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Origine : mail puis
http://www.lequotidien.sn/dossiers/article.CFM?article_id=619&var_doss=128
http://diaw-creation.com/5.html
http://josemorineaux.afrikblog.com/archives/2007/08/11/5863247.html
http://bbernard.canalblog.com/archives/2007/09/index.html
Il est peut-être écrit quelque part qu´entre
Paris et ses anciennes colonies d´Afrique noire, rien ne doit
se passer selon les normes admises par le reste du monde. La brève
visite de Nicolas Sarkozy au Sénégal aurait pu passer
inaperçue : elle lui a au contraire servi de prétexte
à un discours inacceptable, que jamais il n´aurait
osé tenir hors du pré-carré, devant le plus
insignifiant de ses pairs. En Tunisie et en Algérie, il a
bien compris qu´il ne lui serait pas permis de se comporter
comme en pays conquis. Il n´a, d´ailleurs, pas eu droit
au Maghreb à l´accueil populaire, folklorique à
souhait et dégradant, qui lui a été réservé
à Dakar. Dans cette atmosphère rappelant le temps
des commandants de cercle, il a prononcé une sorte de discours
sur l´état de l´Union… française,
sans même qu´on puisse lui reprocher de s´être
trompé d´époque. Car il ne faut pas s´y
laisser prendre : bien qu’il ait prétendu s´adresser
à l´Afrique entière, Sarkozy n´est pas
naïf au point de s´imaginer que la voix de son pays porte
aussi loin que Johannesburg, Mombasa ou Maputo. Si les intellectuels
de cette partie du continent ont, pour une fois, prêté
attention aux propos d´un président français,
c´est parce qu´on leur en avait préalablement
résumé le contenu. Depuis quelques jours, ils le découvrent
par eux-mêmes avec stupéfaction en même temps
que les réalités de la Françafrique.
On comprend leur colère : même dans les pays francophones
où on croyait avoir touché le fond depuis longtemps,
tout le monde est d´avis que cette fois-ci la mesure est comble.
Etre un chef d´Etat relativement jeune et inexpérimenté
ne donne à personne le droit d´être aussi puéril.
Lorsqu´on dirige un pays important, on ne peut pousser trop
loin le jeu du “moi-je-ne-suis-pas-comme-les-autres”.
Ce manque d´humilité d´un homme que l´on
dirait encore choqué d´avoir si aisément atteint
son but l’a amené à aligner, devant un auditoire
particulièrement averti, les plus désolants clichés
de l’ethnologie coloniale du dix-neuvième siècle.
La science politique s´intéressera peut-être
un jour à ce cas de figure unique : un président étranger,
faisant du haut de son mètre soixante quatre, le procès
de tous les habitants d´un continent, sommés d´oser
enfin s´éloigner de la nature, pour entrer dans l´histoire
humaine et s´inventer un destin. Remises au goût du
jour par des auteurs français surtout soucieux de flatter
la négrophobie ambiante, ces thèses servent à
conforter une lecture révisionniste de la colonisation, du
génocide des Tutsi du Rwanda et de la Traite négrière.
La phrase “Ce sont des Africains qui ont vendu aux négriers
d´autres Africains” est d´une colossale ineptie,
elle est tout simplement indigne d´un président de
la République. C´est une insulte à la mémoire
des victimes et une infâme relativisation de la violence fondamentale
du commerce triangulaire. Jamais dans toute l´histoire de
l´humanité, une nation n´en a opprimé
une autre sans avoir bénéficié de la complicité,
voire du zèle des élites du pays conquis. Aux dires
de Robert Paxton -dont le travail sur Vichy est une référence
absolue- Adolf Hitler n´était pas spécialement
intéressé par l´occupation totale de la France
: il lui suffisait de la neutraliser et d´en faire une simple
base arrière. Ce sont les autorités étatiques
françaises de l´époque qui l´auraient
vivement pressé de se montrer un peu plus ambitieux, que
diable. Et qui donc, sinon l´écrivain Charles Maurras
a salué comme une “divine surprise” l´entrée
des chars allemands dans Paris le 14 juin 1940 ? Le constat vaut
pour d´autres parties du globe. Sans les coupables hésitations
de Moctezuma- un homme de faible caractère à la tête
du puissant empire aztèque- et le concours des caciques de
nombreuses tribus indiennes, Hernàn Cortès et sa poignée
de conquistadors n´auraient pas réussi à soumettre
à leur loi la quasi-totalité de l´actuelle Amérique
latine.
