Citoyennes militairement incorrectes
Directrice de recherche au CNRS et féministe, Andrée
Michel nous permet à travers deux ouvrages complémentaires*
non seulement de décoder les logiques économiques qui
renforcent et légitiment la culture de la guerre mais elle dévoile
également la structure patriarcale des sociétés
bâties sur le culte de la violence et de la virilité.
Elle étaye la théorie de la féministe finlandaise
Hilka Pietila qui montre que la course aux armements et les armes nucléaires
ne sont que la pointe d'un iceberg dont les strates immergées
sont composées (par ordre croissant de profondeur) des jeux du
pouvoir politique pour gagner la suprématie, des jeux du pouvoir
économique pour gagner la compétition économique
par l'exploitation et enfin tout à fait à la base d'une
culture patriarcale fondée sur des structures hiérarchiques
et de domination.
Déglorifier le mythe de la guerre et du guerrier représente
selon Andrée Michel et d'après toute la pensée
féministe à ce sujet le premier pas nécessaire
à la construction d'une culture de paix. Pour acquérir
leurs droits humains (éducation, travail, citoyenneté
politique, planning familial et avortement), les femmes ont dû
au préalable démystifier les idéologies et les
stéréotypes invoqués par la société
patriarcale.
En s'attaquant à la question de la militarisation, Andrée
Michel brise un tabou et démontre par un travail de recherche
extrêmement précis et documenté que, non seulement
la course aux armements se poursuit de plus belle, mais que c'est le
moyen le plus sûr pour les pays occidentaux de maintenir leur
hégémonie sur les pays du Sud. Suite à l'effondrement
du bloc de l'Est, elle explique comment s'est mise en place une stratégie
de manipulation de la masse par l'invention permanente d'un ennemi (incarné
à présent par l'Irak, l'Iran, la Libye, la Syrie et la
Corée du Nord) et par l'entretien de la peur et la haine de l'autre
pour justifier la pérennisation des Complexes Militaro Industriels
(CMI) et les ventes d'armes. Rappelons que les cinq grands de l'ONU
qui ont droit de veto sont responsables de 85 % des ventes d'armes de
la planète.
Beaucoup de faits historiques ont cependant prouvé que le bien-être
et la sécurité des peuples ne sont pas liés au
niveau d'armement. Les Etats-Unis - dont la dette totale est huit fois
plus élevée que celle de tous les pays du Tiers Monde
et où une violence extrême sévit dans les villes
- augmentent chaque année leur budget militaire au détriment
de la sécurité sociale et de l'éducation, alors
que le Pakistan consacre 26% de son budget annuel aux dépenses
militaires contre 0,8% pour l'éducation. Si la recherche et le
commerce dans le domaine de l'armement et du nucléaire favorise
l'enrichissement des bénéficiaires de cette industrie,
elle entraîne au contraire un appauvrissement des couches sociales
défavorisées, en particulier les femmes (83% des pauvres
dans le monde).
Manipulation des masses par les médias
Les firmes nucléaires et les CMI ont compris, bien avant les
intellectuels et les mouvements alternatifs, la nécessité
de contrôler l'information et le système de communication
pour défendre leurs intérêts. Ils ont investi des
sommes énormes dans les médias audiovisuels. Ainsi la
censure, la désinformation et le contrôle de l'information
sont pratique courante lorsqu'il s'agit de justifier des budgets alloués
à la militarisation et d'opérer une réelle transparence
sur les méfaits du nucléaire ou l'impact sur l'environnement
et la sécurité de la planète. Les citoyens, y compris
les politiques, sont dépossédés du droit à
l'information et sont exclus du débat qui pourtant les concerne
au premier chef. Se pliant au fameux prétexte de la raison d'Etat,
même les intellectuels ont fini par s'auto-censurer lorsqu'il
s'agit de rendre le débat public. En prenant l'exemple des femmes,
Andrée Michel cite une multitude d'initiatives et de mouvements
féministes à travers le monde qui luttent contre l'exclusion
sociale, la pauvreté et les logiques de guerre. Ces mouvements
dénoncent les aberrations du système patriarcal et de
son extension à la guerre et proposent aussi des alternatives
qui demeurent malheureusement à l'ombre en raison de la censure
médiatique et de leur marginalisation de la sphère politique.
