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Origine: http://rocbo.net/poleis/anv/index.html
En avril 1965 paraissait une petite revue de 32 pages (format 13,5
x 21 cm) intitulée Anarchisme et Non-Violence.
On apprenait dès le numéro 1 que les animateurs ne
se proposaient nullement de créer une nouvelle tendance dans
le mouvement libertaire : leur projet consistait à mettre
en valeur l’idée de « non-violence », idée
présente dans la culture anarchiste, mais insuffisamment
exprimée et peu mise en pratique selon eux. Ils se refusaient
à choisir entre les divers courants anarchistes : l’individualisme,
le communisme libertaire, l’humanisme, le pacifisme, etc.
Ils se déclaraient anarchistes avant d’être «
non violents » et partisans de la non-violence parce que anarchistes.
Il ne s’agissait en aucune façon de condamner les pratiques
violentes passées ou encore présentes, mais d’y
renoncer avec la volonté de concrétiser les idées-forces
de l’anarchisme par l’action directe non violente.
Un texte avait été écrit collectivement et
servait de plate-forme à l’équipe qui s’engageait
dans cette aventure :
"Quelques données fondamentales
* Les structures de la société actuelle sont essentiellement
étatiques ; elles ne peuvent se maintenir que par l’autorité
et la violence.
* Les anarchistes préconisent la disparition de l’état
; ils proposent une société sans autorité où
la violence ne se manifesterait plus dans les rapports sociaux.
* Face au pouvoir et à l’autorité, les anarchistes
ont apporté des solutions libertaires (fédéralisme,
syndicalisme, etc.) ; mais en opposant la violence à la violence,
ils l’ont ainsi légitimée.
* De toute façon, devant le gigantisme actuel des forces
répressives et la mise en condition psychologique, la violence
insurrectionnelle paraît impuissante.
* Les méthodes non violentes paraissent être le moyen
d’action le plus conforme aux théories anarchistes
; elles constituent une force qui permet d’éviter les
conséquences autoritaires de la violence.
* L’action directe non violente a surtout été
utilisée par des groupements religieux, généralement
avec succès, mais la non-violence n’est pas plus d’essence
religieuse que la violence est anarchiste et athée. C’est
pourquoi il est nécessaire d’étudier et de mettre
en pratique ces formes d’action.
Nous posons donc la primauté de la non-violence et estimons
que le ralliement à « Anarchisme et Non-Violence »
devrait impliquer l’emploi de la non-violence tant dans l’action
sociale que dans le comportement individuel."
Ce texte a été reproduit dans chaque numéro
jusqu’au numéro 13 inclus (avril 1968). Une seconde
version en a été publiée dans le n° 24.
« Il nous faut débarrasser la non-violence de la religion,
sinon nous nous débarrasserons de la non-violence. »
(Courrier d’André, 1964)
Lors des diverses actions non violentes contre la guerre d’Algérie,
le discours sur les fondements de la non-violence n’était
pas du goût des « incrédules » qui ont
constitué un Groupe d’études laïc sur la
violence et la non-violence.
« Un certain nombre d’amis […] se sont retrouvés,
[…] tous animés par un souci commun :
« 1° Prendre position publiquement face à des
événements qui constituaient des attentats caractérisés
à la dignité humaine : guerre colonialiste d’Algérie
et toutes ses conséquences : tortures, viol des consciences,
désarroi d’une grande partie de la jeunesse, ferments
de guerre civile, renaissance de tendances fascistes et racistes…
« 2° Tenter si possible par des actes concrets, individuels
et collectifs, d’influer à leur niveau sur le cours
de ces événements et sur les responsables des divers
camps pour qu’arrivent à se dégager des solutions
en dehors du cycle infernal des violences. »
Ces gens « se sont retrouvés […] momentanément
dans un cadre assez précis : la communauté de l’Arche
de Lanza del Vasto, à vocation ouvertement religieuse et
aux méthodes d’action résolument non violentes,
dans la ligne tracée par Gandhi. […] Liés par
les nécessités de l’action du moment qui ne
souffrait aucune discussion ni retard […], ils pensaient à
juste titre que l’heure n’étaient pas aux contestations
de principes mais à une recherche d’efficacité
pratique. »
La guerre d’Algérie terminée, « le moment
est maintenant venu de tenter d’y voir plus clair sur les
motifs de notre engagement […] ». Il ressort «
que la non-violence peut être envisagée dans ses fondements
de manière assez différente selon les familles spirituelles.
