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Origine : http://www.humanite.fr/journal/2000-07-14/2000-07-14-228496
Un sentiment d’appartenance communautaire
À quelles évolutions obéissent aujourd’hui
les grandes fêtes populaires ? Quelle est la frontière
entre domaines public et privé ? Entretien avec Anne Monjaret,
chargée de recherches au CNRS.
Sociologue, Anne Monjaret poursuit ses recherches dans le cadre
du Centre d’ethnologie française, un organisme situé
au sein du Musée national des arts et traditions populaires.
Ses travaux portent notamment sur le phénomène que
représente la fête de la Sainte-Catherine
L’engouement que l’on rencontre aujourd’hui à
l’égard des grands rassemblements ne vous semble-t-il
pas contradictoire avec l’individualisme qui traverse notre
société ?
Anne Monjaret. Je ne le crois pas. L’individu appartient
aujourd’hui à des réseaux multiples, et pas
seulement à une communauté traditionnelle, comme il
pouvait en exister dans le milieu rural. Maintenant, en ce qui concerne
les fêtes, il semble que l’on navigue en permanence
entre deux tendances. Ainsi, on observe un développement
des fêtes individuelles qui ont pour cadre l’espace
intime. Parallèlement, on assiste au succès des grands
rassemblements du type Gay Pride. Et puis on est aussi confronté
au grand rassemblement qui se termine au café ou chez soi.
Ce phénomène de balancier entre la manifestation publique
et l’initiative privée semble bien s’installer
durablement.
Peut-on vraiment parler d’un accroissement des grands rassemblements
?
Anne Monjaret. Je dirais plutôt qu’ils n’ont
pas la même forme. Autrefois, les grandes fêtes du type
carnaval étaient liées aux cycles de vie. Aujourd’hui,
ces manifestations relèvent de la sphère institutionnelle,
en ce sens qu’elles ont pour promoteur l’État,
les municipalités, un événement d’ampleur
internationale ou une association. Je pense que la naissance de
la Fête de la musique en 1982 a constitué un des prémices
de ce phénomène. Bien sûr, il y a une chose
qu’il faut reconnaître, c’est que ce type de rassemblement
rencontre un certain renouveau. C’est notamment le cas de
la Fête de la musique qui, voilà quelques années
encore, avait tendance à s’essouffler. Parallèlement,
le secteur commercial a tenté, non sans succès, de
développer des fêtes du type Halloween, la Fête
des mères ou des grand-mères, plutôt liées
à la vie privée.
Que recherche-t-on à travers ces grands rassemblements ?
Anne Monjaret. On a affaire à des cycles. Après la
phase du bonheur privé, que l’on a aussi appelé
le cocooning, vient aujourd’hui celle des plaisirs collectifs.
Qui plus est, certains de ces rassemblements ont aussi un caractère
revendicatif. Dans le cadre de la Gay Pride, on est à mi-chemin
entre la fête et la manifestation. C’est en fait une
sorte de syncrétisme. Le langage festif, c’est celui
de l’inversion, à la fois carnavalesque et provocatrice,
même si cette provocation est de l’ordre de l’implicite.
À côté, il y a la manifestation où l’on
exprime explicitement son mécontentement ou ses revendications.
En ce qui concerne l’incroyable pique-nique du 14 juillet,
les choses sont un peu différentes puisqu’il n’y
a pas de revendication. J’ai l’impression que les motivations
sont un peu comparables à ce qui a pu exister dans le monde
de l’entreprise dans les années quatre-vingt. En réaction
à la crise et dans le but de stimuler la cohésion
de groupe, on s’est alors mis à faire du sport ensemble.
On s’est remis à fêter, toujours dans le cadre
de l’entreprise, la Sainte-Catherine. Aujourd’hui, j’ai
l’impression que l’on retrouve au niveau national cette
volonté de renouer collectivement, ainsi que le sentiment
d’appartenir à une communauté. Les gens qui
vont participer à ce pique-nique en ont-ils conscience ?
Je n’en suis pas sûre. Quoi qu’il en soit, cela
mériterait d’aller les interroger.
Propos recueillis par Michel Clerget
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