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Origine : http://ici-et-ailleurs.org//spip.php?article173
Introduction : mondialisation et anarchisme entre 1880 et 1914
A partir des années 1880 et jusqu’à la Première
Guerre Mondiale surgit un ensemble de groupements politiques revendiquant
le nom d’« anarchisme ». Plusieurs des mouvements
anti-autoritaires qui avaient préexistés dans la Première
Internationale s’y trouvent englobés : ainsi du «
mutualisme », sous l’influence de Proudhon, ou du «
collectivisme » bakouninien. Cette époque est un moment
décisif, non seulement pour la propagation la plus large
du mouvement anarchiste, mais aussi pour l’élaboration
de la notion générale d’« anarchie »
en tant que grille de déchiffrement permettant de reconnaître,
en dehors de l’époque et des lieux où naquit
cette notion, des précurseurs qui n’auraient pas pensé
à s’en revendiquer . On a donc voulu découvrir
de l’ « anarchisme » dans des systèmes
de pensée antérieurs aux temps modernes, voire extérieurs
à l’espace européen : par exemple dans les révoltes
populaires, le bouddhisme primitif, le christianisme ancien, chez
Lao-Tseu ... La notion d’anarchie est ainsi devenue un concept
politique global, non seulement applicable à l’Europe,
mais au monde entier. De cette formation de l’ « anarchisme
» à partir des années 1880, Benedict Anderson
a récemment présenté un compte-rendu historique
lucide, décrivant les rapports entre l’expansion du
colonialisme dans le dernier quart du XIX siècle et les réseaux
mondiaux de l’anarchisme. L’extension des réseaux
anarchistes internationaux a connu son apogée avant le commencement
de la Première Guerre Mondiale, dépassant celle du
marxisme et traversant toutes les frontières européennes
et jusqu’à des pays tels que l’Egypte, Cuba,
le Brésil, la Corée, la Chine ou le Japon. Anderson
a appelé « Early globalization (première mondialisation)
» le complexe développement de cette compétition
mondiale et des réseaux créés par celle-ci
. L’expansion mondiale du colonialisme s’est accompagnée
de diverses innovations technologiques créant des migrations
massives et des réseaux traversant les frontières
dans le monde entier : invention du télégraphe et
ses nombreux perfectionnements, installation de câbles sous
les océans, développement de lignes régulières
de paquebots internationaux, inauguration de l’Union postale
universelle… Anderson a replacé l’anarchisme
dans le cadre de ces réseaux mondiaux, en tant que rêve
et pratique du dépassement des frontières, afin de
nier non seulement l’Etat, mais l’ensemble des Etats
qui dominent le monde sous la forme du colonialisme. Selon cette
analyse, la formation de l’anarchisme se dégage d’un
arrière-plan historique qui inclut celui-ci. Toutefois la
méthodologie d’Anderson, qualifiée de «
Political Astronomy », se limite à établir une
cartographie objective de l’anarchisme au sein des réseaux
et des conflits du monde. Mon but est au contraire de tenter une
interprétation intérieure de la pensée anarchiste,
en tant que théorie disposant d’une problématique
alternative aux pensées dominantes du colonialisme. Philosophe
représentatif qui procéda à la systématisation
de la philosophie anarchiste, Pierre Kropotkine présente
en 1885 son diagnostic pour l’époque contemporaine
: « Si la révolution s’impose dans le domaine
économique, si elle devient une impérieuse nécessité
dans le domaine politique, elle s’impose bien plus encore
dans le domaine moral. (...) Les relations de plus en plus fréquentes
qui s’établissent aujourd’hui entre les individus,
les groupes, les nations, les continents, viennent imposer à
l’humanité de nouvelles obligations morales ».
Il me semble que, pour l’auteur, la possibilité de
réalisation des idées anarchistes tient justement
à ces relations de plus en plus fréquentes à
travers les frontières . Pourtant, qu’est-ce qui est
lié par de telles relations ? Qui supporte ces nouvelles
obligations ? La réponse, me semble-t-il, se trouve dans
l’évolutionnisme, que Kropotkine présente en
sujet révolutionnaire contre le colonialisme. L’évolutionnisme
a été une des théories principales parmi les
anarchistes de cette époque. Mon projet est donc de mettre
au clair un élément central de la philosophie libertaire
des années 1880-1914, l’évolutionnisme, imaginé
par Pierre Kropotkine, dont les oeuvres ont eu la plus large influence
sur le monde anarchiste de l’époque . Alors qu’avant
cette période la philosophie anarchiste s’articule
sur la théorie dialectique pour saisir le devenir du monde,
Kropotkine et les autres anarchistes la remplacent par l’évolutionnisme.
