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IV / La politique qui prend la vie : la biopolitique



La notion de “ biopolitique ” essaie de définir comment la domination contrôle les populations, les corps et les esprits, comment la politique et la vie humaine sont liées (selon le terme grec “ bios ” qui veut dire “ vie ”, racine que nous retrouvons dans le terme biologie par exemple). Le concept de biopolitique nous vient de Michel Foucault. Il était employé par cet auteur pour décrire la gestion des populations et le contrôle des corps par le pouvoir ainsi qualifiable de “ bio-pouvoir ”, au sens des opérations qui portent sur la vie collective et individuelle. La notion de technologies de pouvoir est associée au terme “ bio-politique ”. Je reprends ce terme à titre d’hypothèse en essayant de comprendre sa validité dans le contexte postmoderne. Son sens sera peut-être différent et un peu plus large que celui de Michel Foucault, le débat reste ouvert.

La notion de “ biopolitique ” a été utilisée à plusieurs reprises pour commenter les nouvelles luttes et les nouvelles modalités de l’engagement : coordination des infirmières, lutte autour du Sida, luttes des précaires et chômeuses-eurs, lutte des sans-papiers et sans-papières, etc. Ce terme apparaît parce que ces luttes ont à faire avec la vie elle-même : santé, moyens financiers pour vivre quand les humains n’ont pas de travail, de papiers pour exister, etc. Elles questionnent la société entière dans son rapport à la vie humaine. Cette approche est développée, notamment, par Maurizio Lazzarato dans l’article “ Lutte de “ minorités ” et politique du désir ” dans la revue Chimères du printemps 1998 (1).

L’hypothèse de la biopolitique me semble intéressante, parce qu’elle permet d’expliquer les articulations entre les différentes sphères concernées par les pouvoirs capitalistes et certaines de ses évolutions majeures. Plusieurs auteurs nous incitent à aller dans cette direction. Agamben (2), en particulier, pense que la biopolitique, la politique qui prend toute la vie, peut expliquer pourquoi le capitalisme marque à la fois la subjectivité humaine et l’objectivité des rapports de pouvoir. C’est à dire les individu-es et le rapport de force social. Pour lui il y a une articulation entre l’adhésion subjective au pouvoir du point de vue personnel et le caractère objectif du pouvoir du point de vue social, institutionnel et symbolique. Il reconnaît, lui aussi, que nous sommes dans l’ère de la reproduction et que l’on ne peut plus la distinguer de la production.

La vie dans son ensemble est prise par le capital. Après avoir assujetti les humains par le travail physique, il a capté le travail intellectuel puis le mental humain dans son ensemble. Les idées, les images, les affects, les opinions servent aujourd’hui à la valorisation du capital. La biopolitique, ou politique qui soumet la vie, explique ainsi pourquoi les opérations de pouvoirs sont liées entre elles, que ce soit :

* sur l’environnement : les manipulations génétiques, les OGM, la mise sous brevet du vivant, la mise en coupe réglée de la nature et les conséquences que l’on connaît ;

* sur les corps humains : les recherches sur le clonage, la carte du génome, la marchandisation des organes, l’utilisation du corps des femmes pour mettre en scène le désir dans la publicité, le forçage du corps sportif, la chirurgie esthétique pour les célébrité-es, la surveillance et la réadaptation des enfants (les appareils dentaires par exemple), etc. ;

* sur les esprits : la production des identités psychiques et sociales et la modulation de ces identités, etc.

Les machines (en particulier les ordinateurs et tous les appareils liés aux technologies de l’information), le savoir, le symbolique, le sexuel, l’argent, l’imaginaire, les gens eux-mêmes sont pris dans les technologies des pouvoirs du capitalisme. Ainsi nous comprenons pourquoi la capacité à communiquer, la facilité relationnelle, la souplesse mentale, la capacité à travailler en équipe, la capacité à être flexible, etc. sont tant recherchées dans l’employabilité capitaliste. L’implication de la subjectivité humaine est devenue une nécessité du capitalisme et de sa reproduction. On se doit d’être flexible dans tous les domaines : la santé, l’éducation, les loisirs, la culture, les transports, la circulation automobile, la consommation, etc.

La servitude volontaire, la servitude “ sans contrainte ”.
Cet aspect de la domination postmoderne, où la subjectivité humaine est fortement mobilisée, permet de revenir sur la notion de servitude volontaire, développée par La Boétie, puisque l’assujettissement aux identités produites par le système est la règle majoritaire et normale. La soumission à la domination, comme servitude volontaire, trouve naturellement des éléments de rationalisation dans le fonctionnement du système lui-même par l’appartenance identitaire au monde de la marchandise où le tout Un et la multiplicité fonctionnent en complémentarité :
- Les images identificatrices (la publicité et la télévision, par exemple) avec les valorisations multiples de l’individu-e postmoderne et son économie politique du signe, où les valeurs du consuméristes et spectaculaires sont fondamentales,
- Les thérapies psychologiques de développement personnel qui incitent à l’intégration dans le système,
- Toutes les théories philosophiques, sociologiques et politiques qui légitiment le capitalisme et sa gestion, ce que le Monde Diplomatique et Serge Halimi appellent “ Les nouveaux chiens de garde ” en reprenant l’expression de Paul Nizan. D’ailleurs ce journal n’échappe pas à la règle puisqu’il prône un recours à l’Etat dans une pure ligne républicaine inspirée de Bourdieu.

Le second versant de cette servitude volontaire est observable dans la place que le système donne à chaque personne dans la soumission des autres par la diffusion massive des micro-fascismes dans notre société. Les humains trouvent toujours une ou des personnes à inférioriser pour ainsi accepter de subir la domination tout en la perpétuant. La chaîne est presque sans fin, d’où la continuation de toutes sortes d’oppressions à l’intérieur des groupes les plus pauvres de la société. Le développement du harcèlement moral est typique de cette situation (3). La militance associative et l’engagement politique n’échappent pas toujours à cette tendance générale, malheureusement.

Peut-être devons proposer de nommer la servitude volontaire “ la servitude sans contrainte ” pour rendre compte du fait que la volonté n’est pas en cause. Il s’agit d’un phénomène inconscient et où la décision n’est ni rationnelle ni consciente. Je pense que Dominique Quessada propose une hypothèse intéressante. Selon cet auteur, les humains échangent de façon inconsciente leur désir de nom, leur désir de connaissance et de sens contre une place, un nom dans la communauté humaine, dans la généalogie de leur groupe et une signification. Ce faisant ils créent la place du maître et l’agrégation sociale qui lie les humains entre eux. Le langage est essentiel dans cette articulation, les mots sont ceux du maître. Quessada explique le caractère inconscient du phénomène parce que l’échange passe par d’autres voies que celles de la raison. Les emblèmes, les images, les drapeaux, les signes, les insignes, les décorations, les couleurs, les textes fondateurs s’adressent au regard, aux émotions, l’échange passe par des rituels. Le caractère énigmatique de la soumission sans contrainte s’explique parce que cette soumission se produit de façon sociale et ritualisée. La vigilance rationnelle est hors champ puisque les éléments de l’échange passent par le regard et les émotions et non par la volonté et la raison.