En particulier ceux d’entre nous qui se réfèrent
à une pensée athée ou agnostique peuvent ressentir
un malaise non plus sur le plan de l’action mais sur celui
des principes […]. Cet état de fait […] amène
par exemple à se poser diverses questions parmi lesquelles
celle-ci, à nos yeux fondamentales :
« La non-violence peut-elle être envisagée en
dehors de toute religion ? »
« Nous ne sommes pas persuadés en effet que la violence
doive être irrémédiablement assimilée
au Mal en soi et chargée de tous les péchés
du monde. Il n’est pas impossible – mais la démonstration
reste à faire – que la violence contienne des aspects
positifs, inscrits dans la nature humaine et qui mériteraient
d’être redécouverts objectivement en recherchant
avant tout quelle utilisation pratique il pourrait en être
fait. Autrement dit, hommes de notre temps, nous n’acceptons
ici aucune donnée traditionnelle ou soi-disant « révélée
» avant d’aller y voir de plus près.
« Pour un approfondissement »,
(quatre pages, en supplément au n° 20 de l’Action
civique non violente).
Janvier 1964
Quelques textes furent publiés ainsi que des résultats
d’enquête, puis l’affaire tourna court…
Mais cela permit à quelques libertaires de se reconnaître
et de se rencontrer. Dans une circulaire de (juillet) 1964, intitulée
« Projet de base pour la formation d’une union anarchiste
d’études et d’action non violente », on
trouve les éléments de ce que seront les Données
fondamentales.
Octobre 1964 : réunion informelle à Villemomble entre
quelques copains libertaires. Décembre 1964 : première
réunion de travail à Roanne où sont invités
les anarchistes connus pour avoir participé à des
actions non violentes ainsi que des objecteurs de conscience connus
comme anarchistes. Cependant, ces initiateurs étaient dispersés
géographiquement. Aussi, très rapidement, se fit jour
l’idée d’un bulletin de liaison. Il n’était
alors nullement question de créer une revue, projet trop
ambitieux.
La revue se fit pourtant parce que quelques copains travaillaient
dans l’imprimerie et aussi, il faut le dire, par goût
d’une publication bien faite, modeste, mais surtout pas misérabiliste.
La revue sera « trimestrielle », du moins administrativement.
Dès le départ, le choix fut fait de ne pas lancer
de souscription, mais de ne compter que sur l’engagement financier
des initiateurs jusqu’à l’autofinancement par
les abonnés. Février 1965 : rencontre au Castellet
et élaboration du premier numéro de la revue qui,
ainsi lancée, disposait de six correspondants locaux dispersés
en France, en Belgique et en Suisse. L’idée prenait
corps. Anarchisme et Non-Violence compta trente-trois numéros
sur une durée de presque dix ans. Un numéro faisait
le plus souvent 36 à 48 pages ; quelques-uns ont été
plus copieux. Abonnements en progression régulière
de 25 (en avril 1965) à 394 (en mars 1972). Tirage en progression
régulière de 500 (avril 1965) à 1600 (février
1969), avec un tirage à 3000 (octobre 1969, n°18-19,
48 pages, en coédition avec le Centre international de recherches
sur l’anarchisme de Lausanne). Anarchisme et Non-Violence
adhère, à partir du n° 11-12, en tant que publication
associée, à l’Internationale des résistants
à la guerre, dont le siège est à Londres, et,
à partir du n° 26, en tant que membre collectif, au CIRA.
En parallèle, plus d’une cinquantaine de bulletins
intérieurs, bulletins d’information, circulaires furent
diffusés, doublés à partir de décembre
1967 par des bulletins de travail qui rendaient compte des discussions
théoriques entre les membres du groupe ainsi que des travaux
en cours. Des rencontres (environ deux douzaines) et des campings
(une demi-douzaine) se tinrent deux ou trois fois par an.
Un groupe de partage
Parallèlement à la trésorerie de la revue
fonctionnait la Solido : caisse de solidarité permanente
à base de contributions volontaires et régulières
qui finançait les différents engagements, les actions,
etc. Fait notable, cette caisse fonctionna longtemps avec un budget
non négligeable pour l’époque. Engageant la
responsabilité de chacun des participants, elle évita
de recourir aux souscriptions habituelles lassantes pour les lecteurs.
Une péréquation des dépenses (prix des voyages,
repas, etc.) sera toujours recherchée, non pas sur une base
égalitaire (les copains étant inégalement nantis
et certains sans argent), mais selon un principe d’équité,
selon les possibilités réelles.
Un groupe où on s’écoutait
Très rapidement, une conscience forte des problèmes
de leader s’est révélée. L’accent
est mis sur les difficultés que pouvaient éprouver
certains à s’exprimer soit oralement soit par écrit,
et sur les moyens d’y remédier.
