Retrouver les origines de la Journée internationale des femmes
nest pas chose facile et plusieurs féministes sy
sont attelées.
Des faits incontestés
1910 : À Copenhague, Clara Zetkin propose aux participantes de
la Deuxième conférence internationale des femmes socialistes
que (
) " les femmes socialistes de tous les pays organisent
tous les ans une "journée des femmes" qui servira en
premier lieu la lutte pour le droit de vote des femmes ".
1911 : Des manifestations impressionnantes ont lieu dans un grand nombre
de pays dEurope et aux États-Unis. Dans la seule ville
de Berlin, 45 meetings rassemblent plus de 40 000 participants et plus
de 30 000 femmes défilèrent dans les rues de Vienne en
Autriche.
1913 : Des rassemblements clandestins sont organisés en Russie,
notamment à Saint-Pétersbourg.
1914 : Mary Richardson lacère de coups de couteau la statue de
la Vénus de Vélasquez et déclare vouloir "
détruire le portrait de Vénus, la plus belle femme de
l'histoire mythologique, pour protester contre le gouvernement qui détruit
Miss Pankhurst, le plus beau caractère de l'histoire moderne
".
1915 : Alexandra Kollontaï organise à Christiana, près
dOslo, une manifestation des femmes contre la guerre et Clara
Zetkin une conférence internationale des femmes, prélude
à la conférence de Zimmerwald.
Le 8 mars 1917 (dans le calendrier géorgien, le 23 février),
des femmes manifestent en Russie. " Sans tenir compte de nos instructions,
les ouvrières de plusieurs tisseries se sont mises en grève
et ont envoyé des délégations aux métallurgistes
pour leur demander de les soutenir
Il nest pas venu à
lidée dun seul travailleur que ce pourrait être
le premier jour de la Révolution " (Trotsky, Histoire de
la Révolution russe).
Si Trotsky ou dautres témoins insistent sur le caractère
spontané et indiscipliné de cette initiative, dautres
sen attribueront la paternité et lorganisation:
" Le 23 février, à lappel du comité
bolchevik de Petrograd, les ouvrières descendirent dans la rue
pour manifester contre la famine, la guerre, le tsarisme " (Histoire
du parti bolchevik, cité par V. Michaut, Cahiers du Communisme,
1950).
Les articles qui seront consacrés à partir de 1920 à
la Journée internationale des femmes ne feront pas souvent référence
à cette grève des femmes en Russie mais donneront des
versions variables à lorigine de cette journée et
à sa signification, selon les besoins du moment et de lorganisation
qui en parle.
En 1925, on se contente dappeler les femmes à lutter contre
le colonialisme et en 1932/1933 à se révolter contre le
fascisme ; ou encore on les convie à envier le sort des femmes
soviétiques, libérées par la Révolution
dOctobre (!).
Après la guerre, à partir de 1946, cest de plus
en plus aux mères que lon sadresse.
Le 8 mars 1949, on lit dans l'Humanité cet appel " aux Mères
de famille, travailleuses, défendre la paix, cest réclamer
que tout soit mis en uvre pour lamélioration du sort
des familles et des travailleurs ".
1857: Le mythe des origines ?
Cest dans l'Humanité du 5 mars 1955 que la légende
du 8 mars 1857 fait son apparition: " La journée internationale
des femmes continue la tradition de lutte des ouvrières de l'habillement
de New York, qui, en 1857, le 8 mars, manifestèrent pour la suppression
des mauvaises conditions de travail, la journée de 10 heures,
la reconnaissance de l'égalité du travail des femmes.
Cette manifestation produisit une grande impression et fut recommencée
en 1909, toujours par les femmes de New York. En 1910 (
), C. Zetkin
proposa de faire définitivement du 8 mars, la journée
internationale des femmes ".
En 1957, le même journal célèbre le centenaire de
ce 8 mars: " Les ouvrières de l'habillement (
)
sen allèrent défiler dans les rues, comme des hommes,
portant pancartes et banderoles ".
Faut-il croire Antoinette (mensuel des femmes de la C.G.T.), qui écrit
dans son n°1 de mars 1964: " Ce sont les Américaines
qui ont commencé, c'était le 8 mars 1857 (
) pour
réclamer la journée de 10 heures, elles ont envahi les
rues de New York " ? Ce journal ajoute en mars 1968: il sagit
du 8 mars
1857 et les ouvrières en grève " réclamaient
déjà la réduction du temps de travail, laugmentation
des salaires et leur égalité pour un travail égal,
des crèches et le respect de leur dignité ".
La version des " Pétroleuses ", en mars 1975, qui fixe
aussi lorigine du 8 mars au 8 mars 1857, est-elle plus vraisemblable:
" Une des premières grèves de femmes, opposant les
ouvrières du textile à la police de New York, qui charge,
tire et tue " ?