La transformation qu’opère Kropotkine du principal
facteur philosophique de l’anarchisme aboutit à la
découverte de la notion de « vie » en tant que
principe du devenir toujours déjà existant dans la
multiplicité, non seulement en Europe, mais dans toutes les
régions du monde. * Je voudrais d’abord comparer On
the origin of species de Darwin avec l’oeuvre principale de
Kropotkine, dans laquelle ce dernier systématise sa conception
de l’évolutionnisme : Entr’aide : un facteur
de l’évolution, ouvrage qui constitue une lecture fidèle
du précédent. On the origin of species et Entr’aide
débutent tous deux par une description de voyage hors de
l’Europe. D’une part, l’expérience et les
observations poursuivies à bord du navire « Beagle
» ont permis à Darwin de remettre en question le système
de taxonomie en vigueur dans une Europe où régnait
encore le créationnisme, autrement dit la croyance dans l’invariabilité
de chaque espèce, excluant du champ du savoir biologique
l’élément temporel et la possibilité
des divergences. La diversité du vivant dans sa distribution
géographique ne pouvant être comprise par la taxonomie
classique, Darwin formula sa propre théorie de l’évolution
dans On the origin of species : une connaissance généalogique
de la vie, introduisant dans la connaissance du vivant la divergence
à travers le temps. Pour sa part, Kropotkine appuya sa théorie
sur des observations pratiquées en Sibérie et en Mandchourie,
où il découvrit la diversité des animaux qui
parviennent à subsister au sein d’une nature extrêmement
sévère. De la conservation de cette diversité
sous de telles conditions, deux causes sont données : les
migrations, d’une part, opérées par les animaux
pour éviter le manque de nourriture et chercher un milieu
plus favorable, à travers un territoire extrêmement
vaste sans frontière artificielle ; d’autre part la
coopération ou la sociabilité permettant aux vivants
de survivre et de se diversifier malgré la dureté
des conditions naturelles : selon les termes de Kropotkine, l’Entr’aide.
Pour le dire autrement, Darwin et Kropotkine rencontrent tous deux
la diversité du monde hors d’Europe et proposent une
théorie de la connaissance permettant de saisir le devenir
de la multiplicité au sein du vivant, qui ne saurait être
réduit aux classifications de la taxonomie classique propre
à l’Europe. Par ailleurs, l’un et l’autre
interdisent toute hiérarchisation du vivant en comprenant
l’évolution comme un processus contingent et sans fin.
Je voudrais indiquer certains points communs à Darwin et
à Kropotkine concernant l’explication des transformations
du vivant. Pour Darwin, la transformation du vivant (ou évolution,
mais il n’utilise pas ce mot) est provoquée par accumulation
de variations légères opérant sur les caractères
individuels à travers une temporalité immense. Ce
processus de variation individuelle entraîne graduellement
une divergence de variété, puis d’espèce.
La sélection naturelle, concept original formé par
Darwin contre la taxonomie classique fondée sur le créationnisme,
désigne une action opérant au sein de cette divergence
sans recours à l’intervention d’un être
transcendant. Son dynamisme est produit par l’ensemble des
relations mutuelles entre les vivants. Autrement dit, certains individus
sont sélectionnés du fait des variations qu’ils
présentent, qui leur permettent de survivre par rapport à
d’autres individus. Au cours de la sélection, les variations
divergent pour engendrer de nouvelles espèces. Darwin appelle
« lutte pour l’existence » l’action sélective
provoquée par l’insuffisance des ressources alimentaires
dans les relations mutuelles au sein du vivant . La sélection
naturelle est donc un procès contingent sans fondement transcendant
ni téléologie. En effet, la variation est contingente
et le survivant de la « lutte pour l’existence »
n’est déterminé que par la dynamique des relations
accidentelles entre ceux qui vivent dans certaines conditions naturelles.
