue de Nancy BP 31605 44316 Nantes cedex 03

Tous les jeudis de 19h10 à 19h30 - Animation/technique : Patsy, Véro, Olivier, Nacer

Emission n°6 du jeudi 8 novembre

Editorial

Le Monde comme il va, 9 ème année, 6 ème émission, auditeurs/auditrices de la France d’en bas, de Sarkoland et d’Alternantes FM, bonsoir.

Il y a quelques mois, Nicolas Sarkozy a délivré un de ses discours fameux à l’université de Dakar. Ce discours a fait couler beaucoup d’encre depuis, puisque certains y ont vu la preuve des préjugés racistes du chef de l’Etat, ce à quoi, ses défenseurs, dont l’incontournable Henri Guaino, la plume du président, ont répondu que bien au contraire, jamais un président français n’avait été aussi loin dans la dénonciation de la traite négrière et du colonialisme, et que les critiques sévères portées sur ce texte était de la malhonnêteté intellectuelle ou le fait d’une lecture tendancieuse, s’appuyant sur des phrases extraites de leur contexte et donc de leur complète intelligibilité. Guaino enjoignait même les personnes intéressées à télécharger sur le site de l’Elysée le discours en question et de faire, dans la foulée, leur propre analyse. C’est ce que j’ai fait. Parce qu’il ne me semble guère utile d’accabler par des anathèmes un homme dont on sait déjà qu’il est libéral en économie, conservateur sur le plan des mœurs et adepte d’un Etat fort. L’hystérie anti-Sarkozy m’insupporte parce qu’elle ne me semble pas être en mesure de contrer efficacement la rhétorique et la politique sarkozienne, à moins que ces campagnes de diabolisation n’ait pour seule fonction que de faire apparaître la gauche libérale comme la seule alternative à la « fascisation » de la société française. Or, cette gauche dite moderne, à la sauce Royal ou Rocard, et la droite incarnée par Nicolas Sarkozy partagent à mon sens beaucoup plus de choses qu’on ne le dit d’ordinaire. Et ce n’est pas Tony Blair qui me contredira sur ce point.

Bref, sans donner la leçon à personne, je vais tenter de poser une critique argumentée de la prose guaino-sarkozienne.

Le discours commence par une condamnation forte du colonialisme. Sarkozy nous dit : « [Les colonisateurs] ont cru qu’ils étaient supérieurs, qu’ils étaient plus avancés, qu’ils étaient le progrès, qu’ils étaient la civilisation (…) Ils ont abîmé un art de vivre. Ils ont abîmé un imaginaire merveilleux. Ils ont abîmé une sagesse ancestrale (…) Le colonisateur est venu. Il a pris, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas, il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail (…) ils croyaient remplir une mission civilisatrice (…) la colonisation fut une grande faute. » Sarkozy condamne donc l’ethnocentrisme, la suffisance et la brutalité de l’homme blanc, l’ethnocide culturel dont il s’est rendu coupable. Tout cela est vrai, et depuis longtemps démontré. Seulement j’ai eu beau chercher, dans ce discours, Nicolas Sarkozy ne dit pas que le colonisateur a tué. Beaucoup ? Certainement même si, en l’absence de recensement, il est difficile de le préciser avec certitude ; mais en ce qui concerne l’Algérie, il semble établi que près d’un tiers de la population algérienne est passée de vie à trépas entre 1830 et 1872 du fait de la colonisation, du typhus et de la famine. Le colonisateur n’a pas soumis le colonisé. Il a soumis le survivant[1] <1>.

