|
Texte publié dans Les Nouvelles Libertaires pour appeler à
un débat mi Novembre 2003 à Paris
Aspérités actuelles ?
L’échec du mouvement social du printemps 2003, aura
été cuisant. Une fois le Bac passé, seule véritable
aspérité qui menaçait le gouvernement, ce dernier
a pu enfin voir un boulevard s’offrir à lui. Les gens
ne pourront bien sur pas bosser jusqu’à 70 ans, mais,
sans pré-retraites, lorsque malades ou fatigués, ils
devront cesser de travailler, ils partiront avec une “retraite”
très amoindrie. Là est la véritable opération,
sans que le capital du MEDEF ait lâché une miette.
En effet, sur la base du produit intérieur brut, seule la
masse salariale est sollicitée pour les retraites (avec une
population vieillissante et une jeunesse précarisée),
pour le chômage (toujours en croissance puisque les grandes
boites avec l’automatisation et la main d’oeuvre pas
cher des pays pauvres et aussi précarisée des pays
riches permettent de supprimer des emplois), pour la sécurité
sociale (avec moins de salariés, des gens plus âgés,
plus de souffrances et de maladies). La part de capital dans ce
PIB est en pleine expansion, mais plus personne ne parvient à
trouver le rapport de force pour lui arracher ce qu’il a spolié,
pour les salaires, la sécurité sociale, les retraites,
le chômage, le temps libéré... Malgré
l’agitation intermittente des travailleurs du spectacle, justifiée
en réponse à la situation agressive du même
MEDEF contre la société du spectacle (Il s’agit
d’un processus de selection et d’exclusion de milliers
d’intermittents.); Malgré les 15000 morts d’un
système débordé par la canicule, car dépareillé
par l’Etat et le capital; La fameuse “rentrée
chaude”, promise comme chaque année se sera révélée
être une rentrée plate avec son lot de mauvaises surprises
(Livret A à 2,25%, chèques payants à la CE...).
Mieux, le pathétique dédouanement du ministre de la
santé lui aura permi de présenter sous un jour favorable
(avec la bienveillance des médias) différentes attaques
paupérisantes sur la santé, comme le plan hôpital
2007 (année d’élections), l’augmentation
du forfait hospitalier, les déremboursements divers, les
contrôles accrus pour les arrêts de travail (ultime
solutions pour des travailleurs de plus en plus éreintés
si ce n’est harcelés).
Marche où crève, c’est l’alternative !
Le gouvernement n’a plus à craindre les contradictions
car il communique sur les paradoxes. On nous dit qu’il est
sur le point de craquer, qu’il est affaibli... mais cela a-t-il
une importance ? La capacité de riposte efficace est d’une
telle faiblesse, que la force du gouvernement ne se mesure qu’à
sa “communication” en jouant sur les contradictions
les plus vives de la société. Et puis “au cas
ou”, grâce au sécuritaire qui sait prospérer
sur cette matière première irremplaçable qu’est
l’insécurité civile issue de l’insécurité
sociale, les pouvoirs en place savent qu’ils pourront toujours
compter sur une armée et une police de plus en plus aguerrie
contre les populations civiles. Sur le front social et syndical,
l’humilation est à son comble: Le dégoût
est grand, c’est une révolte refoulée, mais
plus fort encore restent le désarroi et même la dépression
et son impuissance corollaire. Le domaine de la lutte s’étend
et s’éparpille aux quatre vents pour chaque acte coûteux
de l’existence, sans que la force d’attention et de
concentration sur l’essentiel, comme fédérateur
collectif ne soit actuellement possible. Seul enjeu, pour les abonnés
de la maison FO, après lecture d’une main de “la
vie syndicale de Jean Claude M.” la tentation de voter pour
ces Jean-Claude M. ou de s’abstenir ...
