La lecture de ce texte conduit souvent à remarquer que le constat
est très pessimiste. C’est exact ! L’analyse
n’est pas optimiste, mais si on examine les possibles, la lucidité
peut permettre d’avancer. Car même dans ces circonstances
peu glorieuses on peut encore penser et agir. Cette démarche
est en elle-même un pari sur des issues positives.
Le désespoir peut donner l’énergie pour surmonter
ces épreuves. Ce qui laisse entrevoir les lueurs de l’espoir
c’est qu’il n’en a pas toujours été
ainsi et qu’en conséquence, il est possible de modifier
le cours des choses. Évidemment c’est une croyance dans
les capacités des humains à prendre en main leur destinée.
Il est assez courant que les défenseurs du système nous
disent que nous posons toujours les mêmes questions, parce que
nous employons encore des mots comme “ lutte de classe ”,
ou exploitation, oppression, féminisme, capitalisme, etc. Il
arrive qu’ils nous affublent du qualificatif péjoratif
de psycho-rigides parce que nous serions incapables d’évoluer.
Pourtant, ces concepts sont toujours valables et il est légitime
de les employer parce que la lutte contre la domination continue. Cette
lutte ne peut pas se mener exactement de la même façon
que par le passé puisque le système évolue, mais
s’opposer à la domination c’est toujours affirmer
ouvertement un “ non ! ” qui va déplaire
à certaines personnes et à l’institution étatique.
Dans la période actuelle, comme dans le passé, beaucoup
de personnes réagissent à l’oppression par la maladie,
la dépression, voire la fuite, d’autres expérimentent
de temps en temps de nouvelles voies et tâtonnent. Pour que l’opposition
à la domination s’affirme et se construise, elle a besoin
de rencontrer la pensée politique. Les subjectivités ne
peuvent pas aller plus loin que ce qu’elles ont à leur
disposition pour penser la situation. Il est donc nécessaire
de bâtir une cohérence critique sur le plan politique.
Pour y arriver, commencer par faire le bilan me paraît indispensable.
Pour que les théories critiques atteignent le public, il faut
que les questions politiques soient publiques.
Tout le monde peut se sentir concerné-e par ces problèmes
et nous avons besoin de toutes les personnes qui souhaitent construire
un monde humain et non survivre dans une barbarie absurde. Les solutions
expérimentales que nous testons, ou dont nous avons connaissance,
nous amènent à dire que nous avons, entre autres, besoin
de personnes qui organisent, qui vont de l’avant, qui sont comme
des locomotives. Nous avons également besoin de personnes ressources.
Pour que ces personnes ne deviennent pas des chefs ou pour éviter
que les groupes ne les transforment en chefferie, le seul garde-fou
qui existe c’est le sens critique personnel et collectif. Pour
cela il faut porter une certaine attention à l’écoute
des maux des humains, il est nécessaire de développer
la sensibilité à la souffrance humaine. Ce n’est
pas seulement une affaire rationnelle.
Je refuse de transformer cette démarche en une mystique, c’est
simplement savoir et rappeler en permanence que nous n’avons aucune
garantie contre les dérives, y compris pour nous-mêmes.
Se défier des mythes ce n’est pas les nier, c’est
savoir que nous en avons besoin. Les déconstruire permet de les
tenir à distance pour ne pas devenir otages de ces mythes.
Tout cela conduit à reconnaître le besoin de références,
d’autorité fondée sur la compétence parce
que nous baignons continuellement dans les affects, les émotions.
Tenter de construire des institutions non oppressives c’est problématique
et jamais acquis, mais c’est possible, même si cela est
mouvant et éphémère. Cette question n’est
pas nouvelle, déjà Erich Mühsam (i) l’abordait
en Novembre 1932 dans son texte “ La société
libérée de l’Etat ” : “ Seuls
les anarchistes peuvent fonder l’anarchie, ceux d’aujourd’hui
doivent, quel que soit leur nombre, mettre de jour en jour et d’heure
en heure ces principes en valeur, si l’on veut que la communauté
du peuple s’appelle un jour anarchie et les hommes des anarchistes.
Ainsi il faut veiller dans les relations entre anarchistes et les accords
conclus entre eux en vue de la préparation des nouvelles conditions
de vie, à une stricte équité dans le comportement
réciproque. Jamais un individu ne doit se laisser entraîner
par ses dons privilégiés d’orateur, d’éducateur,
d’organisateur ou d’animateur à vouloir prendre toutes
les initiatives, jamais une majorité ne doit se permettre de
réduire les droits de la minorité. ” (1)
Pour terminer nous rappellerons la phrase de Orwell dans “ La
Ferme des animaux ”, Sage l’ancien dit de façon
prémonitoire à ses amis : “ Que votre
combat ne vous transforme pas en l’image de vos ennemis ! ” (2)
Modifié pour la dernière fois le 31 Décembre 2000
Notes de bas de page :
1 / Erich Mühsam, « La société libérée
de l’Etat », dans le livre La République des Conseils
de Bavière, page 167, Éditions La Digitale et Spartacus,
1999.
Contacts : Éditions La Digitale, Baye, 29300 Quimperlé
;
Éditions Spartacus, 8, Impasse Crozatier, 75012 Paris.
2 / Georges Orwell, La ferme des animaux, éditions Folio, Gallimard,
Paris, Mars 2000, page 16.
Notes de fin :
I / Erich Mühsam est mort assassiné par les nazis le 9 Juillet
1934. Il avait été arrêté le 13 Avril 1934
le jour de l’incendie du Reichstag. Il a été torturé
longuement, les nazis lui ont, entre autres, cassé les doigts afin
qu’il ne puisse plus écrire pour protester. Il avait participé
activement à la République des Conseils de Bavière
en 1919. Il était resté en prison de 1919 à 1924.
Son livre est écrit en mémoire de Gustave Landauer autre
grande figure libertaire.
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