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Origine : http://nopasaran.samizdat.net/article.php3?id_article=121
Nous passons dans ce numéro de No Pasaran la première
partie de l’interview d’Alain Brossat, professeur de
philosophie à Paris 8 (St Denis) du 24-11-2001 suite à
la parution de son ouvrage "Pour en finir avec les prisons"
paru aux éditions La Fabrique. Par ailleurs, A. Brossat a
écrit "L’épreuve du désastre",
"Le XXe siècle et les camps", "Le corps de
l’ennemi", Hyperviolence et démocratie".
No Pasaran : Dans le contexte actuel, avec un certain nombre de
braquages qui ont mal tourné, la libération du "Chinois"
et le discours dans les médias et par les politiques qui
s’en est suivi sur les multi-récidivistes, la question
des prisons est une nouvelle fois posée. Après le
livre du docteur Vasseur sur la Santé, à travers lequel,
médias et chercheurs s’étaient soudain intéressés
au cas de détenus vivants dans des conditions catastrophiques,
dans un système pénitenciaire complètement
archaïque et inhumain, il y a eu des prises de positions politiques,
associatives et de familles de prisonniers. Tu as par rapport à
cette manière de poser les questions sur les prisons, un
regard très critique.
Alain Brossat : Il y a une chose qui est très frappante.
Il y a une façon de parler des prisons dans les espaces publics,
notamment dans la presse qui se forme selon le rythme d’un
balancier. Vous avez des moments de compassion humanitaire, c’est
l’effet Véronique Vasseur, par exemple. Donc tout le
monde découvre, la presse, l’opinion, les parlementaires
qu’il y a une horreur des prisons, un scandale de la condition
pénitentiaire, image 315 x 195 (GIF) un tiers-monde des prisons
insupportables, etc. Ce sont les phases compassionnelles. Tout le
monde s’émeut et dit que cela ne peut pas continuer,
que les prisons sont indignes de la République, dans la "
Patrie des droits de l’homme... Et puis, il y a un mouvement
de balancier à la première occasion".
En l’occurrence, il a eu lieu au début de l’été
dernier, une tentative d’évasion à Fresne avec
un hélicoptère, ça tourne mal, des coups de
feu sont échangés et hop ! Retour vers le sécuriatire.
Depuis le début de l’été dernier, nous
sommes vers le "toujours plus de sécuritaire".
Pas plus tard que dans Le Monde de ce soir, vous avez l’annonce
par Mme Lebranchu de la construction de 35 nouvelles prisons. C’est
cela. Vous avez cette inconséquence de la presse, de l’opinion
publique qui va passer de la compassion vis-à-vis des détenus
qu’on fait vivre dans des conditions indignes du XXIème
siècle, à ces discours qui disent que les délinquants
sont toujours plus dangereux, que la violence monte sans cesse,
et toujours avec les mêmes thèmes qui reviennent, avec
ce qui ne s’appellent plus des Quartiers de Haute Sécurité
(QHS) mais des prisons sécurisées pour les délinquants
les plus dangereux, où il n’y a aucune espèce
d’évasion possible. C’est cette inconséquence
des médias, encore, et largement celle des politiques (excepté
le bunker de la droite qui lui est toujours sur le sécuritaire),
la gauche plurielle qui sans arrêt oscille de l’un à
l’autre que j’ai essayé de mettre à plat
dans ce livre.
Aujoud’hui, vous avez Jospin qui glose sur la bavure qu’a
constitué la libération d’un malfaiteur très
dangereux. Je pense que ce n’est évidemment pas du
tout par ce biais-là qu’il faut passer, car on touche
du doigt l’impasse d’une approche purement humanitaire
de la prison.
Sur cette approche purement humanitaire, ajoutée à
celle qui a donné tant de polémiques autour du livre
de Dominique Vasseur, quelles sont les principales critiques que
vous avez à formuler ?