Gouvernement, MEDEF et même opposition, savent pourquoi il
n’ont plus à craindre de ces ripostes efficaces, sans
grands efforts ils peuvent opposer leur cynisme à toute épreuve
face à un fatalisme populaire désenclavé de
toute histoire. C’est bien cela l’évènement,
c’est la non riposte efficace, à la hauteur des attaques,
d’autant qu’elles sont commises par des gens qui sont
loin d’être infaillibles. Nous aurions tort de trop
surestimer l’adresse du gouvernement, et de dénigrer
la valeur populaire en matière de mobilisation sociale. Les
gens ne sont pas à blâmer de ne pas trouver les aspérités
permettant des actions incarnées et ayant de l’effet.
L’époque a changé complètement, la parenthèse
des “30 glorieuses” est définitivement refermée,
bien que le vécu d’une continuité an-historique
semble être la réalité. Les vieux outils de
lutte, radicaux, révolutionnaires ou réformistes,
c’est fini, même s’il y a du monde dans les manifs
il faudra - si possible - inventer du neuf! Et cela va prendre du
temps.
Le renouveau d’incantations idéalistes désincarnées
les plus diverses comme fuite au désespoir ne changeront
rien à ces faits, quelle qu’en soit l’ampleur..
Elles ne feront qu’accompagner l’époque, sans
en modifier les enjeux, au pire sans contrôle sur elle même
et sans recul analytique, elles alimenteront les cohortes “d’idiots
utiles” à l’émergence de nouvelles tyrannies...
On ne fera pas l’impasse sur la nécessité d’un
travail incarné, libéré des totémismes
et fétichismes des anciens militantismes..
Le temps fracassé, distordu, la précarisation, ont
désarticulé toute pensée sur le futur. Reste
l’attente, au jour le jour, et l’occupation du temps
qui passe. Difficile, dés lors de se projeter sur l’âge
de la retraite, donc de se mobiliser sur cette question, puisque
le vécu au jour le jour bloque toute aspiration à
un futur quel qu’il soit. L’écart entre un secteur
public retranché se rendant compte trop tard qu’il
a couvert paritairement et dans la cogestion le travail précaire
non titularisable et un secteur privé déjà
très précarisé au sein desquels les gens travaillent
de plus en plus au jour le jour, a rendu difficile le fait que le
secteur privé s’engage significativement contre la
réforme des retraites. En effet, plus la précarité
salariale est grande, dans le sens où une journée
de travail perdue compromet un équilibre domestique et quotidien
précaire et plus la gêne ressentie par les grèves
de transports et les fermetures d’école est importante,
donc mal vécue... Et cela ne pourra pas être contré
par le seul volontarisme de militants idéologiquement engagés.
Inefficacité, inadéquation plus exactement des anciens
outils de lutte à l’actuelle situation.. Malgré
quelques trop rares initiatives de luttes censurées sinon
réprimées portant justement sur des grèves
et actions de gratuité.
A l’échelle de la droite gouvernante la parenthèse
issue de la résistance au nazisme semble aussi définitivement
refermée. Fini les filous de droite ayant fait leurs humanités
dans la culture de la résistance au nazisme et qu’il
était toujours possible de contrarier par des mouvements
de lutte. Nous somme face à une jeune génération
cynique qui fait la sourde oreille - ce sont des murs - jusqu’à
lassitude, dont un bon nombre a fait ses premiers pas politiques
dans l’engagement fasciste des années 60 et 70. D’où
l’aspect fortement idéologue et propagandiste du discours
libéral.