Il ne faut pas s'étonner - affirme-t-elle - si depuis quarante
ans dans les pays industrialisés comme l'Angleterre, la France,
le Japon ou les Etats-Unis où les représentants des CMI
sont au pouvoir, les femmes au lieu d'obtenir la parité n'ont
jamais dépassé le pourcentage de 5 à 6 % du total
des élus des Parlements.
Pendant ce temps, les chaînes contrôlées par les
CMI sont inondées de séries télévisées
faisant l'apologie de la violence et de la virilité. Ainsi, la
culture de la bombe, d'essence patriarcale, finit par s'étendre
à toute la société civile. La télévision,
deuxième moyen de socialisation après l'école,
devient un instrument d'éducation à la violence et au
sexisme.
Infléchir les politiques guerrières
Une participation égalitaire des femmes en politique peut infléchir
les politiques guerrières et le recours à la violence
pour résoudre les conflits. L'auteure démontre qu'il y
a un fossé entre les hommes et les femmes occidentaux au sujet
de la violence qui porte essentiellement sur le recours à la
violence pour trancher un conflit, les femmes y étant beaucoup
plus souvent hostiles que les hommes.
Les féministes ont toujours réclamé la réduction
des dépenses militaires au profit de programmes so-ciaux et pour
la santé. Le dégagement de plus de temps libre aux parents
et plus de place à l'éducation car si le comportement
de la violence est appris, il reste l'espoir qu'il puisse être
désappris ou jamais enseigné.
Le remplacement de la guerre par la négociation, la création
et le respect d'un véritable Droit International, la mise sur
pied d'un instrument de ce droit en dotant une Cour Pénale Internationale
Permanente d'une véritable indépendance sont d'autres
moyens de se diriger vers une résolution pacifique des conflits.
Pour ne citer que ces quelques pistes, l'auteure offre autant d'objectifs
qui peuvent paraître utopiques et qui pourtant peuvent être
le résultat de mesures politiques volontaristes qui viseraient
avant tout le bien-être des être humains et le développement
d'une véritable citoyenneté active.
Pour conclure, elle affirme qu'il n'y aura pas d'avenir de l'Humanité
tant que les hommes et les femmes abandonneront aux Etats la définition
de leur sécurité et ne feront pas acte de citoyenneté
en la concevant eux-mêmes dans le cadre d'une solidarité
et d'une équité conçues à la dimension de
la planète et non plus de la seule nation.
N.L.A.
* Surarmement, Pouvoirs, Démocratie Andrée Michel, L'Harmattan,
Paris, 1999.
* Citoyennes militairement incorrectes Andrée Michel, Illustrations
de Floh, L'Harmattan, Paris, 1999.
Militarisation et environnement
Le militaire pèse d'un poids énorme sur l'environnement.
Quelques exemples donnés par l'auteur sont édifiants :
Les réacteurs nucléaires militaires sont en volume responsables
d'environ 97 % de tous les déchets nucléaires de niveau
élevé de radiation et de 78 % de tous les déchets
nucléaires de niveau de radiation faible.
En moins d'une heure, un avion militaire à réaction F16,
décollant pour une mission d'entraînement de routine utilise
presque deux fois plus de carburant que l'automobiliste américain
moyen sur toute une année. De fait, le Pentagone est le plus
grand consommateur d'énergie du pays, et très probablement
du monde. Il utilise en 12 mois autant d'énergie qu'il en faut
pour faire fonctionner le système entier de transport urbain
de masse des Etats-Unis pendant 14 ans.
Selon Greenpeace, la Méditerranée est menacée
de mort par une pollution qui a une origine autant militaire qu'industrielle.
Elle est sillonnée sans cesse par les patrouilles des sous-marins
stratégiques de l'OTAN, porteurs d'armes nucléaires tandis
que s'y croisent la 6ème flotte nord américaine, la 5ème
escadre russe et les sous-marins et porte-avions français équipés
de chasseurs bombardiers.
Numéro 5avril 2000 Chantier Yin-Yang
2001 Alliance pour un monde responsable et solidaire.
Le lien d'origine http://www.alliance21.org/lille/fr/