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Lors de sa récente visite de travail en Afrique sub-saharienne,
le président de la République française, Nicolas
Sarkozy, a prononcé à Dakar un discours adressé
à “ l’élite de la jeunesse africaine ”.
Ce discours a profondément choqué une grande partie
de ceux à qui il était destiné, ainsi que les
milieux professionnels et l’intelligentsia africaine francophone.
Viendrait-il à être traduit en anglais qu’il
ne manquerait pas de causer des controverses bien plus soutenues
compte tenu des traditions de nationalisme, de panafricanisme et
d’afrocentrisme plus ancrées chez les Africains anglophones
que chez les francophones. Achille Mbembe en fait, ici, une critique
argumentée.
En auraient-ils eu l’opportunité, la majorité
des Africains francophones aurait sans doute voté contre
Nicolas Sarkozy lors des dernières élections présidentielles
françaises.
Ce n’est pas que son concurrent d’alors, et encore
moins le parti socialiste, aient quoi que ce soit de convaincant
à dire au sujet de l’Afrique, ou que leurs pratiques
passées témoignent de quelque volonté que ce
soit de refonte radicale des relations entre la France et ses ex-colonies.
Le nouveau président français aurait tout simplement
payé cher son traitement de l’immigration lorsqu’il
était le ministre de l’intérieur de Jacques
Chirac, ses collusions avec l’extrême droite raciste
et son rôle dans le déclenchement des émeutes
de 2005 dans les banlieues de France.
Pour sa première tournée en Afrique au sud du Sahara,
il a donc atterri à Dakar précédé d’une
très mauvaise réputation - celle d’un homme
politique agité et dangereux, cynique et brutal, assoiffé
de pouvoir, qui n’écoute point, dit tout et le double
de tout, ne lésine pas sur les moyens et n’a, à
l’égard de l’Afrique et des Africains, que condescendance
et mépris.
Mais ce n’était pas tout. Beaucoup étaient
également prêts à l’écouter, intrigués
sinon par l’intelligence politicienne, du moins la redoutable
efficacité avec laquelle il gère sa victoire depuis
son élection. Surpris par la nomination d’une Rachida
Dati ou d’une Rama Yade au gouvernement (même si à
l’époque coloniale il y avait plus de ministres d’origine
africaine dans les cabinets de la république et les assemblées
qu’aujourd’hui), ils voulaient savoir si, derrière
la manœuvre, se profilait un grand dessein – une véritable
reconnaissance, par la France, du caractère multiracial et
cosmopolite de sa société.
Il était donc attendu. Dire qu’il a déçu
est une litote. Certes, le cartel des satrapes (d’Omar Bongo,
Paul Biya et Sassou Nguesso à Idris Déby, Eyadéma
Fils et les autres) se félicite de ce qui apparaît
clairement comme le choix de la continuité dans la gestion
de la “ Françafrique ” - ce système de
corruption réciproque qui lie la France à ses affidés
africains.
Mais si l’on en juge par les réactions enregistrées
ici et là, les éditoriaux, les courriers dans la presse,
les interventions sur les chaînes de radios privées
et les débats électroniques, une très grande
partie de l’Afrique francophone – à commencer
par la jeunesse à laquelle il s’est adressé
– a trouvé ses propos franchement choquants. Et pour
cause. Dans tous les rapports où l’une des parties
n’est pas assez libre ni égale, le viol souvent commence
par le langage – un langage qui, sous prétexte d’amitié,
s’exempte de tout et s’auto-immunise tout en faisant
porter tout le poids de la cruauté au plus faible.
Régression
Mais pour qui n’attend rien de la France, les propos tenus
à l’université de Dakar sont fort révélateurs.
En effet, le discours rédigé par Henri Guaino (conseiller
spécial) et prononcé par Nicolas Sarkozy dans la capitale
sénégalaise offre un excellent éclairage sur
le pouvoir de nuisance – conscient ou inconscient, passif
ou actif – qui, dans les dix prochaines années, pourrait
découler du regard paternaliste et éculé que
continuent de porter certaines des “ nouvelles élites
françaises ” (de gauche comme de droite) sur un continent
qui n’a cessé de faire l’expérience de
radicales mutations au cours de la dernière moitié
du XXe siècle notamment.
Dans sa “ franchise ” et sa “ sincérité
”, Nicolas Sarkozy révèle au grand jour ce qui,
jusqu’à présent, relevait du non-dit, à
savoir qu’aussi bien dans la forme que dans le fond, l’armature
intellectuelle qui sous-tend la politique africaine de la France
date littéralement de la fin du XIXe siècle. Voici
donc une politique qui, pour sa mise en cohérence, dépend
d’un héritage intellectuel obsolète, vieux de
près d’un siècle, malgré les rafistolages.