Ensuite, Nicolas Sarkozy développe l’idée selon laquelle : « [Le colonisateur] a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. » Là encore, tout est vrai. Une fois les populations locales mises au pas, le quadrillage des nouvelles terres conquises effectué, il a bien fallu passer de la conquête à l’exploitation coloniale. Or, à moins de se cantonner à un capitalisme de comptoirs maritimes, il faut bien des ponts et des routes pour transporter les marchandises, mais aussi des hôpitaux et des dispensaires parce que les épidémies chroniques qui ravagent les nouvelles terres conquises mettent en danger la vie des colons eux-mêmes. Quand Nicolas Sarkozy ajoute : « [le colon] a rendu féconde des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. (…) Tous les colons n’étaient pas des voleurs, tous les colons n’étaient pas des exploiteurs[2] <2> », il fait erreur. Le colon ne donne pas, il bâtit pour lui car seul son intérêt compte. Il en va même de sa survie : quand après 1848 la France fait débarquer sur la terre algérienne ses chômeurs en leur promettant la fortune, elle sait bien que ceux-ci devront défricher des terres difficiles, qui parfois se révèleront incultes s’ils ne veulent pas crever de faim ; les riches ont eu droit, eux, aux meilleures terres. Ils ne donnent rien aux autochtones car l’autochtone n’existe pas. La main d’œuvre locale n’est qu’une masse informe qu’il faut mettre au travail ou tenir à distance. Quant à l’école, sa mission, qui évoluera avec le temps, sera simple : « instruire la masse et dégager l’élite », fournir une main d’œuvre un tant soit peu lettrée à la machine productive, transformer le sauvage en un bon chrétien, loyal envers la puissance civilisatrice puisque c’est elle qui permet son ascension sociale. Le colonisateur n’a pas construit des écoles, il a érigé des outils de contrôle idéologique et social desquels pourraient émerger les auxiliaires autochtones nécessaires à la pacification des territoires, à leur intégration dans l’Empire[3] <3>. Comme le disait si bien le « grand » éducateur Jules Ferry en 1885 à la tribune de l’Assemblée nationale, la déclaration des droits de l’homme n’a pas été « écrite pour les Noirs de l’Afrique équatoriale. »

On retrouve cette problématique de la générosité coloniale dans un livre du député Lucien Hubert, sorti en 1909, intitulé « L’éveil d’un monde – L’œuvre de la France en Afrique occidentale française » : « Si l’on veut bien songer que le droit le plus naturel et le plus sacré est le droit au travail, on comprendra la conquête coloniale, non comme l’injuste spoliation du faible par le fort, mais comme une légitime expropriation pour cause d’utilité humaine. Y a-t-il même expropriation ? Non, nous ne retirons rien aux occupants primitifs ; au-dessus d’eux, à côté d’eux, puis au milieu d’eux, nous créons un état de choses propre à donner de la valeur à ce qui n’en avait pas, propre à transformer le sol, ce stérile domaine public, lieu de passage des peuples errants, en un capital productif, propre enfin à faire de l’homme inerte et impuissant en face des hasards naturels, une force active et dirigée.

(…) Protégé, dirigé, éduqué par l’Européen, l’indigène peut enfin vivre, se multiplier, s’enrichir. Il est la matière sans laquelle rien ne se crée ; nous sommes l’esprit qui la vivifie. » Peut-on mieux dire ?

Après avoir condamné le colonialisme mais tenté d’en réhabiliter certains aspects, Nicolas Sarkozy se livre à une analyse socio-anthropologique de l’Homo africanus.

Elle commence par une sorte de plaidoyer environnementaliste new age : « L’homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l’homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires. »

Puis, Nicolas Sarkozy nous livre ceci : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. »

On comprend dès lors que ce que j’ai pris pour un plaidoyer environnementaliste new age propre à satisfaire celles et ceux qui mangent équitable et roulent en 4x4, n’en est pas un. L’homme africain de Nicolas Sarkozy ressemble à un vieux paysan fataliste assis sous l’arbre à palabres, indifférent aux turbulences du monde. Le paysan africain de Nicolas Sarkozy est un paysan de carte postale, celui que découvrait jadis l’explorateur s’hasardant dans les terres. En fait, le problème n’est pas que l’homme africain « n’est pas assez entré dans l’histoire », c’est qu’il y est entré à la mauvaise place :

- Durant des siècles, il fut raflé et envoyé suer sang et eau dans les colonies outre-atlantique. Ce sont des millions de jeunes hommes et femmes qui connurent ce sort, privant l’Afrique d’une force de travail et d’innovation conséquente. La création des comptoirs coloniaux sur les côtes a influé de façon importante sur le développement économique de l’Afrique occidentale. Des villes importantes à l’intérieur des terres où émergeaient une proto-industrie ont disparu au bénéfice des villes maritimes. Les élites africaines ont privilégié le commerce rémunérateur à la proto-industrie balbutiante. Pour l’Européen, l’homme africain est entré dans l’histoire comme esclave, comme bête de somme, comme animal puisque dénué d’âme.

