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Origine : http://www.catharsis-prod.eu/spip.php?article90
La question de la sortie du capitalisme n’a jamais été
plus actuelle. Elle se pose en des termes et avec une urgence d’une
radicale nouveauté. Par son développement même,
le capitalisme a atteint une limite tant interne qu’externe
qu’il est incapable de dépasser (qui en fait un système
mort-vivant qui se sur vit en masquant par des subterfuges la crise
de ses catégories fondamentales : le travail, la valeur,
le capital.
Cette crise de système tient au fait que la masse des capitaux
accumulés, n’est plus capable de se valoriser par l’accroissement
de la production et l’extension des marchés. La production
n’est plus assez rentable pour pouvoir valoriser des investisse
ments productifs additionnels. Les investissements de producti vité
par lesquels chaque entreprise tente de restaurer son ni veau de
profit ont pour effet de déchaîner des formes de con
currence meurtrières qui se traduisent, entre autres, par
des réductions compétitives des effectifs employés,
des externalisations et délocalisations, la précarisation
des emplois, la baisse des rémunérations, donc, à
l’échelle macro-économique, la baisse du volume
de travail productif de plus-value et 1a baisse du pouvoir d’achat.
Or moins les entreprises emploient de travail et plus le capital
fixe par travailleur est impor tant, plus le taux d’exploitation
c’est-à-dire le surtravail et la survaleur produits
par chaque travailleur doivent être élevés.
Il y a à cette élévation, une limite qui ne
peut être indéfiniment reculée, même si
les entreprises se délocalisent en Chine, aux Philippines
ou au Soudan.
Les chiffres attestent que cette limite est atteinte. L’accu
mulation productive de capital productif ne cesse de régresser.
Aux Etats- Unis, les 500 firmes de l’indice Standard &
Poor’s disposent en moyenne, de 631 milliards de réserves
liquides ; la moitié des bénéfices des entreprises
américaines provient d’opérations sur les marchés
financiers. En France, l’investissement productif des entreprises
du CAC 40 n’augmente pas, même quand leurs bénéfices
explosent. L’lmpossibilité de valoriser les capitaux
accumulés par la production et le travail explique le développement
d’une économie fictive fondée sur la valorisation
de capitaux fictifs. Pour éviter une récession qui
dévaloriserait le capital excédentaire (suraccumulé).
Les pouvoirs financiers ont pris l’habitude d’inciter
les ménages à s’endetter à consommer
leurs revenus futurs, leurs gains boursiers futurs, la hausse future
de la valeur marchande de leur logement, cependant que la Bourse
capitalise la croissance future, les profits futurs des entreprise,
les achats futurs des ménages, les gains que feraient dégager
les dépeçages et les restructurations, impo sés
par les LBO d’entreprises qui ne s’étaient pas
encore mises à l’heure de la précarisation,
surexploitation et exter nalisation de leurs personnels.
La valeur fictive (boursière) des actifs financiers a doublé
en l’espace d’environ six ans, passant de 80 000 à
160 000milliard de dollars (soit trois fois le PIB mondial), entre
tenant aux Etats-Unis une croissance économique fondée
sur l’endettement intérieur et extérieur, lequel
entretient de son côté la liquidité de l’économie
mondiale et la croissance de la Chine, des pays voisins et par ricochet
de l’Europe.
L’économie réelle est devenue un appendice
des bulles fi nancières. Il faut impérativement un
rendement élevé du capital propre des firmes pour
que la bulle boursière n’éclate pas et une hausse
continue du prix de l’immobilier pour que n’éclate
pas la bulle des certificats d’investissement immo bilier
vers lesquels les banques ont attiré l’épargne
des par ticuliers en leur promettent monts et merveilles - car l’éclatement
des bulles menacerait le système bancaire de faillites en
chaîne, l’économie réelle d’une
dépression pro longée (la dépression japonaise
dure depuis quinze ans).