Le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar montre comment, enfermé
dans une vision frivole et exotique du continent, les “ nouvelles
élites françaises ” prétendent jeter
un éclairage sur des réalités dont elles ont
fait leur hantise et leur fantasme (la race), mais dont, à
la vérité, elles ignorent tout. Ainsi, pour s’adresser
à “ l’élite de la jeunesse africaine ”,
Henri Guaino se contente de reprendre, presque mot à mot,
des passages du chapitre consacré par Hegel à l’Afrique
dans son ouvrage La raison dans l’histoire – et dont
j’ai fait, récemment encore et après bien d’autres,
une longue critique dans mon livre De la postcolonie (pp. 221-230).
Selon Hegel en effet, l’Afrique est le pays de la substance
immobile et du désordre éblouissant, joyeux et tragique
de la création. Les nègres, tels nous les voyons aujourd’hui,
tels ils ont toujours été. Dans l’immense énergie
de l’arbitraire naturel qui les domine, ni le moment moral,
ni les idées de liberté, de justice et de progrès
n’ont aucune place ni statut particulier. Celui qui veut connaître
les manifestations les plus épouvantables de la nature humaine
peut les trouver en Afrique. Cette partie du monde n’a, à
proprement parler, pas d’histoire. Ce que nous comprenons
en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique
non développé, entièrement prisonnier de l’esprit
naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire
universelle.
Les “ nouvelles élites françaises ” ne
sont pas convaincues d’autre chose. Elles partagent ce préjugé
hégélien. Contrairement à la génération
des “ Papa-Commandant ” (de Gaulle, Pompidou, Giscard
d’Estaing, Mitterrand ou Chirac) qui épousait tacitement
le même préjugé tout en évitant de heurter
de front leurs interlocuteurs, les “ nouvelles élites
” de France estiment désormais que l’on ne peut
rendre compte de sociétés aussi plongées dans
la nuit de l’enfance qu’en s’exprimant sans frein,
dans une sorte de vierge énergie. Et c’est bien ce
qu’elles ont à l’idée lorsque, désormais,
elles défendent tout haut l’idée d’une
nation “ décomplexée ” par rapport à
son histoire coloniale.
À leurs yeux, on ne peut parler de l’Afrique qu’en
suivant, en sens inverse, le chemin du sens et de la raison, peu
importe que cela se fasse dans un cadre où chaque mot prononcé
l’est dans un contexte d’ignorance. D’où
la tendance à saturer les mots, à recourir à
une sorte de pléthore verbale, à procéder par
la suffocation des images – toutes choses qui octroient au
discours de Nicolas Sarkozy à Dakar son caractère
heurté, bégayant et abrupt.
J’ai en effet beau faire la part des choses. Dans le long
monologue de Dakar, je ne trouve d’invitation à l’échange
et au dialogue que rhétorique. Derrière les mots se
cachent surtout des injonctions, des prescriptions, des appels au
silence, voire à la censure, une insupportable suffisance
dont, je l’imagine, on ne peut faire preuve qu’à
Dakar et à Libreville, et certainement pas à Pretoria
ou à Luanda.
Aux sources de l’ethnologie coloniale
À côté de Hegel existe un deuxième fonds
que recyclent sans complexe les “ nouvelles élites
françaises ”. Il s’agit d’une somme de
lieux communs formalisés par l’ethnologie coloniale
vers la fin du XIXe siècle. C’est au prisme de cette
ethnologie que se nourrit une grande partie du discours sur l’Afrique,
voire une partie de l’exotisme qui constitue l’un des
visages privilégiés du racisme à la française.
Cet amas de préjugés, Lévy Brühl tenta
d’en faire un système dans ses considérations
sur “ la mentalité primitive ” ou encore “
prélogique ”. Dans un ensemble d’essais concernant
les “ sociétés inférieures ” (Les
fonctions mentales en 1910 ; puis La mentalité primitive
en 1921), il s’acharnera à donner une caution pseudo-scientifique
à la distinction entre “ l’homme occidental ”
doué de raison et les peuples et races non-occidentaux enfermés
dans le cycle de la répétition et du mythe.