Le Président francais a dépassé les limites
du tolérable et -bien au-delà des fameux “pays
du champ “- beaucoup de descendants d´esclaves vont
se demander comment on en est arrivé à une situation
oú un responsable européen peut se permettre de tenir
publiquement, sur le lieu même du crime, de tels propos sur
la Traite négrière. La référence à
Césaire n´y changera rien. Comparaison n´est
certes pas raison, mais Sarkozy n´a pas de chance : au moment
même où il évoquait avec une émotion
feinte “ le bruit d´un homme qu´on jette à
la mer”, un Nègre -ou un Arabe- était enchaîné
et roué de coups à l´aéroport de Roissy.
A Dakar, le président de la République française
a refusé d´appeler l´université par son
nom, parce qu´il lui en coûtait sans doute de prononcer
celui de Cheikh Anta Diop. Cette attitude ne l’honore pas,
pour dire le moins. Elle met à nu les limites d´un
homme pourtant visiblement décidé à montrer
ce jour-là qu´il était capable de parler d´autre
chose -et sur un autre ton- que de “racaille” et de
“karcher”. Son désir de proximité avec
un public qu´il devait savoir hostile l´a peut-être
un peu perdu. Le rôle de composition qu´il s´est
inventé (“Je suis jeune et je te parle à toi,
jeune d´Afrique“) témoignait de toute façon
– soit dit au passage – d´un réel manque
de délicatesse à l´égard de son vénérable
hôte.
On n´aura pas la cruauté de faire remarquer à
Sarkozy que le tutoiement nous rappelle, à nous autres, de
bien mauvais souvenirs. Cela importe en définitive moins
que son recours répété a un “je”
plein de présomption. Il en faut pour s´imaginer que
ni la vie, ni leurs parents ou leurs professeurs n´ont jamais
rien appris aux jeunes Africains, qu´il y a toujours eu un
abîme entre la Vérité et eux et que, lui Nicolas
Sarkozy, allait une fois pour toutes le combler ce 26 juillet 2007.
Mais l´étudiant le moins averti de l´assistance
avait déjà maintes fois décortiqué Discours
sur le colonialisme et entendu Césaire y réfuter l´un
après l´autre, avec clarté et précision,
les arguments servis par Sarkozy. Ce dernier ne le sait peut-être
pas, mais son discours de Dakar est bien plus vieux que lui-même.
On peut se croire résolument tourné vers l´avenir
alors qu´on a seulement les yeux rivés sur le rétroviseur
de sa propre histoire.
Nicola Sarkozy a en outre cru devoir inviter son auditoire à
distinguer entre les “bons” et les “mauvais”
colonisateurs. Admettrait-il qu´un Allemand applique la même
grille de lecture à l´histoire de son pays ? La France
n´a été occupée par l´Allemagne
que pendant cinq ans- et dans des conditions infiniment moins cruelles
que la colonisation- mais on attend le jour où, au lieu de
réfléchir sur un système de domination étrangère,
violent et illégitime par sa nature même, quelqu´un
aura l´audace de faire le tri entre les nazis de bonne volonté
et les autres.
Dressant la liste des fléaux du continent, Sarkozy fait
une discrète mention “des génocides”,
dont la colonisation n´aurait en rien été “responsable”.
Il faut s´y arrêter, comme chaque fois que l´on
voit le mot “génocide” utilisé au pluriel
par un représentant de l´Etat français. Le nouveau
président est arrivé au pouvoir dans un contexte de
très forte tension entre Paris et Kigali. L´implication
de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda est si
avérée que l´on sent parfois chez certaines
autorités de l´Hexagone comme une tentation de passer
aux aveux. C´est en réalité la seule option
rationnelle dans ce complexe dossier. Malheureusement, Paris court
le risque, en créant un tel précédent, de voir
s´ouvrir la boîte de Pandorre des sanglantes dérives
de la Françafrique. Pour se tirer d´affaire, on essaie
d´accréditer l´idée que le Rwanda n´était,
tout bien considéré, qu´un génocide africain
de plus et qu´on aurait tort d´en faire une grosse histoire.