"Nous cheminons au bord du gouffre", écrivait
Robert Benton. Voilà qui explique qu’aucun État
n’ose prendre le risque de s’aliéner ou d’inquiéter
les puissances financières. I1 est impensable qu’une
politique sociale ou une politique de "re lance de la croissance"
puisse être fondée sur la redistribution des plus values
fictive de la bulle financière. I1 n’y a rien à
attendre de décisif des États nationaux qui, au nom,
de l’impératif de compétitivité, ont
au cours des trente dernières années abdiqué
pas à pas leurs pouvoirs entre les mains d’un quasi-Etat
supranational imposant des lois faites sur mesure dans l’intérêt
du capital mondial dont il est l’émanation - Ces loi,
promulguées par l’OMC, l’OCDE et le FMI, imposent
dans la phase actuelle le tout-marchand, c’est-à-dire
la privatisation des services publics, le démantèlement
de la protection sociale, la monétarisation des maigres restes
de relations non commer ciales. Tout se passe comme si le capital,
après avoir gagné la guerre qu’il a déclarée
à la classe ouvrière, vers la fin des années
1970, entendait éliminer tous les rapports sociaux qui ne
sont pas des rapports acheteur/vendeur, c’est-à-dire
qui ne réduisent pas les individus à être des
consommateurs de mar chandises et des vendeurs de leur travail ou
d’une quelconque prestation considérée comme
"travail" pour peu qu’elle soit tarifée.
Le tout marchand, le tout- marchandise comme forme ex clusive du
rapport social poursuit la liquidation complète de la société
dont Margaret Thatcher avait annoncé le projet. Le totalitarisme
du marché s’y dévoilait dans son sens politique
comme stratégie de domination. Dès lors que la mondialisation
du capital et des marchés, et la férocité de
la concurrence entre capitaux partiels exigeaient que l’Etat
ne fût plus le garant de la reproduction de la société
mais le garant de la compétitivité des entreprises,
ses marges de manoeuvre en ma tière de politique sociale
étaient condamnées à se rétrécir,
les coùts sociaux à être dénoncés
comme des entorses à la libre concurrence et des entraves
à la compétitivité, le financement public des
infrastructures à être allégé par la
privatisation.
Le tout-marchand s’attaquait à l’existence de
ce que les bri tanniques appellent les commons et les Allemands
le Gemeinwesen, c’est-à-dire à l’existence
des biens communs indivisibles, in aliénables et inappropriables,
inconditionnellement accessibles et utilisables par tous. Contre
la privatisation des biens communs les individus ont tendance à
réagir par des actions communes, unis en un seul, sujet.
L’État a tendance à l’empêcher et
le cas échéant, à réprimer cette union
de tous d’autant plus fermement qu’il ne dispose plus
des marges suffisantes pour apaiser des masses paupérisées,
précarisées, dépouillées de droits acquis.
Plus sa domination devient précaire, plus les résistances
po pulaires menacent de se radicaliser, et plus la répression
s’accompagne de politiques qui dressent les individus les
uns contre les autres et désignent des boucs emissaires sur
lesquels concentrer leur haine.