Ce genre de phénomène a déjà été mis en évidence par l’Essai sur le don de Marcel Mauss. Le don n’est pas lié à un calcul mais à un échange. Le lien est plus important que le bien. Il y a une intentionnalité dans ce choix, mais c’est un pari pour transformer l’autre en ami, pour qu’il ne devienne pas un ennemi. On ne sait pas à l’avance si le pari va réussir. D’autre part, il faut remarquer que depuis très longtemps les communautés humaines ont extériorisé le fondement de leurs lois, de leurs règles. La capacité de se donner sa loi a été transférée dans un champ extérieur à l’humanité et réservé à une petite partie de l’humanité et cette partie de l’humanité c’est celle des maîtres, les maîtres politiques, religieux et militaires. Le maître peut proposer du sens à la société parce que son pouvoir était fondé sur la transcendance, sur la divinité. La place de chacun et chacune était donné-e par un ensemble de significations liée à cette transcendance. Accepter sa place c’était accepter la hiérarchie. Aujourd’hui la transcendance n’a plus le même poids que par le passé, mais la structure du pouvoir s’est maintenue, la hiérarchie est toujours là et peu d’humains estiment qu’ils ont la capacité de se donner leur propre loi, ce qui serait la condition nécessaire pour remettre en cause le fait que cette capacité est réservée à ce qu’on appelle “ la classe politique ”, c’est à dire les politiciens.
L’explication proposée par Dominique Quessada (4) montre que l’intime de chaque personne est concerné par l’intégration en soi de la place du maître. On retrouve ici le même genre de phénomène que pour le genre masculin ou féminin.

Pour savoir si la structure mentale décrite par Quessada peut changer, il faudrait pouvoir étudier le psychisme humain dans une société où l’autonomie aurait remplacé l’hétéronomie (le fait que la capacité humaine à se donner sa loi soit extériorisée, l’autonomie étant basée sur le choix des humains pour se donner leurs lois de l’intérieur de la société humaine, sans recours d’une quelconque transcendance ou extériorité). Cette possibilité n’existe pas actuellement, la domination organisant notre monde. Dominique Quessada emploie le terme “ colle sociale ” pour parler de l’agrégation sociétale. Il se base sur la pensée de Pierre Legendre. Il a tendance à se lamenter sur la perte de l’autorité (la société sans pères) et en vient presque à demander un retour à une autorité forte telle qu’elle existait auparavant. Évidemment je ne peux le suivre sur ce terrain. Au contraire, il me semble que la voie qui permettra à l’humanité d’avancer, c’est d’accepter l’auto-référence, de mettre en oeuvre notre capacité à nous donner notre loi, nos règles, même si nous devons les réévaluer régulièrement. En conséquence je pense que Eduardo Colombo a raison de dire que : “ Se révolter contre l’influence de la société exige se révolter, du moins en partie, contre soi-même ; c’est en cela qu’il est le moment le plus difficile de la liberté. ” (5)

Décrire le capitalisme
Nous pouvons appréhender la description du capitalisme contemporain et de sa biopolitique de diverses façons. L’approche de Jacques Luzi parle de la “ dépossession de soi dans le sein oppressant du pouvoir capitaliste ”. Pour lui, cet aspect du réel capitaliste est le prototype même de la sauvagerie où : “ chacun participe à la dépossession de tous ” (6).
Ce que confirme un autre point de vue, celui de Denis Duclos, qui parle de la société “ autophage ” (7), qui se mange elle-même, comme étant la dernière version de la loi du profit.

Cette approche est également développée par Dominique Quessada dans un livre récent intitulé : “ La société de consommation de soi ” (8).
Dans ce système, selon l’expression de Paul Demare (9), la “ société du jetable ” est le pendant du productivisme. Tout le monde peut s’en rendre compte, il y a souvent plus d’emballage que de produit et les poubelles sont vite pleines. Comme le note Serge Tisseron : “ Le mépris des objets est le meilleur allié de la société de consommation ” (10).

Nous sommes alors autorisé-es à faire un rapprochement entre le dopage des sportifs et la vache folle, la résistance aux antibiotiques et les OGM, la viande à la dioxine, les poulets ou les bovins aux hormones, l’Epo pour les humains, la course à l’exploit et le profit obtenu par la spéculation financière. Cette thèse est développée dans le récent livre des éditions de L’encyclopédie des Nuisances “ Remarques sur l’agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces ” (11). Ce productivisme est conjoint de la fin de la place centrale de la valeur travail, de l’importance de la bulle financière. De la production alimentaire empoisonnée au capital financier, il y a bien une continuité et le développement d’une économie parasitaire, un danger pour l’humanité elle-même dans ce système.

La liaison entre la subjectivité et le système capitaliste
Nous pouvons observer un double phénomène dans cette domination / soumission :
- D’un côté l’autorité tend à s’effacer, à devenir moins visible, mais continue de fait, s’impose comme incontournable : le marché et son universalité, l’Etat et son expansion sociale, le patriarcat, etc.
- De l’autre le développement de la singularité individuelle est encouragé, en particulier sous la forme d’obligations de réussite.
Nous sommes face à une liaison entre la subjectivité et le capital. Ce rapport a été relevé par divers auteurs. Toni Negri analyse cela à deux niveaux : la sujétion et la subjectivation (12). Au niveau de la personne humaine, il y a deux domaines dans le sujet même, qui sont marqués par la domination capitaliste :

1 / la sujétion ou la capacité à être produit-e par le capitalisme, l’assujettissement par le système,

2 / la subjectivation qui est la capacité de produire du sujet pour le système, mais aussi la subjectivation comme capacité à se produire du sujet lui-même (en tant qu’auto-création) dans la situation du capitalisme.

Il note la montée en puissance du travail immatériel dans l’évolution capitaliste. Maintenant cet aspect du réel est une évidence, à mon avis.

Deleuze et Guattari, eux, développent des analyses sur la déterritorialisation et le lien humain - machine. Il n’est pas anodin que ces deux auteurs aient insisté avec autant de vigueur sur le rapport entre le capitalisme et la schizophrénie. Ce thème est souvent présent dans les constats sur notre situation. Pour eux, le capitalisme commence par un décodage systématique des territoires et des personnes pour ensuite opérer un recodage artificiel, mais compatible avec ses besoins. La notion de codage est une nomination des phénomènes culturels et symboliques, qui nous lient à l’ensemble social où nous vivons, qui nous attachent à une place géographiquement connue et reliée à certaines moeurs et coutumes. Il est facile de constater que la société mondialisée tend à bouleverser ce système de codage et à en opérer un nouveau, où tout se ressemble (au moins en milieu urbain). Les machines désirantes, que sont les humains, sont inscrites dans des dispositifs de pouvoir, qui permettent la reproduction du système à grande échelle. La loi de domination capitaliste fonctionne à la fois au niveau familial et au niveau du système, ceci explique la complémentarité entre l’économie libidinale dans la famille et l’économie capitaliste (13).

