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Origine : http://lesilencequiparle.unblog.fr/2009/11/14/il-y-a-du-communisme-alain-brossat/
S’il était besoin d’un argument, un seul, pour
attester que la question du communisme n’a pas fait l’objet
d’un verdict historique définitif, comme on l’entend
si souvent proférer, il est là, sous nos yeux : lorsqu’on
été annoncées tambour battant les arrestations
de Tarnac, au mois de novembre 2008, l’un des arguments de
l’incrimination diffusée par le ministère de
l’Intérieur, relayé par la presse, était
celui-ci : les jeunes gens interpellés, accusés par
certains de visées “terroristes”, de formation
d’une “association de malfaiteurs”, ont fondé
une commune, adopté un mode de vie communautaire - à
Tarnac, donc, dans un hameau sur le plateau de Millevaches.
Vous vivez en commune, donc vous êtes dangereux, donc vous
êtes suspects, donc vous êtes des subversifs en puissance
: le message diffusé en boucle par Mme Alliot-Marie était
sans ambiguïté. Il ne saurait mieux dire l’actualité
persistante, récurrente de tout ce qui, de façon implicite
ou explicite, irréfléchie ou concertée, s’associe
au motif communiste - et ce, envers et contre la diffusion lancinante
de la ritournelle célébrant la “faillite historique”
du communisme sous toutes ses espèces.
Chassé par la porte de l’Histoire européenne
- histoire des Etats, des peuples, des régimes, des idéologies
- le spectre du communisme nous revient par la petit lucarne de
Tarnac. Une page s’est tournée, les dès ont
roulé, une nouvelle partie s’engage, sur de nouveau
frais : à tout le moins, il sera bien difficile de faire
de Julien Coupat ou de ceux qui se rattachent à un texte
comme l’Insurrection qui vient des disciples attardés
de Staline, voire Trostsky, voire Mao. Changement de décor,
changement de scénario, tout diffère - et pourtant,
dans ce tableau nouveau, radicalement hétérogène
à celui dans lequel l’agencement établi autour
du mot “communisme” s’est effondré comme
un château de cartes et a été pulvérisé
par une puissance supérieure, après avoir été
prêt de conquérir le monde, dans cette topographie
tout autre, le signifiant communiste revient, “comme un nageur
qu’on attend plus” (Léo Ferré) - et ce
n’est pas nous qui le disons, c’est l’ennemi (comment
nommer autrement que comme Versaillais ceux qui incriminent les
“communards” ?).
Il revient dans la discontinuité, mais aussi bien, porté
par une mémoire longue, secrète, bannie : celle du
Limousin rouge, de la résistance communiste de masse au nazisme
et à Vichy animée par Guingouin et les siens ; ce
n’est pas pour rien que les voisins des néo-communards
de Tarnac identifient aussitôt dans ces jeunes gens venus
d’ailleurs non pas des intrus ou des hurluberlus, mais des
amis dont les rapprochent des affinités électives
qui ne se paient pas de mots. Ce n’est pas pour rien non plus
qu’en retour, le signifiant “Vichy” conserve intacte
sa densité d’abjection pour nos jeunes gens qui, à
l’occasion de la réunion des ministres européens
consacrée à l’immigration, sur l’initiative
de Hortefeux, se font une obligation d’y aller manifester
énergiquement. Ces correspondances, ces connivences indétectables
au premier regard le montrent : si la révolution, avec ou
sans majuscule, est animal fouisseur, taupe donc, le communisme,
lui, est rivière souterraine, riche en résurgences.
Non pas, devrait-on dire, en supplément de la “démocratie
réelle” (comme on disait, naguère et par antiphrase
ou dérision, “socialisme réel”), de la
démocratie-Etat, de la démocratie-institution, de
la démocratie-idéologie, de la démocratie de
marché ; mais bien plutôt comme ce qui, irréductiblement,
s’en détache en tant que pure puissance d’un
différer ou d’un devenir autre.