Avant Sarkozy, François Mitterrand et Dominique de Villepin
-pour ne citer que ces deux-là- avaient essayé de
se débarrasser, d´un haussement d´épaules
désabusé, du million de morts rwandais. Or, cette
étrange théorie des solutions finales quasi routinières
en Afrique ne résiste pas à l´examen. Il se
trouve en effet que le génocide, perçu comme le crime
absolu par la communauté des nations, a été
défini de manière particulièrement stricte
par la Convention de Genève de 1948. Et au sens où
l´entend celle-ci, le seul génocide sur le continent,
au vingtième siècle, est celui des Tutsi du Rwanda
en 1994. Les deux autres -la Shoah et le génocide arménien-
ont eu lieu en Europe et le quatrième au Cambodge. Sarkozy
ne pouvait ignorer cela. C´est donc à dessein qu´il
a tenté de semer la confusion sur ce sujet douloureux, qui
mérite mieux qu´un dérisoire traitement politicien.
Plus soucieux, curieusement, d´évoquer notre passé
le plus lointain que le présent, l´orateur s´est
gardé de la moindre allusion à la Françafrique,
“le plus long scandale de la République”, selon
le mot du regretté Francois-Xavier Verschave. Sarkozy était
pourtant très attendu sur le sujet, car il aurait eu bien
des choses à dire sur la politique africaine de la France
depuis le début des années soixante. Il sait bien
qu´après des independances de façade, Paris
a continué, entre coups d’Etat, soutien à des
régimes dictatoriaux et contrôle total des leviers
économiques et du personnel dirigeant, à faire la
loi dans ses anciennes colonies. Il en est ainsi depuis le temps
du général de Gaulle et ses successeurs, de gauche
ou de droite, s’en sont toujours tenus à une ligne
de conduite en fin de compte si profitable : langue de bois lénifiante
sous les ors des palais et, dans l’ombre, le langage de la
force avec son lot de coups tordus de divers réseaux et services,
d’interventions militaires et d’assassinats ciblés
de personnalités politiques.
On n’attendait certes pas de Nicolas Sarkozy qu’il
regrette publiquement l´implication de son pays -qui ne fait
plus l’ombre d’un doute- dans le génocide des
Tutsi du Rwanda ; il n’allait pas non plus, dans un brusque
accès de sincérité, se laisser aller à
des états d’âme sur le rôle d’Elf
et de certains grands groupes financiers- auxquels on le dit très
lié- dans le pillage des ressources du continent. Personne,
même dans ses rêves les plus fous, n’a jamais
espéré le moindre aveu de cette nature : dans le monde
tel qu’il va, les choses ne se passent pas ainsi. Qui ne s´est
malgré tout surpris à guetter, ces dernières
semaines, l´indice d´un début de changement ?
La relation françafricaine a atteint, au sommet, un tel degré
de putréfaction qu´elle se sait condamnée à
terme. Du Rwanda à la Côte d´Ivoire -en passant
par les péripéties de la succession d´Eyadéma-
les avertissements n´ont pas manqué depuis bientôt
quinze ans. Il eût été habile pour Sarkozy de
se donner une aura de réformateur hardi, en faisant de nécessité
vertu. Mais même ce petit pas en avant, dicté par une
prise en compte lucide des réalités du monde et des
mutations de l´Afrique dite francophone, a paru d´une
audace inouïe aux parrains de la Françafrique.
Le candidat Sarkozy avait cru pouvoir déclarer que “la
France n’a pas besoin de l’Afrique”, mais il n´a
pas dû être difficile de démontrer au président
l´imprudence de tels propos. Son mutisme remarqué sur
la Francafrique montre clairement qu´il n´a pas l´intention
d´opérer une rupture qui mettrait dans l´embarras
Idriss Deby, Sassou Nguesso et surtout son vieux complice Omar Bongo.
Sans parler des amis qu´il ne va pas tarder à se faire
: présidents en poste et jeunes dauphins encore imberbes
se bousculent, paraît-il, au portillon…
Ceux-là l´ont entendu écarter toute idée
de repentance le soir même de son élection et ils n´oseront
jamais le fâcher par l´évocation de ce sujet,
délicat entre tous. De toutes les anciennes puissances européennes,
la France est la seule à avoir ce rapport quasi obsessionnel
à son passé colonial. Le Parlement y vote, avec une
incroyable candeur, des lois négationnistes et sa classe
politique semble faire de la question de la repentance une affaire
d´Etat d´une importance exceptionnelle. On a envie d´inviter
toutes ces personnes à plus de sérénité.
Regretter les crimes de ses ancêtres est un acte que seule
sa conscience peut dicter à un être humain. C´est,
par ce fait même, un acte qui perd toute valeur s´il
résulte d´une injonction extérieure. Il ne pourra,
certes, jamais ressusciter les morts ou même guérir
complètement les blessures de jadis, mais il peut grandir
celui qui est capable de s´élever à une telle
hauteur et aider, parmi les nouvelles générations,
à la réconciliation des cœurs et des esprits.
