Pas de crise pour l'armement
Auteure entre entres de Le Féminisme (Que sais-je ?) et Surarmements,
pouvoirs et démocratie (L'Harmattan), Andrée Michel, directrice
honoraire au CNRS poursuit ses recherches sur le féminisme et
l'armement.
Le point avec elle sur les complexes militaro-industriels (CMI) ou l'aspect
le plus sinistre du capitalisme.
La France est-elle un pays plus militariste que d'autres ?
Dans notre pays, le militaire fait partie de l'identité des
citoyens. Je me rappelle une réflexion d'une Canadienne qui disait
qu'elle ne connaissait pas de pays plus militarisé que la France.
Quels sont les grands pays qui célèbrent leur fête
nationale avec un défilé de chars, d'avion, d'uniformes
et de fanfares militaires ? Il y a des pays du Tiers-Monde qui font
ça, ou la Russie, mais dans les démocraties dites occidentales,
la France bat tous les records. Il faut expliquer ça aussi. C'est
un pays qui a toujours été en guerre en somme. Ne prenons
que le XXe siècle : la guerre de 14-18, une boucherie absolument
fantastique ; la guerre de 39-45, on a recommencé ; ensuite huit
ans de guerre en Indochine ; huit ans de guerre en Algérie. C'est
vraiment un pays incorrigible. Dès que George Bush est parti
en guerre contre l'Irak, on a participé. On recommence à
utiliser la violence contre la Nouvelle-Calédonie. Donc les deux
guerres mondiales et ces guerres coloniales ont développé
les complexes militaro-industriels américain et français.
Après la chute de l'Union soviétique, le département
le plus occupé du Pentagone était le département
à la recherche d'ennemis. Le secrétaire de la défense
américain les a désignés : la Syrie, la Corée
du Nord, la Libye, l'Iran… Ces États ont été
accusés d'être terroristes. Pour faire croire au peuple
américain que sa sécurité est menacée, qu'il
faut s'armer et continuer à produire des armes.
Où en est la production d'armement en France ?
La politique militaire de la France est désastreuse. Elle a
attendu plus de cinq ans après les États-Unis pour baisser
les dépenses. Mais finalement, ce qui diminue, ce sont les dépenses
de fonctionnement, c'est-à-dire les casernes, le personnel. Par
contre, les dépenses sont de nouveau en progression : pour 1999,
elles s'élèvent à 195 milliards de francs, c'est-à-dire
une augmentation de 6,2%, dont 86 milliards pour l'équipement.
Quels sont les retraités qui ont une augmentation de leur pouvoir
d'achat de 6,2% ? L'équipement, c'est aussi la recherche et la
mise au point de nouvelles armes, ainsi 16 milliards seront consacrés
à la dissuasion nucléaire. On va faire un laboratoire
nucléaire vers Bordeaux, où seront effectués des
essais nucléaires par simulation. Le risque est de contaminer
les vignobles aux alentours : le lobby nucléaire n'a pas abdiqué.
Les CMI s'analysent-ils plus en termes économiques ou politiques
?
Pour faire toujours plus de profits, il faut que les fabriquants d'armes
aient des représentants politiques pour voter les budgets de
la Défense et avoir des commandes des États. L'analyse
doit donc être à la fois politique et économique.
Ces CMI sont composés d'hommes politiques, de militaires, d'industriels,
de banquiers et de chercheurs qui mettent sur pied des armes de plus
en plus terrifiantes. Les banquiers peuvent prêter de l'argent
aux acheteurs éventuels comme aux producteurs d'armements. Les
firmes d'armements sont aussi amenées à faire appel aux
banques, sachant qu'elles seront remboursées par l'État.
Tout cela est étroitement imbriqué et constitue ces CMI
qui affaiblissent les démocraties américaine et française
déjà chancelantes.
Est-ce simpliste de considérer que le Nord produite et le
Sud achète ?
Les statistiques nous disent que la Russie, la France, l'Angleterre
et les États-Unis produisent 87% de toutes les armes de la planète.
Il reste 13% pour le Brésil, l'Égypte, l'Afrique du Sud
et d'autres pays. L'Afrique est déchirée par d'innombrables
conflits meurtriers parce qu'elle est le déversoir des armes
des grandes puissances : on les vend au rabais ou on en fait cadeau.
C'est tout à fait rentable pour le pillage des ressources : les
litiges frontaliers seront résolus par une guerre plutôt
que par des négociations. Pendant ce temps, les richesses en
pétrole, diamant, uranium, etc. sont exploitées par les
compagnies occidentales ou japonaises.
