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origine : http://www.lexpress.fr/culture/livre/droit-a-la-vie_857558.html
Du droit des animaux à celui de la biodiversité, jamais
le vivant n'a été tant défendu. Une préoccupation
qui, selon Alain Brossat, anesthésie le sens critique.
A l'ombre du droit, on se sent en sécurité. En apparence,
sa prolifération actuelle sur tous les sujets aurait de quoi
nous rassurer : les intérêts des citoyens sont bien
défendus. Sauf que, depuis la Seconde Guerre mondiale, la
rhétorique du droit s'est étendue à des phénomènes
qui échappent en partie aux volontés individuelles
: la santé, la qualité de l'environnement, les grands
équilibres naturels. Bref, le vivant. Le peuple souverain
a été remplacé par un protoplasme incertain,
qu'on cherche à protéger de tous les virus possibles.
Sont ainsi proclamés les droits à ne pas être
exposé au tabac, à être protégé
de la malbouffe, à vivre longtemps, etc. De cette assomption
d'une vie immunisée, Alain Brossat se révèle
le critique impitoyable, un oeil sur les textes de loi, l'autre,
goguenard, sur le journal du matin. Entre mouvement de fond et anecdotes
pittoresques, il démonte le dernier des fétichismes
modernes.
"Tout individu a droit à la vie", proclame la
Déclaration universelle des droits de l'homme (1948). Déclaration
forte, mais dont l'application se traduit par une volonté
illimitée de prévenir ce qui auparavant était
signe du hasard ou du destin (l'obésité, le cancer,
les accidents de voiture, etc.). Ce ne sont plus les libertés
publiques qu'on défend, mais la vie qui nous traverse, comme
elle traverse mon chien, mon rosier, mon littoral menacé.
L'homme et l'animal se serrent enfin la papatte
Peu importe, en fin de compte, la vie qui doit être protégée,
qu'elle soit animale ou végétale, individuelle ou
collective, puisque l'enjeu est d'inclure toujours plus de vies
dans un même champ juridique. Cette vie promue en valeur absolue
emporte tout sur son passage, abolissant les distinctions et insérant
tous les êtres dans un même continuum indéterminé
où l'homme et l'animal se serrent enfin la papatte.
Alors que la vie politique requérait un espace public de
confrontation, la défense de la vie organique s'impose à
coups de vérités sanitaires incontestables : faites-vous
vacciner contre la grippe, mangez cinq fruits et légumes
par jour ; ou d'impératifs sécuritaires catégoriques
: il faut détecter les troubles mentaux dès l'âge
de trois ans. Pénétrant notre quotidien, cette nouvelle
police du vivant use du bon conseil pédagogique, sollicitant
même notre collaboration : apprenez à être responsable
de votre corps, de votre environnement. Qui oserait dire qu'il ne
veut pas défendre la vie ? Brossat, justement. Pas au nom
d'une pulsion de mort cynique, mais au nom d'une vie qui accepte
de s'exposer au lieu d'être indéfiniment protégée,
et défend les oubliés de notre société
policée. Car l'extension du droit à la vie n'a pas
empêché les centres de rétention de sûreté
et les zones d'attente spéciales pour sans-papiers. Loin
des apparences trompeuses d'une société pacifiée
et cocoonée, Alain Brossat récrit pour nous Le Loup
et l'Agneau : les deux compères avaient beau vivre de la
même vie, l'un a fini par manger l'autre.
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