Je pense qu’il y a un discours aujourd’hui qui consiste
à dire qu’un espace de réforme est possible
et nécessaire dans les prisons. Il faut donc injecter du
droit. Il faut que les détenus aient davantages de droits,
il faut que soient établies ou rétablies dans les
prisons les conditions de citoyenneté. D’autre part,
il faudrait que la prison retrouve sa fonction première qui
serait non pas seulement d’isoler, de stocker mais surtout
de recycler, de rééduquer, remettre les gens en état
de fonctionner dans une société, etc. C’est
un discours que l’on entend depuis que la prison pénale
existe, c’est-à-dire en gros depuis le XIXème
siècle. La différence avec les anciens régimes
c’est que les individus qui ont déviés, les
criminels, sont considérés, néanmoins, comme
partie intégrante de l’humanité et que, donc,
un traitement approprié, moral, humanitaire va permettre
de les réinjecter dans la société. Mais l’histoire
de la prison pénale en France c’est l’histoire
de l’échec de cette approche-là. Ce qui est
constant, c’est l’oscillation sécuritaire-humanitaire
et l’échec de toutes les tentatives qui se succèdent
sans fin depuis 1830, l’échec absolu de cette fonction
de retraitement du matériau criminel qui s’est perdu,
qui a dévié et l’incapacité absolue de
la prison à produire quelques formes d’humanisation,
de réforme, de rétablissement des individus dans des
conduites droites. Ce qui perdure, c’est la fonction d’organisation
d’un partage entre des corps déviants, entre des groupes
et le reste de la société qui pour l’essentiel
est vouée à la production. C’est cela le structurel
de la prison pénale en France. Donc, ce que je critique dans
cette approche dominante de ceux qui pensent qu’avec un bon
ministre de la Justice, avec un peu plus de bonne volonté,
avec un peu plus de crédits, on va transformer les prisons
françaises en quelques chose de présentable, c’est
qu’ils ignorent cette pesanteur de l’histoire et qu’au
fond ils ignorent la fonction réelle de la prison qui est
une fontion de stockage des corps indésirables.
Ta critique va beaucoup plus loin en abordant la fonction sociale
de la prison, cette division qu’elle crée entre les
délinquants et les non-déliquants et tout cet enjeu
de pouvoir qui se retrouve au cœur de la prison.
Ce que je dis là n’est pas original puisque cela reprend
une grande idée que Michel Foucault a développé
dans "Surveiller et punir". C’est l’idée
que la prison obéit et est le résultat en tant qu’institution
d’une production, production d’un partage qui fait apparaître
un danger constant qui tourne autour de ce que Foucault appelle
"les illégalismes" incarnés au XIXe siècle
par les classes dangereuses, aujourd’hui par les producteurs
d’insécurité, la jeunesse délinquante,
etc. Ce partage est politiquement utile du point de vue de la domination
dans une société comme la nôtre. Il permet d’exhiber
en permanence la nécessité de la police, une police
forte et les dispositifs répressifs. On part donc de l’idée
qu’il y a une nécessité et une constance de
ces rapports entre un corps populaire qui serait utile, inclus,
c’est à dire une classe ouvrière qui travaille
cela dit dans un langage du XIXe siècle, des productifs qui
sont aussi des gens qui respectent la loi et puis un reste, un résidu
parmi lesquels seront d’emblée considérés
comme des irrécupérables, d’autres seront dans
une zone grise, dont une partie d’entre eux pourront être
retraités. Mais globalement, ce type de partage doit être
fait parce qu’il montre l’ordre, la nécessité
d’une politique d’ordre et il permet de tirer tous les
bénéfices d’un discours sécuritaire.
On sait bien que de plus en plus, la politique tend à se
concentrer autour des thèmes sécuritaires : la peur
du délinquant, des illégalismes, des banlieues...
Là, on entre en campagne électorale et nous n’aurons
que cela. C’est commencé d’ailleurs, avec cette
histoire de braquage qui tourne mal et cette surenchère entre
la droite et la gauche autour du scandale que constituerait le fait
que les juges relâchent un type. Donc il ne faut pas voir
la prison comme une anomalie mais au contraire comme rentrant dans
une structure d’un règlement politique, d’une
production d’ordre qui lui donne précisément,
telle qu’elle est, avec tous ses manques, toute cette misère,
cette production d’abandon, une fonction politique éminente.
Tu cites dans ton livre Emile Durckheim : "la peine est restée
du moins en partie une œuvre de vengeance. On dit que nous
ne faisons pas souffrir le coupable (...) il n’en est pas
moins vrai que nous trouvons juste qu’il souffre".
