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origine : http://ici-et-ailleurs.org/spip.php?article66
Le principe de cette loi et du dispositif qui l’accompagne
- la « rétention de sûreté » - est
de rendre indistinctes les logiques et les dynamiques de la médicalisation
et de la pénalisation ou, si l’on préfère,
de la « criminalisation » d’un problème
particulier – la « pédophilie », comme
forme de délinquance sexuelle.
Au départ, du moins, ensuite on assiste à une extension
irrésistible, quasi-mécanique du dispositif.
La loi votée au Parlement, avalisée par le Sénat
avec quelques modifications, est ouvertement et avant tout répressive.
Elle prévoit des mesures de « rétention de
sûreté » d’une durée indéfinie
dans des lieux annexés aux établissements pénitentiaires
(la prison de Fresnes, par exemple) pour des personnes ayant achevé
de purger leur peine.
Elle introduit une disposition étrangère au droit
pénal français qui prévoit qu’à
une infraction, délit ou crime, correspond une peine proportionnée.
Elle déplace la peine du champ de l’infraction vers
la personne même de l’infracteur, considéré
comme appartenant à une espèce dangereuse et exceptionnelle
et représentant un péril constant pour la société.
On voit resurgir en force ici la figure de l’ « irrécupérable
» dont Foucault a montré le rôle clé qu’elle
joue dans l’agencement du discours en faveur des prérogatives
de la police et, plus généralement, de la production
de l’ordre.
Cette orientation répressive de la loi sur la rétention
de sûreté est si évidente que celle-ci a suscité
une levée de boucliers parmi les parlementaires socialistes,
conduit l’ancien Garde des Sceaux de François Mitterrand
Robert Badinter à publier une tribune très énergique
à ce propos dans Le Monde et même entraîné
des divisions au sein de la majorité.
C’est le bunker sécuritaire regroupé autour
de Sarkozy qui a voulu cette loi et l’a fait adopter à
bride abattue, en spéculant sur des effets de popularité
automatiques, le pédophile occupant en quelque sorte la place
du monstre ou du criminel maximal dans nos sociétés.
Mais en même temps, ce nouveau dispositif qui introduit
une clause absolument exorbitante dans le droit pénal français
(la possibilité d’un emprisonnement à vie au
delà de toute peine infligée selon une procédure
de justice régulière – c’est le retour
des lettres de cachet !), ce nouveau dispositif est au demeurant
totalement inscrit dans un horizon de médicalisation : les
lieux d’enfermement concernés sont parfois désignés
du nom de « prisons-hôpitaux » et la justification
que se donne cette loi sécuritaire est la suivante : il s’agit
de perpétuer l’enfermement de criminels sexuels qui
« refusent de se faire soigner » - considérés
donc, à ce titre, si les mots ont un sens, comme des malades
et même comme de grands malades… Première forme
d’indistinction, donc, et première inconséquence
: le plus souvent, ces « malades » viennent d’accomplir
de très longues peines (le dispositif est destiné
à des gens qui ont purgé des condamnations de quinze
ans et plus) durant lesquelles, de notoriété publique,
ils n’ont eu accès qu’à des soins épisodiques,
inadaptés, voire pas de soins du tout.
C’est un psychiatre, cité par un journal, qui se
demande à ce propos : « A quoi ça sert de condamner
des gens à quinze ans, si on en est au même point à
l’issue de ces quinze ans ? ».
De grands malades d’un côté, tellement malades
qu’une obligation de soins peut leur être imposée
pour le restant de leurs jours, mais qui vont être «
traités » en même temps comme des hypercriminels,
des monstres.
On revisite ici involontairement, sur un mode particulièrement
confusionniste, la « scène primitive » sur laquelle
juges et médecins se demandent si Pierre Rivière est
un aliéné ou un monstre pervers.
Interminable bégaiement de l’histoire des rapports
de la Justice et de la médecine, de la psychiatrie ? Dans
le même esprit, une sorte de fusion de l’approche médicale
et de l’approche policière se produit lorsque la «
cible » de ces centres de « rétention »
est désignée comme suit : les prédateurs sexuels
présentant un « risque particulièrement élevé
» de récidive à l’issue de leur peine
de prison.
Comme on le sait, la notion de risque fait partie aussi bien de
l’arsenal discursif policier que médical : l’idée
de catégories sociales, ethniques, de topographies dans lesquelles
les risques en terme de sécurité ou de criminalité
sont plus élevés que d’autres d’une part
; les risques sanitaires liés aux épidémies,
aux conditions environnementales, aux catégories d’âge,
de l’autre.
On retrouve là les enjeux multiples qu’une police
générale des conduites peut faire aujourd’hui
des théories du risque, du discours savant, sociologique
ou autre, agencé autour de la notion même de «
société du risque ».
Ici, le fantasme sécuritaire, comme fantasme médico-policier,
c’est l’élimination du risque.
Or, comme le remarque un psychiatre, dans le contexte de la discussion
sur la loi Dati, « le risque zéro, ça n’existe
pas, ou alors, il faut enfermer 40% de la population ».
En principe, les programmes de l’action policière et
ceux de l’action médicale sont parfaitement distincts
: empêcher de nuire, mettre hors circuit, enfermer les fauteurs
d’illégalismes d’un côté, soigner,
traiter, guérir de l’autre.
Il faut donc se demander sous quels auspices peut se produire
la fusion tendancielle de ces modes d’action si distincts
dans leur principe, fusion dont l’invention de ce dispositif
des « centres socio-médico-judiciaires de sûreté
» (leur désignation officielle, semblerait-il) est
une manifestation.
C’est sous le signe de notions plus ou moins nouvelles ou
redéployées comme celle de la prévention, du
traitement, du suivi, du contrôle, de la précaution…,
notions fonctionnelles aussi bien dans l’espace médical
que dans celui de la police qu’une telle indistinction peut
se produire.
Sous le signe de cette indistinction peut apparaître un
nouveau paradigme, celui du « soigner et punir » - quand
bien même le « soigner » risquerait fort d’apparaître
ici comme le pur et simple alibi d’un nouveau tour répressif
– ce n’est pas pour rien, sans doute, que le Syndicat
de la Magistrature, qui n’est pas précisément
un repaire de gauchistes, parle à propos de ces centres de
« logique d’élimination ».
Mais en même temps, ce qui importe, c’est que le nom
de la médecine ou, si l’on préfère, l’instance
médicale ne puisse être absents de ce dispositif.
C’est Sarkozy qui, alors encore ministre de l’Intérieur,
énonçait les tâches que les médecins
auraient à accomplir dans le cadre de ces centres de rétention
(rétention et non détention, comme pour les étrangers
expulsables, tout ce joue dans la différence entre le «
r » et le « d » ; la substitution de l’un
à l’autre signale celle du jugement par le décret,
la décision administrative qui ouvre la voie à tous
les arbitraires (cf : le Schutzhaft, pour mémoire, déjà
l’usage toutes mains de la « prot
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