Dans le Grand Récit de l’Histoire dialectique (qui
est simultanément un topos politique, culturel, discursif),
le communisme est un mot puissant pour autant qu’il est doté
de la capacité de présenter des espaces autres que
ceux de la domination (le règne de la marchandise, la dictature
du capital, l’Etat “bourgeois”, etc.), de nommer
des alternatives globales aussi bien en termes spatiaux que temporels.
Dans cette topographie, le communisme est ancré dans le réel,
il produit du réel, il augmente ou intensifie le réel
(pour le meilleur et le pire aussi) sous la forme de mouvements
communistes, de partis, de régimes, d’Etats communistes,
d’une culture communiste, de héros, de grands textes
communistes. Mais il est aussi bien enraciné dans l’imaginaire
des peuples qu’il investit sous la forme d’utopies,
de grands desseins d’avenir, de promesses et d’espérances
collectives, d’une véritable eschatologie. Cette double
dimension d’enracinement dans le réel et de capacité
projective dans l’imaginaire est ce qui fonde son statut,
plein et entier, de mythe au sens sorélien du terme.
La bévue de l’historicisme contemporain est celle
qui consiste à confondre l’effacement de cette configuration
sur le sable de notre présent avec la disparition de toute
actualité du motif communiste pour nous. Comme si, à
tout jamais, le communisme aurait perdu la capacité de découper
l’horizon d’un rassemblement possible, d’une subjectivité
commune, d’une action décisive. Or, c’est l’inverse
qui est vrai. Plus le mythe qui, pour dire vite, s’est substitué
à celui du communisme - celui de la démocratie, avec
majuscule éventuellement, plus ce mythe est compact, impérial,
conquérant, “global” - et plus il est l’agent
d’une puissance dont le paradoxe est (dans la situation où
elle met en acte la figure de l’Un-seul) de n’être
fort que de son indétermination, pour ne pas dire son inconsistance
: la démocratie, celle qui coïncide avec son mythe est
l’exemple même de ce mot puissant qui, comme Dieu, comme
sacré, comme peuple, ne “règne” que par
la grâce des antinomies qui l’habitent et du flottement
constant qui en affecte le sens. La démocratie, c’est
comme le rock and roll : un mot indécis, trop large, inapte
à manifester l’existence d’une singularité,
à moins d’être complété, précisé
- démocratie parlementaire, démocratie athéniennne,
démocratie de marché, rock de Liverpool, punk rock,
métallique, etc.
Dans les conditions où flottement, indétermination
du sens et puissance du vocable démocratie marchent d’un
même pas, le signifiant communisme revient dans le jeu, fait
retour en cette topographie même non pas comme ce qui en présenterait
l’extérieur possible ou en représenterait l’alternative
souhaitable mais, tout simplement comme ce qui nomme l’échappée
aux conditions de l’Un-seul compact et mortifère. Dans
les conditions d’une globalisation démocratique de
plus en plus totale et totalisante, il n’y a plus de bord
extérieur sur laquelle puisse se “réfugier”
une utopie communiste ou se construire un programme de renversement
de l’état des choses - les plus décidés
des amis “anticapitalistes” de M. Besancenot seraient
bien en mal de nous présenter le tout autre de la topographie
générale qu’ils entendent détruite ou
surmonter. Le communisme tend alors à devenir le désignant
de la totalité des flux disséminés qui résistent
aux conditions de l’Un-seul, le taraudent, rétablissent
les conditions de la différence et les puissances du devenir-autre.