Dans l’argumentation de Darwin, Kropotkine s’attache
à l’enjeu impliqué par la « lutte pour
l’existence » en tant que relation entre les vivants,
sélectionnant ceux d’entre eux qui sont destinés
à survivre. Kropotkine, comme on le sait, affirme en effet
que l’entr’aide est un facteur d’évolution
supérieur à la lutte pour l’existence. Cette
théorie est toutefois une forme élargie de celle de
Darwin. Kropotkine le suggère lui-même, dans le premier
Chapitre de L’Entr’aide, en distinguant l’évolutionnisme
darwinien du darwinisme social. Il réfute le darwinisme social,
pour la raison qu’il applique à la compétition
économique l’expression de « lutte pour l’existence
» en prenant le terme de « lutte » littéralement,
dans son sens le plus étroit. En fait, Darwin explique lui-même
qu’il emploie, par commodité, le terme de « lutte
pour l’existence » au sens métaphorique afin
d’exprimer l’ensemble des « relations mutuelles
de dépendance des êtres organisés ». L’expression
de « lutte pour l’existence » représente
aussi bien la relation de dépendance entre le gui et le pommier
que la « lutte » entre un parasite et son hôte.
Afin d’élargir la portée du concept de «
lutte pour l’existence » , comprise comme l’action
des relations mutuelles des vivants, Kropotkine introduit le concept
d’« entr’aide », c‘est-a-dire, la
coopération ou la sociabilité du vivant, autour de
ces « relations mutuelles de dépendance des êtres
organisés ». Ce que Kropotkine nomme « entr’aide
» est donc une relation mutuelle qui rend possible de survivre
et de maintenir l’accumulation des variations légères
en chaque individu . Selon lui, la vie en société,
coopération ou sociabilité, est l’arme la plus
puissante dans la lutte pour la vie au sens le plus large. L’action
de l’entr’aide, ajoute-t-il, peut être perçue
à tous les niveaux de la vie, du microbe jusqu’à
l’organisme le plus complexe. Le principe d’entr’aide
explique la diversité du vivant à travers le monde
entier : les vivants dans la vie sociale peuvent se garder contre
la dureté des conditions naturelles, se diversifier en conservant
leurs variations individuelles et s’adapter au nouveau milieu.
En outre, cette diversité n’établit pas une
hiérarchie, parce que l’action des relations mutuelles
et des variations, de même que dans la théorie de Darwin,
opère de manière contingente sans être prédéterminée
dans une certaine direction. Ainsi chaque espèce, à
n’importe quel niveau de complexité organique, peut-elle
obtenir, de manière variée, un caractère qui
la rend propre aux conditions où elle vit. Même un
organisme simple peut se diversifier et s’adapter sous l’effet
de l’entr’aide. L’apparente complexité
de la structure organique ne permet donc pas de juger le degré
de la supériorité du vivant. L’humain ne se
situe pas nécessairement au sommet hiérarchique de
l’évolution. Kropotkine décentralise, pour ainsi
dire, la hiérarchie de la diversité au sein du vivant,
dont il affirme la multiplicité. Par ailleurs, contrairement
à l’opinion commune qui veut que l’anarchisme
croit au caractère fondamental du Bien, à l’Etre
ou à l’Individu, l’entr’aide ne constitue
pas la substance de la vie, mais seulement une relation dynamique
et contingente entre les vivants, toujours antérieure à
l’individualité, qui forme l’individu et en conserve
la variation. On pourrait voir ici une conscience du temps propre
à Kropotkine, un conservatisme refusant l’essentialisme
. L’organisme capable de créer un nouveau caractère
et de se diversifier est celui qui parvient à conserver cette
relation mutuelle, telle que l’entr’aide, qui existe
depuis la vie la plus primitive. Même l’organisme en
son apparence ancienne et simple peut s’adapter et prospérer
grâce au principe de l’Entr’aide. En bref, la
conservation de l’antériorité aboutit à
la création d’un ensemble nouveau d’états
postérieurs et à une diversité accrue. Dans
la théorie de Kropotkine, la multiplicité est toujours
rendue possible par le retour de l’antériorité.
L’importance de l’antériorité dans l’évolution
apparaît de manière encore plus significative dans
la deuxième moitié d’Entr’aide, où
Kropotkine traite du monde humain. La formule est fameuse : «
L’homme n’a pas créé la société
: la société est antérieure à l’homme
». La deuxième moitié d’Entr’aide
décrit la multiplicité de la forme sociale égalitaire
dans l’ensemble du monde contemporain. Celle-ci se réalise
en conservant et en développant le principe d’entr’aide
comme antériorité. L’expression « survivre
encore » est plusieurs fois répétée.