Mais si on n´a pas la force de se repentir, on doit au moins
avoir la décence de se taire. Lorsque Nicolas Sarkozy lance
: “Jeunes d’Afrique, je ne suis pas venu vous parler
de repentance”, il commet une grave inversion des rôles.
C´est le privilège de la victime et non du bourreau
de décider s´il faut évoquer ou non des crimes
si abominables. La réaffirmation constante par le second
de son refus du repentir est une véritable maladie de l´âme.
Une société dont les dirigeants et tant de citoyens
n´ont, avec leur passé, que ce rapport de dénégation,
compulsif et grimaçant, révèle à son
insu le malaise qui le tenaille et mérite, en vérité,
plus de compassion que de haine.
A entendre Nicolas Sarkozy en prendre ainsi à son aise avec
la Traite négrière, on peut perdre de vue qu´elle
a fait, sur plusieurs siècles, au moins deux cents millions
de victimes. Ce dernier chiffre est donné par Senghor - dans
l´important ouvrage qui lui est consacré par l´universitaire
américaine Janet G.Vaillant. Peu porté à l´exagération
en la matière, le premier président sénégalais
explique très sobrement, dans une lettre à sa biographe,
en quoi le “trafic de bois d´ébène”
continue à peser à la fois sur le présent et
sur le destin de l´Afrique.
Le poète de Joal a été cité à
plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy en des termes élogieux.
Le plus ironique c´est que, quoi que l´on puisse penser
de Senghor, il n´est pas certain qu´il aurait laissé
un invité du Sénégal dire de telles énormités
ce 26 juillet 2007 sans lui porter la réplique d´une
façon ou d´une autre. Etre un habile politicien ne
l´empêchait pas d´avoir, lui, de la fierté
et le sens de l´Histoire.
Au-delà des rapports de suzerain à vassal que Sarkozy
peut entretenir avec ses obligés de la «Françafrique»,
ce qui est arrivé à Dakar interpelle aussi une certaine
intelligentsia africaine francophone. Les désillusions nées
des Indépendances – partis uniques, Guides-Infaillibles-de-la-nation,
épidémie de coups d´Etat militaires et corruption
– ont amené certains auteurs à soumettre l´Afrique
à une critique sans complaisance. A partir de la fin des
années 80, de nombreux textes ont été publiés
par nos sociologues, historiens ou philosophes, avec l´intention
louable de diagnostiquer le mal africain et de susciter les conditions
psychologiques d´un sursaut. De façon moins élaborée,
mais souvent mus par la même volonté de favoriser un
électrochoc, les romanciers faisaient de leur côté,
avec la démesure et les effets de dilatation que seule autorise
la fiction, le procès des systèmes politiques post-coloniaux.
Les uns et les autres avaient, malheureusement, tendance à
confondre Etat africain et société africaine. Celle-ci
était soupçonnée de couver, par le simple fait
qu´elle restait elle-même, les germes de sa propre destruction,
plusieurs fois annoncée à l´époque –
puis aussitôt reportée sine die. C´était
là l´exemple achevé d´une vision purement
essentialiste de la réalité africaine, tournant autour
d´elle-même, comme un serpent qui se mord la queue,
avec une lassante monotonie. Négligeant les rapports de force
politiques réels et l´impact décisif de l´Etat
francais sur les luttes de pouvoir dans chaque pays de son ex-Empire
d´Afrique subsaharienne, la réflexion se polarisait,
avec une singulière obstination, sur les effets visibles
du désastre au détriment de ses causes profondes,
moins spectaculaires, il est vrai. Cette littérature, en
principe destinée aux Africains, a été, en
fait, beaucoup plus lue par les Occidentaux. Ceux-ci en ont fait
leurs délices et elle leur a procuré un exquis sentiment
d´innocence. Ces auteurs balisaient, à leur insu, la
voie à une négrophobie que l´on voit chaque
jour un peu plus paisible et décomplexée, mais qui
sait être vulgaire et injurieuse à l´occasion.
En quelques années, l´afro-pessimisme a été,
pour ainsi dire, racialisé et vidé de l´énergie
libératrice dont elle était potentiellement porteuse.
En France et dans le reste de l´Occident, des essayistes «africanisants»
s´en sont largement servis pour donner une seconde vie aux
préjugés les plus incongrus sur le continent. Et très
souvent, ils se sont abrités derrière ces ouvrages
pour convaincre de la pureté de leurs intentions un public
assez peu averti. Il était, en effet, difficile de les accuser
de racisme, puisqu´ils ne faisaient que reprendre les analyses
de leurs homologues de Dakar, Yaoundé ou Abidjan.