La rupture que produit une façon moderne de punir se trouve
dans le fait qu’on ne va plus, en principe, infliger des douleurs
extrêmes à des corps détenus. On ne va plus
torturer, on ne va plus infliger ce qu’on appelle des peines
afflictives, c’est-à-dire des marques sur le corps,
des mutilations. Cela veut dire qu’en principe, dans un système
de pénalité moderne, on va produire une distinction
entre la punition et la douleur, la violence. C’est la détention
qui va se substituer au supplice public mais évidemment cela
ne veut pas dire que la peine moderne ne comporte pas une part de
souffrance. Il s’agit de substituer souffrance à douleur
au sens de douleur physique. La souffrance va être liée
à l’isolement, à l’enfermement, dans la
prison du XIXe siècle, au silence... C’est du coté
de la souffrance du prisonnier que va s’investir le désir
de vengeance de l’Etat, qui lui, demeure. Car un Etat de droit,
avec ou sans guillemets conserve ce désir de vengeance, ce
compte à régler avec le délinquant, le criminel,
celui qui a perturbé l’ordre politique et social. La
société conserve ce même désir de vengeance
face à celui qui l’a spolié, effrayé.
La vengeance s’exerce beaucoup sur ce que j’appelle
des "politiques d’abandon", des politiques de production
de la désolation. On va désoler des individus par
l’enfermement toujours plus long, la privation de toute sorte
de choses, de relations sociales, de rapports sexuels. Tout ceci
est une production réglée de désolation.
Tu parles de décret de l’abandon.
Absolument. C’est ce décret d’abandon qui accomplit
la vengeance.
Tu parles de violence d’Etat en disant que la prison est
une violence d’Etat.
Cela me paraît évident. Il ne faut jamais oublier
que c’est un moyen de montrer la souveraineté. C’est
une pratique de la souveraineté. Un Etat aussi démocratique
soit-il, reste un Etat, c’est-à-dire une force, une
cristallisation de puissance qui doit se saisir d’occasions
pour montrer qu’il exerce un monopole de la puissance. Il
se trouve que les Etats modernes, les démocraties occidentales,
ne peuvent plus être violents de la même façon
que l’était la Monarchie Absolue ou que l’ont
été des dictatures totalitaires. Les Etats de droit
ne peuvent pas, aujourd’hui, montrer la souveraineté
en produisant un effroi massif sur un mode terrorisant, en faisant
tirer sur une foule qui les emmerde ou des choses comme cela. C’est
problématique par rapport à une norme ambiante. Problème
que n’a pas une dictature totalitaire ou terroriste. La prison
au premier chef est un conservatoire de cette capacité qu’a
l’Etat moderne de montrer qu’il exerce un monopole de
souveraineté. Il va le faire en s’emparant d’un
certain nombre de corps, en les traitant sur un mode, que j’appelle
de l’exception. Ce faisant, l’Etat ne se met pas hors
droit, il exerce son propre droit. C’est tout à fait
différent. Ce n’est pas le même droit que le
droit des personnes auxquels fait référence habituellement
un discours humanitaire ou juridique classique.
Tu parles d’intrication entre droit et violence.
Voilà ! Tout droit est intriqué à une violence,
de toute façon, mais spécialement celui-là
est étroitement lié à une violence puisqu’il
fait référence à une légitimité
de l’Etat qui renvoit toujours à un moment de fondation
qui, généralement est un moment violent, la Révolution
Française pour ce qui nous concerne, donc, un moment hyperviolent
et qui renvoit à des prérogatives qui n’appartiennent
qu’à l’Etat. Il n’y a que l’Etat
qui a le droit de s’emparer des personnes de cette façon
là, de les isoler et de les soumettre à un régime
d’exception. Il ne faut jamais oublier que le règlement
le plus ordinaire des prisons c’est un régime d’exception
pour ceux qui y sont soumis.
Tu dis que la prison, à la différence des autres
institutions (école, armée...) maintient une pérennité
de la production de la souffrance.
Oui, alors là c’est intéressant, c’est
une question qui est ouverte à la discussion parce que dans
"Surveiller et punir" M. Foucault dit quand même
que la prison c’est le laboratoire des disciplines au XIXe
siècle. C’est-à-dire que, dans la prison, s’élabore
un régime disciplinaire qui vient en quelque sorte former
une relève du mode violent de la souveraineté. Au
lieu d’effroi, la discipline produit des normes qui s’appliquent
à tous. L’idée que Foucault développe
c’est que, de ce point de vue là, la prison est un
modèle pour les autres institutions. La discipline de la
prison on va la retrouver dans l’usine du XIXe siècle,
à l’hôpital, à l’école...