D’ailleurs, si l’on se souvient que l’ancien
concurrent du FN dans les années 70, le PFN (Parti des Forces
Nouvelles) se dissout pour rentrer en masse dans le RPR (avant l’UMP),
on aura compris cette émergence. Dés lors tout ceux
qui à gauche, à l’extrême gauche, chez
les libertaires même, auront appelés à voter
pour la droite, pour contrer le FN, auront en fait cautionné
une politique co-héritère des aspirations fascisantes
du PFN ! Heureusement qu’au deuxième tour des législatives
2002 l’abstention, malgré sa mise au pilori, aura pris
une belle revanche, ne cautionnant pas l’actuel gouvernement
tout en sanctionnant le précédent (Il ne faut donc
pas oublier que la majorité politique légale est minoritaire
à l’échelle de la France). Il ne faudra donc
pas s’étonner que le FN rajeuni ambitionne de faire
du social son nouveau cheval de bataille, et il a de l’avenir
lorsque la révolte généreuse a échoué
et que précarité et misère continuent à
prospérer.
En fait le possible en matière de progrès social
semble être devenu impossible. L’économie virtuelle
mais surpuissante a quitté la société des humains
et toutes ses contradictions, désormais le capital financier
domine et surdétermine de ses aléas tout un univers
social mondialisé incluant celui de l’économie
réelle des biens et des services et si des conflits restent
possibles ils ne peuvent opposer que des intérêts divergents
entre des gens de toute façon embarqués, dans des
cabines de confort inégal, dans une même galère.
C’est pourquoi il est de plus en plus difficile d’articuler
autrement que dans l’espérance militante idéologique
souvent illusoire, des conflits sociaux de plus en plus catégoriels,
de plus en plus dispersés, même si l’accroissement
des difficultés à exister offre l’occasion d’une
multiplication de ces conflits.. Qu’il s’agisse de conflits
micro-collectifs type luttes de classes, de conflits ethniques,
guerres aussi etc... Aujourd’hui le sujet social peut se parer
de toutes les identités virtuelles comme réelles,
ce qui multiplie, dans l’atomisation et l’anomie, les
cas de figures. C’est titanesque... Un passage du salariat
vers le post-salariat qui réhabilite aussi un certain esclavage...
Le capital financier tout puissant, l’économie a cessé
d’être à échelle humaine, le travailleur
est devenu inessentiel et interchangeable dans nombre de cas, il
n’est donc plus respecté y compris comme ennemi potentiel.
On peut licencier en masse des gens travaillant dans des boites
faisant du bénéfice, car le bénéfice
capitalistique et attendu de ces licenciements est désormais
plus important que les bénéfices productifs de la
boite. Cela fera toujours moins de participation salariale aux cotisations
de retraites, de sécurité sociale et de chômage..
Alors que les gens seront un peu plus chômeurs et/ou malades.
Les deux valeurs, nécessaires à la paix sociale, reconnues
au “travail du travailleur” sont la valeur occupationnelle
et la valeur consommatrice anonyme qui rapporte de l’argent
à des gens qui visent l’accession en bonne place dans
la bulle financière virtuelle. Ceux et celles qui se retrouveront
en dehors, considérés comme un surcoût par le
capitalisme doivent régulièrement disparaitre (tout
en étant renouvelés par une exclusion calculée)
et l’amputation, par manque de moyens techniques et humains,
de leur droit formel à la santé (et non pas droit
virtuel) doit contribuer à les voir mourir plus rapidement.
Seul compte le spectacle de leur misère et les conséquences
sur l’insécurité civile, car la peur qu’ils
inspirent est un moyen fondamental de domination pour le capitalisme.