La notion de décodage est une séparation, une déliaison entre les humains et leur communauté, leur territoire d’origine. Cette opération porte atteinte aux récits, aux mythes qui organisaient et donnaient sens à ce lien entre individu-es, communautés et territoires. Aujourd’hui les néo-fascistes et les néo-racistes veulent absolument lier territoire et culture. Cette volonté prouve que la déterritorialisation existe, puisqu’il faut recoder et insister sur un lien qui n’est pas évident. Ce souhait montre que le recodage peut fonctionner de multiples façons, ici, il opère de façon réactionnaire par une tentative de naturalisation de la culture. Pour le capitalisme il fonctionne de façon spectaculaire et marchande, pour un certain nombre de néo-religions comme la scientologie ou le mandarom il s’agit d’un fonctionnement sectaire et religieux. Peut-être devons-nous réfléchir au codage libertaire, une voie à développer et à réinventer.

L’effet de pouvoir de la déterritorialisation est conjoint de la victoire de l’équivalent général (l’argent), où tout peut se déplacer, s’échanger.
Félix Guattari précise que “ l’individu est équipé au niveau du désir ”, il est compatible avec le capitalisme : “ Le capitalisme prétend s’emparer des charges de désir portées par l’espèce humaine, c’est par le biais de l’asservissement machinique qu’il s’installe au coeur des individus ” (14).

La notion d’asservissement machinique est à entendre au sens large, c’est à dire comme la description de dispositifs de pouvoir composés de plusieurs rouages qui sont à la fois physiques et mentaux, humains et matériels, sociaux et individuels. La notion de machine désirante, pour décrire les humains et leurs créations, est une notion conjointe de l’asservissement machinique. La notion de machine est employée ici dans un sens métaphorique pour évoquer la complexité des phénomènes en jeu. Les effets de pouvoir ne sont ni mécaniques, ni automatiques. D’autre part, la notion de machine désirante permet une liaison entre l’individuel et le social, entre l’inconscient personnel et l’inconscient, l’imaginaire d’un champ social historique, ce que n’accepte pas en général la psychanalyse.

Il existe, malgré tout, quelques auteurs, qui, en se situant du point de vue de la psychanalyse, admettent que l’étude du psychisme humain doit articuler le niveau individuel et le niveau collectif. Par exemple, Georges Devereux montre que si on essaie de dresser la liste des fantasmes étudiés par la psychanalyse, celle-ci correspond point par point à la liste des rites et des coutumes décrits par les ethnologues. Georges Devereux en arrive à la conclusion, que la psychanalyse et l’ethnologie donnent deux éclairages sur une même réalité : l’une développant la description du “dedans” de la personne, l’autre celle du “dehors” collectif et social. (15)

En partant d’une autre approche, celle de la psychanalyse lacanienne, Régnier Pirard estime que la psychanalyse doit réfléchir à la concordance entre ses références et le fonctionnement social : “ Le “ pousse à la femme ” de certains psychotiques (tous ?) est une notation clinique incontestable, mais je doute que cette “ féminisation ” relève de la structure, si ce n’est celle de l’imaginaire culturel occidental. Qu’en serait-il dès lors d’un “ pousse à l’homme ” souvent pointé - au grand dam des féministes - sous la modalité du “ penisneid ” ? Ne vaudrait-il pas mieux parler structuralement d’un “ pousse à l’Autre ” puisque de l’un et de l’autre on nous a appris qu’il n’y a pas de rapport ? La différence des sexes fait énigme, non parce qu’elle relève d’une partition naturelle, mais parce que celle-ci “ signifie ” une indépassable finitude. Penser - et panser - cette finitude en appelle à des représentations, des “ signifiants ” qui organisent politiquement l’impossible mais nécessaire co-existence. L’idéologie patriarcale n’a jamais cessé d’organiser les rapports sociaux en privilégiant l’imaginaire masculin. On peut se demander si la psychanalyse ne continue pas d’en participer. Et peut-être d’autant mieux que son langage théorique prend bien soin d’élever au statut d’êtres mythiques le “ Phallus ” ” et “ La femme ”, tout en leur conférant une opérativité dans la constitution de toute identité sexuée, et nous conjurant de ne pas les “ positiver ” dans des incarnations concrètes. Voudrait-on qu’avec une telle fantasmatique la psychanalyse conspire à la reproduction, non certes de l’espèce, mais de l’imaginaire collectif dans lequel notre société se mire, on ne s’y prendrait pas autrement. ” (16)

Un autre psychanalyste, Eduardo Colombo, parlant lui d’un point de vue libertaire cette fois, aboutit à la même conclusion : “ L’imaginaire collectif d’une société androcentrique organisée sur la logique inconsciente du primat du phallus fait que son érotisme garde les anciens privilèges (fueros) de la domination mâle et que la croyance des hommes et des femmes maintient l’illusion d’un sexe privilégié. Croyance que nous appelons illusion “ lorsque dans sa motivation, la réalisation du désir s’impose, et nous faisons là abstraction de son rapport à la réalité effective tout comme l’illusion elle-même renonce à être accréditée ” ” (17)

Eduardo Colombo avait déjà abordé ce problème en 1984. Il parle de la “ double articulation du symbolique ” : “ Nous appelons première articulation la relation qui s’établit entre la représentation, la chaîne signifiante et les objets du monde personnel d’un individu. Elle configure l’ordre symbolique et insère l’individu dans la signification. Dans la seconde articulation, il s’agit d’une opération du pouvoir qui, reliant la règle abstraite à la loi, organise un champ de force au niveau de la signification : cette articulation institue la domination. ” (18).
En prenant en compte ces différentes analyses nous pouvons comprendre que nous sommes face à des technologies de pouvoir biopolitique, des technologies mentales de la discipline.

Dans ce cadre, nous pouvons noter que le lien entre l’individu-e et l’institution est alors structurel. Agamben nous le rappelle, il prend l’exemple limite des camps de la mort pour nous inviter à prendre conscience de : “ l’étrange relation de contiguïté qui unit la démocratie au totalitarisme ”.
Pour lui les démocraties occidentales se sont enfermées dans un piège : “ En gagnant ... des libertés et des droits dans leurs conflits avec les pouvoirs centraux, les individus préparent à chaque fois simultanément une inscription tacite, mais toujours plus profonde dans l’ordre étatique, offrant ainsi une assise nouvelle et plus terrible au pouvoir dont ils voulaient s’affranchir ” (19).
La façon dont les institutions traitent les personnes sans-papiers, par exemple, démontre la dépendance des individu-es par rapport à l’Etat.

Le privé et le public
Les conséquences de la politique qui prend la vie, de la biopolitique sont visibles dans la transformation du rapport privé / public. Ce rapport qui structurait notre univers mental est bouleversé, le privé a envahi le public :

- authenticité subjective dans la vérité, saturation de désir sexuel dans la publicité et mise en scène télévisée de nos vies, etc. ;
et le public se mêle du privé :

- campagnes de préventions (tabac, vitesse, etc.), procréation assistée, psychologisation des rapports sociaux, etc. .

Ehrenberg estime, lui, que : “ la subjectivité est devenue une question collective ” (20).