Moi, là-dessus j’ai un doute. C’est vrai que
les disciplines s’exercent encore et toujours dans toutes
les institutions mais je crois qu’il y a un autre facteur
qui va dans un sens différent. Les institutions dans les
sociétés européennes sont prises dans une autre
histoire, celle de l’intégrité des personnes
et de l’intégrité des corps. La charge des corps
et des personnes est largement déterminée par une
condition de citoyenneté, une idée qu’on se
fait de ce qu’est l’individu moderne avec ses droits,
son libre arbitre, sa qualité de sujet de la raison... Vous
voyez bien que l’école de la IIIe République
est extraordinairement autoritaire. Il y a des châtiments
corporels, un coté militaire dans la discipline scolaire,
un endoctrinement patriotique.
L’école, aujourd’hui, ne répond plus à
ces normes, on ne touche plus les gamins, le code disciplinaire
s’est tout de même énormément atténué
et cette forme de prise en charge des individus par l’institution
s’est séparée du destin de la prison. Pour l’hôpital,
c’est la même chose et même pour l’armée.
Il y a quelque chose dans le destin de la prison qui en fait vraiment
la conservatoire d’une forme disciplinaire inventé
au XIXe siècle, étant imbriquée à ce
vieux modèle d’une souveraineté où la
puissance du souverain montre son caractère exclusif en pratiquant
un régime d’exception et en le perpétuant sans
fin.
Tu expliques que dans la prison, contrairement aux autres institutions,
le mouvement revendicatif produit un surplus d’autorité
et de violence.
Dans les prisons, tous les mouvements qui tendent à devenir
collectifs, où donc il y a une mise en mouvement des corps
qui perturbe l’ordre carcéral avec des revendications,
où on voit des détenus sortir de leur situation de
pur objet de l’institution et se mettre à parler en
donnant une consistance politique ou revendicative, tout mouvement
de cette espèce est écrasé. D’une façon
ou d’une autre que ce soit avec irruption des gardes mobiles
ou des CRS qui tapent dans le tas ou que ce soit par un système
de ruse il n’y a, par définition, jamais d’espace
de négociation. Cela veut dire que jamais on n’accorde
aux détenus un statut de majeur. Alors que ce statut de "
majeur en devenir ", on le donne à des gosses, dès
l’école maternelle. C’est cela la différence
de destin des institutions. C’est tout à fait flagrant.
Je cite dans le bouquin des chiffres qui donnent à penser.
Dans les mouvements de prisonniers qui ont eu lieu dans les années
70, il y a eu plus de morts que pendant Mai 68. Pourtant, ces mouvements
n’ont agité que quelques centaines de détenus
en réalité. Mai 68, c’était des millions
de gens avec des affrontements... Cela montre bien qu’un régime
de violence est totalement spécifique dans les prisons en
France. Même à l’armée, il n’y a
jamais rien eu de semblable. Il y a eu, je sais de quoi je parle,
un développement d’une situation insupportable pour
l’autorité militaire avec des comités de soldats,
des manifestations de soldats, des dizaines de feuilles de comités
circulant. Certes, cela a donné lieu à quelques mises
au trou de soixante jours, à un ou deux procès mais
le résultat le plus tangible a été des améliorations
dans la situation des appelés. Il y a donc quelque chose
d’absolument unique dans la situation de la prison.
(fin de la première partie)
Propos recueillis Par Cdric et Pirouli
http://nopasaran.samizdat.net/article.php3?id_article=67
Pour en finir avec les prisons
Voici la seconde partie de l’interview d’Alain Brossat,
professeur de philosophie à Paris 8 (St-Denis) du 24-11-2001
suite à la parution de son ouvrage "Pour en finir avec
les prisons" paru aux éditions La Fabrique. Par ailleurs,
A. Brossat a écrit "L’épreuve du désastre",
"Le XXe siècle et les camps", "Le corps de
l’ennemi", "Hyperviolence et démocratie".
No Pasaran : mais justement, quelles sont les raisons profondes
pour toi de cette volonté de la société d’empêcher
tout mouvement de politisation au sein des prisons ?
A.Brossat : les détenus sont retirés de la société.
