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Alain Brossat
Pour en finir avec la prison
Note sur le livre paru aux éditions La Fabrique en 2002

Origine http://www.acontresens.com/livres/18.html

En 1887, l'anarchiste russe Pierre Kropotkine décrit l'enfer carcéral de la centrale de Clairveaux (dans l'Aube), véritable usine où les détenus sont traités comme du bétail, sommés de se soumettre aux punitions les plus violentes. En 1924, André Marty, futur dirigeant du PCF, dénonce dans la même prison les tabassages réguliers, l'affamement et l'abandon total des prisonniers. En 1999, le procès de sept mutins de la centrale de Clairveaux les condamne à de nouvelles lourdes peines, faisant fi du comportement inadmissible de gardiens protégés par la justice. A travers ce triple exemple, c'est tout le système carcéral et au-delà le système répressif étatique qui montre son ineptie et ses incohérences... Depuis bien plus de 120 ans, "l'histoire de la prison est un bégaiement sans fin".

Alain Brossat, enseignant en philosophie, expose dans Pour en finir avec la prison une réflexion et une analyse implacable et très documentée autour de la prison, son rôle prétendu et son action effective. Car le fossé est grand entre ce que chacun considère comme étant le "but" de la prison, à savoir remettre sur "le droit chemin" les personnes coupables de crime ou de délit, et la réalité de l'après-prison : récidives fréquentes, difficultés énormes à (re)trouver une place dans la société, absence de perspective. Alors pourquoi la prison perdure-t-elle ? C'est qu'elle est avant tout nécessaire à l'Etat nous dit l'auteur, en cela qu'elle perpétue "une violence conservatrice de droit", renforçant une certaine cohésion sociale au sein du peuple-victime ; et qu'elle perpétue aussi de manière plus ou moins masquée "un droit du souverain", considéré révolu dans la société civile. A l'écart du reste des institutions, les prisons fonctionnent selon un droit fluctuant et souvent propre à chacune. Comment espérer réinsérer dans la société des condamnés qui se retrouvent dans un système totalement disjoint de cette dernière ? La coupure irrémédiable et infâme que constitue la mise au ban du corps est ici particulièrement bien décrite.

La population enfermée correspond souvent à une image très précise, "celle du plébéien marginalisé que n'a pas intégré le processus de mobilisation de la force du travail par la production capitaliste". La prison comble en effet le besoin étatique de créer une séparation au sein du peuple, de systématiquement opposer les uns aux autres en pointant du doigt une "classe dangereuse". Cette conception politique du rôle de la prison tend également à justifier la présence et le renforcement des institutions policière et pénitentiaire. "Les perdants, les sans-voix et les vaincus de l'histoire" sont voués au silence. Or c'est en adoptant leur point de vue que l'homme perçoit la finalité effective et pour tous - emprisonnés ou pas - de la prison : défaire l'homme.

La critique du discours humanitaire a dans un premier temps de quoi surprendre, et constitue l'un des aspects les plus intéressants de l'ouvrage. A ceux qui réclament plus de droits dans les prisons, de meilleures conditions d'hygiène ou de meilleurs locaux, Alain Brossat rappelle qu'une prison dorée reste une prison, c'est à dire un lieu d'isolement, "qui reconditionne une personne humaine en corps séparé et esseulé". L'heure n'est plus à la revendication d'une amélioration des conditions de vie en prison, puisque l'existence même des prisons doit être remise en cause. D'autre part, la demande d'un mieux ne remettant pas fondamentalement en question la nécessité de la prison a l'effet pervers d'asseoir de manière plus confortable sa légitimité. A titre d'exemple, le chapitre intitulé Après la peine de mort... montre que le combat mené pour l'abolition de ce qui est considéré aujourd'hui en France comme une barbarie a ouvert la porte à une augmentation de la durée moyenne d'incarcération, et à la multiplication des longues peines.

"Si l'on supprime les prisons, par quoi les remplacer ?" Voilà la question communément posée après la lecture d'un pareil pamphlet, mais l'auteur la balaie très intelligemment dans un dernier chapitre de conclusion. "La question de savoir ce qui doit se substituer à une pratique ou institution incompatible avec nos normes civilisées ne se pose pas". Alain Brossat rappelle que ce n'est ni au philosophe ni au citoyen de se substituer à l'Etat. Et surtout, les vraies questions ne sont pas là. Comment définit-on crimes et délits ? Qui sont ceux qui remplissent les prisons, et pourquoi ? Que fait-on pour prévenir le passage à l'acte ? C'est évidemment tout une société qui est à repenser : un rapport à la consommation, un rapport à la propriété, un rapport aux autres, et donc un rapport à soi. Sur le chemin de cette reconsidération de nos propres existences, Pour en finir avec la prison constitue un outil précieux.

JB
12.01.2004