Nous pouvons également aborder l’hypothèse de la biopolitique au travers du rapport entre territoire et pouvoir comme le fait Frédéric Gros (21). Le lien entre ces deux champs est intéressant puisque le système s’est construit à partir du contrôle du territoire. Il est possible, dans un premier temps, alors de penser le territoire à partir du pouvoir, du haut vers le bas en quelque sorte : l’État, le maillage institutionnel, le panoptique, le savoir sur l’humain, etc, puis ensuite de penser le pouvoir à partir du territoire, du bas vers le haut cette fois : la réalité de la spéculation liée à la bulle financière qui semble s’être abstraite de tout territoire puisqu’elle est en partie virtuelle (dans son fonctionnement pas dans ses effets), le contrôle des frontières physiques et mentales, la gestion des zones à risque, la gestion de la menace dans ce que Didier Bigo appelle les États de populations (22), etc.

Cette analyse fonctionne bien, si nous acceptons d’étendre le territoire aux territoires existentiels et mentaux des humains. D’ailleurs le développement d’Internet peut être vu ainsi : comme le développement d’un nouveau territoire, territoire virtuel et mental, hyper-moderne et ultra-technique, mais souvent très existentiel lui aussi.

Avec la notion de biopolitique, et les diverses façons dont elle peut se décliner (cf ci-dessus), je pense que nous pouvons avoir une assez bonne description de ce qui se passe dans nos pays, puisque dans ce cadre, le pouvoir ne peut pas être pensé strictement comme une chose, ou seulement comme une force, il doit être aussi vu comme une relation, il circule entre les êtres, individuellement et collectivement. Ce constat met en évidence la continuité, qui existe entre toutes les sphères de pouvoir, la chaîne de solidarité entre le haut et le bas et vice et versa, comme la chaîne de pouvoir entre les pays impérialistes et les pays dominés. A mon avis, c’est également une des raisons qui permet d’expliquer pourquoi il est si difficile d’identifier un ennemi dans cette situation.

Où est l’ennemi ?
La notion d’ennemi a un inconvénient : celui de se placer sur le même terrain que lui, elle nous installe dans une dépendance à son égard.
Son avantage c’était celui du sens : quand elle était utilisée dans une vision globale, elle inscrivait la lutte des groupes et des personnes dans une cohérence générale qui donnait une signification.

Notre difficulté de cerner l’ennemi est celle qui est liée au manque de repères pour comprendre ce monde et le transformer. Le capital financier semble insaisissable par exemple. Le fait d’avoir un ennemi identifié et localisé permettait de lui adresser sa colère voire son désir de destruction, nous savions sur qui taper.

Maintenant nous avons l’impression qu’il n’y a plus d’adresse (avec nom et lieu précis) pour la colère de la lutte de classe, que l’agressivité ne peut pas trouver d’interlocuteur ni de localisation centrale pour s’exprimer, cette sensation est un facteur de désarroi et d’impuissance. Marcuse avait déjà noté cette difficulté : “ Plus l’administration de la société répressive devient rationnelle, productive, technique et totale, plus les individus ont du mal à imaginer les moyens qui leur permettraient de briser leur servitude et d’obtenir leur liberté. ” (23)

Bien sûr, nous pouvons estimer que c’est à nous de trouver de nouvelles modalités de luttes, de trouver de nouvelles voies politiques pour les combats anticapitalistes, si nous ne voulons plus dépendre de l’ennemi, si nous souhaitons sortir de l’attitude réactive “ anti ” ceci ou cela. Mais tant que ces voies ou modalités n’existent pas ou sont trop faibles, la sensation d’incompréhension et d’impuissance reste massive.

Nous pouvons donc conclure que la vie entière est prise dans les filets du système capitaliste. La domination a changé de méthode, la gestion, l’administration s’est perfectionnée et complexifiée. Les experts, la science (ou son invocation) dirigent nos vies ou prétendent le faire en nous disant comment vivre. Le droit règle les conflits et fait espérer dans la justice. La subjectivité humaine est mobilisée pour le fonctionnement du système, l’individu-e, qui se vit comme une unité autonome, est un mythe nécessaire. Il ou elle est effectivement équipé-e au niveau du désir pour être compatible avec le capitalisme.

Le pouvoir s’exerce sur l’espace que constitue le territoire existentiel de chaque personne, ce que je nomme la domination mentale, qui peut être aussi vue comme la nécessité d’une illusion : l’idéologie, illusion pour camoufler le système du point de vue des dominants et illusion pour aider à supporter la domination du point de vue des dominé-es.

Tout ceci est invisible ou presque mais tout en étant, de façon paradoxale, dans le registre de l’évidence, c’est tellement évident que l’on ne le voit plus, nous sommes dans la continuité de la transparence du panoptique dénoncé par Michel Foucault dans “ Surveiller et punir ”. Nous connaissons les résultats pour nous les humains : la vie modifiée, la biopolitique en action, la politique dans la vie, la discipline en grande partie inconsciente intériorisée au profond de nous-mêmes, la vie dans le capitalisme où la marchandise et le spectacle sont partout, le lien entre le pouvoir et l’argent très clair au niveau central.

Pour toutes ces raisons nous ne devons pas nous étonner d’être individualisé-es, étatisé-es, surveillé-es, formaté-es, profilé-es, flatté-es, sollicité-es au niveau du désir, remplis-ies d’images et d’intérêt, modélisé-es, construits-tes, démocratisé-es, consulté-es, sondé-es, canalisé-es, fiché-es, ....
Il ne me semble pas aberrant de reconnaître que ce contrôle biopolitique, ce contrôle sur la vie, cette intégration de la discipline, est ce qui donne une grande puissance à la domination capitaliste en plus des méthodes anciennes de domination. Ceci tend à rendre vains tous nos efforts ou réduit à néant toutes nos tentatives de changement social et politique. Par contre-coup ce phénomène explique le poids si important de l’existentiel dans nos vies militantes ou non.

La fin du mythe du progrès exacerbe cette dimension existentielle et pose ouvertement la question du pourquoi de cette vie, compte tenu de l’absurdité ambiante. Il n’y a plus rien qui donne sens au sacrifice, l’avenir ne peut pas être porteur de promesses. Nous sommes pris-es dans la biopolitique du capitalisme. Pourtant, l’humain sort du système de toutes parts et fuit sans arrêt. De multiples façons, les humains inventent, construisent des solidarités. La chaleur humaine ne peut se contenter du vide et du faux, les humains cherchent toujours à réenchanter le monde. Le système prend toute la vie dans sa toile, mais la vie déborde du cadre et tente de lui échapper toujours et encore. La difficulté est liée au fait que sans cesse la vie humaine est réintégrée au système, rabattue sur les autorités existantes, recouverte par les idéologies du système.

La métaphore de l’atome
Cette situation explique pourquoi la métaphore de l’atome a tant de succès : les humains seraient comme des électrons qui bricolent des liens, des idées, mais dont toute la vie est prise et insérée dans les mailles du système.
L’inconvénient de cette métaphore est qu’elle pourrait laisser croire que le lien entre l’électron, l’atome et le noyau central - le capital - est direct et unique. Il ne faut pas oublier toutes les médiations qui relient les personnes au capital et aux diverses autorités. De plus, l’atome individuel n’est pas une monade, il est en lui-même un être multiple que ce soit de part le sexe, l’âge, la classe sociale, la situation matrimoniale, le parcours personnel, les choix divers et variés, les affinités électives, etc.