Ils n’ont aucune espèce de statut. Il y a un coté
traitement de masse, biologique au fond qui constitue une exception
radicale par rapport à tout ce qui est reconnu comme conditions
élémentaires à tout individu vivant dans cette
société. On a bien vu, dans les années 70,
un phénomène intéressant lié aux effets
de Mai 68. En effet, un certain nombre d’individus sont apparus
à travers de procès ou en prison avec des conduites
imprégnées de 68. Et cela est totalement insupportable
à nos institutions. Quand des types commencent à parler
politiquement de la condition pénitenciaire, commencent à
réfléchir sur leurs crimes, refusent dès leur
procès d’adopter le langage de la justice, refusent
le rituel de : " oui, j’ai compris, ce que j’ai
fait est très très mal, je ne recommencerai plus "
mais qui au contraire commencent à donner un sens politique
à leur crime...image 227 x 145 (GIF) Des gens comme Serge
Livroset ou d’autres ont fait cela, et cela a duré
jusque dans les années 80. Il y a des bouquins qui témoignent,
part ailleurs, que dans sa masse la population pénitencaire
est plus pauvre que la moyenne de la population, qu’elle est
moins instruite, on sait tout cela. Mais il n’empêche
que des individus émergent, qui montrent que la condtion
des détenus peut tout à fait être compatible
avec une condition de citoyenneté. L’institution déteste
cela. Dès qu’un type commence à réflechir
sur sa condtion, à parler, à écrire, l’institution
casse ça. Le pire, c’est que le vecteur est le plus
actif de la destruction de toutes ces tentatives de d’organisation
de l’expression des détenus n’est pas le ministère
de la Justice, n’est pas l’administration pénitencaire,
ce sont les syndicats majoritaires (de matons).
Tu cites Kropotkine dans ton livre, sur la question de la rentabilité
que pouvaient avoir les prisons à l’époque.
Il y a eu un recul de ce point de vue là, mais " les
prisons de la misère " de Loïc Wacquant parle tout
de même de complexes carcéraux industriels.
On travaille en prison, c’est bien connu, dans des conditons
d’exception absolue. Ce n’est plus la prison du XIXe
siècle, parce qu’il y a, à cette époque,
une imbrication entre les manufacturiers et les prisons, telle,
qu’on fait travailler les détenus littéralementà
mort. Les conditions sont telles, une nourriture très défficientes
et une mortalité effrayante qui est liée aux conditions
d’hygiène mais aussi au travail forcé. Ce qui
fait qu’au XIXe siècle on entre en prison pour mourir.
Ce n’est pas la guillotine qui tue, c’est massivement
les épidémies, les mauvais traitements et le travail.
Nous ne sommes plus dans cette situation mais tout de même
pour des raisons économiques, une masse importante de détenus
est astreinte à travailler dans des conditions qui défient
toute notion élémentaire de droit. Il ya là
un chapitre entier pour des revendications et des luttes. Il n’y
a, dans le travail, aucun droit d’organisation, des salaires
symboliques par rapport à l’extérieur, des boulots
très monotones dépourvus de tout intérêt,
un embrigament... Il y a un potentiel qui devrait... mais jamais
le mouvement ouvrier ne s’est soucié de cela. Jamais.
Ils sont des dizaines de milliers à travailler en prison
et ils n’ont pas de droit de se syndiquer. C’est là
une anomalie colossale. Mais le mouvmeent ouvrier français
est ainsi fait que tout ce qui est délinquant, criminel,
ou supposé lumpen prolétariat n’est pas une
question politique.
Un des lieux communs que tu critiques est le thème de la
peine de mort et de la prison qui serait plus humaine avec sa suppresison
et qui amènerait une nouvelle étape dans un mouvement
de l’historie toujours plus positive. Tu cites aussi Benjamin
Contant : " J’aime mieux quelques bourreaux plutôt
que beaucoup de geoliers.
Il est bien évident, comme dit Michelle Perrot, que la suppression
de la peine de mort constitue une sorte de progrès absolu.
Mais moi, ce que j’essaie de comprendre, ce sont les effets
paradoxaux que produit cette suppression. Evidemment, il y a un
lien direct entre la disparition de la peine de mort dans les conditions
qu’on sait, l’arrivée des socialistes au pouvoir,
l’accession au minisitère de la Justice, du meilleur
possible, dans ce type de régimepolitique, Mr Badinter, et
les peines de subsitution qui produisent un allongement constant
des peines. Ce qui fait que la prison devient pour certaines catégories
de délinquants ou de criminels le pourrissoir absolu. Des
gens vont écoper de peines incompressibles de 20 ans ou plus.