Avec le temps, grâce à des références
identiques, un langage commun put s’installer lors des campings
et des rencontres de travail et d’amitié, et aussi
par le moyen des bulletins intérieurs, plus spontanés
que la revue. Cette écoute, fruit de la volonté collective
de recherche d’une méthode de travail efficace, fonctionna
pendant la quasi-totalité de la vie du groupe. Banale en
soi, mais rare dans la mouvance libertaire, elle permettait à
chacun de s’exprimer, minimiser le rôle des leaders
et, dans la pratique, éviter les conciliabules, les interruptions,
la monopolisation de la parole ; bref, apportait à nos séances
de travail une originalité satisfaisante sans pour autant
brimer la spontanéité, chose quoi qu’on dise
relativement rare dans les groupes.
Les protagonistes
Hem Day, le plus âgé, avait déjà un
passé anarchiste de militant de la non-violence. Il publiait
à Bruxelles, depuis de nombreuses années, des textes
sur Gandhi, B. de Ligt, Vinoba, etc. La génération
au-dessous était issue essentiellement des Jeunes Libertaires.
Certains avaient été insoumis puis objecteurs de conscience.
Ensuite, d’environ dix ans moins âgée, une génération
d’objecteurs qui découvrait, en même temps, et
la non-violence et l’anarchisme.
Quelques personnes avec un parcours individuel particulier gravitaient
autour de la publication. L’ensemble comptait une trentaine
de personnes.
Les remises en cause
Certaines sont venues de l’extérieur de notre groupe.
La qualification « non violente » fera que, en général,
les anarchistes ne nous accepteront pas réellement, nous
jugeant manichéistes ; certains nous accuseront d’infiltrer
une pensée religieuse au sein du mouvement. De l’intérieur
du groupe, les remises en cause furent multiples, et il est difficile
de dire les plus importantes si l’on pense à nombre
de facteurs irrationnels, affectifs et caractériels. Mais,
Anarchie oblige ! personne ne tenta de monopoliser le pouvoir qui
fut partagé jusqu’à la fin. À cause d’une
volonté d’ouverture affirmée, associée
au souci d’intégrer les apports extérieurs,
les divergences se feront jour jusqu’à la crise finale.
Les méthodes de travail, la difficulté à produire
des textes, un discours, à théoriser, de même
que les différents engagements pratiques non complètement
partagés par tous seront à la longue des facteurs
de désunion.
À noter la création d’un « groupe Femmes
» après 1968 et la participation de plusieurs d’entre
nous à des expériences communautaires plus ou moins
éphémères. Le groupe, sans doute, n’a
pas eu le temps de faire siens certains apports trop précipités,
il n’a pu « digérer » un trop-plein. Ne
sachant comment se sortir d’un écheveau très
emmêlé, on a taillé à grands coups de
ciseaux. Le titre constituait pour certains comme un blocage intellectuel.
Une remise en cause partielle ou totale de la non-violence et de
l’anarchisme se fit au profit d’une analyse plus globale
de la société sans aucun à priori éthique,
mais sur des bases plus situationnistes ou marxistes de conseil.
Dans le processus de désintégration, faut-il dire
l’échec de tel ou tel à faire passer ses options
et à les mener à terme, échec projeté
sur le groupe ? Personne ne proposa, ne voulut ou ne put tenter
une mutation.
La lassitude était grande…
André Bernard
Ont participé à différents niveaux à
la revue et au groupe ANV :
Patrice Antona, Anita et André Bernard, Jean-Pierre Bertrand,
Daniel Besançon, Pepe Beunza, Claude Borgne, Claude et Michel
Bouquet, Christian Carré, Joël Chapelle, Jean Coulardeau,
Michel David, Hem Day, Germaine et Alain Depoorter, François
Destryker, Bruno Dulac, Denis Durand, Jean-Michel Fayard, Armel
Gaignard, Lucien Grelaud, Christian Heck, Gaston Jambois, Janin,
Marie Laffranque, Jean Lagrave, Rose-Marie Lagrave, Jean-Pierre
Laly, Claude Le Scribe, Jean-Pierre Machy, Marie Martin, Dominique
Marty, Christian Mériot, Marie-Christine Mikhaïlov,
Maurice Montet, Jacques Moreau, Dominique Morel, René Nazon,
Bernard Péran, Philippe Poggi, André Portal, Paul
Sempé, Pierre Sommermeyer, Michel, Tepernowski, TG, Jacky
Turquin, Dominique Valton, Bernard Vandewiele, Michèle et
Marcel Viaud, collectif, etc.
Texte original : http://www.plusloin.org/refractions/refractions5/anv-bernard.htm
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