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Yapou, vous avez dit Yapou ? Alain Brossat
dim, 04/20/2008

origine : http://www.revue-chimeres.fr/drupal_chimeres/?q=node/172


"Yapou est une terrifiante anti-utopie ou, dans des termes plus convenus, un roman de science fiction. L’auteur s’y projette en l’An 3970. Une société spaciale s’est formée, entièrement dominée par la race blanche ou plutôt, une aristocratie, un patriciat blanc, comme dit l’auteur, car il y a aussi, nous y reviendrons, une plèbe blanche. Ce pouvoir blanc repose donc en premier lieu sur la conquête spaciale et s’est établi dans des formes variables sur différentes planètes. Ce qui est constant, en revanche, c’est la forme de la suprématie blanche : partout s’exerce le pouvoir absolu de la race blanche : les Noirs sont leurs esclaves ; quant aux Jaunes, ils ont disparu au cours de la Troisième Guerre mondiale et du fait de l’emploi d’armes nucléaires sophistiquées, à l’exception des Japonais, population insulaire, lesquels ont été progressivement transformés en Yapous, c’est-à-dire, selon la définition même de l’auteur, meubles vivants (« living furnitures », c’est lui-même qui propose cette traduction anglaise de l’expression japonaise qu’il emploie).
Ici, une première précision d’importance : le roman a été publié en livraisons successives dans une revue de SF japonaise, et ce à partir de 1956. A l’évidence, donc, il se conçoit donc comme une description hyperbolique de l’occupation de l’archipel japonais par les Américains, suite à la défaite de 1945. Il résulte d’une sorte de « métissage » entre les conditions historiques de cet après-guerre, au Japon, et les obsessions sado-masochistes de son auteur, ainsi que celui-ci l’indique lui-même dans une postface écrite en 1970 et reprise dans l’édition française du premier volume.
Avant de m’arrêter plus longuement sur la figure du Yapou, en tant que mort-vivant, je dessine en deux mots l’intrigue, des plus fantaisistes, du roman. Dans son mouvement d’expansion spatiale, l’aristocratie blanche a délaissé la planète Terre de ses origines, comme une sorte de province reculée, si bien qu’y vit encore, à l’état sauvage, et figée à l’époque « anhistorique », c’est-à-dire à la fin du XX° siècle, une humanité résiduelle, oubliée par les maîtres blancs de l’Univers. Le roman s’ouvre donc sur la présentation de l’idylle improbable d’une jeune aristocrate allemande, Clara, et d’un jeune intellectuel japonais, Rinichiro, en train de se promener dans une forêt allemande et de disserter sur la bonne manière de dresser chiens et chevaux (Une femme blanche, un homme jaune, inexorable typologie des races). Rinichiro vient de prendre un bain, nu, dans un torrent glacé, lorsque survient l’événement par lequel tout arrive : un vaisseau spatial piloté par une jeune aristocrate vivant, elle, dans le temps « historique », Pauline, s’écrase à proximité des ébats de ces deux terriens « non-contemporains » d’elle. Alertés par le bruit, Clara et Rinichiro, toujours nu, se portent au secours de la naufragée de l’espace et se noue alors le fatal malentendu : Pauline pense avoir affaire à une contemporaine, aristocrate blanche (Clara a évidemment le type aryen, grande blonde au teint clair) accompagnée de son Yapou, puisque son compagnon est nu, comme le sont les Yapous, bétail humain, dans la société patricienne de l’espace... Je passe sur les différentes péripéties qui vont nous conduire au coeur (de pierre) du récit : Clara va accepter de s’embarquer sur le vaisseau spatial renfloué et s’intégrer rapidement à la société blanche aristocratique de l’espace. Elle va rapidement renoncer à convaincre ses hôtes que Rinichiro est un humain à part entière et, de surcroît, son fiancé, pour accepter la transformation de celui-ci en Yapou, meuble vivant placé à son service. A la fin de la première partie, suite à une série de transformations éprouvantes, Rinichiro est devenu une sorte d’animal de compagnie de Clara qu’il adore et révère comme une déesse."

voir également : http://www.editions-desordres.com/catalogue/yapou_1.php

Reprenant la tradition de Jonathan Swift et du voyage fictif, cette dystopie délirante, marquée par une feinte érudition et de constantes adresses au lecteur, représente la quintessence littéraire de la détestation de soi des Japonais traumatisés par l’Histoire. Yapou décrit un monde total, traversé par un humour noir et grinçant, où tout, de l’organisation sociale aux gadgets technologiques, en passant par le système philosophique et idéologique, est scrupuleusement répertorié. Grand texte du masochisme, hanté par les notions d’impérialisme, de suprématie raciale, d’eugénisme, de domination sexuelle, Yapou a été honni par le Japon d’après-guerre.

Ce livre culte est considéré comme le texte le plus étrange jamais publié au Japon.

"Yapou, bétail humain est le plus grand roman idéologique qu’un Japonais ait écrit après-guerre."
Yukio Mishima

Et aussi, le "Body Sushi" - Nyotaimori aka Body Sushi - par Eric Alba : http://www.vimeo.com/156568