La complexité et la multivalence
Nous savions déjà qu’il fallait déconnecter la vérité et le bien de la beauté et de la bonté. En effet une chose peut être vraie sans être bonne ni belle, et d’autre part une chose peut être bonne sans être belle, ni vraie d’un point de vue logique, ni moralement juste. De plus, des conséquences désastreuses peuvent suivre les bonnes intentions. Une chose peut se transformer en son contraire, comme le dit la dialectique. Mais la difficulté vient de ce que cela nous échappe régulièrement, entre autres parce que les facteurs en jeu sont tellement nombreux et si compliqués qu’il est impossible à la fois de les connaître tous et de les maîtriser. Si, de plus, nous admettons que beaucoup d’éléments restent inconscients, nous ne pouvons que rester prudents.

L’écart entre les mots et les choses, entre les représentations et la réalité, entre le signifié et le signifiant ne peut se combler. L’absence d’écart entre le signifié et le signifiant est celui de la toute puissance, figure incarnée pendant longtemps par Dieu, qui dit “ Que la lumière soit ! ” et la lumière fut.

En conséquence, nous devons admettre aujourd’hui, que nous sommes obligé-es de vivre et de penser avec la complexité, le multiple et la multivalence. Il est habituel de voir les êtres comme univoques ou doté-es d’une seule qualité, d’une seule étiquette. Cette manière de voir est dangereuse, elle provoque de nombreuses erreurs. Certaines notions sont conjointes à la complexité : diversité, incertitude, paradoxe, ambiguïté, mobilité, instabilité, variabilité, chaos et auto-organisation, flux, feed-back, réseaux, systèmes, connectivité, régulation, etc... Ces termes ne nous sont pas familiers, nous devons faire un effort pour voir de quoi il s’agit. Je pense qu’il faut nous habituer à la plurivalence, à la multiplicité, même si ceci nous est difficile, rend l’analyse délicate et la prévision quasi-impossible.

Avec le capitalisme contemporain nous sommes dans une totalisation de fait. La détotalisation théorique est difficile et souvent impossible. Toute tentative de perspective globale est dévalorisée par l’idéologie postmoderne. Ce que Bernard Noël nomme “ La castration mentale ” (24) est un résultat de tout ce fonctionnement complexe et en constante évolution. Au fur et à mesure que le monde est construit par cet ensemble (nommé ici biopolitique postmoderne), il se dérobe à nous sur le plan de la signification. Notre rationalité est absorbée par notre survie mentale, elle est orientée vers la rationalisation a posteriori de nos territoires existentiels.

Rationalité et rationalisation
A ce sujet je pense qu’il faut peut-être essayer de faire une distinction entre rationalité et rationalisation. De façon simple il est admis que la raison est une faculté développée par les humains, la rationalité et la rationalisation sont des processus qui utilisent cette faculté. Le problème réside dans le fait que la raison n’existe pas hors de l’humanité et de sa mise en oeuvre. La raison inclut à la fois le discours cohérent et la logique (ratio pour les romains et logos pour les grecs, à la fois calcul, logique et discours). C’est une énonciation sensée, compréhensible et transmissible aux autres humains. La rationalité permet d’expliquer et de justifier ce que l’on nomme vérité ou ce que l’on croit être cette vérité. D’une certaine façon, nous pouvons dire que nous essayons de faire rendre raison au réel et à posteriori il faut être capable d’en rendre raison, de refaire le raisonnement argumenté, d’en rendre compte rationnellement, sinon l’espace commun de discussion ne peut exister. Cette démarche est toujours à recommencer, la connaissance humaine est relative et sera toujours relative. La rationalité est une tentative de comprendre le monde avec la raison, une recherche d’intelligibilité avec une certaine rigueur démonstrative.

La raison ne peut pas être vue comme une entité extérieure au processus de rationalité qui se constitue en la constituant. La raison est une réalité historique, un produit de l’activité humaine. Cette réalité historique inclut la raison pratique dans toutes ses dimensions et ce qui est nommé parfois : les savoirs populaires. Cet aspect de la raison est souvent ignoré par la tradition savante et rejeté par l’université. A chaque époque la rationalité a été différente. Aujourd’hui nous savons qu’il existe dans la personne humaine des sentiments, des désirs, que nous sommes “ agi-es ” par de multiples déterminations qui nous échappent. Il existe de l’inconscient, de l’imaginaire au niveau individuel et au niveau collectif. L’irrationnel, la fiction sont maintenant des données humaines banales et admises sur le plan intellectuel, cela n’a pas toujours été le cas et ne l’est pas toujours pour l’ensemble de la population. L’horreur nazie a montré que la rationalité n’était pas en soi une garantie. Le nazisme a utilisé la rationalité technique (ou raison instrumentale) à des fins non rationnelles. D’ailleurs notre civilisation a buté sur ce point, elle, qui se réclamait de la rationalité et qui n’a pas pu empêcher cela, ce que Annah Arendt nomme “ La crise de la culture ” (25). Le stalinisme utilisait lui aussi la rationalité et justifiait son irrationalité, sa barbarie par la raison. La même question se pose pour Hiroshima.

Ce qui apparaît comme raisonnable ne l’a pas toujours été et peut être questionné. Le fait majoritaire peut camoufler d’autres façons d’aborder les questions. Quand l’étonnement ne fonctionne plus ou rarement, la domination peut prendre le visage de la normalité, pourtant, la raison n’a pas peur de la question “ pourquoi ? ”, c’est même son point de départ ou ce devrait l’être. Peut-être est-ce à nous de faire en sorte que cela le redevienne.

La rationalisation dans le sens commun c’est celle qui s’occupe de moderniser l’économie, l’administration. Elle est liée à une gestion technique qui cherche à améliorer ses performances. Cet usage est nommé par l’Ecole de Francfort : la raison instrumentale (i). Dans notre société nous sommes régulièrement confronté-es à cette raison instrumentale, c’est l’usage majoritaire de la raison, qui peut devenir déraison : “ Il faut dire que la logique instrumentale a profondément modifié la nature même de notre connaissance. Nous sommes passés progressivement du savoir technique à la technicisation de tout savoir. La technique est devenue l’agent d’une transformation sociale et civilisationnelle sans précédent en même temps qu’elle assurait l’évanescence d’un sujet susceptible de penser cette transformation. La raison est de plus en plus réduite à sa seule dimension instrumentale. ”

Les concepts de la raison instrumentale “ n’ont pas à se tenir du côté du bien ou du mal, pas plus qu’ils n’ont à être vrais ou faux ; ils sont ou non opératoires. Ils ne possèdent d’autre existence et d’autre légitimité qu’à travers l’action dans laquelle ils se trouvent engagés. ” ... “ .... La logique instrumentale est devenue non seulement le moyen mais aussi la raison de la domination. ”
“ Ainsi science (Hiroshima) et industrie (Auschwitz) se partagent désormais les procédures de l’anéantissement moderne. La logique instrumentale garantit un équilibre qu’elle menace à tout moment de rompre ; la raison instaure la possibilité d’une déraison toujours plus grande.” (26)

La notion de rationalisation peut avoir un autre sens. Il existe un autre type de rationalisation : celle qui cherche à légitimer les actions humaines (individuelles ou collectives). Sur le plan psychologique, la rationalisation peut très bien advenir après un comportement pour le justifier. Je pense qu’il ne faut pas confondre les raisons du comportement (souvent inconscientes sur le moment et liées à la sensibilité, aux affects, aux émotions, aux désirs) avec la rationalisation qui opère dans un second temps. La rationalisation des actes humains existe aussi sur le plan collectif. Les groupes humains (familiaux, syndicaux, politiques, sportifs ou autres) utilisent la raison pour justifier leurs actes ou se justifier. Cette rationalisation doit être déconstruite si on veut comprendre l’histoire du groupe, son fonctionnement, les tensions internes, etc...