Si l’on a, à l’esprit cette toile de fond, les
programmes, discours et conflits qui occupent le devant de la scène
politique paraissent dérisoirement décalés
par rapport aux enjeux réels. Les promesses et les objectifs
mis en avant par les gou vernements et les partis apparaissent comme
des diversions irréelles qui masquent le fait que le capitalisme
n’offre au cune perspective d’avenir, sinon celle d’une
détérioration continue des conditions de vie, d’une
aggravation de sa crise, d’un affaissement prolongé
passant par des phases de dépression de plus en plus, longues
et de reprise de plus en plus faibles. Il n’y a aucun "mieux"
à attendre si on juge le mieux selon les critères
habituels : Il n’y aura plus de "développement"
sous la forme du plus d’emplois, plus de salaire, plus de
sécurité. Il n’y aura plus de "croissance"
dont les fruits puissent être so cialement redistribués
et utilisés pour un programme de trans formations sociales
transcendant les limites et la logique du capitalisme. L’espoir
mis, il y a quarante ans, dans des "réformes révolutionnaires"
qui, engagées de I’ intérieur du système
sous la pressions de luttes syndicales, finissent par transférer
à la classe ouvrière les pouvoirs arrachés
au capital, cet espoir n’existe plus. La production demande
de moins en moins de tra vail, distribue de moins en moins de pouvoir
d’achat à de moins en moins d’actifs ; elle n’est
plus concentrée dans de grandes usines pas plus que ne l’est
la force de travail. L’emploi est de plus en plus discontinu,
dispersé sur des prestataires de service externes, sans contact
entre eux, avec un contrat commercial à la place d’un
contrat de travail. Les promesses et programmes de "retour"
au plein emploi sont des mirages dont la seule fonction est d’entretenir
l’imaginaire salarial et marchand, c’est-à-dire
l’idée que le travail doit nécessairement être
vendu à un employeur et les biens de subsistance achetés
avec l’argent gagné ; autrement dit : qu’il n’y
a pas de salut en de hors de la soumission du travail au capital
et de la soumission des besoins à la consommation de marchandises
: qu’il n’y a pas de vie, pas de société
au-delà de la société de la marchandiseet du
travail marchandisé, au-delà et en dehors du capitalisme.
L’imaginaire marchand et le règne de la marchandise
empêchent d’imaginer une quelconque possibilité
de sortir du capitalisme et empêchent par conséquent
de vouloir en sortir. Aussi long temps que nous restons prisonniers
de l’imaginaire salarial et marchand, l’anticapitalisme
et la référence à une société
au delà du capitalisme resteront abstraitement utopiques
et les luttes sociales contre les politiques du capital resteront
des luttes défensives qui, dans le meilleur des cas, pourront
le freiner un temps mais non pas empêcher la détérioration
des conditions de vie. La "restructuration écologique"
ne peut qu’aggraver la crise du système. II est impossible
d’éviter une catastrophe climatique sans rompre radicalement
avec les méthodes et la logique économique qui y mènent
depuis 150 ans. Si on prolonge la tendance actuelle, le PIB mondial
sera multiplié par un facteur 3 ou 4 d’ici à
l’an 2050. Or selon le rapport du Conseil sur le climat de
l’ONU, les émissions de CO2 devront diminuer de 85%
jusqu’à cette date pour limiter le réchauffement
climatique à 2°C au maximum. Au-delà de 2°,
les conséquences seront irréversibles et non maîtrisables.
La décroissance est donc un impératif de survie.
Mais elle suppose une autre économie, un autre style de vie,
une autre ci vilisation, d’autres rapports sociaux. En leur
absence, la décroissance risque d’être imposée
à force de restrictions, rationements, allocations de ressources
caractéristiques d’un socialisme de guerre. La sortie
du capitalisme s’impose donc d’une façon ou d’une
autre. La reproduction du système se heurte à la fois
à ses limites internes et aux limites externes engen drées
par le pillage et la destruction d’une des deux « princi
pales sources d’où jaillit toute richesse » :
la terre. La sortie du capitalisme a déjà commencé
sans être encore voulue consciemment. La question porte seulement
sur la forme qu’elle va prendre et le cadence à laquelle
elle va s’opérer.
L’instauration d’un socialisme de guerre, dictatorial,
cen tralisateur, techno-bureaucratique serait la conclusion logique
- on est tenté de dire "normale" - d’une
civilisation capitaliste qui, dans le souci de valoriser des masses
croissantes de capital, a procédé à ce que
Marcuse appelle la « désublimation répressive
» - c’est-à-dire la répression des "besoins
supérieurs" pour créer méthodiquement
des besoins croissants de consomma tion individuelle, sans s’occuper
des conditions de leur satisfaction. Elle a éludé
dès le début la question qui est à l’origine
des sociétés : la question du rapport entre les besoins
et les conditions qui rendent leur satisfaction possible : la question
d’une façon de gérer des ressources limitées
de manière qu’elles suffisent durablement à
couvrir les besoins de tous ; et inversement la recherche d’un
accord général sur ce qui suffira à chacun,
de manière que les besoins correspondent aux ressources disponibles.