Le communisme devient alors une virtualité générale
qui s’actualise chaque fois que se forment des subjectivités
et se trament des actions dans l’horizon d’une résistance
à un gouvernement des vivants dont l’axiome est : c’est
ainsi, il n’y a pas le choix, pas d’alternative, c’est
l’Un-seul qui impose ses décrets, car il coïncide
avec l’ordre naturel des choses. Le communisme revient, à
la faveur d’une énième métamorphose,
lorsque des enseignants et des lycéens mobilisés contre
les projets de réforme Darcos, des militants du DAL accompagnant
des mal-logés, des activistes de RESF mobilisés contre
une expulsion de sans papiers, des postiers, des ouvriers au chômage
technique, des psychiatres sommés de traiter les malades
mentaux en criminels statuent : nous ne voulons pas être gouvernés
sur ce mode-là, nous ne voulons pas être gouvernés
par ces gens-là, nous sommes prêts à entrer
dans des insurrections de conduite, nous ne renoncerons jamais à
nos facultés critiques, nous ne sommes pas gouvernables comme
l’escomptent les représentants de ce pastorat “démocratique”
qui entendent nous conduire en troupeau.
Il y a du communisme dans ces contre-conduites, dans ces mouvements
de résistance et de désobéissance, parce qu’y
est actuelle la figure de l’inservitude volontaire face à
celle de la douce servitude consentie, anesthésiante et infantilisante,
mais aussi celle de l’ingouvernable, face au dessein (celui
de la biopolitique contemporaine) d’une gouvernementalisation
sans cesse étendue des corps et des conduites.
Le communisme, en ce sens, ne présente ni ne représente
plus l’ailleurs, l’alternative, “l’ici et
maintenant” dépassé et surmonté, mais
plutôt la possibilité infinie d’une multitudes
de lignes de fuite hors des conditions imposées par cette
saisie du vivant humain dans les rets de l’idéologie
de la total-démocratie : il n’y a rien d’autre
(politique) que la démocratie parlementaire, rien d’autre
(vital) que le travail soumis aux conditions de l’entreprise,
rien d’autre (économique) que le libre jeu du marché,
rien d’autre (affectif) que la vie de famille, etc.
En ce sens, Mme Alliot-Marie et ses sbires ne se trompaient pas
de cible en désignant comme danger public et le petit essai
intitulé l’Insurrection qui vient, et l’initiative
des jeunes communards de Tarnac. L’un comme l’autre
en effet déploient des puissances critiques assez rares :
ils proposent de s’organiser face à l’intolérable
dont est perclus le régime d’une démocratie
“de notoriété générale soluble
dans les plus pures législations d’exception”
- chasse à l’étranger pauvre, généralisation
du flicage biométrique et autre, mise au pas des universités…
Ils proposent non pas un retrait dans des lieux “alternatifs”,
immunisés contre la violence de l’ordre libéral,
mais un redéploiement des forces, avec la formation de pôles
(communes) et de réseaux dont l’ambition serait d’échapper
aux dispositifs de capture des énergies sociales et politiques,
de se rendre durablement inemployables, ingouvernables, et, ce faisant,
de prêcher d’exemple tout en demeurant insaisissables.
Il y a du communisme dans ces nouvelles formes d’organisation,
d’implantation, de déplacement, de résistance,
car rien n’y est reconductible aux conditions du pastorat
biopolitique et des dispositifs de la démocratie de marché.
L’autre qui y est exposé, au contraire, n’est
pas celui d’un culte éthique de l’altérité
mais bien celui de l’énonciation d’une politique
tout autre, tout autrement agencée sur les puissances de
la vie, - une politique de l’égalité, de l’amitié
et de la résistance infinie. Il y a du communisme en acte,
là où s’affiche la superbe souveraineté
d’un nous qui a su se rendre autonome des injonctions à
pratiquer le culte de l’Etat démocratique, de la vie
employable et productive, de la consommation obligatoire, de la
denrée culturelle, etc. Ce communisme pauvre, dépouillé,
dispersé, nomade est moins l’enfant du manque que celui
de la réplétion. Il vaut bien, en tout cas, celui
qui, prostitué à l’Etat, devint pensée
captive et appareil de pouvoir. Il penche vers Diogène et
John Brown, davantage que vers le maréchaux soviétiques
et les héros stakhanovistes…
Alain Brossat
Tous Coupat, tous coupables, le moralisme antiviolence / 2009
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