Dans la veine des courants “antimondialistes” devenus
sémantiquement “altermondialistes” le mouvement
ATTAC a su mettre le doigt, avec nombre d’études, de
rapports et d’informations, sur l’importance majeure
de l’économie financière purement spéculative
comme domination mondialisée sur l’économie
réelle des bien et des services. Cependant en proposant comme
solution, de mettre en place à l’échelle mondiale
une taxation d’un certain pourcentage sur les transactions
spéculatives, non seulement elle avalise le principe de cette
domination financière comme inéluctable, mais son
projet amènerait la nécessité d’indexer
à l’économie virtuelle spéculative, l’ensemble
des activités économiques qui résistent encore
à cet alignement sur la domination financière, bien
qu’elles en subissent de toute façon les effets. Faut-il
voir derrière cette façon de penser la chose un prolongement
d’un vieux déterminisme historique et fataliste Marxisant,
qui soutiendrait la situation comme définitivement acquise
? Toujours est-il que la perspective de la création de centres
de prélèvements financiers à divers points
de passage des transactions spéculatives à l’échelle
du monde, attire plus d’une chapelle politicienne, laïque,
progressiste, ou religieuse. La concurrence est rude pour se positionner
dans les premiers à l’entrée de tel ou tel robinet
à pognon et ainsi faire prospérer sa boutique. Gageons,
que cet embryon d’Etat mondial régulateur du capitalisme
actuel saura organiser démocratiquement et électoralement
la course à la gestion des caisses. Si pour l’heure,
ATTAC est encore présenté comme un mouvement subversif
par la communication capitaliste, c’est dans le double intérêt
d’une part qu’il occupe le terrain de la “subversion”
en marginalisant les courants mécréants qui remettraient
en question la valeur même de la bulle financière spéculative,
et, d’autre part, parce qu’il n’a pas éprouvé
encore la nécessité d’organiser sa pérénisation
avec l’aide d’un Etat mondial régulateur et gardien
financé par l’organisation de la taxation des flux
financiers.
Cela viendra. Et l’on sait dés lors répétition
historique oblige, que l’impôt sur la spéculation
servira avant tout à financer la police et la soldatesque
mondialisée formant le corps d’Etat protecteur et régulateur
de la pérénisation de ce nouveau capitalisme.
D’ailleurs, l’altermondialisme, n’ayant point
élaboré de politique autonome lui offrant un débouché
historique, tant il est “plombé” par le concept
ATTAC, il reste un mouvement d’agitation ne pouvant à
court terme que servir bien malgré lui, de par sa sincérité
- sinon sa naïveté-, l’avènement des protectionnismes
et des souverainismes de certains Etat nations, Etats-régions,
cités-Etats émergentes et consortiums privés.
En coulisse, l’altermondialisme à la belle façade
reste donc avant tout une mondialisation des antimondialismes politiques.
La rude concurrence qui s’en suivra et le risque de guerres
désastreuses, mondialisées et dangereuses aussi pour
les dominants, comme continuité des négociations commerciales
en échec, sera alors la situation qui précipitera
le mouvement vers l’organisation de l’Etat mondial financé
par les taxes sur le capitalisme financier lui-même. Inutile
de dire que cet Etat financé par le capitalisme continuera
de régner grâce à la peur de la misère
matérielle (déjà..) entretenue artificiellement.
Il ne s’agit plus aujourd’hui face à cette marée
montante inéluctable et d’une force colossale de s’épuiser
à construire des digues de sable qui seront de toute façon
balayée, mais de s’ancrer et de s’amarrer, afin
de garder la tête hors des flots, de naviguer, de reconstruire
une fédération d’amarrages permettant à
l’existence, à la vie, de continuer. Ainsi des pistes
essentielles contre la misère, pourraient se situer dans
la négation (et non le déni) de la valeur de la finance
virtuelle comme blasphème mécréant et contre
la dévotion à ce capitalisme financier avec la constitution
d’un projet monétaire conventionné sur la satisfaction
des besoins essentiels. Dans un contexte de retour de l’Etat
régalien, mais aussi d’échec du jacobinisme
centralisateur se dissolvant dans le féodalisme libéral
et décentralisé, la réflexion réactivée
sur le fédéralisme Proudhonien serait plus que jamais
d’actualité, de même la réflexion sur
l’universel et les solidarités concrètes comme
formes la plus équilibrées de garantie de l’intérêt
particulier de tout un chacun. Enfin, tout questionnement sur l’économie
réelle des biens et des services doit prendre en compte l’entretien,
le renouvellement, la préservation de notre milieu naturel.
ACRATIK
Paris Novembre 2003
|