- Puis, il y est entré comme « matière », pour reprendre le mot du député Lucien Hubert : une matière que l’on modèle, que l’on façonne ; un grand enfant qu’on sort de l’animalité pour lui faire toucher du doigt la modernité, c’est-à-dire, de façon très concrète, le travail forcé et les brimades, le sabre et le goupillon.

Comme pour se dédouaner, Nicolas Sarkozy nous dit : « Chaque peuple à connu ce temps de l’éternel présent ». La phrase est belle et poétique, mais elle sous-entend que les peuples d’Afrique sont des peuples sans Histoire. Elle oublie que dans la région des Grands lacs, dans le sud de l’Afrique, ils existaient des systèmes politiques très élaborés, de puissants royaumes[4] <4>. Les Africains n’ont pas attendu les Européens pour connaître l’arbitraire, la soumission, l’esclavage, les guerres, les impôts.

Mais ce qu’il importe de retenir davantage du discours sarkozien, ce sont ses propositions concernant l’avenir et l’évolution des relations franco-africaines.

La France en Afrique a une image dégradée, fruit de cinquante années d’une politique néocoloniale arrivée aujourd’hui à bout de souffle[5] <5>. A l’heure de la mondialisation capitaliste et de la « bonne gouvernance », La France n’est plus en mesure de pressurer comme par le passé ses anciennes colonies. Ses entreprises, qui ont vécu longtemps à l’abri de la concurrence internationale, doivent dorénavant composer, évoluer. Ce ne sont plus seulement les Anglo-saxons qui les menacent mais également les Chinois. Les implications françaises dans, notamment mais pas seulement, les crises rwandaises, ivoiriennes, togolaises ont fini par discréditer lourdement son image auprès de la jeunesse africaine ; une jeunesse qui, quand elle a la chance d’atteindre l’université, se tourne dorénavant davantage vers l’Oncle Sam que vers Paris. En Europe, nos « partenaires » critiquent à l’occasion la politique étrangère de l’Elysée et refusent de s’embarquer dans des « expéditions » africaines qui, sous couvert d’humanitaire, traduisent la volonté française de demeurer un acteur économique et politique central dans son pré-carré.

Bref, l’Etat français doit renouveler sa politique africaine ou, pour le moins, en donner l’impression. Pour certains analystes, il est même osé de parler de politique africaine, tant celle-ci apparaît concrètement comme une navigation à vue, sans stratégie d’ensemble.

Ce que redoute l’Etat français est autant la captation de son pré-carré par les Etats-Unis que son ralliement à un groupe mené par le Brésil et l’Inde. Or il a besoin, pour maintenir son statut de puissance moyenne qui compte sur la scène internationale, de pouvoir s’appuyer sur des alliés fidèles.

C’est pourquoi Sarkozy a lancé un vibrant plaidoyer pour « une autre mondialisation, avec plus d’humanité, avec plus de justice, avec plus de règles » ; c’est pourquoi il s’est fait le partisan d’une « stratégie commune dans la mondialisation » ; c’est pourquoi il se dit prêt à « préparer l’avènement de l’Eurafrique ».