Il s’agit là des sociétés égalitaires
qui précèdent l’Etat et survivent encore jusqu’à
nos jours. Le mot d’Etat, pour Kropotkine, désigne
plutôt l’Etat moderne, dispositif qui commence à
se construire au XVIe siècle pour régler le capitalisme
en garantissant le droit de propriété. Il est donc
un produit récent dans l’histoire et propre à
l’Europe. La question est de savoir ce qui l’a précédé
et existe encore, réellement et diversement, dans le monde.
Ainsi, se fondant sur des travaux pionniers de l’anthropologie
tels que les œuvres de Lewis Henry Morgan, Edward Taylor, Bachofen…,
Kropotkine décrit la société primitive telle
qu’elle survit en dehors de l’Europe. Diverses formes
égalitaires y sont reconnues : le système de partage
équitable des richesses, le clan soutenu par des systèmes
de parenté complexes, des formes de redistribution telle
que potlatch, etc. La notion d’entr’aide permet de synthétiser
toutes les structures de la société primitive qui
excluent l’inégalité politique et économique.
Kropotkine décrit également les diverses formes d’entr’aide
qui, à l’intérieur des Etats modernes autoritaires
de l’Europe contemporaine, aujourd’hui, continuent à
survivre et à renaître en opposition au capitalisme,
à travers diverses formes : communautés de village,
coopération agricole dans sa forme moderne, associations
diverses, syndicalisme, clubs de labeur, associations de soutien
mutuel, etc. Ces formes sociales diverses se conservent ou renaissent
contre l’unité du capitalisme et de l’Etat, telle
qu’elle se déploie non seulement en Europe mais aussi
à l’extérieur de l’Europe, ajoute Kropotkine.
La scène décrit en somme une nature et des sociétés
que l’on rencontre seulement sous le colonialisme, entendu
comme gouvernementalité excédant l’Europe ?
l’enquête même de Kropotkine en Sibérie
et en Mandchourie n’a été rendue possible que
par l’expansion territoriale de la Russie. Ces sociétés
présenteraient une antériorité que le colonialisme
oppresse, mais susceptible de conservation et de résistance.
On peut dire que Kropotkine prend pour enjeu la coexistence de la
multiplicité des formes sociales égalitaires dans
l’antériorité du colonialisme. * Au bout du
compte, je voudrais situer la théorie de Kropotkine dans
l’histoire des idées, afin d’en éprouver
la valeur en tant que problématique alternative au colonialisme.
Une comparaison s’impose avec l’histoire du darwinisme
social. L’un et l’autre, en effet, me semblent ressortir
du bouleversement épistémologique décrit par
Michel Foucault dans Les Mots et les Choses. En introduisant le
facteur du temps dans la connaissance de la vie, contre la taxonomie
et le créationnisme, Darwin brisa le cadre fermé et
statique des classifications établies sur le principe de
l’invariabilité des espèces. Foucault a montré
que l’origine de cette transformation épistémologique
autour de la vie trouve son origine dans l’anatomie comparée
de Cuvier au début du19e siècle. C’est alors,
dit-il, qu’une « histoire » de la nature s’est
substituée à l’histoire naturelle comme taxonomie.
La rupture de ce cadre a permis la découverte d’une
historicité propre à la vie, en même temps qu’elle
faisait apparaître la finitude de l’homme, être
dominé par le travail, la vie et le langage. Je me limiterai
ici au problème du savoir biologique. Dans cette «
histoire » de la vie que décrit l’évolution,
l’homme réside parmi les animaux à la fois comme
espèce privilégiée, ordonnatrice, située
à l’ultime extrémité d’une longue
série évolutive, et comme une espèce semblable
à toutes les autres qui doit s’achever indéfiniment
sur la voie de l’évolution. L’homme apparaît
comme un être instable et inquiétant qui, dans l’histoire
de la vie, se trouve en recul par rapport à son origine animale
en même temps qu’il ne peut arriver à sa fin.
Peut-on dire que la controverse religieuse et morale soulevée
autour du darwinisme dans la deuxième moitie du XIXème
siècle est un symptôme de cette inquiétude vis-à-vis
de l’homme ? C’est en effet la position de l’humain
qui constituait l’enjeu, dans la mesure où la théorie
de Darwin niait le privilège accordé à l’Homme
par le créationnisme chrétien. Dans cette controverse,
la plupart des darwinistes sociaux, comme Herbert Spencer, ont affirmé
le caractère téléologique de l’évolution,
tendue vers l’humain et, dans le monde humain, vers la suprématie
de la race européenne ou de l’homme européen.