Se présentant – coutume bien rodée –
comme “ l’ami ” des Africains, Leo Frobenius (que
dénonce avec virulence le romancier Yambo Ouologuem dans
Le devoir de violence) contribua largement à diffuser une
partie des ruminations de Lévy Brühl derrière
le masque du “ vitalisme ” africain. Certes, considérait-il
que la “ culture africaine ” n’est pas le simple
prélude à la logique et à la rationalité.
Toujours est-il qu’il considérait qu’après
tout, l’homme noir est un enfant. Comme son contemporain Ludwig
Klages (auteur, entre autres, de L’éros cosmogonique,
L’homme et la terre, L’esprit comme ennemi de l’âme),
il estimait que l’homme occidental avait payé d’une
dévitalisation génératrice de comportements
impersonnels la démesure dans l’usage de la volonté
– le formalisme auquel il doit sa puissance sur la nature.
De son côté, le missionnaire belge Placide Tempels
dissertait sur “ la philosophie bantoue ” dont l’un
des principes était, selon lui, la symbiose entre “
l’homme africain ” et la nature. Aux yeux du bon père,
la force vitale constitue l’être de l’homme bantu.
Celle-ci se déploie du degré proche de zéro
(la mort) jusqu’au niveau ultime de celui qui s’avère
un “ chef ”.
Telles sont d’ailleurs, en plus de Pierre Teilhard de Chardin,
les sources principales de la pensée de Senghor qu’Henri
Guaino se fait fort de mobiliser dans l’espoir de donner aux
propos présidentiels une caution autochtone. Ignore-t-il
donc l’inestimable dette que, dans sa formulation du concept
de la négritude ou dans la formation de ses notions de culture,
de civilisation, voire de métissage, le poète sénégalais
doit aux théories les plus racistes, les plus essentialistes
et les plus biologisantes de son époque ?
Mais il n’y a pas que l’ethnologie coloniale. Au demeurant,
celle-ci se nourrit de nombreux récits de voyage et nourrit
à son tour toute une culture populaire dont les films, la
publicité, les bandes dessinées, la peinture et la
sculpture, la photographie ou les expositions ne sont qu’un
aspect. Ici, on s’efforce de créer un objet qui, loin
de permettre d’effectuer le travail de reconnaissance de l’Autre,
fait plutôt de ce dernier un objet substitutif, de donner
libre cours à des fantasmes.
Le conseiller spécial du président français
reprend à son compte cette technique aussi bien que l’essentiel
des thèses (qu’il prétend par ailleurs réfuter)
des idéologues de la différence et des pontifes de
l’ontologie africaine. Puis il procède comme si l’idée
selon laquelle il existerait une essence nègre, une “
âme africaine ” dont “ l’homme africain
” (Muntu) serait la manifestation la plus vivante –
comme si cette idée somme toute farfelue n’avait pas
fait l’objet d’une critique radicale par les meilleurs
des philosophes africains, à commencer par Fabien Éboussi
Boulaga dont l’ouvrage, La crise du Muntu, est à cet
égard un classique.
Dès lors, comment s’étonner qu’au bout
du compte, sa définition du continent et de ses gens soit
une définition purement négative ? En effet, “
l’homme africain ” du président Sarkozy est surtout
reconnaissable soit par ce qu’il n’a pas, ce qu’il
n’est pas ou ce qu’il n’est jamais parvenu à
accomplir (la dialectique du manque et de l’inachèvement),
soit par son opposition à “ l’homme moderne ”
(sous-entendu “ l’homme blanc ”) – opposition
qui résulterait de son attachement irrationnel au royaume
de l’enfance, au monde de la nuit, aux bonheurs simples et
à un âge d’or qui n’a jamais existé.
Pour le reste, l’Afrique des “ nouvelles élites
françaises ” est essentiellement une Afrique rurale,
féérique et fantôme, mi-bucolique et mi-cauchemardesque,
peuplée de paysans, faite d’une communauté de
souffrants qui n’ont rien commun sauf leur commune position
à la lisière de l’histoire, prostrés
qu’ils sont dans un hors-monde - celui des sorciers et des
griots, des êtres fabuleux qui gardent les fontaines, chantent
dans les rivières et se cachent dans les arbres, des morts
du village et des ancêtres dont on entend les voix, des masques
et des forêts pleines de symboles, des poncifs que sont la
prétendue “ solidarité africaine ”, “
l’esprit communautaire ” , “ la chaleur ”
et le respect des aînés.
La politique de l’ignorance
Le discours se déroule donc dans une béatifique volonté
d’ignorance de son objet, comme si, au cours de la deuxième
moitié du XXe siècle, l’on n’avait pas
assisté à un développement spectaculaire des
connaissances sur les mutations, sur la longue durée, du
monde africain.