Mais dans le registre des propositions, on s’aperçoit vite qu’il n’a pas grand-chose à dire. Il offre cependant trois pistes qui méritent quelques commentaires :

Première piste : « Cherchez l’autosuffisance alimentaire (…) Développez les cultures vivrières ». Feu René Dumont et Julius Nyerere, José Bové et Via campesina n’auraient pas dit mieux ! Car tous savent que les paysans africains crèvent de l’ouverture des frontières aux produits agricoles étrangers ; ils savent tous que la misère dans les campagnes provoque l’exode rural, le gonflement des bidonvilles et une part de l’immigration. Or, lors des réunions de l’OMC, les Européens ne sont pas les derniers à faire la sourde oreille. C’est le marché libre, la concurrence, les plans d’ajustement structurel et les directives du FMI qui tuent l’Afrique paysanne autant que les changements climatiques et sa faible productivité. Il y a quarante ans, on disait aux pays pauvres : « Appuyez-vous sur des monocultures d’exportation pour obtenir des devises et vous développer ! » ; aujourd’hui, on s’aperçoit que les pays pauvres se font la guerre entre eux pour vendre sur le marché mondial leur cacao, leur riz, leurs bananes, leur caoutchouc. Car au royaume libéral de la concurrence, le producteur du sud est rarement en position de force pour fixer les cours à un niveau acceptable.

Comment Nicolas Sarkozy compte-t-il favoriser l’agriculture africaine ? Il ne le dit pas. Compte-t-il plaider, lui, le libéral, pour un retour à des mécanismes douaniers protecteurs ? Il n’en souffle mot. Nous en resterons donc à l’invocation.

Deuxième piste : « le Co-développement ». C’est l’éternelle tarte à la crème. Auparavant, on « aidait au développement », aujourd’hui, on « co-développe ». Et cela ne marche toujours pas. Certains en ont même conclu que l’Africain serait par nature et culture rétif à l’idée même de développement. L’idée me semble largement démentie par les faits.

Outre que « l’Africain » n’existe pas, sinon dans l’ethnocentrisme du « Blanc » (d’un « Blanc » qui n’existe pas plus d'ailleurs), les communautés humaines ont toujours eu un rapport ambivalent avec ce qu’on leur présente comme le « développement » et le « progrès » ; la question de « l’économie », de la production des biens et marchandises a toujours été questionnée. Si le « développement » entraîne la dissolution des formes communautaires de vie, est-ce un « progrès » ? Ce n’est pas l’apanage des Africains de réagir ainsi. La révolte des ouvriers du textile anglais (le mouvement luddiste) au début du XIXe siècle était de même teneur : le « progrès » qu’on leur imposait sous la forme de machines à tisser signifiait pour ces artisans le chômage pour beaucoup, la prolétarisation pour les autres, c’est-à-dire la fin d’une communauté humaine maître de son temps de travail[6] <6>. La modernisation de l’agriculture française s’est payée de la liquidation de la petite agriculture paysanne « sous-productive ». Le « développement » que les pays riches ont toujours proposé aux pays pauvres n’est donc pas seulement affaire de machines et de technologie ; il est aussi culture et vision du monde ; il indique la place que les communautés humaines doivent assigner à l’économie marchande[7] <7>. Cette résistance à l’uniformisation culturelle est à mon sens ce qui chagrine le plus Nicolas Sarkozy. L’ethnocentrisme fustigé précédemment pointe alors son museau. Quand il écrit : « Dans [l’imaginaire africain] où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès », il répond indirectement à ces mots de Raymond Johnson : « La valeur de l’individu réside essentiellement dans sa capacité d’action lui permettant de rester en harmonie avec les autres.

Il est plus jugé et valorisé sur son rôle dans le soutien et la cohésion de la communauté. » L’histoire de l’Occident moderne, c’est l’histoire de l’individu s’extirpant des carcans communautaires pour se réaliser ; c’est l’histoire du Bourgeois, acteur économique, représentant du tiers-Etat prenant le pas sur la noblesse, et abattant l’Ancien régime ; c’est aussi la conviction développée par nombre de philosophes (Locke, Hobbes, Rousseau, Marx, Stirner…) que l’homme préexiste à la société et ne s’associe que par intérêt[8] <8>. Pour nombre de sociétés africaines ou amérindiennes, l’individu qui se désaffilie est un danger pour la communauté s’il n’entre pas dans une logique re-distributive.