Sur le plan social, souvent, ces deux termes (rationalisation et rationalité) semblent équivalents, si bien que l’on parle régulièrement de rationalisation au niveau des moyens mis en oeuvre avec l’informatique, par exemple. D’une part cette rationalisation peut très bien être bureaucratique et autoritaire dans ses méthodes, d’autre part, la question des fins reste problématique puisque souvent la recherche du profit est à l’origine de ce genre d’utilisation de la raison. Dans notre société la gestion technique, en s’appuyant sur la raison instrumentale, a tendance à tout rationaliser, y compris les affects, la violence et la mort, la version bouchère de l’humain (27). En ce sens notre société est une société du calcul et cela influe sur les humains. Ceci pourrait nous inciter à penser que si tout est rationalisable, tout serait rationnel au sens où tout obéirait à la raison. Il est exact que la raison peut tout étudier, elle essaie de comprendre. Aller au delà c’est poser la raison comme un absolu ou identifier réel et rationnel. La rationalisation ne doit pas faire oublier que cette méthode ne rend pas la réalité rationnelle pour autant. Nous devons faire avec nos émotions, l’intuition, l’imagination, nos passions, la violence et la mort. Quoi que nous fassions, ces phénomènes restent irrationnels, même si la raison peut essayer d’en rendre compte.

En conséquence, parce que l’irrationnel, les croyances, la déraison, la raison instrumentale, la rationalité, la rationalisation s’entremêlent sans arrêt, parce que je crois en l’humain et en ses potentiels (notamment la raison), mais aussi parce que je sais que les dérives sont toujours possibles (en sachant que personne n’échappe au phénomène), j’assume le fait de dire que nous sommes toutes et tous des croyant-es. En conclusion, j’estime, comme beaucoup d’autres, que nous devons régulièrement examiner, juger avec la raison critique nos oeuvres pratiques et théoriques, parce que nous n’avons jamais de garanties. Le “ tenir pour vrai ” est chargé d’affect, de valeur ou d’existentiel, n’oublions pas les acquis de Freud et de Nietzsche.

L’influence mentale du système sur la subjectivité humaine et l’autorité qui s’efface expliquent pourquoi le contexte postmoderne ne semble plus avoir d’accroche, de lieu d’opposition ou de lieu central de conflit. Nous avons l’impression que tout coule, le caractère lisse de ce monde est en lui-même une clôture où plus aucun point d’appui ne semble exister pour la visée révolutionnaire. La barbarie est partout sous des formes différentes (hard ou soft), mais elle apparaît sous le visage de la normalité, du seul horizon possible. Ce système est mortifère, il tue perpétuellement, il détruit continuellement pour mieux se reproduire : “ Dans une société à transformation incessante, qui accélère tous les cycles d’obsolescence, cette froideur du jugement économique, cette indifférence administrative, contamine tous les individus, qui anticipent ainsi l’oubli immédiat à quoi ils sont voués, qui l’acceptent comme une vérité profonde sur eux-mêmes. ” ... / ... “ La société organisée à l’échelle mondiale vit désormais dans une ambiance d’état d’urgence qui certes reflète son état réel, mais qui est aussi l’atmosphère de catastrophe dans quoi elle nous fait vivre pour nous imposer ses nouveautés techniques. ” (28)

Le système est mortifère, mais il sait capter le désir et intégrer la vie dans le spectacle et la marchandise, il semble savoir et pouvoir tout récupérer. Il a l’apparence de la vie, la liberté est affirmée et aussitôt niée, réifiée (ii), réduite aux choix marchand, spectaculaire et électoral. Le système récupère tout ou presque. Il absorbe, il recouvre nos vies sans arrêt de plis et de replis pour éteindre les étincelles de liberté créatrice. La domination est souple, elle est capable de récupérer ses erreurs grossières, de disqualifier ses aberrations. Si inter-culturel il y a, en général c’est un inter-culturel de surface, parce qu’une seule culture est majoritaire, celle de la marchandise et du spectacle, les autres sont, en général, cantonnées au statut minoritaire et condamnées à être récupérées.

Ce constat est encore une fois à nuancer, à comprendre en terme de tendances. Dans la culture, nous trouvons des oeuvres qui nous procurent de l’émotion, nous interpellent, nous font réfléchir que ce soit dans les arts plastiques, le cinéma, la musique, le théâtre ou la littérature. Pour réaliser ce travail, je me suis appuyé sur plusieurs ouvrages qui appartiennent à la culture de ce temps, sur des approches théoriques faisant partie de notre histoire culturelle. Le fait que cet ouvrage existe prouve que la production culturelle, même marquée par le spectacle et la marchandise, peut participer à des processus critiques. De plus, si on accepte que l’art soit un lieu de vérité, il est possible de comprendre pourquoi certaines oeuvres artistiques nous touchent. Elles parlent de l’aventure humaine, de nos vérités, des difficultés à vivre en ce temps.

La lutte de classe, les luttes de classes continuent
D’une certaine façon, nous pouvons dire, avec l’hypothèse de la biopolitique, la politique qui prend toute la vie, que nous sommes face à la continuation de la lutte de classe, des luttes de classes (iii) ; mais cette ou ces luttes de classes ne sont pas celles auxquelles se réfèrent couramment les révolutionnaires, les libertaires, ce sont celles qui sont menées du point de vue de la domination, des dominants. La reproduction des pouvoirs concerne tous les champs de notre vie : économie, politique, social, esthétique, symbolique, imaginaire, affectif, etc. La gestion des différences est l’axe qui accompagne l’apartheid social. La pluralité des mondes est un des corollaires de la postmodernité capitaliste. Il y a effectivement réification et séparation (aliénation) pour toutes les activités humaines, mais aussi séparation (coupure) entre les groupes sociaux, les quartiers. La re-production des pouvoirs passe par l’entretien et la création de ces séparations. La frontière est aussi mentale et culturelle. La justification de la hiérarchie sociale et politique s’effectue de plus en plus par le racisme différentialiste, dont le contenu est culturel et non plus biologique. Les pratiques discursives entrent en résonance avec la différence de fait. La fin du grand récit universel, où l’homme était unique et inscrit dans le sens de l’histoire, est aussi la porte ouverte à un développement des phénomènes identitaires. L’identité est un point d’accroche pour l’existentiel humain dans le contexte où l’universel est celui de la mondialisation, de la globalisation capitaliste. Nous sommes face à la fin d’une certaine universalité, universalité qui était souvent le masque de l’impérialisme, tendance renforcée par la prétention française à porter la lumière des droits de l’homme dans le monde. La fin de cette conception de l’universalité ne signifie pas la fin de l’impérialisme, elle est seulement la possibilité de la multiplication du particulier, de la différence culturelle, y compris dans ses multiples versions nationalistes.