Je ne parle pas de la contribution des chercheurs africains eux-mêmes
à la connaissance de leurs sociétés, ni de
la critique interne de leurs cultures – critique à
laquelle certains d’entre nous ont contribué. Je parle
des milliards de son propre trésor que le gouvernement français
a commis dans cette grande œuvre et ne m’explique guère
comment, au terme d’un tel investissement, on peut encore,
aujourd’hui, parler de l’Afrique en des termes aussi
peu intelligents.
Que cache cette politique de l’ignorance volontaire
et assumée ?
Comment peut-on se présenter à l’université
Cheikh Anta Diop de Dakar au début du XXIe siècle
et parler à l’élite intellectuelle africaine
comme si l’Afrique n’avait pas de tradition intellectuelle
et critique propre et comme si Senghor et Camara Laye étaient
les derniers mots de l’intelligence africaine au cours du
XXe siècle ?
Par ailleurs, où sont donc passées les connaissances
accumulées au cours des cinquante dernières années
par l’Institut de Recherche sur le Développement, les
laboratoires du Centre National de la Recherche Scientifique, les
nombreux appels d’offres thématiques réunissant
chercheurs africains et français qui ont tant servi à
renouveler notre connaissance du continent – initiatives souvent
généreuses auxquelles il m’est d’ailleurs
arrivé, plus d’une fois, d’être associé
?
Comment peut-on faire comme si, en France même, Georges Balandier
n’avait pas montré, dès les années cinquante,
la profonde modernité des sociétés africaines
; comme si Claude Meillassoux, Jean Copans, Emmanuel Terray, Pierre
Bonafé et beaucoup d’autres n’en avaient pas
démonté les dynamiques internes de production des
inégalités ; comme si Catherine Coquery-Vidrovitch,
Jean-Suret Canale, Almeida Topor et plusieurs autres n’avaient
pas mis en évidence et la cruauté des compagnies concessionnaires,
et les ambigüités des politiques économiques
coloniales ; comme si Jean-François Bayart et la revue Politique
africaine n’avaient pas tordu le cou à l’illusion
selon laquelle le sous-développement de l’Afrique s’explique
par son “ désengagement du monde ” ; comme si
Jean-Pierre Chrétien et de nombreux géographes n’avaient
pas administré la preuve de l’inventivité des
techniques agraires sur la longue durée; comme si Alain Dubresson,
Annick Osmont et d’autres n’avaient pas décrit,
patiemment, l’incroyable métissage des villes africaines
; comme si Alain Marie et les autres n’avaient pas montré
les ressorts de l’individualisme ; comme si Jean-Pierre Warnier
n’avait pas décrit la vitalité des mécanismes
d’accumulation dans l’Ouest-Cameroun et ainsi de suite.
Déni de responsabilité
Quant à l’antienne sur la colonisation et le refus
de la “ repentance ”, voilà qui sort tout droit
des spéculations de Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut et
autres Daniel Lefeuvre. Mais à qui fera-t-on croire qu’il
n’existe pas de responsabilité morale pour des actes
perpétrés par un État au long de son histoire
? À qui fera-t-on croire que pour créer un monde humain,
il faut évacuer la morale et l’éthique par la
fenêtre puisque dans ce monde, il n’existe ni justice
des plaintes, ni justice des causes ?
Afin de dédouaner un système inique, la tentation
est aujourd’hui de réécrire l’histoire
de la France et de son empire en en faisant une histoire de la “
pacification ”, de “ la mise en valeur de territoires
vacants et sans maîtres ”, de la “ diffusion de
l’enseignement ”, de la “ fondation d’une
médecine moderne ”, de la mise en place d’infrastructures
routières et ferroviaires. Cet argument repose sur le vieux
mensonge selon lequel la colonisation fut une entreprise humanitaire
et qu’elle contribua à la modernisation de vieilles
sociétés primitives et agonisantes qui, abandonnées
à elles-mêmes, auraient peut-être fini par se
suicider.
En traitant ainsi de la colonisation, on prétend s’autoriser,
comme dans le discours de Dakar, d’une sincérité
intime, d’une authenticité de départ afin de
mieux trouver des alibis - auxquels on est les seuls à croire
– à une entreprise passablement cruelle, abjecte et
infâme. L’on prétend que les guerres de conquête,
les massacres, les déportations, les razzias, les travaux
forcés, la discrimination raciale institutionnelle –
tout cela ne fut que “ la corruption d’une grande idée
” ou, comme l’explique Alexis de Tocqueville, “
des nécessités fâcheuses ”.
