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Alain Brossat contre le fétichisme du vivant
Par Philippe Chevallier

origine : http://www.lexpress.fr/culture/livre/droit-a-la-vie_857558.html

Du droit des animaux à celui de la biodiversité, jamais le vivant n'a été tant défendu. Une préoccupation qui, selon Alain Brossat, anesthésie le sens critique.

A l'ombre du droit, on se sent en sécurité. En apparence, sa prolifération actuelle sur tous les sujets aurait de quoi nous rassurer : les intérêts des citoyens sont bien défendus. Sauf que, depuis la Seconde Guerre mondiale, la rhétorique du droit s'est étendue à des phénomènes qui échappent en partie aux volontés individuelles : la santé, la qualité de l'environnement, les grands équilibres naturels. Bref, le vivant. Le peuple souverain a été remplacé par un protoplasme incertain, qu'on cherche à protéger de tous les virus possibles. Sont ainsi proclamés les droits à ne pas être exposé au tabac, à être protégé de la malbouffe, à vivre longtemps, etc. De cette assomption d'une vie immunisée, Alain Brossat se révèle le critique impitoyable, un oeil sur les textes de loi, l'autre, goguenard, sur le journal du matin. Entre mouvement de fond et anecdotes pittoresques, il démonte le dernier des fétichismes modernes.

"Tout individu a droit à la vie", proclame la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948). Déclaration forte, mais dont l'application se traduit par une volonté illimitée de prévenir ce qui auparavant était signe du hasard ou du destin (l'obésité, le cancer, les accidents de voiture, etc.). Ce ne sont plus les libertés publiques qu'on défend, mais la vie qui nous traverse, comme elle traverse mon chien, mon rosier, mon littoral menacé.

L'homme et l'animal se serrent enfin la papatte

Peu importe, en fin de compte, la vie qui doit être protégée, qu'elle soit animale ou végétale, individuelle ou collective, puisque l'enjeu est d'inclure toujours plus de vies dans un même champ juridique. Cette vie promue en valeur absolue emporte tout sur son passage, abolissant les distinctions et insérant tous les êtres dans un même continuum indéterminé où l'homme et l'animal se serrent enfin la papatte.

Alors que la vie politique requérait un espace public de confrontation, la défense de la vie organique s'impose à coups de vérités sanitaires incontestables : faites-vous vacciner contre la grippe, mangez cinq fruits et légumes par jour ; ou d'impératifs sécuritaires catégoriques : il faut détecter les troubles mentaux dès l'âge de trois ans. Pénétrant notre quotidien, cette nouvelle police du vivant use du bon conseil pédagogique, sollicitant même notre collaboration : apprenez à être responsable de votre corps, de votre environnement. Qui oserait dire qu'il ne veut pas défendre la vie ? Brossat, justement. Pas au nom d'une pulsion de mort cynique, mais au nom d'une vie qui accepte de s'exposer au lieu d'être indéfiniment protégée, et défend les oubliés de notre société policée. Car l'extension du droit à la vie n'a pas empêché les centres de rétention de sûreté et les zones d'attente spéciales pour sans-papiers. Loin des apparences trompeuses d'une société pacifiée et cocoonée, Alain Brossat récrit pour nous Le Loup et l'Agneau : les deux compères avaient beau vivre de la même vie, l'un a fini par manger l'autre.