Dans nos pays la gestion de la surveillance accompagne le processus de gestion de l’apartheid social : vidéo-surveillance, utilisation massive de fichiers informatiques, agents de sécurité un peu partout, etc. La gestion est technique ou technicisée, le risque lui-même est une des composantes de cette gestion de la reproduction des pouvoirs.

Le sens et l’individu-e
Dans le contexte de la crise du sens, le règne du faux, l’empire du grand mensonge (je pense que nous pouvons nommer ainsi l’écart entre les hautes justifications humaines toujours invoquées et la barbarie de fait), quel sens peut alors avoir l’engagement politique ?
Le sens reste toujours à construire et à reconstruire par la liberté pratique, par la critique et l’action politique, entre autres. Parce que je constate que l’existentiel est fondamental, parce que nous pouvons tenter d’assumer toutes ces crises, j’en arrive, comme beaucoup d’autres personnes, à me poser la question de notre humanité, à soulever le problème de la subjectivité.
Ehrenberg nous signale d’une autre manière que cet état de fait est situé dans l’espace et le temps : “ la subjectivation généralisée est une forme sociale et politique ” (29).

Pour lui il est clair que : “ Un individu aujourd’hui, c’est de l’autonomie assistée de multiples manières ” (30).

Cette façon d’aborder l’individu-e est une manière de parler de bio-politique, même si cet auteur n’emploie pas ce terme et ne se réfère pas à ce type de pensée. Le processus de subjectivation est social et politique, l’individu n’existe pas sans le milieu qui l’assiste. Ou comme le dit Gérard Larnac : Il ne faut pas “ ignorer la grande mutation en cours : le pouvoir s’est micro-diffusé à travers les réseaux technicistes, dans toutes les actions de la vie privée des individus, il ne possède plus de lieu, n’appartient à personne. ” (31)

L’hypothèse de la biopolitique, dans le contexte postmoderne, est un outil conceptuel pour essayer de comprendre pourquoi dans notre vie, en particulier militante, la tension émotionnelle est si forte. L’intensité d’implication des personnes dans un projet commun est telle que la plus petite divergence d’appréciation se transforme vite en discussion dure, parfois violente. J’ai l’impression que la sensibilité est à fleur de peau comme si l’existence de la personne en dépendait, nous sommes vite dans le réactif et l’identitaire. Il suffit que notre point de vue ne soit pas partagé-e pour que se sentir nié-es. Comme dans beaucoup d’histoires d’amour, la négation de soi est liée aux réactions de l’autre personne : “ Si tu m’aimes j’existe, je vais bien et si je t’aime aussi, c’est parfait ! ; mais si tu refuses mon désir, si tu ne m’aimes pas, je n’existe plus, au secours je meure ! ”.

A mon avis, la subjectivation généralisée, développée et amplifiée, par la biopolitique capitaliste, rend difficile la mise en place des projets alternatifs, des structures collectives parce que d’entrée nous sommes confronté-es aux problèmes de personnes et aux enjeux de pouvoir.
Le besoin de reconnaissance, le désir d’amour n’est pas en soi capitaliste, mais pour le vivre sans domination nous devons tenter d’opérer une mise à distance des modalités de la domination que nous avons intériorisée par la construction sociale de notre genre. Admettre le multiple en pratique nécessite du temps, de la tolérance, de revenir au calme et, de fait, demande une grande énergie. Il est toujours délicat de sortir des îlots isolés les uns des autres pour fédérer les réseaux de vie et tenter des débats transversaux. Les espaces communs de discussion sont alors assez rares et très difficiles à mettre en oeuvre, quand ils existent, en général ils sont éphémères. Tant qu’on en reste aux espaces de vie, aux réseaux de socialité, il est encore possible d’arriver à mettre en oeuvre des solidarités, des projets collectifs qui durent un peu. Mais si nous abordons la sphère politique, nous sommes rapidement en difficulté, il est presque impossible de parler politique sans heurts violents. Nous l’avons constaté sur la xénophobie d’Etat, sur la guerre, sur l’impérialisme, sur la fascisation et le racisme. Entre les anathèmes, l’instrumentalisation, les étiquettes, les tensions, les affects, la culpabilisation, les attentes, le besoin de reconnaissance, le chemin libertaire semble toujours à reconstruire et toujours confronté à la subjectivité, aux subjectivités existentielles, à cela se rajoutent les conflits entre organisations. La situation est ainsi souvent assez déprimante et parfois insupportable à vivre. Elle incite facilement au repli individuel et éloigne encore plus du collectif.

L’hypothèse de la politique qui saisit la vie, de la biopolitique postmoderne est aussi une voie pour se poser à nouveau la question de la subjectivité en politique. Ce point de vue est partagé par Marco Revelli qui analyse la précarité comme une figure centrale de notre société : “ Pour la multiplicité, diverse et atomisée, des figures du monde du travail qui représentent la force de travail sociale, l’absence totale de représentation sociale et politique est un problème. Il y a le risque d’être ballotté de ci, de là; car il n’y a plus de niveau juridique de contrôle. ... / ... C’est ce qui conduit aussi à une intensification des conflits horizontaux. Le conflit dans le modèle fordiste était vertical. Il y avait deux sujets, le Capital et le Travail, et une guerre permanente entre capitalistes et prolétaires, entre riches et pauvres, etc.

Aujourd’hui, le processus social global tend à créer des conflits horizontaux, des conflits entre sujets qui sont au même niveau social. Par exemple, des conflits entre jeunes et vieux, entre chômeurs et retraités, entre travailleurs immigrés et autochtones, entre différents territoires du même pays, entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest. C’est particulièrement évident en Italie. En plus de cette intensification de conflits entre semblables, on a une poussée permanente vers la fragmentation sociale, le silence des sujets collectifs et une individualisation toujours plus accrue. On fait tout pour que le conflit ne soit plus conflit de classes, mais concurrence entre les individus.
Ici se pose la question de savoir comment un sujet peut se constituer au milieu de cette fragmentation extrême. ” (32)

Pourtant, même avec ce constat pessimiste, il persiste à penser que tout n’est pas fini, que nous avons encore des cartes à jouer en partant du problème du sujet : “ Le post-fordisme est un processus chaotique et contradictoire, et les contradictions sont ingérables. Nous devons, comme les capitalistes, apprendre à “ naviguer à vue ”, pour utiliser aussi bien que possible les situations antagonistes que nous rencontrons. Nous ne sommes pas arrivés à la fin de l’histoire. Nous n’en sommes qu’au commencement. ” (33)

Je pense que nous avons ici l’occasion de poser la question d’une possible biopolitique libertaire au travers de la caractérisation de l’humain.



Notes de bas de page :

1 / Maurizio Lazzarato, « Lutte de « minorités » et politique du désir » dans la Revue Chimères n° 33 du printemps 98 « Le désir ne chôme pas ».
Contact : Maison de Toutes Les Chimères, 21 ter Rue Voltaire, 75011 Paris.