Des recherches entreprises, tant dans les livres d'histoire du féminisme,
que dans ceux du mouvement ouvrier américain ou encore dans les
quotidiens de l'époque, rien ne prouve lexistence dune
grève de femmes ce jour-là, ni dune répression
policière
Un des arguments évoqués pour ne pas croire à une
grève est que le 8 mars 1857 tombait un dimanche; cet argument
nest pas forcément convaincant:
ne venons-nous pas de voir une manifestation denseignants français
un dimanche de janvier 1998 ?
Au XIXe siècle le droit de grève était tellement
réprimé quon peut tout à fait imaginer une
grève ou une manifestation ce jour-là.Ne sagirait-il
pas dun " souvenir obscur qui se serait transmis de façon
souterraine à travers des générations de militantes
socialistes " ?
Le 8 mars 1857 nest-il pas une reconstruction qui associe la date
de 1857, choisie comme un hommage à Clara Zetkin, née
cette année-là, et les ouvrières des tissages russes
en grève en mars 1917 ?
Depuis les années 70, le 8 mars reprendra une place symbolique
importante dans les luttes des femmes. Souvent, quand se crée
un journal féministe le premier numéro est daté
du 8 mars.
Quand une organisation veut montrer quelle se préoccupe
de la place des femmes dans la société, elle profite du
8 mars pour sortir un numéro spécial de ses publications
(ou y consacrer une page spéciale).
Le 8 mars 1982, à linitiative du tout nouveau ministère
des Droits des Femmes, va " se dérouler en France un nombre
considérable de cérémonies, toutes destinées
à glorifier, revaloriser (ou simplement rappeler) limportance
du rôle des femmes dans la société française
".
Dautres 8 mars verront les femmes manifester pour revendiquer
la possibilité de circuler la nuit tranquillement, par exemple
à Lyon, en 1997 la manifestation sintitule " Prenons
la nuit " ; en 1996, à Besançon les " Sorcières
sans frontière ", à Poitiers, des femmes et des hommes
du groupe Alexandre Berckman rebaptiseront les rues de la ville en les
féminisant: Louise Michel et Emma Goldman y seront en bonne
place!
Les manifestations se succèdent, en solidarité avec les
femmes qui luttent dans tous les pays, des " Mères de la
place de Mai " argentines aux femmes algériennes qui luttent
contre lintégrisme religieux et l'État qui tentent,
chacun à leur façon, de les opprimer.
Cette recherche sur l'histoire du 8 mars - ici bien succincte - montre
lopacité permanente de l'histoire des femmes: si
les femmes, leurs actions et leurs initiatives, étaient mieux
prises en compte et reconnues, n'éviterait-on pas ce doute?
Cela montre aussi que la lutte des femmes et la lutte des classes ne
concordent pas forcément: certaines établissent
une hiérarchie entre les deux et veulent croire que la révolution
économique contre le capitalisme balaiera des siècles
de patriarcat ; dautres essaient de soumettre la lutte des femmes
à lintérêt de leur organisation, les utilisant
quand il y a une opportunité, les rejetant vers les fourneaux
quand il ny a plus besoin delles
Faut-il ne sintéresser quaux luttes des ouvrières
et négliger les apports dautres femmes aux révoltes
contre toute forme daliénation et dexploitation ?
Faut-il envisager que la lutte des femmes soit autonome ou faut-il se
battre pour que femmes et hommes aient les mêmes droits dans les
organisations et dans la société ?
Aujourd'hui, il est de toute façon important de se réapproprier
une histoire de cette Journée internationale des femmes. En effet,
pour de nombreuses personnes, il y a confusion avec la fête des
mères (journée instituée par Pétain en 1941
pour repeupler la France).
On peut aussi noter une manipulation idéologique, parallèle
à celle du 1er Mai: ce dernier nest-il pas inscrit
sur nombre de calendriers comme la fête du travail alors quil
sagit de la journée de solidarité internationale
des travailleurs?
Finalement, malgré les doutes sur lorigine de cette journée,
limportant nest-il pas den profiter pour affirmer
notre droit à l'égalité et à la dignité,
pour affirmer nos revendications et manifester notre solidarité
avec toutes les femmes en lutte dans le monde ?
Pour un 8 mars, Journée internationale de lutte de toutes les
femmes!
Élisabeth Claude
Sources:
José Contreras, Anny Desreumaux, Christine Fauré, Liliane
Kandel, Françoise Picq.
Une commémoration peut en cacher une autre: à propos
de la Journée Internationale des Femmes. Histoire dElles,
n°0, 8 mars 1977.
Liliane Kandel, Françoise Picq. Le mythe des origines, à
propos de la Journée Internationale des femmes. La revue den
face, n°12, automne 1982.
Rose Prudence, Françoise Picq. La légende du 8 mars:
de lagit'prop. Libération, 8 mars 1982.