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Origine : http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/aplusduntitre/fiche.php?diffusion_id=79294
La campagne qui s’est développée en faveur
des inculpés de Tarnac est portée par un si vif et
si constant désir d’innocence, de si persistantes références
à la légalité, à l’inoffensive
innocence des inculpés qu’il apparaît très
distinctement que, pour l’essentiel, le référent
démocratique indistinct continue à obscurcir la perception
du présent politique de ceux qui s’y trouvent mobilisés.
Deux textes : l’un – « Tous Coupat, tous coupables
» ; l’autre, « Le Moralisme anti-violence »,
remanié d’après le texte publié dans
le n°29 de la revue Lignes (mai 2009), consacré au thème
de la « Violence en politique », ici réunis dans
un court volume, vif, engagé, à la vérité
tout à fait intempestif : ne visant rien moins qu’à
affirmer que la politique ne saurait, sans hypocrisie, prétendre
faire l’économie de la violence ; sans hypocrisie ni
danger : tout ce qu’elle refoulera ainsi, ou qu’elle
croira avoir ainsi conjuré lui sera rendu, retourné,
qui sait de quelle façon et au bénéfice de
qui ? La vérité veut d’ailleurs qu’on
dise ceci : que n’est ainsi conjurée, stigmatisée
qu’une seule sorte de violence, celle à laquelle sont
tentés de recourir ceux à qui manque tout autre forme
de recours (disons la violence de défense ou d’opposition)
; pas la violence policière de l’État ni la
violence sociale de la domination économique. Elles ne s’en
trouvent que d’avantage – définitivement ? –
légitimées. Vif, engagé, intempestif, ce livre
est drôle aussi, au moins autant que la situation le permet.
À propos de « l’affaire Tarnac » : «
Ce qui est ici en question n’est évidemment pas la
nécessité impérieuse que s’organise une
solidarité sans faille avec les inculpés de Tarnac,
et que celle-ci soit aussi puissante et déterminée
que possible. La question est plutôt que cette solidarité
s’est déployée sur une ligne de pente dont le
propre est qu’elle ensevelit sous l’épaisse couche
de cendres d’une police sentimentale et « démocratique
» tout ce qui pouvait constituer le venin, le ferment de radicalité
de L’Insurrection qui vient, avec son appel à se mettre
« en route ». Le rassemblement informe et sans bords
qui s’est constitué en faveur des inculpés (et
dont, répétons-le, la volte-face des journaux a donné
le signal et en quelque sorte défini les conditions) n’est
pas sans rappeler le consensus anomique, propre à la «
démocratie du public » brocardé par des auteurs
comme Rancière et Badiou ; il s’étend maintenant
jusqu’aux dirigeants du parti socialiste, voire du Modem et,
inclut bien sûr, le télégénique Besancenot
; mais c’est un rassemblement qui se tient aux antipodes de
ce que s’efforçait de présenter L’Insurrection
qui vient et la décision d’y faire jouer en acte le
motif de la communauté. »
À propos de la violence dans les sociétés
démocratiques : « Nous n’en finissons pas de
subir des injonctions d’avoir à nous prononcer contre
toute forme de politique violente, et, plus généralement,
contre la violence sous toutes ses formes. L’aversion du public
contemporain à la violence vive est constamment soutenue
par la promotion de normes immunitaires dont l’effet est de
jeter le discrédit aussi bien sur toutes sortes de conduites
coutumières dans nos sociétés (la bagarre du
samedi soir, la fessée administrée à l’enfant
turbulent, la main baladeuse dans le métro) que sur l’engagement
physique dans les pratiques politiques (la manifestation virant
à l’émeute, le pugilat au Parlement, la grève
insurrectionnelle…). En même temps, ce mouvement général
de pacification des mœurs nourrit le sentiment de l’insécurité,
au point que, si nos sociétés n’ont jamais été
aussi « sûres », elles n’en apparaissent
pas moins aux yeux d’une partie au moins de la population
comme de plus en plus dangereuses. Au reste, la pacification, la
délégitimation de la violence ont une lourde contrepartie
: la concentration toujours plus dense des moyens de violence dans
la sphère de l’État et de ce qui s’y agence
: plus nos sociétés son “sûres”
et plus elles sont policières et c’est au détriment
des libertés publiques que prospère la criminalisation
de toute espèce de violence – la récente affaire
de Tarnac en est une illustration entre mille. Au demeurant : “toute
espèce de violence” est une expression bien expéditive.
Ce dont il est en réalité question est une opération
discursive de grand style autour de l’enjeu “violence”.
Le mouvement de pacification de la vie sociale et du domaine politique
a pour enjeu un formatage rigoureux des perceptions collectives
de “la violence” et une réforme radicale du code
destiné à séparer le violent du non-violent.
En bref, il s’agit d’inculquer à la population
la vision sécuritaire/policière de ces enjeux. À
ces conditions, sera donc désignée comme violente
l’émeute qui a embrasé une cité de banlieue
suite à une “bavure” policière –
pas cette action policière elle-même ; sera stigmatisée
comme violente une occupation d’usine accompagnée de
quelques saccages – pas le licenciement collectif qui l’a
précédée ; sera désignée comme
violente une attaque de banque – pas les escroqueries en grand
commises par des prédateurs de haut vol comme Kerviel ou
Madoff ; sera décrié comme violent un attentat suicide
commis par un kamikaze islamique, pas les “opérations”
aériennes de l’armée israélienne sur
la bande de Gaza… Dans ces conditions, “la violence”
tend à devenir d’une manière exclusive le fait
de l’autre – du pauvre, de l’immigré, de
la plèbe mondiale, de l’islamiste, de l’État-voyou…
Elle tend toujours davantage à faire l’objet de rites
de détestation et d’exorcismes, à devenir une
question morale plutôt que politique ou sociale. Son évocation
péjorative devient un moyen de gouvernement des populations
à la peur et à la sécurité, davantage
qu’à la paix. Le monde des “pacificateurs”
qui nous gouvernent est, comme chacun peut s’en assurer, tout
sauf un monde en paix. Surtout, la nouvelle police des discours
qui “règle” la question de la violence constitue
un formidable empêchement à penser et agencer une politique
vive, déliée des dispositifs généraux
de la démocratie-marché (Gilles Châtelet). Ce
n’est pas seulement que les espaces publics se trouvent de
plus en plus occupés par toutes sortes de dispositifs policiers,
c’est aussi que l’appareil général de
criminalisation de “la violence” tend à désarmer
dès l’origine, à la racine, toute entreprise
politique qui ne s’effectuerait pas aux conditions mêmes
de la domination ou, si l’on veut, de la société
de contrôle. Il s’avère à l’usage
que le mouvement de “déviolentisation” de la
politique qui s’est accéléré sans relâche
depuis le début des années 1980, aboutit, en réalité,
à annihiler toute énergie politique se déployant
hors des espaces du programmable et du gouvernable. Notre impuissance
politique actuelle face à l’Etat-Sarkozy qui, pourtant,
fait eau de toutes parts et n’est, substantiellement, qu’une
bouffonnerie, tient, pour une bonne part, à cette extermination
de tout possible politique radical par l’avènement
de ce dispositif général anti-violence. »
Alain Brossat est professeur de philosophie à l’université
de Paris-8 Saint-Denis. Il a récemment publié : Le
Grand dégoût culturel (Anabet, 2008) ; Bouffon Imperator
(Lignes, 2008). Il contribue très régulièrement
à la revue Lignes.
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