Les propos de Nicolas Sarkozy viennent en droite ligne de cet univers
vaguement «africanisant», si prompt à fustiger
la concurrence mémorielle et une soi-disant tendance des
Nègres à se présenter comme d´éternelles
victimes des autres. Son meeting d´Agen le 25 juin 2006 est
particulièrement révélateur de cette intime
filiation. Sarkozy y avait été très dur contre
: «Ceux qui ont délibérément choisi de
vivre du travail des autres, ceux qui pensent que tout leur est
dû sans qu’eux-mêmes ne doivent rien à
personne, ceux qui veulent tout, tout de suite, sans rien faire,
ceux qui, au lieu de se donner du mal pour gagner leur vie, préfèrent
chercher, dans les replis de l’histoire, une dette imaginaire
que la France aurait contractée à leur égard
et qu’à leurs yeux, elle n’aurait pas réglée,
ceux qui préfèrent attiser la surenchère des
mémoires, pour exiger une compensation que personne ne leur
doit, plutôt que de chercher à s’intégrer
par l’effort et par le travail, ceux qui n’aiment pas
la France, ceux qui exigent tout d’elle sans rien vouloir
lui donner, je leur dis qu’ils ne sont pas obligés
de rester sur le territoire national.» Quatre jours plus tôt,
il était l´invité de Franz-Olivier Giesbert
à l´émission “Culture et dépendances”.
Il y disait textuellement ceci : «J’ai reçu le
père malien et le frère [d’un des deux jeunes
électrocutés dans un transformateur EDF, origine des
émeutes de novembre 2005]. Le père, qui est, depuis
trente ans, en France, ne parlait pas français. Le fils,
qui est né en France et va au Mali seulement pour les vacances,
était en boubou.» Que ce leader politique ait pu en
vouloir à des émigrés maliens en train de faire
le deuil de leur enfant d´être “en boubou”
ou de ne pas parler français, donne la mesure de son mépris
pour les Africains et pour leur culture. On aurait, cependant, tort
d´oublier que cette façon de penser est, aujourd´hui,
assez répandue en France. La sortie dakaroise de Sarkozy
a retenu l´attention parce qu´il est un chef d´Etat,
mais il n´a rien dit que l´on n´ait lu ou entendu,
au cours de la décennie écoulée, de la part
de nombre d´intellectuels européens, mais aussi, il
faut bien le dire, de la part des penseurs africains eux-mêmes.
Pour l´afro-pessimisme, qui a d´ailleurs toujours été
un courant philosophique diffus et quasi insaisissable, l´heure
devrait être à une révision déchirante.
D´une partie de l´Afrique à une autre, voire
d´un pays à un autre, des processus historiques singuliers
et complexes sont à l´œuvre. Il n´est pas
raisonnable de s´en interdire l´examen minutieux, loin
des a priori réducteurs. Autrement dit, le choix n´est
pas seulement entre une glorification béate du continent
africain et sa diabolisation à outrance. Ce sont là
deux façons identiques de s´enfermer dans un tête-à-tête
pernicieux avec un monde occidental trop souvent pris à témoin
-au nom de quoi ?- de nos “temps glorieux” ou de notre
“malédiction”. Instruire le procès des
sociétés africaines est légitime, mais il est
essentiel de savoir très précisément à
qui l´on parle. Et si l´on ne trouve pas un moyen sûr
de s´adresser en priorité aux Africains, les choses
resteront encore longtemps en l´état, au grand dam
de nos populations.
On aimerait bien connaître le bilan que le président
francais lui-même a fait, en son âme et conscience,
de sa visite à Dakar. Se peut-il qu´il n´ait
pas compris à quel point nous nous sommes sentis insultés
? D´un point de vue rigoureusement politique, son discours
est une faute. Il ne tardera pas à s´en rendre compte
: les Africains et les Nègres de la diaspora ne le lui pardonneront
jamais. La bonne vieille langue de bois aurait mieux servi les intérêts
de son pays. Elle lui aurait, en outre, évité ces
effets oratoires si empruntés qu´ils en étaient
parfois un peu pathétiques. A l´arrivée on a
presque envie de remercier Nicolas Sarkozy d´être venu
nous apporter, bien malgré lui, la bonne nouvelle : en «Françafrique»,
depuis le 16 mai 2007, le Roi est nul.
Par Boubacar Boris DIOPA
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