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Origine : http://www.enssib.fr/autres-sites/reseaux-cnet/87/lect87.html
Sous une verte et jaune couverture, aux couleurs symboliques de
son beau sujet d’ethnologue urbaine, Anne Montjaret (1) publie
le fruit de ses longues recherches sur une fête de sainte
Catherine dont les premières manifestations remontent au
XXe siècle, la célébration s’urbanisant
au XIXe, et qui prit, plus récemment encore, une place de
choix dans le calendrier des entreprises textiles. Placé
sous l’égide d’Yvonne Verdier, mère tutélaire
des aspects symboliques de la culture féminine et préfacé
par Martine Segalen, cet ouvrage bénéficie, outre
l’incontestable intérêt de son contenu, d’une
présentation soignée.
Si l’on s’en tient à l’époque strictement
contemporaine, la journée du 25 novembre fut tour à
tour, malgré son origine rurale, la fête parisienne
des couturières, puis, dans le même univers professionnel
de l’artisanat textile, un objet de débats quant à
la contestable image de la femme qu’elle offrait au travers
de celles qui avaient atteint sans convoler le quart d’un
siècle d’existence et que l’on coiffait d’un
signe pour le moins distinctif. Cette date d’automne semble
enfin être devenue, largement sécularisée et
avec l’aide des pouvoirs publics, celle d’un élément
de calendrier de comité des fêtes, une utile composante
d’animation touchant essentiellement à Paris une profession
: le textile et un quartier : le sentier. Sujets décorés
d’une fête d’entreprise et d’animation de
rue, les catherinettes et leurs chapeaux fantaisie d’un jour
font donc encore recette.
Comment l’une des principales fêtes du calendrier chrétien,
l’un de ces temps traditionnels liés à un(e)
Saint(e) patron(ne) a-t-elle pu traverser les siècles, la
laïcisation, l’urbanisation, le féminisme ? Par
la force, ancienne et archétypale de sa manière symbolique
de gérer un certain type de rapports humains et de situation
sociale, le célibat féminin, explique Anne Montjaret.
« Sainte Catherine n’a pas d’aiguille, saint Nicolas
lui en passera. . .»
Mais la fête dure également grâce à l’espace
de création offert par ces fameux chapeaux qui illustrèrent
parfois l’actualité (on vit en certaines années
des chapeaux à francisque, d’autres à croix
de Lorraine) et furent toujours inventifs, nous dit l’auteur,
toujours reliés dans leur composition à la personnalité
de celle qui était amenée à porter le sien,
à le recevoir des mains d’un saint Nicolas d’occasion.
La sainte Catherine a également tenu le choc de la modernité
par l’assouvissement d’un besoin de traditions d’une
époque qui en perd trop pour ne pas s’accrocher à
celles qui peuvent être adaptées. Pour l’auteur,
les causes de ce succès constant sont multiples, mais concordantes.
Le symbolisme du couvre-chef sur lequel Martine Segalen insiste
dans sa préface, celui des deux couleurs jaune et verte,
raviront les lecteurs — fussent-ils occasionnels — de
ces études ethnologiques qui nous renseignent en profondeur
sur notre mémoire collective. Mais le travail d’Anne
Montjaret va bien au-delà, lorsqu’elle se penche sur
l’évolution du processus de la fête moderne et
sur les modalités de sa prise en compte, dans les entreprises
où la couture tient une place importante, par leur direction
des ressources humaines, mais aussi par les syndicalistes, les Maires...
et les hommes, de moins en moins exclus de cette « célébration
semi-sérieuse ».
Il y a encore peu, la sainte Catherine était célébrée
dans bien des entreprises, privées ou administratives. Petit
à petit, elle se replie dans un espace limité mais
cohérent. Il existe bel et bien dans cet événement
cyclique et perdurant une convergence d’intérêts.
Un lycée, une mairie, un curé, des maisons de haute
couture, tous du même quartier et qui participent de la même
fête.
Si les enjeux semblent diverger, écrit l’auteur en
conclusion, tous se rejoignent sur un point, celui de voir dans
la sainte Catherine, une fête des métiers de la mode,
ce qui requiert tout à la fois du classicisme, de la création
et de l’extravagance, ce qui fait qu’une telle fête
n’ignore jamais son époque, s’enrichit de nouvelles
formes du social et peut devenir un enjeu du politique comme de
l’économie.
(1) Voir, du même auteur, Ethnogiaphie des pratiques téléphoniques
de cadres parisiens ou un univers de relations paradoxales in Réseaux
52153, dossier : usages de la Téléphonie
Anne MONTJARET : La Sainte-Catherine, Culture festive dans l’entreprise,
préface de Martine SEGALEN, Editions du Comité des
Travaux Historiques et Scientifiques, Collection le regard de l
‘ethnologue , n°8, 240 pages, 120 francs, Paris 1997.
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