A tel point que se reconstitue une figure qui va au-delà
de l’abandon. Ils sont vraiment là pour la mort. Personne,
sauf exception, ne peut garder une intégrité psychique
et physique face à une épreuve d’une telle durée.
C’est ce qu’écrit Claude Lucas, un ancien détenu
qui a écrit un très grand livre sur la prison qui
s’appelle " Suerte ". Il dit qu’on ne pouvait
pas imaginer dans les années 80 des peines d’une telle
longueur et pour des délits ou parfois il n’y a pas
mort d’hommes comme des hold ups, des agressions où
il y a certes brandissement d’armes mais pas mort d’hommes.
Ce soir, encore on peut lire qu’ un homme, psychotique, s’est
pris 21 ans. Les experts ne sont vraiment plus portés à
déclarer l’irresponsabilité. Ils étaient
tous d’accord pour dire " il est irresponsable "
et bien non, sa responsabilité a été déclarée.
Il a comparu sous neurolectiques, complètement dans le cirage
et il a pris 21 ans. C’est vraiment l’effet pervers
de la suppression de la peine de mort en France. Ce qui fait que
dans le langage même des détenus, l’idée
d’une mort froide, d’une mort blanche, de la guillotine
revient tout naturellement. Dans le livre de Jean-Marc Rouillant,
un détenu d’Action Direct qui a fait le tour des centrales
en France, il y a un de ses compagnons de détention qui voulait
lancer une pétition pour le rétablissment de la peine
de mort, en disant que cela ne pourrait qu’alléger
les souffrances de certains d’entres nous. J-M Rouillant dit
évidemment cela avec un certain ton de cynisme, mais cela
donne une idée de ce que peut être l’état
d’esprit de cette catégorie qui vit sans aucune espèce
d’espérance. C’est une tendance lourde de l’institution
puisque si on regarde la réforme de Mme Lebranchu, vous avez
un effet de dénégation qui est frappant. Elle dit
: "non, on ne va pas rétablir les QHS", mais cela
témoigne du problème de certaine zones ou de prisons
spéciales qui seraient supposer totalement sécurisées.
Cela veut dire que les gens entrent et ne sortent pas. Cela renvoie
à un problème plus général. Il faut
tout de même réfléchir sur l’indifférence
du public aux prisons. Il y a une indifférence de glace dans
la masse de la population. A quoi tient cette indiférence
? image 227 x 199 (GIF) Je crois qu’elle tient largement au
fait qu’il y a ce niveau moyen de la conscience humanitaire
dans un pays comme le nôtre, qui dit que dès l’instant
où l’on ne massacre plus les gens, qu’on ne les
torture plus, qu’on ne maltraite plus les corps, qu’on
ne fait plus couler le sang et bien... on est en règle avec
le code humanitaire. Mais tout ce qui se passe par derrière,
ça, on ne veut pas le savoir, on ne veut pas le voir. Donc
la souffrance n’est pas prise en compte. Un type qu’on
laisse crever pendant 25 ans avec des semaines, des mois, au mitard,
parce qu’il pète les plombs, ça, c’est
dans l’angle mort d ’une conscience humanitaire. C’est
le coté pervers des effets d’humanisation. On se met
en règle, tout va bien.
Cela rejoint ce que tu disais sur la violence d’Etat. Tu
as une formule, dans ton livre. Tu dis qu’il y a eu passage
du " faire mourir, laisser vivre " au " faire vivre
et laisser mourir " qui est plutôt la condition d’aujourd’hui.
Oui, même plus que cela. Ces gens-là, on ne les laisse
pas mourir. On organise leur mort lente. C’est un dispositif
de l’institution. Les QHS sont supprimés mais cela
se reconstitue toujours sous d’autres formes. Dès l’instant
qu’on considère qu’il y a des irrécupérables,
on affirme que c’est une des vocations de la prison de garder
des corps jusqu’à ce que mort s’en suive. Il
a faut prendre les choses à l’envers. Il faut dire
que dans un système qui aujourd’hui fonctionne de plus
en plus avec la norme humanitaire, de plus en plus en faisant référence
au droit, avec les interdits majeurs sur le plan international,
interdit de génocide,interdit de la purification ethnique,
interdit de la torture qui deviennent des absolus, en même
temps, on ne veut pas voir comment la condition qui est faite à
la masse des détenus constitue une infraction énorme
et grossière.