Cela ne veut donc pas dire que « l’individu » n’existe pas en Afrique, mais cela veut dire qu’il est doté d’une autre signification que sous nos cieux, qu’il a des devoirs envers sa communauté beaucoup plus contraignants que nous-mêmes pouvons en avoir. Or le capitalisme a besoin d’individus libres et autonomes, c’est-à-dire la plupart du temps atomisés, pour prospérer. Les résistances communautaires ou collectives sont une insulte à sa toute-puissance.

Troisième et dernière piste, et certainement la plus importante au vu de la politique actuelle du gouvernement : la politique migratoire. Sarkozy plaide pour une « politique d’immigration négociée ensemble » et clame qu’il « faut mettre un terme au pillage des élites africaines dont l’Afrique a besoin pour se développer ». Il a raison. Dans ce monde où seules les marchandises ont le droit de s’affranchir des frontières, il convient de réguler les flux migratoires. Tout décideur sait que les pays d’émigration n’ont guère les moyens ni l’envie de freiner le départ de cette jeunesse sans emploi qui enfle ses villes. Tout décideur sait que les pays d’immigration ne pourront faire face sans heurts à ces millions d’hommes et de femmes qui ne rêvent que d’une chose : fuir la misère qui sévit chez eux pour gagner l’Eldorado. Tout décideur sait donc qu’il doit externaliser une partie du contrôle des flux migratoires. Il faut donc négocier encore et encore. La politique des quotas doit servir en partie à cela. Et c’est là que je vois une sorte de contradiction dans les propos de Sarkozy. Dans la guerre économique qui fait rage, la machine économique française n’a plus besoin des travailleurs immigrés d’antan. Elle n’a plus besoin en priorité d’ouvriers de l’industrie, voire même d’ouvriers du bâtiment, puisque l’Europe de l’Est et son « stock de clandestins » sont à disposition.

Elle a besoin d’un personnel qualifié qui maîtrise les nouvelles technologies et pas d’un jeune Guinéen issu des campagnes et faiblement lettré. La politique des quotas ne pourra qu’accentuer ce que Sarkozy prétend arrêter : « le pillage des élites africaines dont l’Afrique a besoin pour se développer. »

Pour finir, j’aimerais revenir sur un passage important du discours de Nicolas Sarkozy. Ce passage, le voici : « La colonisation n’est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l’Afrique. Elle n’est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n’est pas responsable des génocides. Elle n’est pas responsable des dictateurs. Elle n’est pas responsable du fanatisme.

Elle n’est pas responsable de la corruption, de la prévarication. Elle n’est pas responsable des gaspillages et de la pollution. » Pour qui connaît un peu l’histoire du continent africain, cette affirmation a de quoi laisser pantois car la colonisation n’a pas cessé de peser sur les destinées des pays africains le jour où ceux-ci ont conquis l’Indépendance :

- en s’appuyant sur une communauté plutôt que sur une autre, la machine coloniale a jeté les bases de nombre de conflits qu’on appelle aujourd’hui inter-ethniques ;

- comment oublier la contribution des Européens aux divers génocides qui ont ensanglanté le Rwanda et le Burundi ? Et quand je parle de « contribution », je ne pense pas seulement aux armes ou au soutien apporté à tel ou tel dictateur mais également aux discours racistes qui ont été avancés lors de ces massacres, discours qui doivent beaucoup à la façon dont les colonisateurs ont enseigné aux Rwandais l’histoire de leur propre pays.

- comment oublier que la plupart des dictateurs africains, notamment dans le pré-carré français, ont été installés par l’ancienne puissance coloniale ou n’ont pu sévir durant des décennies qu’avec le soutien de Paris ? Comment oublier le sort que l’on fît à Lumumba ou Thomas Sankara ?

- Si l’Afrique est devenue un dépotoir pour « nos » produits toxiques, la faute en revient à qui ? Au peuple, à ses élites, aux armateurs, aux mafias ?

- Quant au fanatisme, comment oublier que c’est la colonisation qui a entravé le mouvement de réforme de l’Islam qui émergeait ça et là au milieu du XIXe siècle, provoquant un affermissement de l’Islam conservateur, réflexe d’auto-défense face à un colonisateur imbu de lui-même ?