Une telle hiérarchisation du procès d’évolution
s’oppose en fait à la théorie de Darwin qui
n’assigne aucun but aux divergences biologiques et ne laisse
à l’homme qu’un statut relatif parmi les autres
espèces. En orientant le cours du temps en direction de la
fin de l’homme, me semble-t-il, le darwinisme social a pour
rôle de voiler l’inquiétude dont la position
de l’homme fait l’objet. Contre une telle conscience
du temps arc-boutée sur l’Europe, Kropotkine insiste
pour décrire la multiplicité du vivant humain qui
coexiste et se diversifie, non pas au sein de la temporalité
européenne, mais dans le monde entier, Europe comprise. Prenons
un autre exemple de darwiniste social : Gustave Le Bon a lui aussi
voyagé en Asie, en Afrique du Nord et laissé des études
anthropologiques. Dans Psychologie des foules, la barbarie, la folie,
le crime, la foule, et l’anarchie sont rangées dans
la même série négative des symptômes de
la société. Pour Le Bon, ces situations doivent être
surmontées par la civilisation européenne. La théorie
kropotkinienne de l’évolution inverse complètement
l’argument par lequel Le Bon prône une sorte de colonialisme
civilisateur. Dans la Science moderne et l’anarchie, ouvrage
qui offre une synthèse de sa philosophie des sciences, Kropotkine
reformule la thèse de l’entr’aide, dont il montre
que le sujet est la « foule » sans nom : « ...les
usages et les coutumes que l’humanité créait
dans l’intérêt de l’entr’aide, de
la défense mutuelle et de la paix en général
furent élaborés précisément par la «
foule » sans nom » « ...tout le long de l’évolution
humaine, cette même force créatrice de la foule anonyme
a toujours élaboré de nouvelles formes de la vie sociétaire,
d’entr’aide, de garanties de la paix » D’ailleurs,
pour Kropotkine, cette foule est le sujet révolutionnaire
permanent et crée, d’une manière indéfiniment
variée, de nouvelles formes égalitaires contre l’Etat.
Au commencement de cette intervention, j’ai posé certaines
questions quant au diagnostic que Kropotkine portait sur les relations
mondiales en train de se développer : qu’est-ce qui
est lié par ces relations ? Qui est-ce qui supporte ces nouvelles
obligations ? Il me serait maintenant possible d’y répondre
: c’est la foule en tant qu’instance d’entr’aide,
que le savoir colonialiste renvoie à la négativité
afin de mieux l’oppresser.
Conclusion
Les éléments que j’ai extraits de la théorie
de Kropotkine, c’est-à-dire, l’entr’aide
comme ensemble des relations mutuelles de contingence ou la conscience
du retour de l’antériorité, s’opposent
profondément à la conception que les darwinistes sociaux
se sont formée du temps, laquelle s’articule sur l’Europe.
La « foule », déjà toujours existante,
ne cesse de diverger et sa diversité même crée
une société égalitaire multiple : mouvement
que le progressisme colonialiste s’efforce de réprimer,
du fait qu’il ne peut concevoir l’évolution autrement
qu’en tant que hiérarchie, ramenant à la seule
dimension de l’Europe les multiples tendances des sociétés
du monde. Contre ce cadre épistémologique qui place
« l’Homme » au sommet de la hiérarchie
de l’évolution, la théorie de Kropotkine prétend
saisir la coexistence des différents moments dans l’ensemble
du monde. A ce titre, elle veut relier entre elles, par des formes
de résistance alternative, les sociétés opprimées
et régies par le colonialisme. On pourrait dire que la théorie
de Kropotkine fournit une problématique alternative à
la première mondialisation : elle est une autre manière
de concevoir la multiplicité dans le monde. Cette théorie
peut en effet sembler fruste, par comparaison avec la rigueur du
marxisme, autre théorie de résistance à la
même époque. Pourtant elle s’inscrit dans une
conception multilinéaire de l’histoire pour préserver
la multiplicité qui survit dans le monde : ce qu’exclut
le marxisme, fondé sur une histoire linéaire tendue
vers la société communiste. La problématique
de la théorie de Kropotkine ne prend-elle pas une actualité
nouvelle, de nos jours où la violence de la mondialisation
est partout de plus en plus sensible ?
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