Tu parles même du code de la prison comme programme de l’Etat
de laisser mourir.
Bien sûr, c’est un problème d’élimination
qui a partie lié avec la justice. Car, évidemment,
il faut aussi remonter en amont jusqu’aux juges, comment on
juge aujourd’hui, comment on assomme de plus en plus dans
les Cours d’Assises.
Il y a un autre phénomène qui n’existe pas
encore au cœur des débats en France, mais qui existe
pourtant qui tourne autour des peines de substitutions ou peines
alternatives, une autre forme de punition, de contrôle comme
le bracelet électronique, l’assignation à résidence
ou encore les travaux d’intérêts généraux.
Penses-tu que cela change fondamentalemnt les choses et change notamment
cette vieille conception de la centralité de l’enfermement
dans la punition.
On en est bien loin. Plus que jamais, la prison est le dispositif
central dans les pénalités en France. La population
pénitencaire s’accroit et tout ce qui se décrit
comme peine de substitution reste minoritaire et même marginal.
Alors, il y a une contradiction entre une politique d’intimidation
d’affirmation de la prérogative de l’Etat souverain
et des problèmes gestionnaires. Traditionnellement, dans
l’histoire de la prison, c’est une constance que la
misère des prisons, que le peu de moyens financiers est absolument
organisé. Par distraction, les pouvoirs publics mettent le
moins possible de fric la dedans contrairement à d’autres
institutions comme l’armée. C’est absolument
constant. Donc, à partir d’un certain taux d’engorgement
cela pose des problèmes de surchauffe qui eux-même
entrainent des dysfonctionnement, des irrégularités,
peuvent susciter des mouvements chez les détenus etc... Il
y a donc une tension entre cette fonction politique et les problèmes
économiques d’infrastructures... A la marge, on doit
chercher à désengorger.
La première chose à remarquer c’est que ce
ne sont pas des peines alternatives à l’emprisonnement,
ce sont des peines qui se conjuguent parce qu’elles renvoient
toujours à l’emprisonnement.Le type qui expérimente
le bracelet électronique ou le type qui est en conditionnelle
a toujours suspendu au-dessus de lui le fait que s’il ne joue
pas la règle du jeu, qui est extraordinairement contraignante
dans tous les cas, c’est le retour à la case prison.
Donc, la prison conserve son rôle central.Tout renvoit à
la prison, tout converge vers la prison. Ce ne sont pas des alternatives,
ce sont des dispositifs périphériques, marginaux,
mais l’institution pénitentiaire conserve sont rôle
central. A la moindre infraction... hop ! Il ne faut surtout pas
surestimer l’importance de ces dispositifs et ce n’est
sûrement pas par là que, lentement mais sûrement
on entrerait dans une perspective de dépassement de la prison.
Est-ce que tu penses que c’est à nous, militants politiques
ou aux universitaires ou aux chercheurs de défendre l’intérêt
de développer de véritables peines alternatives.
Je ne m’investis pas dans la position d’un réformateur
de la prison. Ce n’est pas mon problème. J’essaie
simplement d’avoir une position analytique, à la limite
une position de bon sens. Quand on décide qu’on ne
va plus torturer les gens, que cela n’entre pas dans un régime
de pénalité parce que c’est barbare, Quand on
décide de supprimer la peine de mort parce que c’est
incompatible avec la notion que nous nous faisons de l’humanité,
ces décisions, on ne les prend pas en se posant la question
des alternatives. Ces décisions sont absolument intransitives.
On décide parce que ce n’est pas supportable, parce
que ce n’est pas compatible avec une norme culturelle, une
norme morale. Pour la prison, c’est exactement la même
chose . Ce qui se constate, c’est que la prison a des conséquences
destructrices sur une part de l’humanité qui n’est
pas négligeable. En France, il y a environ 50000 personnes
en prison. Donc, il faut supprimer la prison parce que c’est
en infraction avec tout ce qui se raconte sur le droit, l’humanité
et la civilisation dans laquelle nous vivons. Naturellement, ce
qu’on va nous répondre c’est qu’il y a
tout de même des problèmes d’ordre public, il
y a toujours des méchants, il y a toujours des salauds. Il
faut bien se mettre, d’une manière ou d’une autre
, à la place du juge, du policier et de l’homme politique.
