JUSTICE ET VERITE POUR LA BOSNIE-HERZEGOVINE. Paris, l'Harmattan, 2001,
148 pages
Andrée Michel
Publication le mardi 4 février 2003.
Deux études complémentaires composent cet ouvrage. La
première, intitulée " SARAJEVO-SREBRENICA : SOUVIENS-TOI
", est la reprise sous le même titre de " Justice et
Vérité pour la Bosnie-Herzégovine " d'une
publication parue à compte d'auteur chez Datafro en 1996. Ce
document de vulgarisation visait à éclairer les enjeux
des différents acteurs impliqués dans la guerre menée
par la Serbie contre la Bosnie-Herzégovine. Ces enjeux ont été
systématiquement occultés ou déformés non
seulement par le pouvoir de Belgrade mais aussi par les déclarations
des responsables politiques et médiatiques des puissances européennes
présentes, au sein des forces de l'ONU, pour une opération
de " maintien de la paix " alors que la guerre faisait rage.
Le brouillage des enjeux était partie prenante d'une politique
européenne dont les chefs d'Etat malgré leurs intérêts
divergents avaient anticipé, pour ne pas dire programmé,
une partition de la Bosnie-Herzégovine, entérinée,
de façon détournée, dans les accords de Dayton.
Six ans après, hélas, ces enjeux ne sont pas plus clairs
dans l'opinion publique française et ce ne sont pas les témoignages
des généraux français devant " la Mission
parlementaire d'information sur les évènements de Srebrenica
" qui ont pu contribuer à dissiper cette opacité.
Bien au contraire car il s'est agi surtout d'une entreprise d'autojustification
et de blanchiment de l'Etat français et de ses responsables politiques
et militaires. Pourquoi d'ailleurs chercherait-on à dire la vérité
puisque les objectifs de la politique de l'Europe et en particulier
de l'Etat français dans cette région du monde ont peu
changé : tabler comme dans le passé sur l'Etat serbe qui,
selon un rapport de la CIA, antérieur à la guerre, était
seul susceptible d'assurer l'ordre dans la région des Balkans.
Peu importait alors la nature dictatoriale et le programme de nettoyage
ethnique des dirigeants de cette république. Les massacres et
souffrances inouïes infligées aux populations bosniaques
dites " musulmanes " se déroulaient sous les yeux impassibles
des forces militaires de l'ONU, quand ce n'était pas avec la
complicité des plus hauts responsables. On invoquait la soi-disant
" neutralité ", indispensable au " maintien de
la paix " , pour laisser les envahisseurs de l'Etat serbe et leurs
complices de la République autoproclamée de Pale accomplir
leurs exactions les plus sanglantes et les plus atroces. Le but de ces
derniers étaient de " nettoyer ", par le meurtre ou
l'exode de leurs populations " musulmanes ", des territoires
de Bosnie en vue de réaliser " la Grande Serbie ".
Aujourd'hui la déréliction des Bosniens (" musulmans
") par les autorités européennes et françaises
continue car il s'agit toujours de ménager la Serbie malgré
la traduction de son chef devant le Tribunal Pénal International
pour l'ex-Yougoslavie. En témoigne, entre autres, l'impunité
dont bénéficient les deux grands criminels de guerre,
massacreurs des Bosniens, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, le premier
bénéficiant de la mansuétude des forces françaises
dans la zone qu'elles occupent en territoire bosniaque. La solidarité
pratiqués par certains éléments de ces forces vis-à-vis
de la population bosniaque ne compense pas pour celle-ci l'immense mépris
et le déni de justice que représente l'impunité
dont jouissent encore ces deux criminels de guerre malgré leur
incrimination par l'0NU. Car la population bosniaque a soif de justice
et non de charité, malgré l'immense pauvreté qui
l'accable et la violation par la communauté internationale de
ses engagement pris lors des accords de Dayton.
C'est à la demande pressante de toutes celles et de ceux qui,
soit en France, soit dans les pays de l'ex-Yougoslavie, estiment que
la vérité sur les guerres dans l'ex-Yougoslavie est encore
trop souvent ignorée dans le grand public ou déformé
dans les médias que les éditions l'Harmattan ont repris
la publication de 1996. Non pas que l'auteure prétende détenir
la vérité absolue mais seulement apporter des faits révélant
la responsabilité écrasante de la Communauté Européenne
et de la France, en particulier à Srebrenica, " le plus
grand crime du siècle ", selon Kofi Anan, commis en Europe
depuis la seconde guerre mondiale. Dans la deuxième partie de
l' ouvrage intitulée " MORILLON OU LA FACE CACHEE
DE SREBRENICA ", l'auteure braque le projecteur sur le rôle
des militaires et de la classe politique française dans les massacres
de Srebrenica. On ne peut masquer ces responsabilités
en invoquant " le manque de volonté politique de la communauté
internationale " , car, en rendant tout le monde responsable, plus
personne ne l'est. La " communauté internationale "
est en effet composée d'acteurs politiques et militaires bien
identifiés dont les rôles respectifs peuvent être
cernés dans les organismes (Etats, états-majors, Conseil
de Sécurité, Forpronu, etc.) où ils ont opéré
à un moment donné, soit que ces acteurs aient eux-mêmes
laissé des écrits, soit que des documents des organismes
officiels s'y réfèrent, malgré leur tentative d'en
limiter l'accès.
Les recherches d'Andrée Michel ont mis en évidence le
rôle décisif des diplomates et états-majors militaires
français, anglais et russes, dans les décisions prises
tout au long de la guerre au Conseil de Sécurité pour
ne pas contrarier l'avancée des unités militaires serbes
et leurs milices alliées dans cette région de la Bosnie-Herzégovine.