2 / Bernard Aspe et Muriel Combes, « Retour sur le « camp » comme paradigme biopolitique : Homo Sacer de Giorgio Agamben » publié dans la Revue Futur Antérieur, article disponible sur Internet sur :
http:///www.ecn.org/cqs:biopol/agamben.htm/

3 / Cf Marie France Hirigoyen, Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien, Éditions Syros, Paris, 1998.

4 / Dominique Quessada, La société de la consommation de soi, éditions Verticales, Paris 1999.

5 / Eduardo Colombo, « Anarchisme, obligation sociale et devoir d’obéissance », dans Réfractions numéro 2 intitulé « Philosophie politique de l’anarchisme ».

6 / Jacques Luzi, « Mondialisation de la misère » éditorial de la Revue Agone n° 16, disponible sur Internet :
http://www.culture.fr/culture/paca/agone/16/editi16.html/
également sur : www.lisez.com/agone

Le contact de cette Revue : Agone, B. P. 2326, 13213 Marseille cedex 02

7 / Denis Duclos, « Vaches folles, amiante, trafic d’organes, pollutions diverses : L'autophagie, grande menace de la fin du siècle », Le Monde Diplomatique Août 1996.
Sur Internet : Http://www.monde-diplomatique.fr/

8 / Dominique Quessada, La société de la consommation de soi, éditions Verticales, Paris, Septembre 1999.

9 / Paul Demare, « La société du jetable » dans la Revue Le Voyeur, numéro 5.
Contact : Le Voyeur, 121, rue Gambetta, Paris 75011.
Article disponible sur Internet : Http://mst.arts.univ-Paris8.fr/levoyeur

10 / Entretien avec Serge Tisseron auteur de « Comment l’esprit vient aux objets » dans Feuilles de routes de Périphéries sur Internet article intitulé « On sous-estime la capacité de l’être humain à se construire sa propre identité psychique » :
http://www.insite.fr/peripheries/ftiss2.htm

11 / L’Encyclopédie des Nuisances « Remarques sur l’agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces », Paris, 1999.

Contact : L’Encyclopédie des Nuisances, 74, Rue de Ménilmontant, 75020 Paris.

12 / Toni Negri et Michael Hardt, « Mutations d’activités, nouvelles formes d’organisation » article publié dans « Bloc note », numéro 12, Avril - Mai 1996. Disponible sur Internet sur le site du Cristal qui songe :
http://www.ecn.org/cqs/neuf.htm/

13 / Gilles Deleuze et Félix Guattari dans en particulier L’anti-oedipe, Éditions de Minuit, Paris 1972, et les cours de 1972 disponibles sur Internet :
http://www.imaginet.fr/deleuze/

14 / Félix Guattari, La révolution moléculaire, page 84 ou 93, Éditions 10 / 18, Paris, 1980, page 92.

15 / Georges Devereux, Ethnopsychanalyse complémentariste, éditions Flammarion, Paris, 1672.

16 / Régnier Pirard, La psychanalyse : une clinique de l’histoire et du désir, édition H. D. R., Nantes, note page 92.

17 / Eduardo Colombo « les théories sexuelles infantiles » dans Sexualité et érotisme, tiré-à-part, page 46.
Extrait de l’intervention présentée lors des Journées scientifiques du Quatrième Groupe (de psychanalyse) : Les théories infantiles sur la sexualité et la mort, tenues à Paris les 30 et 31 Janvier 1999.

La citation contenue dans cet extrait est tirée du livre Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion, écrit en 1927, et publié, entre autres, dans les Oeuvres complètes, volume XVIII parues aux éditions PUF, Paris, 1991.

18 / Eduardo Colombo « Le pouvoir et sa reproduction » in Le pouvoir et sa négation, ACL, Lyon, 1984, note p 78.
Contact Atelier de Création Libertaire, B. P. 1186, 69202 Lyon cedex 01.

19 / Giorgo Agamben, Homo Sacer, Le pouvoir souverain et la vie nue, Éditions du Seuil, Paris 1997.

20 / Alain Ehrenberg, L’individu Incertain, Éditions Hachette, Pluriel, Paris 1996.

21 / Frédéric Gros, « Entre pouvoir et territoire : Deleuze, Foucault ». disponible sur Internet :
Http://im.edfgdf.fr/im/html/fr/bib/articles/gros.htm

22 / Didier Bigo dans le Monde diplomatique d’Octobre 96 “ L’illusion maîtrise des frontières ” et “ L’archipel des polices ”. Sur Internet :
Http://www.monde-diplomatique.fr/

23 / Herbert Marcuse, L’Homme unidimensionnel, Éditions de Minuit, Paris, 1968.

24 / Cité par Gérard Larnac, Après la Shoah, Raison instrumentale et Barbarie, Éditions Ellipses, collection Polis, Paris, 1997, page 55

25 / Bernard Noël, La castration mentale, Éditions P. O. L, Paris, 1997.

26 / Hannah Arendt, La crise de la culture, Éditions Folio essais, Paris, 1989.
Gérard Larnac, Après la Shoah, Raison instrumentale et barbarie, Éditions Ellipses, collection Polis, Paris, 1997, pages 124, 122, et 55.
Cet auteur se réfère explicitement à Hanah Arendt et à l’Ecole de Francfort.

27 / Terme utilisé par Pierre Legendre.

28 / Dans le livre de L’Encyclopédie des Nuisances « Remarques sur l’agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces », page 89 et 92, Paris, 1999.

Contact : L’Encyclopédie des Nuisances, 74, Rue de Ménilmontant, 75020 Paris.

29 / Alain Ehrenberg, L’individu Incertain, Éditions Hachette, Pluriel, Paris 1996, page 23.

30 / Alain Ehrenberg, L’individu Incertain, Éditions Hachette, Pluriel, Paris 1996, page 305.

31 / Gérard Larnac, Après la Shoah, Raison instrumentale et barbarie, Éditions Ellipses, Collection Polis, Paris, 1997, page 128.

32 / Marco Revelli, « La centralité du précariat », publié dans la Revue berlinoise Arranca, repris dans le document intitulé Journées d’été d’A.C. 1999, page 8.

33 / Marco Revelli, « La centralité du précariat », publié dans la Revue berlinoise Arranca, repris dans le document intitulé Journées d’été d’A.C. 1999, page 8.

Notes de fin :

I / L’Ecole de Francfort est un courant d’idée qui, en philosophie, est représenté par Horkheimer, Adorno et consorts. Herbert Marcuse a commencé ses travaux avec cette école. Habermas s’en dit l’héritier. On peut se référer au célèbre livre :
Théodor Adorno W. et Max Horkheimer, La dialectique de la raison, Gallimard, Paris, 1974.

II / La réification est un terme venant du latin « res » : chose. La traduction littérale serait « chosification », mais ce terme est considéré comme un barbarisme. La réification transforme en choses la vie sous tous ses aspects, ici en marchandises. La réification est le concept complémentaire de l’aliénation (devenir autre) parce qu’elle dépouille de la vie ce qu’elle atteint.

III / Suite à une remarque des rédacteurs de la revue Temps Critiques, j’emploie maintenant le pluriel pour les luttes de classes. Effectivement il y a plusieurs classes et plusieurs luttes, dont acte !