C’est cela qui va revenir constamment.Il y a plusieurs type
de réponses à faire. La première que je ferais
c’est que chacun est à sa place dans cette société.
On ne demande pas au policier ni au juge d’occuper la place
du philosophe, par exemple. Ce n’est pas son boulot. On ne
leur demande pas de se poser les problèmes qui ont trait
à la communauté, au bonheur, à la question
du bien et du mal et autres questions philosophiques. Donc, il n’y
a aucune raison qui m’oblige à répondre cette
injonction. Ce n’est pas mon problème. Je n’ai
pas compétence pour cela. J’estime seulement que ce
que l’on me dit, y compris ce que l’on me demande d’enseigner
comme normes ou références générales
à un certain mode de civilisation, la prison représente
quelque chose d’absolument insupportable. C’était
la position de Foucault. Je n’ai pas, pour réflechir
à ces questions à me référer à
un règlement policier. C’est une autre question. L’autre
problème c’est quand que je dis qu’il faut en
finir avec les prisons, je ne dis pas que nous allons vivre du jour
au lendemain dans une société qui ne punit plus. Je
n’entre pas dans un discours utopique disant que tous les
hommes vont être frères, que les loups vont devenir
des moutons etc...
Je dis que la prison est une institution qui a une histoire. Une
des caractéristique de cette institution c’est d’homogénéiser
des catégories de gens qui sont différents et de les
astreindre à un régime unique d’isolement ;
d’abandon et de désolation. Qui va en prison aujourd’hui
? Des voleurs, des déviants sexuels, des hommes politiques
qui ont fautés, des sans-papiers, des usagers de substances
toxiques etc... Qu’est-ce que ces gens ont à faire
ensemble. Qu’est-ce que les sans-papiers, qui dans une prison
comme la Santé à Paris doivent représenter
comme 30% du corps pénitentiaire, ont à faire avec
des type qui ont tués pères et mères ? Et qu’ont-ils
à faire avec des psychotiques qui sont de plus en plus nombreux,
par ailleurs ? Qunand je dis " en finir avc la prison "
cela veut dire en finir avec la prison qui produit cela, ces effets
d’homogénéisation là. Pour le reste,
je pense que la question de punir doit prendre en compte d’abord
la particularité ds délits, des crimes etc...Cela
signifie démanteler cette instituiton. Et après, éventuellement,
on parlera de ce que cela veut dire, punir.
Vous concluez en essayant de percevoir les causes. Qui est en prison
? Pourquoi ? et Comment se fait-il qu’une société
comme la nôtre puisse entraîner autant de délits.
Vous dites que nous vivons dans une société où
ce n’est plus le dénuement ou la faim qui pousse au
crime mais où le non-accès à la consommation
constitue dans ce monde du crime une forme assez rigoureuse, non
seulement, de marginalisation ou comme on dit d’exlusion mais
quasiment de mort sociale.
C’est évident qu’il y a des modèles de
consommation, une domination d’un fétichisme de la
marchandise qui induit des effets automatiques d’illégalismes
dans cette société. Quand on voir les types d’inégalité
sociales, économiques, en termes de revenus, de disponibilités
des biens qui est la règle dans cette société
avec ses effets de dualisation toujours plus grand, il y a des effets
absolument automatiques. Je mentionne en passant tout ce qui tourne
autour de l’automobile. Il y a énormémemnt de
délits, de crimes aussi qui sont liés à cela.
On voit bien qu’il y a quelque chose de réglé,
de programmé, dans les formes de consommation qui créent
de toute pièce des formes de délinquance, qui créent
une plèbe qui se produit là où vous avez d’un
coté des incitations à consommer toujours plus massives,
toujours plus sophistiquées, toujours plus perverses et de
l’autre coté des situations, des poches de dénuement
complet. Les gens ne crèvent pas de faim, non, ce n’est
pas le vol du pain comme au XIXe siècle dans Les Misérables,
mais c’est la distance entre ce qui va se présenté
sur un écran de télévision et ce que chacun
est appelé à consommer, ou ce dont chacun est appelé
à jouir comme objet et au final, l’absence de moyens.
C’est l’histoire des téléphones portables
aussi.
Cela dédramatise tous les discours sur la sécurité,
sur le crime... Ce sont des modes de consommation qui produisent
eux-mêmes largement des formes d’insécurité
dans cette société-là.
Propos recueillis par Cdric et Pirouli
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