- Quant à la corruption et à la prévarication, que je sache, elles n’ont jamais empêché les grandes entreprises françaises de prospérer sous les cieux africains ; elles n’ont jamais empêché de dormir les banques gérant les comptes des corrompus. Entre pilleurs, on s’entend !

Il n’est pas dans mon intention de nier la responsabilité des Africains dans les événements politiques intervenus après la colonisation, mais de rappeler tout simplement, comme l’écrivait Karl Marx en 1852, que « les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas d’une façon arbitraire ni dans des circonstances librement choisies ; ils la font dans des conditions qu’ils ont trouvées devant eux, qui leur ont été léguées par le passé, bref, dans des circonstances données. » Cette évidence, cette banalité, Nicolas Sarkozy l’oublie : dans son discours, le néo-colonialisme n’existe plus ; pas plus que cette Françafrique, cet ensemble de réseaux politico-économico-mafieux qui a fleuri sous le gaullisme, et prospère encore aujourd’hui. Disparition fort opportune quand on entend placer les Africains face à leurs responsabilités historiques, et qu’on leur assène qu’ils sont maîtres de leur destin.

Or, du passé, on ne peut faire aussi facilement table rase[9] <9>.

Voilà, les meilleures choses ayant une fin, Le Monde comme il va tire sa révérence…

Pour nous contacter, une seule adresse e-mail : patsy.cht@wanadoo.fr <mailto:patsy.cht@wanadoo.fr> ; et une seule adresse postale :
Alternantes FM 19 rue de Nancy BP 31605 44316 Nantes cedex 03

Et n’oubliez pas. Alternantes, radio libre et sans pub, a besoin de votre soutien. Alors, écoutez et faites écouter Alternantes, et si le cœur vous en dit et que votre portefeuille vous le permet, adhérez à l’association Alternantes !
Pour tout renseignement, appelez aux heures de bureau au 02 40 93 26 62 !

A la semaine prochaine !

------------------------------------------------------------------------

[1] <1> Lire à ce propos Olivier Le Cour Grandmaison, /Coloniser, exterminer – Sur la guerre et l’Etat colonial/, Fayard, 2005 ; mais aussi Yves Bénot, /Massacres coloniaux – 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises/, La Découverte, 1994.

[2] <2> A lire ce passage, on se doute que pour lui, un « exploiteur » est un être immoral et violent (le « méchant patron ») et non un individu occupant une place précise dans les rapports de production.

[3] <3> Lire à ce sujet Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, /La République// coloniale : essai sur une utopie/, Albin Michel, 2003 ; Gilles Manceron (Int.), /1885 : le tournant colonial de la République : Jules Ferry contre Georges Clemenceau et autres affrontements parlementaires sur la conquête coloniale/, La Découverte, 2007.

[4] <4> Jean-Pierre Chrétien, /L’Afrique des grands lacs – 2000 ans d’histoire/, Aubier, 2000.

[5] <5> Sur les relations franco-africaines (nature, passé, actualité, futur), je renvoie le lecteur aux ouvrages de François-Xavier Verschave (/La Françafrique/, Stock, 1998 ; /Noir silence/, les Arènes, 2000) ou encore à l’excellente revue /Politique africaine/.

[6] <6> Kirkpatrick Sale, /La révolte luddite – Briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation/, L’Echappée, 2006.

[7] <7> Outre les livres de Serge Latouche, citons Gilbert Rist, /Le développement – Histoire d’une croyance occidentale/, Presses de Sciences Po, 1996 ; Daniel Becquemont, Pierre Bonte, /Mythologies du travail – Le travail nommé/, L’Harmattan, 2004.

[8] <8> François Flahaut, /Le paradoxe de Robinson – Capitalisme et société/, Mille-et-une-nuits, 2006.

[9] <9> Sur un sujet annexe, lire l’étude synthétique et éclairante de Gérard Noiriel, /A quoi sert « l’identité nationale »/, Agone, 2007.