Demander que la France reconnaisse, à la manière
du même Tocqueville, que le gouvernement colonial fut un “
gouvernement dur, violent, arbitraire et grossier ”, ou encore
lui demander de cesser de soutenir des dictatures corrompues en
Afrique, ce n’est ni la dénigrer, ni la haïr.
C’est lui demander d’assumer ses responsabilités
et de pratiquer ce qu’elle dit être sa vocation universelle.
D’autre part, il faut être cohérent et cesser
de tenir à propos de la colonisation des propos à
géométrie variable – certains pour la consommation
interne et d’autres pour l’exportation. Qui convaincra-t-on
en effet de sa bonne foi si, en sous-main des proclamations de sincérité
telles que celles de Dakar, l’on cherche à dédouaner
le système colonial en cherchant à nommer, à
titre posthume comme maréchal, des figures aussi sinistres
que Raoul Salan ou en cherchant à construire un mémorial
à des tueurs comme Bastien Thiry, Roger Degueldre, Albert
Dovecar et autres Claude Piegts ?
Conclusion
La majorité des Africains ne vit ni en France, ni dans les
anciennes colonies françaises. Elle ne cherche pas à
émigrer dans l’Hexagone. Dans l’exercice quotidien
de leur métier, des millions d’Africains ne dépendent
d’aucun réseau français d’assistance.
Pour leur survie, ils ne doivent strictement rien à la France
et la France ne leur doit strictement rien. Et c’est bien
ainsi.
Ceci dit, un profond rapport intellectuel et culturel lie certains
d’entre nous à ce vieux pays où, d’ailleurs,
nous avons été formés en partie. Une forte
minorité de citoyens français d’origine africaine,
descendants d’esclaves et d’ex-colonisés y vivent,
dont le sort est loin de nous être indifférent, tout
comme celui des immigrés illégaux qui, malgré
le fait d’avoir enfreint la loi, ont néanmoins droit
à un traitement humain.
Depuis Fanon, nous savons que c’est tout le passé
du monde que nous avons à reprendre ; que nous ne pouvons
pas chanter le passé aux dépens de notre présent
et de notre avenir ; qu’il n’y a pas de mission nègre
comme il n’y a pas de fardeau blanc ; que nous n’avons
ni le droit ni le devoir d’exiger réparation de qui
que ce soit ; que le nègre n’est pas, pas plus que
le blanc ; et que nous sommes notre propre fondement.
Aujourd’hui, y compris parmi les Africains francophones dont
la servilité à l’égard de la France est
particulièrement accusée et qui sont séduits
par les sirènes du nativisme et de la condition victimaire,
beaucoup d’esprits savent pertinemment que le sort du continent,
ou encore son avenir, ne dépend pas de la France. Après
un demi-siècle de décolonisation formelle, les jeunes
générations ont appris que de la France, tout comme
des autres puissances mondiales, il ne faut pas attendre grand-chose.
Personne ne sauvera les Africains malgré eux.
Elles savent aussi que jugées à l’aune de l’émancipation
africaine, certaines de ces puissances sont plus nuisibles que d’autres.
Et que compte tenu de notre vulnérabilité passée
et actuelle, le moins que nous puissions faire est de limiter ce
pouvoir de nuisance. Une telle attitude n’a rien à
voir avec la haine de qui que ce soit. Au contraire, elle est le
préalable à une politique de l’égalité
sans laquelle il ne saurait y avoir un monde commun.
Si donc la France veut jouer un rôle positif dans l’avènement
de ce monde commun, il faut qu’elle renonce à ses préjugés.
Il faut que ses nouvelles élites opèrent le travail
intellectuel nécessaire à cet effet. On ne peut pas
parler à l’ami sans s’adresser à lui.
Etre capable d’amitié, c’est, comme le soulignait
Jacques Derrida, savoir honorer en son ami l’ennemi qu’il
peut être. Cela est un signe de liberté.
Pour l’heure, le prisme à partir duquel elles regardent
l’Afrique, la jugent ou lui administrent des leçons
n’est pas seulement obsolète. Il ne fait aucune place
à des rapports d’amitié qui seraient coextensifs
à des rapports de justice et de respect. Tant que cet aggiornamento
n’est pas réalisé, ses clients et affidés
locaux continueront de l’utiliser pour de tristes fins. Mais
personne, ici, ne la prendra vraiment au sérieux et, encore
moins, l’écoutera.
Le messager
Le 01-08-2007
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