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Origine : http://orta.dynalias.org/inprecor/article-inprecor?id=758
« En 1983, il était encore concevable d'écrire
un livre à propos du monde juif d'Europe orientale au XXe
siècle, appréhendé dans sa conditions historique,
et qui s'organise autour du signifiant majeur révolution
et non point Shoah... » Les auteurs, dans la préface
de cette nouvelle édition, soulignent que d'une manière
infiniment troublante, les conditions mêmes de l'énonciation
à propos des ''objets'' qui sont traités dans ce livre,
ont changé, se sont déplacées : « Leur
monde est devenu énigmatique aux yeux de l'immense majorité
de nos contemporains. » L'histoire du mouvement ouvrier, du
mouvement ouvrier juif, de ses organisations (Bund, Poale Zion de
gauche), ou des organisations dans lesquelles le peuple des shtetl
et des villes, ces ouvriers et artisans juifs, s’est regroupé
(mouvement communiste) fut riche de multiples pratiques et débats.
Que reste-t-il des polémiques sur la question nationale
juive. Car, comme le rappellent Alain Brossat et Sylvia Klingberg,
une telle question était d'actualité (en particulier
les développements du Bund autour de la question nationale
extraterritoriale), comme partie intégrante d'un internationalisme
concret et non d'une mythique construction sioniste. Je partage
les critiques avancées contre Rosa Luxembourg et les dirigeants
bolcheviques et leur incapacité à saisir les aspirations
de ces composantes juives du mouvement ouvrier.
En six chapitres les auteurs font revivre, à travers les
récits de rescapés juifs, non seulement les combats
du siècle, révolution, guerre d'Espagne, résistance
au fascisme, espoirs dans une nouvelle société, mais
ils nous rappellent, la place des membres du Yiddishland dans toutes
ces histoires.
Destruction des Juifs d'Europe par les nazis, anéantissement
d'un espace social, culturel et linguistique, de ses organisations
sociales, trahisons et assassinats lors des combats. Les défaites,
lorsqu'il était minuit dans le siècle, furent aussi
des défaites pour ces acteurs, qui n’étaient
pas des victimes passives comme le voudrait une certaine tradition
du judaïsme.
Six chapitres pour ne pas oublier la violence du fascisme et du
stalinisme, la force de l'espérance et la destruction sans
retour du Yiddishland : « Dans l'immensité salée
des larmes humaines », « Autour de notre drapeau, groupons-nous
! », « Le ciel d'Espagne », « Silencieuse
est la nuit étoilée », « Le chant de la
révolution trahie » et « Je suis las des défaites
».
Cette réédition d'un livre paru en 1983 permettra,
je l'espère, à de nombreuses et nombreux jeunes lectrices
et lecteurs de prendre connaissance d'un pan de la réalité
du continent européen aujourd'hui anéanti, d'un pan
oublié de l'histoire du mouvement ouvrier et d'un pan de
l'histoire juive dénié : « ... ce fil juif et
rouge, traversant les sept cercles de l'enfer de notre histoire,
nous conduit tout droit aux allées et boutiques obscures
de notre époque, à l'absurde, l'illogique, au déraisonnable,
à l'irrationnel de ce temps ; à ce bégaiement
de l'histoire qu'aucune raison, aucun bilan, aucun discours a posteriori,
aucune dissection du passé ne parviennent à épuiser,
apprivoiser, réduire à l'état de passé-objet.
»
Dans ce livre, le lyrisme des auteurs permet de donner présence
au souffle de l'espérance de ces hommes et femmes acteurs
et actrices de leur histoire, de l'histoire, de faire revivre leurs
engagements.
Appréhender ce Yiddishland, n'est pas seulement rendre mémoire
aux vaincu-e-s de l'histoire et ne pas « congédier
les fantômes » qui, de Varsovie à la Kolyma,
d'Albacete à Auschwitz, viennent à notre rencontre.
C'est aussi ouvrir les fenêtres sur « L'étonnante
actualité de ces récits diffractés ».
Ressurgit de ma mémoire le phrasé de quelques mots
yiddish compréhensibles, de cette langue qui pourrait bien
disparaître, de ce patrimoine d'un passé/futur non
encore advenu.
Comment alors ne pas conseiller en lectures adjacentes :
? Anthologie de la poésie Yiddish, le miroir d'un peuple,
édition de Charles Dobzynski, réédition en
2000 dans la collection Poésie Gallimard ;
? Rachel Ertel : le Shtetl, la bourgade juive de Pologne, Payot
1986 ;
— Claudie Weill : Les cosmopolites, socialisme et judéité
en Russie (1797 – 1917), Syllepse 2004 ;
? Moshé Zalcman : histoire véridique de Moshé,
ouvrier juif et communiste au temps de Staline, Encres 1977 ;
? et l'ouvrage de Nathan Weinstock : Le pain de la misère,
histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, 1984, réédité
à La Découverte.
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