|
origine : http://www.editions-lignes.com/LA-RESISTANCE-INFINIE.html
Nos sociétés sont vouées à l’apolitisme
ou à la dépolitisation dès lors qu’elles
instituent des formes de citoyenneté destinées à
procurer des garanties immunitaires et non à établir
une vocation à être libre en tant que « destiné
aux affaires publiques ».
On pourrait se risquer à définir la condition de
l’homme occidental contemporain comme celle d’un vivant
qui, à défaut d’avoir totalement renoncé
à l’amour et aux plaisirs de la chair, aurait troqué
sa condition politique contre un système de couverture immunitaire.
Qu’il désigne ces garanties et protections comme les
plus chères de ses « libertés » est patent.
Se trouve ici à l’œuvre un constant aveuglement
quant à l’horizon dans lequel est appelée à
se manifester l’autonomie des hommes… libres.
L’irruption de la politique en tant qu’exercice de
la liberté et création de valeurs prend toujours,
dans les sociétés occidentales contemporaines, l’institution
dite démocratique par le travers, la contrarie et l’offusque.
En ce sens, il n’y a guère de sens à parler
de « condition politique de l’homme moderne »
; Hannah Arendt a raison de rappeler que la politique est l’affaire
« des hommes » et non pas de « l’Homme générique
».
En effet, ce sont toujours des hommes qui, dans un champ d’immanence
constamment changeant, sont portés, de manière aléatoire,
par des flux imprévisibles de repolitisation de l’existence
sur fond de vie en commun intrinsèquement dépolitisée
; celle-ci est en effet, pour l’essentiel, saisie par le cycle
production/consommation et ainsi soumise aux conditions de dispositifs
de contrôle, de surveillance de sécurité, d’assistance
et de valorisation qui excluent toute espèce d’opération
politique – ou alors ne sont le théâtre de moments
de repolitisation que quand leur efficace fait l’objet de
litiges entre gouvernants et gouvernés.
La politique qui doit s’inventer, sous les auspices de la
résistance infinie, mérite ses propres noms, ses propres
mots. Quand il y a de l’événement, de nouveaux
mots de la politique s’inventent, qui découpent un
champ inédit, inconcevable auparavant. En attendant, nous
ne nous reconnaissons aucunement dans la posture d’énonciation
d’une position politique qui consisterait en ceci : «
Nous, vrais démocrates, etc. », posture vertueuse,
irréprochable et bien policée. Si la politique est
appelée à revenir, ce ne sera que par le côté
du sauvage et de l’imprésentable ; là où
s’élèvera cette rumeur où se laisse distinguer
le grondement : « Nous, plèbe, nous, barbares…
».
Alain Brossat est philosophe, membre du comité de la revue
Lignes. Il enseigne la philosophie à l’université
de Paris-8 Saint-Denis. Il est notamment l’auteur de : L’Épreuve
du désastre ; Le Corps de l’ennemi ; Pour en finir
avec la prison.
Du même auteur aux éditions Lignes :
- Le Serviteur et son maître
|
|