Nous sommes donc arrivés à un point où les
conditions n’existent plus qui permettraient la satisfaction
des besoins que le capitalisme nous a donnés, inventés,
imposés, persuadé d’avoir afin de pouvoir écouler
des marchandises qu’il nous a enseigné à désirer.
Pour nous enseigner à y renoncer, l’écodictature
semble à beaucoup étre le chemin le plus court. Elle
aurait le préférence de ceux qui tiennent le capitalisme
et le marché pour seuls capables de créer et de distribuer
des riches ses ; et qui prévoient une reconstitution du capitalisme
sur de nouvelles bases après que des catastrophes écologiques
auront remis les compteurs â zéro en provoquant une
annulation des det tes et des créances.
Pourtant une toute autre voie de sortie s’ébauche.
Elle mène à l’extinction du marché, et
du salariat par l’essor de l’auto- production, de la
mise en commun et de la gratuité. On trouve les explorateurs
et éclaireurs de cette voie dans le mouvement des logiciels
libres, du réseau libre (freenet), de la culture libre qui,
avec la licence CC (créative commons) rend libre (et libre
: free signifie en anglais, à la fois librement accessible
et utilisable par tous et gratuit) de l’ensemble des biens
cul turels - connaissances, logiciels, textes, musique, films etc..
- reproductibles en un nombre Illimité de copies pour un
coùt négligeable. Le pas suivant serait logiquement
la production"libre" de toute la vie sociale, en commençant
par soustraire au capitalisme certaines branches de produits susceptibles
d’être autoproduits localement par des coopératives
communales. Ce genre de soustraction la sphère marchande
: s’étend pour les biens culturels où elle a
été baptisée "out-cooperating", un
exemple classique étant Wikipedia qui est en train d’out-cooperate
l’Encyelopedia Britannica. L’extension de ce modèle
aux biens matériels est rendue de plus en plus faisable grâce
d la baisse du coût des moyens de production et à la
diffusion des savoirs techniques requis pour leur utilisation. La
diffu sion des compétences informatiques, qui font partie
de la "culture du quotidien" sans avoir à être
enseigniée, est un exemple parmi d’autres. L’invention
des fabbers, aussi appelés digital fabricators ou factories
in a box - il s’agit d’une sorte d’ateliers flexibles
transportables et installables n’im porte où - ouvre
à l’autoproduction locale des possibilités pratiquement
illimitées. Produire ce que nous consommons et consommer
ce que nous pro duisons est la voie royale de la sortie du marché.
Elle nous permet de nous demander de quoi nous avons réellement
besoin, en quantité et en qualité, et de redéfinir
par concertation, compte tenu de l’environnement et des ressources
à ménager, le norme du suffisant que l’économie
de marché à tout fait pour abolir. L’autoréduction
de la consommation, son autolimitation - le self-restraint - et
la possibilité de recouvrer le pouvoir sur notre façon
de vivre passe par là.
Il est probable que les meilleurs exemples pratiques al ternatives
en rupture avec le capitalisme nous viennent du sud de la planète,
si j’en juge d’après la création, au Brésil,
dans des favelas mais pas seulement, des « nouvelles coopéra
tives » et des « pontos de cultural ». Claudio
Prado, qui dirige le département de la "culture numérique"
au ministère de la Culture, déclarait récemment
: "Le ’job est une espèce en voie d’extinction...
Nous espérons sauver cette phase merdique du 20e siècle
pour passer directement du 19e au 21e : L’autoprodiction et
le recyclage des ordinateurs-par exemple, sont sou tenus par le
gouvernement : i1 s’agit de favoriser "l’appropriation
des technologies par les usagers dans un but de transforma tion
sociale" si bien que les trois quarts de tous les ordi nateurs
produits au Brésil en 2004/5 étaient autoproduits.
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