Les pays du Tiers-Monde reçoivent donc gratuitement certaines
armes ?
En partie. Il y a 60 milliards d'armes entreposées ici qui encombrent
: il faut faire de la place en se débarassant des armes obsolètes.
Récemment, le gouvernement français a autorisé
à donner des armes. Ce n'est pas demain que les femmes africaines
pourront mener une vie décente, leurs enfants aller à
l'école et que le sida sera éradiqué. Nos armes
causent un désastre. D'ailleurs, un rapport de l'ONU sur les
Grands Lacs montre que la situation y est très préoccupante
: les armes affluent de partout, par mer, par chemin de fer, par avion.
Et depuis peu, on voit qu'il suffit qu'un conflit s'arrête pour
qu'un autre reparte dans cette région : après le Rwanda,
le Congo-Kinshasa et maintenant le Congo-Brazzaville .
Avez-vous des difficultés pour trouver des informations
concernant l'armement ?
On peut les trouver en cherchant. Mais la grande réussite des
CMI aussi bien en France qu'aux États-Unis, c'est d'avoir produit
des citoyens qui se désintéressent des problèmes
de la défense. Ils ont abdiqué une fois pour toutes en
pensant que ce n'est pas une chose que l'on discute, mais qui est du
ressort de l'État et des CMI. Le citoyen s'est dessaisi de son
droit à l'information, à poser des questions, à
émettre des opinions et à les faire connaître. Le
petit nombre de personnes qui, en France, s'intéresse quand même
à la défense et peut présenter des alternatives
n'a pas droit à la parole dans les grands médias. Les
écrits du SIRPA (l'ancien Service Intérieur des Relations
Publiques de l'Armée) disent clairement que les messages sur
la défense pour convaincre le citoyen doivent être émis
par la télévision. Ils font aussi le constat que les résistances
les plus grandes sont du côté des femmes et des jeunes.
Est-ce par manque d'information qu'en France, la mobilisation contre
l'armement et pour la reconversion des faible ?
Oui, les gens ont peur du chômage. Or cela fait plus de vingt
ans que des recherches aboutissent à un même résultat
(qui n'est pas rendu public) : avec la somme utilisée pour construire
des armes, on peut employer deux à trois plus de personnes dans
la santé et l'éducation. Cela se comprend, car la construction
de ces avions par exemple demande des matériaux sophistiqués
et des compétences très pointues qui pourraient servir
à mettre un terme à la faim dans le monde. Aux États-Unis,
beaucoup de travailleurs votent pour des candidats hostiles à
la reconversion parce qu'ils veulent continuer leur activité.
Chez nous, des gens qui sont contre la production militaire, parmi lesquels
des syndicalistes, ont un raisonnement tout à fait curieux :
ils veulent la reconversion mais ne pas perdre leur savoir-faire. Donc
il n'y a pas que les banquiers, les Dassault et compagnie… tout
le corps social est aussi responsable. Évidemment, je tiens pour
plus responsables ceux qui ont le plus de pouvoirs et d'argent. Il n'empêche
qu'à la base, il y a le refus des citoyen(ne)s d'aborder ce problème.
La nouvelle offensive américaine en décembre dernier
contre l'Irak est-elle le signe d'un statu quo ?
Non, d'une aggravation de la barbarie. Car après avoir réduit
le peuple irakien à la famine et au manque de soins, on veut
l'achever pour des raisons qui ne sont pas les raisons officielles.
Quelles sont pour vous les raisons réelles ?
Elles sont multiples. D'abord, retarder les procédures de «
l'impeachment » américain. Montrer qu'un chef d'État
ne peut tenir tête aux États-Unis sans devoir s'incliner
et qu'il n'y a qu'un leadership mondial. Le rapport de l'Unscom est
un coup monté pour justifier la culpabilité de Hussein.
D'autre part empêcher le prix du pétrole de diminuer :
une levée de l'embargo ferait chuter davantage un prix déjà
au plus bas actuellement. Le Moyen-Orient étant le premier marché
de l'armement, une chute de prix du pétrole signifierait une
baisse du pouvoir d'achat des pays acheteurs. Ensuite, en faisant apparaître
l'Irak comme un pays menaçant la sécurité de ses
voisins, on incite ces derniers à s'armer et donc à faire
fonctionner nos industries d'armements. De plus, cette attaque constitue
un terrain d'expérimentation des nouvelles armes américaines
(telles que les Tomawaks), des tactiques militaires et de leur nouvelle
force de frappe : la manipulation de l'opinion publique par les médias.
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