Les discours et la stratégie pratiquée sur le terrain
par le général Morillon, commandant de la Forpronu en
Bosnie en 1993, illustre ce rôle.. Car, contrairement à
ses pairs, français ou étrangers, le Général
Morillon a beaucoup parlé et écrit au cours de cette période.
En confrontant ses écrits aux documents du Conseil de Sécurité
qui ont échappé à la censure et aux nombreux faits
relatés par les médias français ou étrangers,
on peut discerner les mécanismes de l'engrenage mis en place
par Morillon à Srebrenica en 1993 qui ont abouti à la
chute de cette ville en 1995 quand la « protection » onusienne
de cette région fut dévolue au Général Janvier.
Dans cette recherche, ce qui a intéressé l'auteure, ce
n'est pas le cas particulier d'un général français
de haut rang qualifié de " Général Courage
" par suite de ses actions d'éclat en faveur d'une évanescente
aide humanitaire. C'est le comportement emblématique d'un Général
français dont un système de valeurs archaïque a animé
et inspiré les décisions, système de valeurs partagé
par toute la classe politique et militaire française, à
quelques exceptions près. Celle-ci est encore enfermée
dans des certitudes nationalistes et dominatrices, héritées
d'un passé colonial où, en se drapant dans " la raison
d'Etat " nationaliste, la raison du plus fort détermine
le Droit. C'est en fonction de ce système que le Général
Morillon, à la tête de la Forpronu de la région
en 1993, a refusé d'intervenir pour remplir la mission qui lui
avait été assignée par l'ONU en vue d'assurer la
protection des populations de Srebrenica, alors qu'il disposait de moyens
(juridiques et militaires) pour le faire, ainsi que le montre l'auteure,
documents à l'appui. Ce faisant, il a préparé l'abandon
de Srebrenica aux atrocités déclenchées en 1995
par les troupes commandées par le Général Ratko
Mladic quand le Général Janvier, formé par le même
moule, a marché sur ses traces en sacrifiant sa mission onusienne
de protection pour se conformer à la " raison d'Etat "
d'une politique française chauvine, complice du projet de l'Etat
serbe. Comme l'écrit l'auteure, " l'obstination de Morillon
à repousser toute intervention militaire, en particulier aérienne,
contre les atrocités des unités militaires serbes et paramilitaires,
son refus évident de rendre opératoires les quelques mesures
susceptibles de les enrayer, autorisées par exemple dans la résolution
819 du 16 avril 1993, s'inscrivent dans le cadre des pressions exercées
par les diplomates français et russes auprès du Conseil
de Sécurité ". Ces pressions prônaient la multiplication
des mesures dilatoires ayant pour but d'assurer le laisser-faire et
l'impunité aux responsables de l'invasion de la Bosnie.
La guerre de Bosnie illustre la nature de l'Etat français, qui
, comme dans le passé, a défini sa politique étrangère
en tournant le dos à l'avenir et en valorisant l'ultranationalisme,
la priorité des intérêts égoïstes et
le culte de la force sur les valeurs définies dans la Charte
des Nations Unies et la Déclaration Universelle des Droits Humains.
La promotion de cette politique par les diplomates français dans
les arcanes du Conseil de Sécurité ou sur le terrain par
les militaires français de haut rang implique nécessairement
la soumission à " la raison d'Etat " comme légitimation
et le cynisme quand il s'agit d'occulter les atrocités de la
purification ethnique par une rhétorique mensongère. En
définitive, elle repose sur le narcissisme hexagonal d'une classe
dominante, toujours prête, en s'enfermant dans son autosatisfaction
dérisoire, à s'amnistier de ses crimes et à ne
tenir aucun compte des enseignements qu'elle aurait pu tirer de ses
exactions et défaites coloniales. On a pu le vérifier
récemment quand un Général français a montré
que les plus hautes autorités politiques et militaires du pays
étaient au courant de l'usage de la torture, pratiquée
en toute impunité au cours de la guerre d' Algérie par
de nombreux responsables de l'armée françase pour faire
parler les prisonniers. L'Etat français refusa de se prononcer,
renvoyant le problème aux historiens, montrant une fois de plus
qu'il demeure un Etat de non droit dans les relations internationales.
La guerre de Bosnie et son cortège de martyrologues, infligés
à la population civile " musulmane ", malgré
la présence des forces onusiennes, en particulier lors du siège
de Sarajevo et de la chute de Srebrenica, ont montré au monde
que la France et l'Europe (Russie comprise) sont encore ancrées
dans leur vision passéiste et communautariste des relations internationales.
Le communautarisme des chrétiens d'Europe (catholiques, protestants,
orthodoxes, etc) s'est affiché dans leur complicité avec
les dirigeants de la Serbie et leur mépris et trahison de la
résistance, héroïque et légitime, des «
Musulmans » de Bosnie face au déchaînement des forces
fascistes de l'Etat serbe. et de ses milices alliées. En procédant
ainsi, les responsables politiques et militaires de ces Etats ont manqué
une formidable occasion de promouvoir chez leurs populations les valeurs
émergentes du droit international, de la démocratie ,
de la tolérance, de la justice et du respect de l'Autre, seules
susceptibles de susciter une espérance à l'encontre du
nihilisme et d'offrir une alternative à un horizon sans avenir.
Andrée Michel
Lettre d'information de l'Association Sarajevo - Fondatrice Mirjana
Dizdarevic
Le lien d'origine http://beltegeuse.dyndns.org/association.sarajevo/rubrique.php?id_rubrique=24
Association Sarajevo - 17, rue de l'Avre 75015 Paris